Prothèse fixée
Cécilia Selva* Florent Destruhaut** Jules Baillon*** Antoine Galibourg**** Rémi Esclassan*****
*chirurgien-dentiste
Faculté d’odontologie de Toulouse
3, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse cedex 09
**AHU-PH prothèses
Faculté d’odontologie de Toulouse
3, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse cedex 09
***Chirurgien-dentiste
****AHU-PH prothèses
Faculté d’odontologie de Toulouse
3, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse cedex 09
*****MCU-PH prothèses
Faculté d’odontologie de Toulouse
3, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse cedex 09
L’accès aux limites est une étape clinique essentielle dans la chronologie d’une bonne prise d’empreinte, pour transmettre les informations les plus précises au prothésiste et envisager une bonne intégration esthétique et parodontale de la future prothèse. Les méthodes d’accès aux limites sont bien décrites dans la littérature scientifique mais ont été évaluées dans peu de pays. L’objectif principal de ce travail était de déterminer les méthodes d’accès privilégiées au sein d’un échantillon de praticiens en Midi-Pyrénées. Les objectifs secondaires étaient de déterminer les préférences en fonction de l’âge et des années d’expérience.
Access to the limits in fixed prosthesis: what techniques use the practitioners from the Midi-Pyrénéées Region?
In fixed prosthodontics, access to cervical margins is an important clinical step in the chronology of impression, in order to give precise informations to the laboratory technician. Methods of gingival displacement are well described in literature but have only been evaluated in a few countries. In this context, the main goal of this article was to determine the preferred methods of access to cervical margins, inside a French sample from Midi-Pyrénées. Secondary goals were to evaluate the preferences in relation with age and experience.
Une adaptation marginale défectueuse représente un des échecs les plus fréquemment rencontrés en prothèse fixée, avec des conséquences parfois lourdes sur les plans parodontal et esthétique [1]. Ces défauts d’adaptation sont le plus souvent liés à une mauvaise visibilité des limites cervicales intrasulculaires lors de l’empreinte, rendant difficile, voire impossible, une lecture correcte du moulage de travail par le prothésiste de laboratoire [2, 3, ].
Depuis plus de 50 ans et les travaux de Gargiulo en 1961 [5], il est admis que la zone intrasulculaire et la jonction épithélio-conjonctive doivent faire l’objet d’une très grande attention clinique par les praticiens, à la fois lors de la préparation et lors de la prise d’empreinte. L’étape de l’accès aux limites est donc un moment essentiel pour envisager l’intégration esthétique et parodontale de la future restauration prothétique fixée, qu’il s’agisse d’empreinte conventionnelle ou d’empreinte optique.
Lors de cette étape, le praticien est confronté à de multiples difficultés :
– choix de la ou des techniques adaptées à la situation clinique ;
– connaissance et maîtrise des différentes techniques d’accès aux limites ;
– manipulation des instruments et des matériaux ;
– respect du parodonte et de l’espace biologique ;
– accessibilité (dent postérieure, visibilité…).
De nombreuses techniques existent pour permettre un accès aux limites performant et respectueux du parodonte marginal [6, 7, 8, 9]. Il s’agit soit de méthodes de déflexion – cordonnet simple ou double, utilisation de l’élément provisoire ou de matériau du type Expasyl® (Acteon, Pierre Roland) – soit de méthode d’éviction tissulaire – électrochirurgie au bistouri électrique, curetage à l’aide de l’instrumentation rotative, lasers [6, 9]. Les principaux avantages et inconvénients de ces méthodes sont rappelés dans les tableaux I et II.
Quelle que soit la technique d’accès utilisée, les principaux objectifs sont les suivants [8] :
– faciliter la diffusion du matériau à empreinte ou l’accès au sein du sillon gingival par une caméra numérique ;
– maintenir un sillon gingival propre et sain ;
– permettre l’enregistrement de l’intégralité des limites de la préparation et de l’émergence radiculaire non préparée.
Si quelques études sont retrouvées dans la littérature scientifique concernant les habitudes des praticiens en termes d’accès aux limites, elles ne concernent pas des praticiens travaillant en France [2, 3, 10].
Dans ce contexte, l’objectif principal de ce travail était de déterminer les méthodes d’accès aux limites privilégiées au sein d’un échantillon de praticiens exerçant en Midi-Pyrénées. Les objectifs secondaires étaient de déterminer les préférences en fonction de l’âge et des années d’expérience.
Un questionnaire a été réalisé à partir de la plate-forme Google Docs® qui permet, d’une part, de créer des formulaires personnalisés et de les envoyer rapidement par courrier électronique et, d’autre part, de collecter automatiquement les résultats sur un tableur exploitable sur Microsoft Excel®.
Le questionnaire était composé de questions orientées sur le praticien lui-même et sur ses pratiques concernant les techniques d’accès aux limites (tabl. III).
