Implantologie
Caroline Bataille* Philippe Tramba**
*AHU
**Département de prothèse
Faculté de chirurgie-dentaire, université
Paris Descartes
Hôpital Albert Chenevier (Créteil)
***MCU-PH
****Département de prothèse
Faculté de chirurgie-dentaire, université Paris
Descartes
Groupe hospitalier universitaire La Pitié Salpêtrière
-Charles Foix
Hôpital Charles Foix (Ivry-sur-Seine)
Les techniques d’enregistrement conventionnelles nécessitent l’utilisation des transferts associés à différents matériaux d’empreinte. Cet article a pour but de définir quel matériel et quelle technique doivent être utilisés en fonction de la situation clinique. Les protocoles décrits sont illustrés et les paramètres à prendre en compte pour choisir la technique la plus adaptée sont identifiés à partir des données scientifiques publiées.
Impressions in implant-supported prostheses
Conventional recording methods requires the use of coping several differents impressions materials. This article presents what material and what technique must be used according to the clinical situation. The protocols described are illustrated and the useful parameters to choose the appropriate technique are identified from the scientific published data.
Les objectifs de l’empreinte en prothèse sur implants diffèrent partiellement de ceux de l’empreinte destinées à la réalisation des prothèses sur dents naturelles.
L’utilisation de composants prothétiques usinés (transferts, répliques ou analogues de piliers ou d’implants) permet de s’affranchir de l’enregistrement précis de leur forme et de leur état de surface [1, 2]. Seule la position dans l’espace des implants ou des piliers entre eux ou par rapport à leur environnement (muqueuses, dents adjacentes, dents antagonistes) est nécessaire.
Le succès des prothèses sur implants est principalement conditionné par leur adaptation passive lors de la mise en place [3, 4, 5] car si les dents présentent une mobilité compensatrice d’une adaptation imparfaite (100 µm), ce n’est pas le cas des implants dont la mobilité est presque inexistante (10 µm) [6].
Différentes stratégies d’enregistrement sont possibles :
– l’enregistrement peut concerner la position des implants ou bien celle des piliers vissés sur les implants ;
– l’enregistrement peut être fait à l’aide de transferts repositionnés (technique indirecte) ou bien avec des transferts emportés dans l’empreinte (technique directe) ;
– les transferts, s’ils sont emportés dans l’empreinte, peuvent être non solidarisés ou bien solidarisés (technique directe modifiée).
L’objectif de cet article est de définir, concernant les empreintes conventionnelles, quel matériel et quelle technique doivent être utilisés en fonction de la situation clinique. Après un rappel de terminologie et des différentes techniques disponibles, l’indication de chaque stratégie de prise d’empreinte sera précisée, en y associant une analyse de la littérature.
Les implants dentaires sont des pièces en titane, en forme de vis, endo-osseuses. Ils peuvent différer par leurs forme, diamètre, état de surface et type de connexion. La connexion correspond à la partie située entre le col de l’implant et le pilier prothétique, sur lequel se place la prothèse.
La connexion interne est une partie évidée du col de l’implant. Interne au plateau de la partie supérieure de l’implant, elle permet l’emboîtement des pièces prothétiques. Elle peut présenter diverses formes : hexagone interne, conique interne ou rainure interne (tableau I et fig. 1).
La connexion externe correspond à une partie en relief au niveau du col de l’implant. Elle permet l’emboîtement des pièces prothétiques. Elle est de forme hexagonale (tableau I et fig. 2).
Les transferts d’empreinte sont des pièces généralement usinées en titane, très précisément adaptées au sommet du pilier prothétique ou au col de l’implant. Il en existe en matière plastique pour les techniques dites « clippées » qui concernent le plus souvent les piliers prothétiques.
Ils sont utilisés au stade de l’empreinte pour communiquer au laboratoire :
– soit la position des implants, et ce sont alors des transferts d’implant ;
– soit la position des piliers prothétiques vissés sur les implants, et ce sont alors des transferts de pilier prothétique.
Les transferts sont choisis en fonction du diamètre de l’implant, du profil d’émergence de la vis de cicatrisation et de la technique d’empreinte sélectionnée.
Ils peuvent être transvissés (en métal) ou clippés (en plastique) sur la pièce correspondante (implant ou pilier). Les transferts transvissés peuvent être déposés avant ou après la désinsertion de l’empreinte. Ils seront ainsi soit emportés, soit repositionnés dans l’empreinte.
La vérification de leur adaptation précise sur le système antirotationnel de l’implant ou du pilier est effectuée par une radiographie de contrôle. Cela n’a de sens que pour les implants possédant une connexion externe (fig. 3).
