Prothèse fixée
Bouabid Morchad* Amal Elyamani** Bouabid Elmohtarim*** Hachemi L’kassmi****
*professeur assistant en prothèse conjointe
**professeur d’enseignement
supérieur en prothèse conjointe
Faculté de médecine dentaire
Rabat, Maroc
***professeur d’enseignement
supérieur en prothèse adjointe
Hôpital militaire d’instruction Mohammed V
Rabat, Maroc
****médecin colonel Major médecin
chef
3e Hôpital médico-chirurgical de campagne Conakry
La limite cervicale d’une dent est le lieu d’intégration biologique, physiologique et esthétique d’une restauration. Le choix du type de limite dépend du type de parodonte, de la situation clinique, du respect tissulaire sous l’angle de la conservation de la vitalité pulpaire, du type de restauration et du mode d’assemblage.
The cervical limits in traditional fixed prosthesis
The cervical margin of a tooth is the site of biological, physiological and aesthetic restoration integration. The type of limit depends on the type of periodontal, clinical status, tissue respect in terms of the preservation of pulp vitality and type of food and mode of assembly.
« La limite cervicale est une ligne marquant l’extrémité, dans le sens occluso-apical, de la zone dentaire ayant subi une abrasion mécanique dans le but de recevoir un élément prothétique [1]. » Elle forme le lieu d’intégration biologique, physiologique et esthétique qui signe le succès ou l’échec d’une restauration prothétique effectuée par un praticien [2].
Le choix de la limite se fait en fonction [3] :
– du type de parodonte ;
– de la situation de la dent ;
– de la vitalité pulpaire ;
– du type de restauration.
Cet article, à but didactique, fait le point sur le choix des limites cervicales ainsi que sur leur situation en fonction des critères parodontaux, de la situation clinique, de l’économie tissulaire, des paramètres esthétiques et, enfin, l’influence des limites sur le mode d’assemblage des restaurations prothétiques sur leur support dentaire.
Il existe plusieurs types de limites cervicales [4] (fig. 1) : la mise de dépouille simple, le tracé, le congé (quart de rond, biseauté), l’épaulement (droit, à angle interne arrondi, oblique, biseauté). Ces différents types doivent répondre aux exigences suivantes [2] :
– préserver la dent et être le moins mutilants possible ;
– ne pas induire de lésions parodontales ;
– être lisibles au laboratoire pour favoriser une adaptation dento-prothétique précise.
La précision du joint dento-prothétique fait l’objet de nombreuses études parfois contradictoires [5]. Pour Rosner, le fait de chanfreiner la ligne de finition réduit le hiatus alors que Pascoe conclut que la mise en place est plus complète avec un épaulement [8]. L’importance du protocole de réalisation au laboratoire serait, pour Schittly [6], la clé du succès de l’adaptation dento-prothétique. Les valeurs du joint inférieures à 120 µm sont considérées par McLean [7] comme cliniquement acceptables et durables.
La limite cervicale peut être située à trois niveaux par rapport à la gencive.
C’est une limite située à distance du bord de la crête gingivale (fig. 2). Elle préserve la santé parodontale, facilite non seulement la préparation et la prise l’empreinte mais aussi le contrôle tant du point de vue de la réalisation que celui de l’adaptation de la pièce prothétique. Elle suppose une hauteur coronaire suffisante.
Il y a continuité entre la limite cervicale et le collet clinique (fig. 2). C’est une solution intermédiaire qui est sujette à de nombreuses critiques du fait qu’elle entretient l’inflammation. Certains auteurs contre-indiquent cette forme car elle constitue un facteur irritant permanent pour la gencive. Elle reste indiquée au niveau des parois proximales, lors du passage d’une limite intra-sulculaire à une limite supra-gingivale.
Il y a plusieurs raisons de situer les bords des préparations dans le sulcus :
– les exigences esthétiques ;
– la recherche d’un supplément de rétention ;
– la présence d’une carie ou d’une ancienne restauration cervicale nécessitant le recouvrement par l’élément prothétique.
La limite intra-sulculaire [9, 10] (fig. 2) reste indiquée surtout au niveau antérieur.