Cette enquête a été réalisée auprès d’un échantillon de praticiens de la région Midi-Pyrénées, sélectionnés au hasard sur un annuaire téléphonique. Ces chirurgiens-dentistes ont été sollicités directement par téléphone ou par un courrier électronique les invitant à remplir le questionnaire en ligne sur Google Docs®.
Trente-cinq réponses se sont révélées exploitables.
La figure 1 représente la répartition des praticiens de l’échantillon selon les tranches d’âge : près de la moitié (43 %) a entre 26 et 35 ans, un quart (26 %) entre 35 et 50 ans et un tiers (31 %) a plus de 50 ans.
La figure 2 indique les années d’expérience clinique des praticiens de l’échantillon : 40 % d’entre eux se situent dans la tranche entre 1 et 10 ans d’expérience, 20 % entre 10 et 20 ans et 40 % ont plus de 20 ans d’expérience.
La figure 3 renseigne sur les connaissances des praticiens interrogés concernant les techniques d’accès aux limites cervicales de préparation en prothèse fixée. Plus du tiers d’entre eux (37 %) estiment bien les connaître, plus de la moitié (57 %) les connaître « un peu » et seulement 6 % ont admis « ne pas connaître » toutes les techniques d’accès aux limites.
La figure 4 dévoile les techniques d’accès préférentiellement utilisées en fonction des tranches d’âge des praticiens :
– chez les 26 à 35 ans, sur un total de 15 sondés, la totalité (100 %) utilise des matériaux du type Expasyl®, un quart (26 %) utilise les simples cordonnets et près de la moitié (47 %), l’instrumentation rotative (« fraise à sulcus »). Vingt pour cent utilisent les doubles cordonnets et les couronnes provisoires. Aucun n’emploie le bistouri électrique ;
– dans la tranche des 35-50 ans, 44 % utilisent un matériau du type Expasyl® et le simple cordonnet, plus de la moitié (55 %) la fraise à sulcus et 22 % utilisent les couronnes provisoires. Aucun ne met en pratique les doubles cordonnets et le bistouri électrique ;
– chez les 50 ans et plus, près de la moitié (45 %) pratique l’instrumentation rotative. Un peu plus du quart d’entre eux (27 %) utilisent des matériaux du type Expasyl® et plus du tiers (36 %) le simple cordonnet. Notons qu’aucun d’entre eux n’utilise le bistouri électrique, les doubles cordonnets ou les couronnes provisoires.
La figure 5 renseigne sur les pourcentages de techniques d’accès principalement utilisées, toutes tranches d’âge confondues :
– plus du tiers (36 %) utilise les matériaux du type Expasyl® ;
– 30 % utilisent la fraise à sulcus et 21 % le simple cordonnet ;
– seuls 8 % se servent des couronnes provisoires et 5 % des doubles cordonnets.
La figure 6 renseigne sur les pourcentages des praticiens répondant à la question du choix préférentiel « d’une seule technique d’accès » aux limites cervicales de préparation :
– plus du tiers (34 %) retiennent l’Expasyl® ;
– 23 % la fraise à sulcus et le simple cordonnet ;
– seuls 6 % utilisent les doubles cordonnets, 5 % les doubles cordonnets imprégnés et 6 % les provisoires.
L’objectif de ce travail était de déterminer les méthodes d’accès aux limites privilégiées au sein d’un échantillon de praticiens en Midi-Pyrénées. En préambule, il faut noter que tous les praticiens sondés réalisent un accès aux limites cervicales de préparation lorsqu’elles sont intrasulculaires. La région intrasulculaire est une zone anatomiquement « sensible » pour l’intégration des prothèses fixées [11]. Valderhaug [12] a ainsi montré que le degré d’inflammation autour de dents supportant une couronne avec des limites intrasulculaires était significativement plus important que celui observé sur des couronnes avec des limites supra-gingivales ou juxta-gingivales. L’augmentation de l’accumulation du biofilm au niveau des bords marginaux des prothèses fixées serait le principal facteur responsable de l’apparition d’une gingivite marginale [7]. De même, lorsque les bords des restaurations intrasulculaires sont en surcontour, ils modifient la composition du biofilm infragingival, provoquant l’apparition d’une flore semblable à celle observée dans des parodontites agressives [13]. Chaque fois que possible en prothèse fixée, il conviendrait de privilégier des limites supra-gingivales mais les exigences esthétiques des patients poussent les praticiens à rechercher des solutions proposant un aspect le plus « naturel » possible, sans visibilité du joint dento-prothétique [7, 14].
Chez les praticiens de 35 à 50 ans et chez deux de 50 ans et plus, la technique la plus souvent utilisée (33 et 43 %) est le curetage par instrumentation rotative (fig. 7). Il s’agit d’une technique d’éviction tissulaire ancienne, rapide et simple à mettre en œuvre. Elle présente toutefois des conséquences parodontales avec, notamment, un risque de lésion de l’espace biologique [15, 16]. Les autres inconvénients sont parfaitement décrits dans la littérature médicale [6, 9]. Il s’agit le plus souvent d’un saignement systématique accompagné parfois d’une légère douleur. Dans les cas les plus extrêmes, il est possible de noter l’apparition d’une récession gingivale si cette technique n’est pas réalisée dans les conditions optimales, c’est-à-dire en présence d’un parodonte sain, avec une instrumentation adaptée, une évaluation parodontale préopératoire et une maîtrise parfaite de la pénétration de la fraise dans le sulcus, après sondage pour évaluer la profondeur [6, 17].