Les analogues sont des pièces en acier, usinées. L’une des extrémités de l’analogue, qui est connectée au transfert d’implant, est une reproduction à l’identique de la tête de l’implant. L’autre extrémité de l’analogue est incluse dans le modèle en plâtre (fig. 4). La fixation du transfert sur l’analogue précède la coulée du modèle.
Quand les transferts sont repositionnés dans l’empreinte, l’analogue est d’abord fixé sur le transfert et c’est l’ensemble analogue-transfert qui est repositionné (fig. 5).
Quand les transferts sont emportés dans l’empreinte, le praticien doit positionner l’analogue au transfert d’implant sans mobiliser celui-ci dans l’empreinte.
Les analogues de pilier présentent, quant à eux, une connexion précise sur la tête du pilier déjà placé sur l’implant. Les mêmes précautions concernant le positionnement d’analogues de pilier sur les transferts de pilier que celles précédemment évoquées pour les analogues d’implant doivent être appliquées (fig. 6).
Pour faciliter le repositionnement des transferts dans l’empreinte, certains systèmes proposent des parties secondaires en matière plastique à clipper sur les transferts avant la prise de l’empreinte. Ces pièces en plastique sont emportées dans le matériau lors de la désinsertion de l’empreinte et accueillent les transferts, guidant leur repositionnement.
L’empreinte en prothèse sur implant est généralement réalisée en un seul temps, double mélange ou monophase. La description des matériaux, leur modalité d’utilisation et leur traitement ne seront pas décrits précisément ici car ils font l’objet d’un article spécifique.
Les transferts repositionnés secondairement dans l’empreinte doivent être stables. Leur forme conique doit présenter une dépouille suffisante pour favoriser la désinsertion de l’empreinte, en l’absence de déchirements et de déformation du matériau. Enfin, le repositionnement de ces transferts doit être aisé [7].
Des morphologies adaptées telles que rainures, gorges ou méplats faciliteront le repositionnement précis dans l’empreinte après désinsertion (fig. 7).
Situations favorables :
– restauration de petite étendue (1 ou 2 implants) ;
– implants parallèles entre eux (le parallélisme permet de limiter les contraintes lors de la désinsertion) ;
– secteurs postérieurs avec ouverture buccale limitée. Pour cette indication, la stabilité du transfert dans le matériau peut être compromise du fait de la faible quantité de matériau d’empreinte et/ou de l’utilisation de transferts de longueur trop importante, interférant avec le porte-empreinte.
Situations défavorables :
– implants très divergents ou convergents ;
– nombreux implants ;
– empreinte pour mise en charge immédiate.
Terminologie des fabricants :
– transfert d’implant boule, transfert direct abutment, transfert de pilier Uni 20/45 boule (Astra Dentsply Implants®) ;
– impression coping closed tray, impression coping closed tray low profile, transfert standard Procera PE fermé (Nobel Biocare®) ;
– pilier d’empreinte avec coiffe d’empreinte, coiffe d’impression sur partie secondaire (Straumann®) ;
– moignon d’empreinte pour technique standard (Zimmer®).
Ces transferts à usage unique sont en matière plastique rigide. Ils restent solidaires du matériau à empreinte lors de la désinsertion. Leur forme doit être rétentrice (fig. 8).
Situation favorable : axe implantaire correspondant à l’axe prothétique.
Situation défavorable : divergence entre l’axe implantaire et l’axe prothétique (fréquent au niveau antérieur).
Terminologie des fabricants :
– transfert pick-up direct abutment plastic (Astra-Dentsply Implants®) ;
– impression coping closed tray plastic (Nobel Biocare®) ;
– coiffe d’empreinte (Zimmer®).
Ces transferts ont une forme rétentrice. Ils doivent être suffisamment hauts pour que le praticien ait accès à la tête de vis après prise du matériau d’empreinte grâce à un porte-empreinte ouvert. Ils sont alors dévissés et restent solidaires du matériau lors de la désinsertion (fig. 9).
Situations favorables :
– nombre important d’implants ;
– implants présentant des axes divergents ou convergents entre eux ;
– édentement complet.
Situation défavorable : ouverture buccale limitée.
Terminologie des fabricants :
– transfert d’implant pick-up, transferts direct abutment pick-up, transfert de pilier Uni 20° pick-up, transfert de pilier Uni 45° pick-up, transfert de pilier Uni angulé pick-up (Astra-Dentsply Implants®) ;
– impression coping open tray, transfert standard Procera PE ouvert (Nobel Biocare®) ;
– pilier d’empreinte (Straumann®) ;
– moignon d’empreinte pour technique pick-up, (Zimmer®).
Certaines études montrent que le traitement de surface des transferts (sablage et enduction des transferts avec un adhésif du matériau à empreinte) permet d’obtenir un gain de précision [7, 8, 9, 10].