Différents critères parodontaux doivent être examinés avant toute manœuvre prothétique (fig. 3) afin de poser les indications des préparations, des évictions et des empreintes [11, 12]. Il s’agit de [9] :
– l’espace biologique ;
– la profondeur du sulcus ;
– la hauteur et l’épaisseur de la gencive adhérente ;
– la texture, la couleur et le saignement au sondage.
L’analyse de ces critères permet de dégager l’existence de trois types de parodontes [5, 11] (tableau I) : favorable, intermédiaire et défavorable.
Deux facteurs conditionnent la réussite de l’intégration parodontale des éléments prothétiques [9] :
– la présence d’un espace biologique. En cas de support parodontal réduit, il est particulièrement important de maintenir intacte cette « zone de sécurité » [11, 12, 13]. Si cet espace est absent, il peut être recréé par élongation coronaire ou par traction orthodontique [14] ;
– la qualité des tissus muco-gingivaux. Maynard et Wilson [15] proposent une hauteur de gencive kératinisée de 5 mm, dont 3 mm au moins de gencive attachée.
En effet, Fleiter et Launois [16] mettent en évidence une corrélation entre le niveau d’imperfections des limites intra-sulculaires et la sévérité de l’inflammation, ce qui nécessite certaines précautions au cours des différentes étapes.
La situation des limites intra-sulculaires peut perturber la gencive libre pour diverses raisons. Cela orientera vers le respect des tissus environnants, à savoir [3] :
– dans le sens vertical, la limite ne doit pas s’approcher de plus de 0,4 mm du fond du sulcus ;
– dans le sens horizontal, il ne faut pas blesser l’épithélium sulculaire lors de la préparation.
La prudence dicte alors la mise en place, avant la préparation, d’un fil (tressé ou tricoté) (fig. 4) qui doit être exempt de toute substance chimique [5].
La préparation de la dent au ras du fil matérialise une limite cervicale intra-sulculaire. Elle se fait entièrement sous contrôle visuel (fig. 5, 6 et 7) ; cela facilite la qualité de sa finition et minimise l’agression des tissus marginaux [9].
La dentisterie intra-sulculaire requiert des finitions soit à épaulement à angle interne arrondi, soit à congé, qui permettent d’obtenir la continuité de la limite cervicale et un bon état de surface [12] (fig. 7 à 12).
La qualité du joint dento-prothétique intra-sulculaire conditionne la santé du parodonte [17]. Pour cette raison, il est impératif d’obtenir un enregistrement rigoureux de la ligne de finition dentaire. Pour y parvenir, il faut pratiquer l’ouverture temporaire du sulcus à l’aide de différentes techniques [18] (cordonnet rétracteur, curetage rotatif ou électro-section) qui varie en fonction du type du parodonte, de la forme et de la situation de la limite, des techniques et des matériaux d’empreinte et des réactions parodontales aux techniques d’éviction gingivale [5].
Chacune des différentes techniques précitées possède son indication mais toutes entraînent des lésions plus ou moins importantes au niveau du parodonte sulculaire [5]. Une technique d’ouverture sulculaire (l’Expasyl®), créée et mise au point par Lesage, est indiquée en présence de parodonte fin ou intermédiaire, ses limites sont, comme pour le cordonnet imprégné, l’obtention d’une ouverture sulculaire réduite en présence de parodonte épais et de ligne de finition intra-sulculaire [19, 20, 21] (tableau I).
Les paramètres cliniques pouvant influencer la prise d’empreinte sont en rapport direct avec la qualité du parodonte marginal, la situation des limites et d’autres facteurs liés au nombre de dents préparées ou à leur forme.
Plus la limite est enfouie dans le sulcus, plus il est difficile de placer des cordonnets et d’assécher correctement le site et, donc, de libérer l’accès à la prise d’informations d’une caméra intra-buccale [23] ou bien de faire pénétrer le matériau au-delà de la ligne de finition de la préparation. Il faut alors soit augmenter la pression sur le matériau, soit choisir un matériau hydrophile.
