Les cahiers de prothèse n° 162 du 01/06/2013

 

Matériaux

Jean-François Nguyen*   Olivier Le Khac**  


*Chirurgien-dentiste,
ancien interne des hôpitaux de Paris, ancien AHU
département de prothèse
Université Paris Descartes, unité de recherches
biomatériaux innovants et interfaces EA 4462.

**Chirurgien-dentiste

Résumé

Une imprécision de l’indexation des transferts en prothèse implanto-portée se traduit par des contraintes au niveau de la restauration prothétique, notamment en raison de l’absence de desmodonte. Le choix de la technique et, donc, du ou des matériaux indiqués se fera en fonction de la situation clinique.

Summary

Which materials use for coping indexation ?

Imprecision of splinting index results in stresses at the prosthetic restoration, particularly in the absence of periodontal ligament. The choice of technique and the splinting material for implant impression procedure will be indicated depending on the clinical situation.

Key words

indexing, prosthesis, implant, impression, materials

L’empreinte en prothèse implanto-portée a pour objectif l’enregistrement de la situation des implants ou piliers et de la morphologie des dents adjacentes afin d’obtenir un modèle de travail sur lequel la restauration prothétique sera réalisée.

Du fait de l’absence de desmodonte, se traduisant par une immobilité de l’implant par rapport à une dent naturelle [1, 2], la marge de tolérance aux imprécisions de la prothèse, et donc de l’empreinte, est nulle. La précision exigée est alors plus grande. Ainsi, une approximation de l’empreinte en prothèse sur implants aura pour conséquence un défaut d’adaptation passive et, par là, des contraintes au niveau du système prothétique qui nuiront à sa pérennité. Le choix entre les différents matériaux et techniques disponibles devient encore plus déterminant qu’en prothèse dento-portée.

L’objectif de cet article est de rappeler les propriétés des différents matériaux utilisés lors de l’empreinte en prothèse sur implants pour guider les choix du praticien en fonction de la situation clinique. Rappelons ici que le choix du matériau dépend aussi de la technique d’empreinte prescrite. Nous tenterons de limiter le sujet aux seules propriétés d’usage des matériaux utilisés.

Cahier des charges des matériaux d’empreinte et d’indexation des transferts

Dans la grande majorité des empreintes de prothèse sur implants, le défi est double : d’une part utiliser un matériau présentant les propriétés nécessaires à l’enregistrement des arcades dentaires (dents, crêtes) du type de celles utiles en prothèse conjointe [3] ; d’autre part obtenir une indexation spatiale très précise de la position des implants (ou des piliers prothétiques) grâce des qualités spécifiques comme une haute stabilité dimensionnelle et une rigidité finale très élevée.

À côté des propriétés d’usage générales des matériaux d’empreinte, les qualités plus spécifiques pour assurer une indexation précise devraient être les suivantes :

– stabilité dimensionnelle immédiate après la prise et prolongée dans le temps ;

– bonne aptitude au mouillage des surfaces dentaires pour la reproduction des détails et des surfaces pour optimiser l’indexation du transfert quel que soit son type (emporté ou repositionné) ;

– propriétés mécaniques adaptées pour éviter les déchirements et obtenir une récupération élastique la plus complète possible après le franchissement des contre-dépouilles lors du retrait de l’empreinte ;

– viscosité adaptée à la compression voulue en fonction de la technique ;

– temps de travail suffisant, temps de prise en bouche court.

Par conséquent, certains matériaux sont exclus tels que les hydrocolloïdes réversibles et irréversibles en raison de leurs faibles rigidité et résistance au déchirement, les matériaux thermoplastiques pour leur absence d’élasticité et les élastomères réticulant par polycondensation (diméthylpolysiloxanes polycondensés et polysulfures) à cause de leur retrait élevé et continu dans le temps.

Les matériaux satisfaisant ces conditions pour les empreintes d’indexation des transferts en prothèse sur implants sont les silicones par addition (vinylpolysiloxane) et les polyéthers.