Le matériau d’empreinte en prothèse sur implant doit présenter les qualités suivantes : précision, élasticité, temps de travail adéquat et possibilité de désinfection sans variations dimensionnelles trop importantes. La description précise de ces matériaux ainsi que le bilan de leurs qualités respectives font l’objet d’un article spécifique. Nous rappelons ici quelques éléments essentiels.
Ces élastomères très rigides ne génèrent pas de produits de réaction au cours de leur réticulation par addition. Cela leur confère une grande stabilité dimensionnelle. Leur caractère hydrophile permet d’obtenir une bonne reproductibilité des surfaces, mais entraîne une propension à absorber les liquides (expansion) impliquant une obligation de traitement rapide et rendant les procédures de désinfection assez délicates.
Comme les polyéthers, ces élastomères ne génèrent pas de produits de réaction au cours de leur polymérisation par addition. Ce sont des polymères naturels ou synthétiques, ayant un faible module d’élasticité à température ambiante et supportant sans dommage (après réticulation) des allongements réversibles. Leur élasticité importante (99 %) leur permet de résister aux contraintes sans déformations. De plus, cela leur donne une meilleure résistance au déchirement que les polyéthers. Ils présentent une grande stabilité dimensionnelle autorisant un traitement différé et des procédures de désinfection plus poussées.
L’utilisation d’un mélangeur automatique offre des avantages tels que l’obtention d’un mélange homogène et sans bulles, l’absence d’erreur de dosage, une manipulation aisée, rapide, économe, propre et hygiénique. Le mélange automatique des polyéthers facilite l’homogénéisation de ces matériaux particulièrement visqueux.
Parmi les caractéristiques des porte-empreintes, la rigidité semble être un critère décisif comme le prouvent de nombreuses études [11, 12, 13, 14, 15, 16].
Certains auteurs ont étudié l’effet de l’enduction du porte-empreinte avec l’adhésif spécifique du matériau d’empreinte [17, 18] sans apporter de preuve de l’augmentation de précision.
Les porte-empreintes du commerce peuvent être métalliques ou en matière plastique.
L’étude de Ceyrhan montre que la précision des empreintes réalisées avec un porte-empreinte métallique est supérieure à celle obtenue avec un porte-empreinte en matière plastique rigide [19].
Les porte-empreintes individuels sont fabriqués à partir d’une empreinte primaire avec laquelle est enregistrée la position approximative des implants. Certains auteurs affirment que la précision des empreintes obtenues avec les porte-empreintes du commerce est moindre que celle obtenue avec les porte-empreintes individuels [11, 12, 14, 20, 21].
En revanche, Ceyrhan et al. [19] Spector et al. [22] et Conrad et al. [23] montrent que la précision des empreintes réalisées avec un porte-empreinte individuel n’est pas supérieure à celle obtenue avec un porte-empreinte du commerce.
Lorsque les transferts sont dévissés avant la désinsertion de l’empreinte pour être emportés avec le matériau d’empreinte, les porte-empreintes doivent être ajourés en regard de l’émergence des transferts. Il peut s’agir d’un porte-empreinte du commerce modifié par le praticien en fonction de la situation clinique (fig. 9e et fig. 10b) ou d’un porte-empreinte individuel réalisé grâce à l’enregistrement de la position des implants (ou des piliers) par une empreinte primaire.
Les matériaux de solidarisation servent à compenser l’insuffisance de rigidité du matériau d’empreinte pour connecter les transferts entre eux afin d’éviter leur déplacement individuel lors des différentes étapes de la désinsertion et du traitement de l’empreinte. Nous ne décrirons pas précisément ces matériaux dont la description est faite dans l’article de J.F. Nguyen.
Le plâtre de type 1 est utilisé pour ses propriétés de faible expansion de prise et de bonne stabilité dimensionnelle (fig. 10).
Ces excellentes propriétés en font aussi un matériau intéressant pour valider la précision du modèle de travail (clé de validation en plâtre) (fig. 11).
Une adaptation non passive des transferts reliés par le plâtre se traduirait par une fracture nette de ce dernier. Lorsque cette situation se produit, il est nécessaire de recommencer tout le protocole de l’empreinte.
Les données de la littérature scientifique semblent indiquer l’utilisation de poutres de résine préparées 24 heures à l’avance, puis fractionnées et solidarisées de façon extemporanée grâce à des apports de résine de faible quantité [22, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31] (fig. 12).
