Esthétique
Isabelle Calas-Bennasar* Bertrand Bennasar**
*docteur en chirurgie dentaire, ancien AHU au Département de parodontologie (Montpellier) Port Ariane Rés
Le Guilhem VI
5, rue des Chevaliers de Malte
34970 Lattes
**docteur en chirurgie dentaire, ancien AHU au Département de prothèse (Montpellier) Port Ariane Rés
Le Guilhem VI
5, rue des Chevaliers de Malte
34970 Lattes
La reconstruction prothétique des dents antérieures associant des corrections gingivales reste un défi thérapeutique malgré l’ensemble des outils techniques actuels. Le respect de la cicatrisation et la qualité des prothèses de temporisation sont essentiels pour obtenir la maturité tissulaire souhaitée et l’harmonisation entre la prothèse et le parodonte. Cet article insiste sur l’analyse préliminaire, les étapes d’approche du résultat final jusqu’à la validation et la mise en œuvre du plan de traitement.
Dento-gingival line: modification, transfer and prosthetic integration
The prosthetic reconstruction of the anterior teeth involving gingival corrections remains a therapeutic challenge despite all the current technology. Respect for the healing and quality of prostheses timing are essential for tissue desired maturity and alignment between prosthesis and periodontal. This article focuses on the preliminary analysis, the final result steps approach until validation and implementation of the treatment plan.
Depuis les années 1980, le monde de l’odontologie n’a plus concentré son attention sur les seules reproduction et amélioration de la structure de la dent ; bénéficiant de l’apport de nouvelles techniques chirurgicales parodontales, optimisées ou modifiées, il a pu relever l’ensemble des défis incluant les thérapeutiques dento-gingivales [1].
Les progrès techniques associés à la médiatisation de l’esthétique dentaire et du tourisme médical semblent donner les apparentes simplicité et rapidité des protocoles thérapeutiques et, parfois, entraîner la standardisation du sourire. Cette approche volontairement simpliste fait oublier que la technique doit rester un outil.
La finalité de la démarche thérapeutique et la prothèse qui en découle doivent tenir compte :
– des spécificités et de la personnalité de chaque patient [2] ;
– des nombreuses étapes nécessaires à la modification de la ligne dento-gingivale et des temps de temporisation incompressibles pour l’obtention de la maturité tissulaire.
La définition des objectifs à partir des demandes du patient et de la situation clinique est primordiale pour la réussite du traitement [3].
Le temps de cicatrisation imposé par ces techniques est important, et cela doit être ouvertement énoncé au patient.
Le suivi d’une réalisation clinique portant sur ce thème sert de fil directeur à cet article qui a pour but de montrer comment un clinicien peut surmonter objectivement et d’une manière mutuellement satisfaisante les difficultés issues de l’association des techniques parodontales et prothétiques respectant les fondamentaux d’un traitement garantissant une esthétique prévisible.
Les propositions de modification du sourire et, ainsi, de la ligne dento-gingivale peuvent être le fait du patient, du praticien ou bien des deux.
Généralement, la demande du patient est à visée esthétique : sourire gingival, défaut d’adaptation prothétique. Sa requête peut être seulement suggérée et non formulée clairement. L’écoute du praticien est primordiale pour bien entendre et, surtout, comprendre les doléances du patient [4].
La proposition du praticien est thérapeutique lorsqu’il s’agit de réaliser un allongement de couronne clinique, pour traiter des caries sous-gingivales, ou de modifier le rapport couronne/racine dans le but d’augmenter la rétention de la prothèse.
Le praticien peut aussi proposer une amélioration esthétique du sourire en faisant prendre conscience au patient des possibilités d’optimiser le résultat.
L’association de ces critères esthétiques, thérapeutiques ou fonctionnels, indépendants ou associés, donne un cap à la démarche de prise en charge.
Le projet prothétique qui en résulte doit être à son tour parfaitement descriptible pour le patient et pour l’équipe soignante qui va avoir la charge de sa réalisation [5].
Lors de la première consultation, la patiente a immédiatement formulé son souhait : présenter un sourire montrant des dents très blanches.
Elle a évoqué une consultation préalable auprès d’un orthodontiste pour des problèmes d’articulations temporo-mandibulaires associés à des cervicalgies et d’alignements dentaires.
Le praticien lui a conseillé de mettre en œuvre un traitement prothétique global pour répondre à ses problèmes occlusaux et esthétiques.
Après avoir longuement mûri sa réflexion, elle s’est montrée fermement décidée à entreprendre les soins nécessaires.
Le succès des restaurations à visée esthétique doit intéresser l’ensemble des paramètres du visage. Le comportement mimétique de la prothèse doit lui permettre de faire immédiatement partie intégrante du patient [6].
L’évaluation des paramètres du visage, le rapport dento-labial et la phonétique sont la première étape de la restauration prothétique.