En revanche, chez les 26-35 ans, ce sont les matériaux du type Expasyl® qui sont majoritairement utilisés (47 %). Il s’agit d’une technique d’accès aux limites par déflexion tissulaire, apparue il y a près de 15 ans et dont les avantages sont les suivants [17] :
– atraumatique pour le parodonte ;
– bon contrôle du saignement et du fluide intrasulculaire ;
– nettoyage aisé au spray ;
– mise en place indolore et bien tolérée par le patient ;
– sans nécessité d’anesthésie ;
– sans réaction tissulaire parodontale ;
– aucune récession observée.
Cette différence de choix chez les praticiens de cette tranche d’âge peut s’expliquer, d’une part, par la mise en contact précoce avec ce matériau au cours de la formation initiale et, d’autre part, par la simplicité d’utilisation (fig. 8 et 9). Bennani [18] a montré récemment que l’Expasyl® provoquait une vraie déflexion gingivale atraumatique, supérieure à celle donnée par les autres matériaux du même type. Outre ses qualités astringentes et hémostatiques, ce matériau a une véritable action de déflexion gingivale.
Toutes tranches d’âge confondues, si les praticiens ne devaient retenir qu’une seule méthode, ils choisiraient plutôt l’Expasyl®, essentiellement pour ses qualités atraumatiques et sa simplicité d’utilisation. De plus, c’est un matériau intéressant à utiliser dans les cas de déflexion « douce » qui concerneraient les secteurs antérieurs, où il est impératif d’éviter toute récession gingivale [19].
Il est surprenant de noter que la technique de l’électrochirurgie et celle du double cordonnet sont peu pratiquées au sein de cet échantillon. Le bistouri électrique est pourtant décrit et enseigné depuis longtemps au sein des UFR [20]. En dépit des inconvénients liés à son utilisation, Wostman [21] a montré que l’électrochirurgie donne de très bons résultats pour l’accès aux limites si elle est pratiquée avec précaution et en évitant les contacts de l’électrode avec les tissus durs (fig. 10, 11 et 12).
La technique du double cordonnet est moins agressive que le bistouri électrique sur le plan parodontal mais elle nécessite un biotype parodontal épais et un sulcus profond (fig. 13 et 14). Cette méthode de déflexion s’accompagne d’une imprégnation du ou des fils par des agents chimiques astringents [22]. Les agents chimiques d’imprégnation recommandés sont l’alun et le sulfate d’aluminium qui présentent des propriétés astringentes sans conséquences systémiques [7]. En revanche, les cordonnets imbibés d’adrénaline sont à éviter en raison des risques potentiels chez les patients présentant des maladies cardio-vasculaires [23]. De plus, la mise en place d’un ou deux cordonnets n’est pas un acte si simple à réaliser avec des risques de lésion de l’épithélium jonctionnel et des fibres supra-crestales [7, 24]. Feng et al. [25] ont ainsi montré que la déflexion obtenue par l’insertion de cordonnets provoquait une lésion des tissus nécessitant 2 semaines de cicatrisation.
Il y a plus de 15 ans, cette technique était néanmoins encore largement utilisée par les praticiens en Amérique du Nord, mais cette étude a été réalisée avant que les matériaux du type Expasyl® n’apparaissent sur le marché [26].
Notons enfin que plus de la moitié (57 %) des praticiens ne connaissent que partiellement les conséquences cliniques et histologiques des différentes méthodes d’accès aux limites. Or, la connaissance des risques liés à l’utilisation de telle ou telle méthode est importante pour faire le meilleur choix.
Il ressort de cette étude que l’intérêt clinique de l’accès aux limites semble bien admis par les praticiens au cours de la prise d’empreinte, même si les conséquences cliniques des différentes méthodes ne sont pas parfaitement identifiées. Les praticiens les plus âgés utilisent davantage que les autres la technique de l’instrumentation rotative à l’aide d’une fraise (du type fraise à « sulcus »). En revanche, les praticiens plus jeunes semblent privilégier les matériaux du type « Expasyl® », apparus plus récemment et associant facilité d’utilisation et qualité astringente et hémostatique. Toutefois, le faible nombre de praticiens ayant participé à l’enquête ne permet pas de formuler de conclusions définitives. Il serait intéressant de compléter celle-ci par une étude du ressenti des prothésistes à propos de la qualité des limites cervicales retrouvées au niveau des moulages de travail ou des modèles numériques.xxx
Les auteurs remercient le Pr Serge Armand (UFR de Toulouse) pour les photographies présentées dans cet article.
Liens d’intérêt : les auteurs confirment n’avoir aucun lien d’intérêt à déclarer.