Les cahiers de prothèse n° 165 du 01/03/2014

 

Prothèse fixée

Michel Fages*   Julien Constans**   Jacques Margerit***  


*docteur en chirurgie dentaire
11, avenue Célestin-Arnaud
34110 La Peyrade
**docteur en chirurgie dentaire
41, rue Tramontane
30240 Le Grau-du-Roi
***PU
545, avenue du Professeur-Jean-Louis-Viala
34080, Montpellier

Résumé

De nouvelles fraises en tungstènes sont proposées pour la réalisation de préparations périphériques en prothèse fixée. Cette étude a permis d’établir une comparaison entre instrument diamanté et fraise en tungstène. Elle a porté sur leur efficacité et leur longévité, les variations de température due au fraisage et la qualité des états de surface obtenus.

Summary

A comparative study of diamantal instruments’ and tungsten bur’s efficiency in peripheral preparations cases

New tungsten burs are proposed for achieving peripheral preparations fixed prosthesis. This study allows a comparison between diamond bur and tungsten bur. It focuses on the effectiveness and longevity, the temperature change due to milling, and the surface wear.

Key words

tungsten bur, diamond bur, preparation, wear, temperature, surface

Les préparations périphériques exigent une exécution rapide, efficace et non traumatisante pour les tissus dentaires. Une réduction idéale des tissus doit se faire sans élévation de température ni vibrations pour assurer un bon état de surface avec des limites cervicales nettes [1]. De façon routinière, les instruments diamantés sont utilisés pour réaliser ces réductions. Récemment, des fraises en carbure de tungstène ont été proposées pour un usage identique [2]. Le but de cette étude était d’établir un comparatif entre l’efficacité des instruments diamantés utilisés de façon courante et ces « nouvelles » fraises en tungstène pour préparations périphériques.

Ont été successivement testés leurs capacités de coupe, leur longévité, la variation de température générée lors du fraisage et potentiellement transmise à la pulpe [3] et les états de surface obtenus tant au niveau des murs axiaux que des limites cervicales.

Efficacité et longévité

L’efficacité et la longévité sont deux caractéristiques qui ont leur importance clinique. En effet, elles facilitent et accélèrent la réalisation d’un acte.

Matériel et méthode

Pour les échantillons des instruments diamantés S683 KR (fig. 1) (Komet) et en carbure de tungstène H837 KRU (fig. 1) pour turbine ou contre-angle bague rouge ont été utilisés.

Une machine de force (fig. 2) munie d’un capteur de pression pilotait la turbine lors de l’expérimentation. Un ordinateur équipé d’un logiciel LabVIEW 8 (National Instruments) enregistrait la pression lors de la progression de la coupe. Cette progression s’est faite en pression selon l’axe Y.

Pour obtenir des résultats reproductibles (le test étant purement comparatif), il a été choisi de tester l’efficacité et la longévité sur des blocs de céramique ayant une dureté voisine de celle de l’émail [4, 5] (blocs Vita Mark II, Vita).

La turbine a été montée sur le bras vertical de la presse et amenée au contact du bloc de céramique à une vitesse constante de 0,01 mm/s en faisant tourner la fraise à 300 000 tr/min sous spray. La vitesse de progression étant constante, les variations de pression enregistrées lors de la progression de la fraise indiquaient l’efficacité de celle-ci. Plus la pression était faible, plus la fraise était efficace.

La première coupe permettait d’évaluer la capacité initiale de travail de la fraise neuve et les coupes suivantes sa longévité. Les variations de pression ainsi que le temps de fraisage pour les 2 mm de course ont été relevés. Les résultats ont été enregistrés sous forme de courbes avec, en abscisse, l’enfoncement de la fraise en millimètres et, en ordonnée, la valeur de la force exercée. Cela a permis d’évaluer le comportement de la fraise au cours des pénétrations successives, une augmentation de pression signant une baisse d’efficacité de la fraise.

Trois instruments de chaque catégorie ont été successivement utilisés, un bloc de céramique étant attribué à chacune d’elle.