Pour ces empreintes conventionnelles, on distingue :
– les empreintes monophasées (alginates, polyéthers et quelques silicones par addition avec surfactant). Ce sont des matériaux fluides non compressifs, hydrophiles, indiqués en cas de limites intra-sulculaires et de parodontes fragiles ;
– les empreintes biphasées (hydrocolloïdes réversibles, hydro-alginates sans excès de compression et donc adaptables à tous les parodontes). Ces empreintes sont surtout exploitées avec les silicones réticulant par addition.
Deux méthodes sont proposées (tableau I) :
– le double mélange ;
– la wash-technique (fig. 8), plus compressive et avec risque pour le parodonte fragile.
L’apport esthétique est très important dans la zone cervicale où l’affleurement de l’opaque, voire du métal, est toujours difficile à masquer. Les joints céramique-dent peuvent résoudre le problème esthétique mais leur réalisation reste très délicate [23, 24].
Le rendu esthétique des restaurations tout céramique est amélioré par rapport aux techniques céramo-métalliques (fig. 12).
Les limites cervicales dépendent du type de restauration :
La forme des limites cervicales pour ce type de restaurations doit être impérativement réalisée en angle droit afin d’assurer la stabilité de la restauration [25].
La réalisation d’un angle interne arrondi évite toute difficulté au niveau de l’empreinte et de sa reproduction. L’absence de métal permet d’avoir un joint céramique-dent qui confère un résultat esthétique très satisfaisant [17].
Pour la ligne de finition seront choisis un congé quart-de-rond et un épaulement à angle interne arrondi qui génèrent moins de stress mécanique que les autres formes [3, 26].
La situation de la limite sera supra-gingivale dans la mesure du possible, sinon intra-sulculaire dans les zones visibles, pour redevenir juxta-gingivale, voire supra-gingivale dans les zones moins visibles.
Différentes lignes de finition ont été proposées :
– le bandeau métallique périphérique. C’est le résultat de la préparation de Stein qui est un congé quart-de-rond avec chanfrein vestibulaire à 30° (fig. 1) ou un épaulement droit avec chanfrein périphérique à 30° (fig. 1) ;
– le joint céramique-dent. C’est une préparation à épaulement (fig. 1) ou congé large (fig. 1). Par suppression du métal sur les limites cervicales vestibulaires et en affrontant directement la céramique sur ces limites, on évite toute interférence nuisible du métal sur la couleur de la céramique sus-jacente. Cette préparation représente la finition de choix pour les secteurs antérieurs (fig. 13 à 16) ;
– le joint céramique-métal-dent, ou la finition triangulaire. Il est obtenu grâce à la préparation de Weiss (fig. 1) et à celle de Kuwata (fig. 1) réalisant un congé quart-de-rond ou chanfrein large à 140° (fig. 17 à 20).
Le choix de la ligne de finition diffère d’une zone à l’autre :
– pour les zones visibles :
– épaulement ou congé large, supra-gingival ou légèrement juxta-gingival (joint céramique-dent),
– congé chanfreiné, intra-sulculaire (bandeau métallique fin),
– congé large ou chanfrein large, intra-sulculaire (finition triangulaire) ;
– pour les zones non visibles : congé chanfreiné, supra-gingival, permettant une économie tissulaire et un sertissage par bandeau métallique.
La réalisation des restaurations prothétiques fixées comporte plusieurs étapes cliniques dont chacune peut provoquer une lésion pulpaire d’origine mécanique, thermique ou chimique [29].