Lorsqu’une solidarisation par un matériau rigide est recherchée, le plâtre et les résines méthacryliques sont le plus souvent utilisés (tableau I).

Élastomères

Les élastomères sont des polymères à haute masse moléculaire obtenus par réticulation et autorisant une grande déformation élastique. Ceux qui sont utilisés en prothèse implanto-portée sont les vinylpolysiloxanes et les polyéthers.

Vinylpolysiloxanes

Les silicones polymérisant par addition (vinylpolysiloxanes) sont préférés aux silicones polymérisant par condensation en raison de leur meilleure stabilité dimensionnelle.

Ils sont constitués de prépolymères de silicone avec des groupes vinyl et hydrogène terminaux permettant une réticulation par addition. La prise se fait par le malaxage manuel, ou avec un mélangeur automatique d’une pâte contenant des prépolymères de vinyl poly-diméthyl siloxane et d’une seconde pâte contenant des prépolymères de siloxane ayant des groupes terminaux hydrogènes. Du sel de platine (H2PtCl6) permet de catalyser la réaction (fig. 1).

Les vinylpolysiloxanes présentent une rétraction de réticulation immédiate de l’ordre de 0,1 à 1 %, et une stabilité dimensionnelle dans le temps en raison de l’absence de produit réactionnel à éliminer contrairement aux élastomères polycondensants (polysulfures et silicones réticulant par condensation).

Polyéthers

Le polyéther de base est un polymère avec des groupements terminaux éthylène-imine issu de la polymérisation de tétrahydrofurane, d’oxyde d’éthylène et de 3-(N-aziridine) acide butanoïque (fig. 2).

La réaction de réticulation cationique des unités de polyéthers est déclenchée par un ester de l’acide sulfonique qui ouvre les cycles éthylène-imine et aboutit à une structure hautement réticulée en forme chaîne de marguerite [8] qui explique le module d’élasticité élevé de ce matériau. Le malaxage se fait par spatulation ou avec une seringue à embout mélangeur, ou encore par un mélangeur automatique, ce qui simplifie l’ergonomie. Le temps de prise est court (de 4 à 5 minutes) et le temps de travail (de 1 à 2 minutes) adéquat pour la mise en œuvre. Les polyéthers ont des propriétés mécaniques et une stabilité dimensionnelle proches de celles des vinylpolysiloxanes.

La rigidité de ces élastomères leur permet aussi d’être employés comme matériau d’enregistrement occlusal et utilisés pour solidariser les transferts d’implants. Ainsi, d’après Hariharan [9], le polyéther Ramitec™ (3M ESPE) offre de meilleures performances que la résine. Cependant, la plupart des études, étant in vitro, ne prennent pas en compte l’utilisation des matériaux dans les conditions réelles. En ce sens, bien que la solidarisation avec des élastomères d’enregistrement d’occlusion semble d’un point de vue théorique intéressante, la mise en œuvre pratique est moins évidente. Par ailleurs, malgré le fait que des études [10] ne notent pas de différences entre les polyéthers et les vinylpolysiloxanes, ces derniers sont privilégiés en raison de leur plus grande résistance au déchirement et leur facilité plus aisée de retrait due à une moindre rigidité.

Dans de nombreuses situations cliniques, l’élastomère sélectionné pour l’empreinte assure aussi l’indexation des transferts. Dans d’autres cas, un matériau spécifique d’indexation par solidarisation est requis. En effet, à partir de 4 implants à enregistrer et surtout s’ils sont divergents, il est préférable d’utiliser des techniques de solidarisation des transferts qui permettent d’améliorer la précision des empreintes [11, 12].

Matériaux rigides de solidarisation

La solidarisation fait appel à des matériaux rigides. Le plâtre et les résines méthacryliques sont le plus souvent utilisés.