Résultats et discussion

Les résultats obtenus sont donnés sous forme de valeur (tableaux I et II) et sous forme de courbes (fig. 3 et 4).

Lors de la première coupe, les deux instruments ont montré une efficacité similaire, soit une tranchée de 2 mm effectuée en 3 minutes 20 secondes. On a toutefois noté que, pour ce même résultat, la pression développée était plus importante pour l’instrument diamanté que pour la fraise en carbure de tungstène (tableaux I et II).

Pour les coupes suivantes, les résultats ont été différents :

– les fraises en carbure de tungstène ont continué à user les blocs sur 2 mm durant 3 minutes 20 secondes pendant encore 5 coupes. La valeur de la pression a augmenté au fil des coupes mais toujours plus faiblement qu’avec les instruments diamantés ;

– avec les instruments diamantés, il n’a plus été possible de fraiser les 2 mm après 3 coupes, et ce malgré l’augmentation de la pression sur les blocs de céramique.

Dans les deux cas, on a noté un encrassement des fraises plus marqué pour les instruments diamantés. La figure 5 montre les instruments après 4 coupes pour l’instrument diamanté et 6 coupes pour une fraise tungstène.

On a noté deux types de « vieillissement » : un encrassement important avec une usure moyenne des grains de diamant pour les instruments diamantés et peu d’encrassement mais une usure marquée pour les fraises en tungstène.

Toutefois, il a été constaté que contrairement à l’instrument diamanté, la fraise en tungstène semblait « patiner » avec un spray trop abondant. Les courbes montraient que la force exercée devait être augmentée si le débit d’eau s’élevait.

Il semble donc que la fraise en tungstène soit d’une utilisation plus efficace que l’instrument diamanté, à la condition toutefois que le débit du spray soit réglé en conséquence.

Variations de température

L’utilisation d’instruments rotatifs sur une dent vivante est susceptible de créer des variations de température transmises à la pulpe [6]. Une augmentation importante est un facteur d’agression pouvant être à l’origine de nécrose pulpaire. Tout échauffement potentiel doit donc être parfaitement maîtrisé et passe par l’utilisation d’un matériel adapté.

Matériel et méthode

Le matériel utilisé était un capteur de température (Testo 103). Sur des dents naturelles extraites, la racine a été coupée horizontalement entre son milieu et le tiers apical. Une fraise calibrée au diamètre de la sonde a été passée a retro par les canaux radiculaires jusqu’à la chambre pulpaire permettant l’introduction de la sonde (fig. 6). Elle a alors été positionnée dans la chambre pulpaire remplie d’eau et bouchée hermétiquement. La température de l’eau intrapulpaire a été relevée après stabilisation, puis la dent a été fraisée durant 1 minute en observant les variations de température. Les faces axiales, vestibulaires et linguales ont été préparées selon le principe de la pénétration contrôlée et les deux types de fraises ont été utilisés successivement. En fin de fraisage, la température a été immédiatement relevée. La différence entre la température avant fraisage et en fin de fraisage a ensuite été calculée.

La manipulation a été faite sur 2 séries de 7 dents, des moyennes ont été établies.

Résultats et discussion

On a noté (tableau III) que lors d’un fraisage sans spray, la température de l’eau emprisonnée dans la chambre pulpaire augmentait de façon significative, et ce quel que soit le type d’instrument, avec une augmentation de température plus élevée pour l’instrument diamanté que pour la fraise en tungstène.

À l’inverse (tableau IV), lors du fraisage avec spray, la température de ce dernier abaissait de façon significative celle de l’eau contenue dans la chambre pulpaire, que ce soit avec l’instrument diamanté ou en tungstène. Cela semble logique dans la mesure où la température de l’eau contenue dans la chambre pulpaire était supérieure à celle de l’eau du spray.

Par ailleurs, les résultats n’ont pas montré de différences entre les deux types d’instruments utilisés (tableau IV). Il n’a pas été possible d’affirmer qu’un type d’instrument entraînait plus d’augmentation de température que l’autre, ce qui devrait aussi être le cas en bouche.

Le critère de l’élévation de température ne va donc pas guider le praticien vers une nature de fraise déterminée.