Ainsi, l’incidence que pourrait avoir la limite cervicale sur la pulpe est en relation directe avec sa situation car l’épaisseur d’émail diminue en direction cervicale et avec la profondeur de la préparation. En effet, la profondeur dépend alors du type de restauration :
– en prothèse céramo-métallique, la rigidité est conférée par l’infrastructure métallique. Parmi les différentes lignes de finition, notre choix s’est porté en majorité sur le congé quart-de-rond qui présente un certain nombre d’avantages [3] :
– l’économie tissulaire est importante par rapport à une limite de type épaulement,
– il est adapté à tous les types de couronnes, il permet notamment de loger aisément le complexe céramo-métallique (de 1 à 1,2 mm en vestibulaire et de 0,6 à 0,8 mm sur les autres faces),
– sa réalisation clinique est aisée, entraîne peu de dégagement de chaleur et permet la préservation de la vitalité pulpaire ;
– en prothèse tout céramique, les propriétés mécaniques sont également influencées par la profondeur de la limite cervicale. Celle-ci est déterminée par une double exigence [3, 26, 30] :
– d’une part, ménager une épaisseur suffisante de céramique pour des raisons esthétiques et mécaniques (fig. 21 à 25),
– d’autre part, économiser les tissus pour la préservation de la vitalité pulpaire. Il s’agit donc d’un compromis entre les contraintes biologiques, mécaniques et esthétiques.
Les céramiques dentaires présentent une bonne tolérance parodontale. Ceci est dû à la nature du matériau et non pas à la faible épaisseur du joint dento-prothétique. Par conséquent, cela permet d’éviter l’enfouissement systématique du joint dans le sulcus [7].
La profondeur varie en fonction du système choisi (In-Ceram®, eMax®, Procera®), de la situation clinique (antérieure ou postérieure) et de la nature de la restauration (partielle ou totale) [17, 30].
Au niveau antérieur, le congé ou l’épaulement doit avoir une profondeur de 6/10 à 12/10 mm.
Au niveau postérieur, la profondeur ne pourra être inférieure à 7/10 mm en raison de l’anatomie des dents, plus favorable à la préservation de la vitalité pulpaire et parce que l’exigence esthétique est moins cruciale dans cette zone, autorisant une limite supra-gingivale.
Il s’agit le plus souvent de préparations pelliculaires se limitant la plupart du temps à l’émail (de 3 à 6/10 mm selon le système). Le type de limite retenu est le congé quart-de-rond qui peut être assimilé à un épaulement à angle interne arrondi (demi-jacquette) (fig. 26 à 29).
La situation de la limite dépend du sourire :
– s’il ne dévoile pas les zones cervicales, la limite est supra-gingivale ;
– s’il les dévoile, la limite est intra-sulculaire en cas de dents dyscolorées, sinon elle est supra-gingivale.
La situation de la limite prothétique par rapport à la jonction est déterminante pour le choix du mode d’assemblage :
– quand la limite est intra-sulculaire : le matériau doit pouvoir supporter l’humidité sulculaire. Seuls les produits qui peuvent réaliser leur phase de prise initiale en présence d’humidité sont aptes à cette utilisation. Il semble que seules les réactions de prise des ciments au phosphate de zinc et des ciments au verre ionomère hybrides (CVIH) peuvent supporter cette utilisation intra-sulculaire ;
– quand la limite est supra-gingivale ou juxta-gingivale, les trois modes peuvent être utilisés (scellement conventionnel, scellement adhésif et collage). Le choix entre ces différents modes est alors établi à partir de paramètres complémentaires liés :
– soit à la nécessité de favoriser la valeur adhésive du mode de jonction,
– soit à la visibilité du joint dento-prothétique susceptible d’être masqué par l’utilisation de matériaux à vocation esthétique.
Le choix dépend également de la valeur rétentrice de la préparation, du matériau prothétique et du nombre de préparations.
L’évolution du matériau céramique et des matériaux d’assemblage a permis, au cours des 10 dernières années, de faire évoluer tous les concepts des préparations.
Les facettes collées font appel à des préparations pelliculaires, limitées à l’émail. Les limites supra-gingivales ou juxta-gingivales sont en forme de congé arrondi de 0,3 à 0,6 mm d’épaisseur.
Les préparations pour éléments tout céramique ont évolué en fonction des progrès du matériau. L’épaulement long (de 1 à 1,5 mm), autrefois préconisé, est aujourd’hui, avec la technique Procera par exemple, devenu beaucoup plus réduit et plutôt en forme de congé arrondi.
Pour les couronnes céramo-métalliques, les préparations ont, elle aussi, évolué ainsi que la conception des armatures métalliques.
Liens d’intérêt : les auteurs confirment n’avoir aucun lien d’intérêt à déclarer.