Certains auteurs ont suggéré de solidariser les transferts au porte-empreinte [6, 32, 33]. L’étude de Daoudi et al. [33], qui porte sur des implants unitaires, révèle que la précision de l’empreinte est augmentée quand le transfert est relié au porte-empreinte par de la résine chémopolymérisable par rapport à des empreintes avec transferts repositionnés ou transferts emportés non reliés.
De nombreuses études indiquent que la technique d’empreinte avec transferts repositionnés manque de précision, en particulier quand le nombre d’implants est supérieur ou égal à 3 [6, 7, 18, 27, 34, 35, 36], surtout quand les implants ne sont pas parallèles entre eux [37].
Néanmoins, pour d’autres auteurs, cette technique est aussi précise que celle mettant en jeu des transferts emportés non solidarisés. Dans ces études, les implants sont :
– unitaires [33] ;
– parallèles entre eux [8, 22, 28, 37, 38, 39, 30, 40, 41] ;
– divergents de moins de 15° [23].
Deux études montrent que l’empreinte d’implants droits est plus précise que celle concernant des implants angulés [36, 37], deux autres ne révèlent aucune différence [23, 42]. Lorsque les implants présentent des angulations, les études disponibles ne permettent pas de préciser quelle est la meilleure technique (soit avec transferts repositionnés, soit avec transferts emportés).
L’analyse de la littérature scientifique permet de poser l’indication de la technique d’empreinte avec transferts repositionnés dans les cas suivants :
– nombre d’implants inférieur à 3 ;
– empreinte d’étude destinée à la réalisation d’un porte-empreinte individuel ;
– empreinte d’étude destinée au choix des piliers.
Certaines études comparant les techniques d’empreinte avec transferts de piliers solidarisés et non solidarisés ne révèlent aucune différence significative entre ces deux techniques [8, 18, 28, 35, 38, 42, 43].
D’autres auteurs montrent que la solidarisation des transferts augmente la précision de l’empreinte de positionnement des implants [6, 10, 30, 34, 36, 40, 44], en particulier quand ceux-ci ne sont pas perpendiculaires au plan occlusal [31, 36].
Une technique mixte est proposée pour allier les qualités élastiques des vinyl polysiloxanes et la rigidité du plâtre (fig. 10). Une empreinte préalable avec l’élastomère est effectuée. Le matériau d’empreinte est retiré en regard des implants. Le porte-empreinte est ajouré dans cette zone pour que les transferts, une fois placés, n’interfèrent pas avec le repositionnement de la pré-empreinte. Le porte-empreinte est alors maintenu dans cette position tandis que du plâtre de type 1 est injecté afin de solidariser les transferts. Après prise du matériau, les transferts sont dévissés et emportés. Une fois que l’absence de fracture du plâtre est réalisée, les analogues sont vissés sur les transferts sans risque de mobiliser ceux-ci dans l’empreinte [45].
Il est intéressant de noter que la majorité des études démontrant le gain de précision des empreintes avec transferts emportés solidarisés sont assez récentes, évoquant la possibilité de meilleures connaissance et maîtrise des matériaux de solidarisation [46].
Les études les plus récentes, montrant une amélioration de la précision des empreintes avec transferts emportés solidarisés, concernent principalement des empreintes au niveau des implants [46].
Indications de la technique avec transferts emportés sans solidarisation : nombre d’implants inférieur à 4 [15, 16, 28, 46, 47, 48, 49, 50, 51].
Indications de la technique avec transferts emportés avec solidarisation : nombre d’implants supérieur à 4 [26, 27, 46, 48, 49].
L’enregistrement de la position des implants placés au niveau des sites édentés d’une arcade dentaire doit être conduit en respectant un protocole précis. Si son choix peut dépendre des préférences de l’opérateur, il doit tenir compte de la situation clinique. Le succès de l’empreinte dépend essentiellement du respect de toutes les étapes du protocole retenu, y compris le choix des matériels et des techniques adaptés.
Le niveau auquel se situe l’enregistrement (implant ou pilier), le nombre et l’orientation des implants, la topographie de l’édentement (antérieur ou postérieur) et l’ouverture buccale du patient sont autant de paramètres à prendre en compte pour choisir le protocole le plus adapté.
Ces techniques d’enregistrement conventionnelles, mises en œuvre au quotidien, nécessitent l’utilisation des transferts associés à différents matériaux d’empreinte. Elles permettent d’obtenir un modèle de travail fiable, à partir duquel les procédés de fabrication des armatures prothétiques peuvent alors être envisagés soit classiquement, soit en intégrant une chaîne d’élaboration numérique.
L’ergonomie apportée par les protocoles d’empreintes optiques et la fiabilité attendue de l’ensemble des maillons de production liés à la CFAO représenteront sans doute, dans un avenir proche, une excellente solution de remplacement des protocoles conventionnels décrits de cet article.