État de surface, rugosité

L’état de surface des préparations a souvent soulevé des discussions en prothèse fixée quant à son rôle sur la qualité des empreintes traditionnelles (chimico-manuelle), sa capacité à agir sur la fixation par l’existence de microrétentions [7] ou encore son influence sur la rhéologie, soit la capacité de fluage du produit de fixation. La nature de l’instrument rotatif aura obligatoirement un impact sur l’état de surface de la dent préparée.

Matériel et méthode

Pour évaluer l’état de surface résultant du fraisage, des tests de mouillabilité ont été choisis [8, 9].

Une caméra reliée à un ordinateur équipé du logiciel adéquat (Pinnacle Studio) a permis de filmer transversalement le dépôt d’une goutte d’eau distillée sur la surface (hydrophobe) à analyser (fig. 7). Les images ont été recueillies et exploitées par le logiciel ImageJ (imageJ 1.44) permettant le calcul de l’angle formé par la goutte d’eau avec la surface, donnant ainsi la mouillabilité et une évaluation de la rugosité de la surface concernée. Plus la surface était lisse, plus la goutte s’étalait et plus l’angle de contact était ouvert (fig. 8).

On a pu observer successivement la mouillabilité sur des dents naturelles comprenant une face aplanie et polie servant de référence et une face préparée avec chaque type d’instrument.

Une goutte d’eau distillée a été déposée sur les faces de référence puis sur les faces préparées par les fraises.

L’angle formé par la goutte avec la surface a été mesuré et les données comparées.

Des observations à la loupe binoculaire ont été faites en complément.

Résultats et discussion

Sur les dents naturelles, les tests de mouillabilité ont été faits successivement avec les fraises en carbure de tungstène, avec les instruments diamantés puis avec des instruments diamantés bague rouge à grains fins (8837KR, Komet).

Le , par les valeurs de l’angle de contact exprimé en degrés (°), montre que les instruments diamantés gros grains ont procuré un état de surface avec plus de relief que les fraises en tungstène. Toutefois, ce résultat s’est nettement amélioré lors du passage d’un instrument diamanté bague rouge pour tendre vers des valeurs proches de celles obtenues avec la fraise en carbure de tungstène.

Les résultats ont montré qu’une surface préparée avec une fraise en carbure de tungstène présenterait des alvéoles de petite amplitude permettant, dans une faible mesure, l’emprisonnement de bulles d’air. L’eau fuse donc plus facilement (augmentation de la mouillabilité) que sur une surface présentant des aspérités plus profondes, emprisonnant d’autant l’air et limitant l’étalement d’un liquide sur la surface.

L’observation à la loupe binoculaire a montré un dessin de surface complètement différent entre les deux types de fraisages (fig. 9), celui issu de la fraise en tungstène favorisant la mouillabilité.

L’état de surface plus lisse obtenu avec la fraise en tungstène peut favoriser la désinsertion des empreintes et le fluage du produit de fixation. Pour obtenir un résultat similaire avec l’instrument diamanté, il faut en utiliser un second, à grains plus fins que le premier, ce qui constitue une étape supplémentaire.

Précision des limites cervicales

La qualité de la limite cervicale favorise la prise d’empreinte et la qualité de la jonction dento-prothétique [10]. Sa préparation est donc de première importance pour la pérennité des prothèses fixées.

Matériel et méthode

Des dents naturelles ont été préparées à l’aide des deux types d’instruments, les limites cervicales examinées à la loupe binoculaire et au microscope électronique à balayage environnemental.

Résultats et discussion

La limite cervicale préparée à l’instrument diamanté et observée à la loupe binoculaire est apparue moins lisse et régulière que celle préparée à la fraise en tungstène (figure 10 et ). Cette constatation va à l’opposé de celles d’Eames et Nale [11] mais rejoint les conclusions faites par Launois et Schittly [1] et Brunel et al. [12].