Plâtre

Le plâtre est un hémihydrate de sulfate de calcium (CaSO4 1/2 H2O) issu de la déshydratation du gypse par calcination selon la réaction :

2 CaSO4 2H2

→ 2 CaSO4 1/2 H2O + 3 H2O

100-130 °C

Il est classé par l’Organisation internationale de standardisation (ISO) selon ses propriétés et ses différentes indications :

– type 1, plâtre pour empreinte ;

– type 2, plâtre pour modèles d’étude, antagoniste ;

– type 3, plâtre « stone » dur pour modèle ;

– type 4, plâtre « stone » extra-dur pour modèle, basse expansion pour modèle de travail.

La prise est consécutive à une réhydratation puis à une cristallisation selon la réaction :

CaSO4 1/2 H2O + 1 1/2 H2

→ CaSO4 2H2O (– 16,3 kJ/mol).

Elle est associée à une exothermie de prise et à une expansion isotropique volumique variant, selon les types, de 0,08 à 0,6 % δl/l [8]. Elle se termine lorsque le plâtre a refroidi après la réaction exothermique. Il présente alors un comportement fragile avec une déformation élastique faible, une absence de déformation plastique et ne présente pas de déformation permanente.

Il existe des paramètres influençant les propriétés du plâtre [7]. Il est ainsi nécessaire de respecter la proportion eau/plâtre, car une réduction de la phase aqueuse dans le mélange diminue le temps de travail et de prise, accentue les interactions ainsi que la croissance des cristaux de plâtre et a pour conséquence une augmentation de l’expansion de prise. Un accroissement de la phase aqueuse retarde le temps de prise, diminue les propriétés mécaniques du plâtre, augmente le nombre et le volume des porosités et se traduit par une expansion hygroscopique due au remplissage des porosités par l’eau en excédent. Par ailleurs, une spatulation rapide et prolongée diminue le temps de travail et de prise et augmente l’expansion volumique de prise. Enfin, une température plus élevée de l’eau accélère la prise.

Le plâtre utilisé pour la solidarisation des transferts est un hémihydrate de sulfate de calcium en phase Β, de type 1 tel que le Snow White® n° 2 (Kerr®) (fig. 3 a et b ), avec un rapport eau/ poudre de 50/50 % en poids. Il contient des additifs tels que le potassium sulfate-borax et le potassium sodium-tartrate sodium qui permettent une réduction de l’expansion de prise et un contrôle du temps de prise.

C’est un excellent matériau d’indexation des transferts par sa faible expansion de prise (de 0,10 à 0,12 % δl/l), son temps de prise compatible avec un usage clinique (de 4 à 5 minutes), sa rigidité et sa stabilité dimensionnelle. Toutefois, l’expansion du plâtre se poursuit pendant 48 heures.

Son absence d’élasticité le cantonne aux cas d’édentement complet à moins de l’utiliser combiné à d’autres matériaux dans les techniques d’empreintes mixtes pour solidariser les transferts [13, 14]. Dans ce cas, il joue le rôle de matériau de solidarisation, notamment grâce sa rigidité élevée.

Le plâtre de type 4 à prise rapide (Vel Mix Stone®, Kerr/Sybron ; Pico Stone Speed®, Picodent) est un hémihydrate de sulfate de calcium en phase, avec un rapport 20 % d’eau et 80 % de plâtre en poids. Il peut être utilisé pour solidariser les transferts comme le décrit Barret [15] dans le cadre d’une technique d’empreinte mixte avec tube porte-empreinte. En effet, il est plus rigide et possède de meilleures propriétés mécaniques que celles du plâtre de type 1 et une expansion de prise équivalente ; toutefois, son temps de prise plus long (de 8 à 14 minutes) le rend plus difficile à utiliser en bouche.

Le plâtre est donc utilisé comme matériau de solidarisation grâce à sa rigidité élevée. Toutefois, celle-ci pourra le contre-indiquer dans les cas de divergence importante des axes implantaires, notamment sur les systèmes à connexion interne.

Résines méthacryliques et composites

Les résines méthacryliques destinées à l’enregistrement occlusal et à l’indexation sont chémopolymérisables et composées d’une poudre et d’un liquide ou de deux pâtes. Un composant contient de l’initiateur et des oligomères pré-polymérisés, l’autre composant contient des monomères et des amorceurs. La polymérisation des résines est une réaction radicalaire aboutissant à la formation de polymères à partir de monomères [7, 8].