Le praticien s’attache à vérifier l’exposition des dents, la position du bord incisif, la largeur du sourire et le couloir labial [7, 8] (fig. 1 et ).
L’examen clinique a révélé les manques d’adaptation marginale des prothèses ainsi que le défaut des courbes d’occlusion.
Des pertes d’attache avec des poches parodontales entre 4 et 5 mm ont été localisées dans les secteurs postérieurs, associées à une inflammation modérée et à des saignements au sondage très ponctuels (fig. 2 à 5).
La photographie s’inscrit comme un véritable outil de communication pour exposer les problèmes et les corrections à apporter. Bien souvent, le patient n’a pas conscience de la nature exacte du défaut responsable de la dysharmonie de son sourire. La photographie peut mettre en évidence l’adéquation ou non entre le plan d’occlusion en alignement avec le plan bipupillaire et la ligne dento-gingivale [9].
L’orientation antéro-postérieure du plan d’occlusion maxillaire dans la création, l’évaluation et la perception du sourire est aussi à prendre en compte ; néanmoins, son appréciation peut devenir subjective selon l’angle sous lequel l’observateur regarde le sujet [10] (fig. 6).
L’implication du prothésiste dès le début de l’élaboration du plan de traitement est l’une des clés du succès [11, 12].
Il faut guider le laboratoire dans la réalisation de la céraplastie pour pouvoir bien appréhender le traitement parodontal. La capacité du praticien à informer le laboratoire a une grande influence sur la réussite finale des restaurations dentaires, par exemple en lui communiquant l’emplacement et l’orientation des repères du visage du patient [13, 14].
À côté des moyens conventionnels de communication, des outils informatiques et des outils techniques de report des repères faciaux et dento-gingivaux ont été créés pour transmettre les données et faciliter le travail du laboratoire [15].
La céraplastie de diagnostic permet à l’équipe de présenter une illustration en trois dimensions au patient, d’identifier les problématiques et de discuter des solutions envisageables. Cette céraplastie peut être matérialisée par un prototypage. La proposition est validée ou non par le patient (fig. 7 et 8).
À ce stade, les corrections gingivales sont reportées sur le moulage grâce aux informations cliniques.
La céraplastie sera utilisée extemporanément pour la réalisation des prothèses transitoires de première génération lors de l’étape des corrections gingivales [16, 17].
Il n’y a pas d’esthétique sans parodonte sain. Les traitements commencent toujours par une thérapeutique étiologique visant à stabiliser la maladie parodontale avant d’envisager les techniques correctrices.
Le sourire doit tenir compte de l’harmonie dento-gingivale. Dénudations radiculaires, ligne des collets perturbée ou encore perte tissulaire sur une crête antérieure représentent un motif fréquent d’insatisfaction des patients. La chirurgie plastique parodontale offre de nombreuses solutions techniques pour corriger les dysharmonies gingivales de volume et de forme comme, par exemple, des lambeaux déplacés ou des greffes de conjonctif enfoui tant en prothèse dento-portée qu’au stade 2 de la chirurgie implantaire.
L’évaluation du biotype gingival est un préalable à tout acte restaurateur. Les gencives épaisses et fibreuses peuvent facilement masquer, par leur opacité, une limite prothétique sous-gingivale alors qu’une gencive fine et transparente est plus défavorable à la prothèse. Face à ces biotypes fins, une attitude préventive est nécessaire de façon à assurer la stabilité des tissus marginaux dans le temps, défi majeur en prothèse à vocation esthétique [18].
L’analyse initiale des rapports dent/parodonte est primordiale pour déterminer la technique opératoire et obtenir un résultat optimal, prévisible et durable.
La correction des asymétries gingivales fait appel à différentes techniques et, souvent, à l’association de plusieurs d’entre elles :
– élongation coronaire chirurgicale (restauration de l’espace biologique, réduction d’un sourire gingival, harmonisation de la ligne des collets) ;
– égression orthodontique (restauration de l’espace biologique avec conservation du niveau osseux des dents voisines ainsi que du niveau gingival) ;
– recouvrement radiculaire (traitement d’une récession gingivale) ;
– comblement de crête (rétablissement de la symétrie lors de la perte d’une incisive associé à une perte de substance).
Pour ce cas clinique, une fois la thérapeutique étiologique réalisée, la réévaluation au bout de 8 semaines a montré une absence de saignement au sondage et une réduction globale de la profondeur des poches n’excédant pas 4 mm. La maladie parodontale étant stabilisée, la thérapeutique correctrice a pu être envisagée.
À partir du prototypage, les futurs contours gingivaux ont été prévisualisés. Il s’est révélé nécessaire de corriger les festons gingivaux à cause d’une asymétrie jugée disgracieuse par la patiente et exposant une partie de sa gencive lors du sourire. Dans ce cas, la hauteur de gencive attachée étant moyenne (de 3 à 4 mm), un lambeau positionné apicalement a été réalisé avec une résection osseuse pour obtenir une architecture osseuse compatible avec la santé parodontale. Une maturation des tissus pendant plusieurs mois a été nécessaire, surtout dans les zones esthétiques, pour limiter les risques d’effet rebond.