La figure 11 illustre les observations en microscopie électronique à balayage environnemental. On a noté des éclats sur la limite cervicale préparée à l’instrument diamanté S683KR (fig. 11). Les limites obtenues à la fraise en tungstène ont montré une arête nette, comme une ligne continue (fig. 11). Il est intéressant de noter que le passage de l’instrument diamanté grains fins (bague rouge 8837KR) a permis de retrouver une limite de meilleure qualité et de supprimer une grande partie de ces irrégularités (fig. à11 ).

Ces observations ont mis en évidence le soin que le praticien doit apporter lors de la réalisation de cette zone stratégique ; le seul passage d’un instrument diamanté gros grains semble dessiner une limite cervicale médiocre. Un tel état de surface n’est pas sans conséquences cliniques. La encore, l’utilisation d’un instrument diamanté à grains fins semble alors indispensable pour parfaire la préparation.

Conclusion

Dans les limites de cette étude, il est possible de dire que les fraises en tungstène présentent une alternative intéressante en termes de qualité de coupe et de longévité par rapport aux instruments diamantés. Toutefois, cette étude aurait peut-être donné des résultats différents si un contre-angle à grande vitesse (bague rouge) avait été utilisé à la place d’une turbine.

Ces observations auront aussi confirmé le fait qu’un état de surface plus lisse et surtout une limite cervicale de bonne qualité demandent l’emploi d’un instrument diamanté à grains fins pour parfaire de façon significative la préparation, après le passage d’un instrument diamanté « standard ».

La géométrie des instruments est d’une importance capitale pour la bonne réalisation des préparations. Actuellement, seuls les instruments diamantés présentent une variété de forme susceptible de s’adapter à toutes les situations cliniques.

Des fraises en tungstène pour les préparations périphériques, pourquoi pas ? Mais à condition que les industriels puissent mettre à la disposition des praticiens une gamme de produits géométriquement adaptés à cet acte clinique délicat et déterminant.

Bibliographie

  • 1 Launois C, Schittly J. L’épaulement chanfreiné : étude comparative des états de surface créés par des fraises d’utilisation courante. Cah Prothèse 1982;37:39-42.
  • 2 Freedman G. New paradigm for preparing dental crown: bur carbide Great White Ultra (GWU). Dental Tribune, Clinical General dentistry, 2011, http://www.dental-tribune.com/articles/specialities/general_dentistry/4060_nouveau_paradigme_pour_la_preparation_de_la_couronne__les_fraises_carbure_great_white_ultra_gwu.html
  • 3 Gritsch K, Pourreyron L. Incidences de la réalisation de prothèses fixées sur la pulpe et le parodonte. 1re partie. Cah Prothèse 2008;142:21-31.
  • 4 Al-Hiyasat AS, Saunders WP, Smith GM. Three-body wear associated with three ceramics and enamel. J Prosthet Dent 1999;82:476-481.
  • 5 Materials and sciences. Vitablocks MarkII for Cerec. Documentation Vita.
  • 6 Laforgia PD, Milano V, Morea C, Desiate A. Temperature change in the pulp chamber during complete crown preparation. J Prosthet Dent 1991;65:56-61.
  • 7 Tuntiprawon M. Effect of tooth surface roughness on marginal seating and retention of complete metal crowns. J Prosthet Dent 1999;81:142-147.
  • 8 Jouany C, Chenu C, Chassin P. Détermination de la mouillabilité des constituants à partir de mesures d’angles de contact, revue bibliographique. Science du sol 1992;30:33-47.
  • 9 Kugel G, Klettke T, Goldberg JA, Benchimol J, Perry RD, Sharma S. Investigation of a new approach to measuring contact angles for hydrophilic impression materials. J Prosthodont 2007;16:84-92.
  • 10 Ayad MF, Johnston WM, Rosenstiel SF. Influence of dental rotary instruments on the roughness and wettability of human dentin surfaces. J Prosthet Dent 2009;102:81-88.
  • 11 Eames WB, Nale JL. A comparison of cutting efficiency of air-driven fissure burs. J Am Dent Assoc 1973;86:412-415.
  • 12 Brunel AL, Leroux J, Payen J. Rugosités de surfaces dues aux très grandes vitesses et conséquences cliniques. Actual Odontostomatol 1962;57:73-85.