La première étape, l’activation, correspond à la production des radicaux libres provenant de la décomposition d’un initiateur par un activateur :

X—CO2—CO2—X + δ → 2X—COO°,

X—CO2—CO2—X étant l’initiateur et δ l’activateur.

Dans la seconde partie, appelée l’initiation, les radicaux libres rompent les liaisons C = C des monomères pour former les premiers éléments de la chaîne de polymères croissante :

X° + CH2 = CHR → X—CH2—CHR°.

Ensuite, pendant la phase de propagation, les polymères sont formés par l’addition successive de monomères :

X—COO—(CH2—CHR)n—CH2— CHR° + CH2 = CHR → X—COO—(CH2—CHR)n+1—CH2—CHR°.

Enfin, la phase de terminaison clôt la réaction avec deux polymères réactifs ou un monomère réactif :

X—(CH2—CHR)n—CH2—CHR° + °RCH—CH2—(CHR—CH2)m—X → (CH2—CHR)n+m +2—X.

La rétraction du méthacrylate pur est de 21 % δv/v ; toutefois, la rétraction de polymérisation des résines méthacryliques dentaires est inférieure en raison de la présence de résine déjà pré-polymérisée dans la poudre [6].

Ces résines présentent une rétraction de prise au moment de la polymérisation se prolongeant dans le temps. Ainsi la résine Duralay® présente une rétraction de 6,5 et 7,9 % et la résine Palavit G® de 5,5 et 6,5 % au bout de respectivement 17 minutes et 24 heures (fig. 4 et ).

Quatre-vingts pour cent de la rétraction volumique se déroulent durant les 17 premières minutes et 95 % pendant les 3 premières heures, la rétraction n’est plus mesurable au bout de 30 heures [6]. Un apport progressif lors de la solidarisation permet de limiter la rétraction de polymérisation (fig. 5 et ).

Il existe dans le commerce des composites destinés la réalisation de prothèses transitoires (Protemp™, 3M ESPE) ou à l’enregistrement occlusal (LuxaBite®, DMG) pouvant être utilisés pour solidariser les transferts. Ils présentent un temps de prise plus court et une rétraction de polymérisation plus faible que les autres grâce à la présence de monomères méthacryliques plus longs et à l’incorporation de charge dans la résine qui permet une diminution de la fraction volumique de résine. Le LuxaBite® (fig. 6) présente une rétraction de 2,02 % au bout de 1 minute et de 3,3 % au bout de 10 minutes [16].

Les résines méthacryliques et les résines composites ont pour principal avantage leur facilité d’utilisation par rapport au plâtre.

Conclusion

Le choix de la technique d’empreinte associée à ses matériaux d’indexation est déterminé par la situation clinique. Les élastomères restent le matériau de choix pour les empreintes en prothèse implanto-portée. Lorsque la solidarisation des transferts est nécessaire, le plâtre reste préférable aux résines si la situation clinique le permet tandis que les composites constituent une option qui concilie ergonomie et propriétés d’usage.

bibliographie

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  • 16 Chun JH, Pae A, Kim SH. Polymerization shrinkage strain of interocclusal recording materials. Dent Mater 2009;25:115-120.

Remerciements

Nous souhaitons remercier les ­docteurs Boris Jakubowicz-Kohen et Nicolas Eid pour leurs précieux conseils.

Lexique

– Comportement élastique : déformation réversible avec retour à l’état initial à l’arrêt des contraintes et restitution entière de l’énergie.

– Comportement plastique : déformation irréversible.

– Comportement fragile : matériau dont la rupture se situe dans le domaine élastique

– Comportement viscoélastique : matériau ayant, sous contrainte dans le domaine élastique, une déformation instantanée suivie d’une déformation différée.

– Déformation permanente : déformation se produisant au-delà de la limite élastique de sorte que le matériau ne reviendra pas à ses dimensions d’origine après retrait de la contrainte.