À partir des cires de diagnostic, les premières corrections esthétiques et occlusales ont été apportées.
La réévaluation de la dimension verticale d’occlusion et la correction des courbes de Spee ont entraîné une amélioration des symptômes articulaires.
Cette étape a objectivé les premières transformations de la ligne du sourire par rapport au plan bipupillaire (fig. 9).
À l’issue de la cicatrisation gingivale complète, des prothèses d’usage sur les dents cuspidées et des prothèses transitoires sur les dents antérieures ont été mises en place dans l’attente de la stabilité parodontale, le prototype étant conservé sur les incisives mandibulaires.
La santé parodontale passe par les « incontournables critères de succès prothétiques » qui garantissent l’intégration biologique de la prothèse à long terme : l’ajustage précis des marges prothétiques, la gestion du profil d’émergence et du profil axial ainsi que la prise en compte de l’occlusion en sont les principaux éléments (fig. 10 à 13).
La prothèse transitoire est une étape importante en prothèse fixée. Elle contribue à rapprocher le patient de son praticien et à établir un climat propice à la réussite thérapeutique. Une gestion correcte a pour finalité l’intégration parodontale, occlusale et esthétique de la prothèse d’usage. Plusieurs générations de prothèses transitoires de qualité peuvent s’avérer nécessaires pour valider la cicatrisation gingivale complète [19, 20].
Le travail de temporisation s’est inscrit, ici, dans la durée car il était fondamental pour l’obtention de la cicatrisation et le modelage parodontal :
– construction des papilles interdentaires [21] ;
– emplacement du zénith gingival [22] ;
– profils d’émergence [23].
La temporisation a duré plusieurs mois pour garantir la stabilité parodontale, réaliser une empreinte dans les meilleures conditions et obtenir un moulage de travail de qualité.
Il existe différents types de moulages permettant de recréer la fausse gencive :
– le moulage en plâtre non détouré, non fractionné (réplique du deuxième moulage) [24] ;
– le moulage de situation des armatures avec fausse gencive souple [25] ;
– le moulage de situation des coiffes au stade de biscuit [26] ;
– le moulage intégral en plâtre [27] (fig. 14).
Le traitement par facettes en céramique (céramique feldspathique pressée et collée) sur les incisives mandibulaires a évité une mutilation importante ; la préparation a quantifié, par rapport au prototypage, une réduction de 600 µm uniforme au moyen de fraises jauges (concept des préparations assistées par guidage, ou PAG) évitant l’utilisation de guide de réduction [28].
Les facettes ont été collées au moyen de composite de collage Variolink® II Ivoclar (fig. 15 à 17).
La préparation périphérique des dents antérieures maxillaires s’est imposée en raison des pertes de substance, des corrections d’axe et des limites des anciennes prothèses ; le choix du matériau s’est porté sur celui se rapprochant le plus des facettes mandibulaires [29] : couronnes complètes tout céramique à partir d’une infrastructure en disilicate de lithium. Une surempreinte des chapes positionnées en bouche a servi à la fabrication d’un moulage avec une fausse gencive.
Les coiffes ont été collées sur les préparations avec le même matériau que pour les facettes (fig. 18 à 20).
En dépit des conseils du clinicien et du prothésiste sur l’obtention d’un sourire plus naturel en concordance avec son âge, la patiente a maintenu sa volonté d’un sourire très blanc, qui peut être interprété comme une volonté de retrouver sa jeunesse. Le résultat final a néanmoins donné un sentiment d’harmonie exobuccale et endobuccale témoin de la satisfaction et du bien-être de cette patiente (fig. 21 à 23).
À ce jour et malgré toutes les avancées techniques, les traitements associant, dans les secteurs antérieurs, les thérapeutiques de correction gingivale et la restauration prothétique restent complexes à mettre en œuvre.
Dans le temps biologique, la phase de cicatrisation est incompressible pour obtenir la maturité tissulaire ; elle est également dépendante de la qualité des prothèses provisoires et reste malgré tout aléatoire pour la restauration ad integrum de l’ensemble des tissus.
L’autre paramètre technique essentiel demeure la communication avec le laboratoire pour s’appuyer en amont sur une étude précise de la céraplastie de diagnostic qu’il ne faut pas hésiter à modifier et à améliorer.
Enfin, pour réaliser des traitements touchant à l’intégrité physique et esthétique des patients, il paraît essentiel :
– d’anticiper la difficulté d’un traitement et les limites thérapeutiques éventuelles ;
– de connaître les demandes du patient, son adhésion au traitement et sa capacité à suivre les séances de soins.
Nous remercions les Dr Claude Archien et Jacques Raynal pour leurs conseils avisés et la relecture de cet article.