Odontologie Restauratrice
Sébastien Felenc* Josselin Lethuillier** Maxime Jaisson***
*Chirurgien-dentiste, exercice libéral
Ancien assistant à la faculté de Montpellier
CES biologie buccale
CES prothèses fixée
CES parodontologie
DU implantologie faculté de Marseille
**Chirurgien-dentiste, exercice libéral
Ancien interne des hôpitaux
Ancien assistant à la faculté de Montpellier
CES biologie buccale
CES prothèse fixée
DU parodontologie-implantologie de Montpellier
Attaché hospitalier
***Docteur en chirurgie dentaire
Ancien assistant hospitalo-universitaire dans la sous-section 58-02 prothèse de l’URCA
Master de biomécanique
Attaché d’enseignement dans le master
biomécanique-biomatériaux-biomédical, URCA
La restauration des dents érodées par des matériaux en vitrocéramique est devenue un acte de routine. Ces prothèses en vitrocéramique sont assemblées au moyen d’un joint adhésif, dont les caractéristiques dépendent des matériaux et des techniques spécifiques employées. Le cas clinique présenté donne l’occasion de discuter de l’optimisation et du protocole idéal de collage. Les traitements de surface des différents substrats (dentaire et céramique) sont mis en œuvre pour optimiser la rétention adhésive, que ce soit sur la dentine ou sur l’émail. L’effort de rigueur exigé par ces techniques est récompensé par la possibilité de réaliser des traitements prothétiques très conservateurs pour les organes dentaires des patients.
Optimization of the bonding of glass-ceramics to dental structures : a case study
Glass-ceramic restoration of eroded teeth is becoming a routine therapeutic procedure. The glass-ceramic prosthesis is held in place by adhesive bonding, the strength of which is dependent on the materials and specific techniques employed. The clinical case study presented afforded the opportunity to optimize and fine tune the bonding procedure. Surface treatments of the different substrates (tooth and ceramic) have been developed so as to maximize the strength of the adhesive bond of ceramic to both underlying dentin and enamel. These adhesive prosthetic treatments are complex to realise but we are rewarded by the opportunity to save our patients natural tissus.
L’apparition des érosions dentaires est en forte croissance dans les sociétés modernes [1-3].
Les prévalences rapportées dans la littérature médicale sont d’origines diverses et peuvent dépendre de différents facteurs comme l’âge, le pays d’origine et la norme d’évaluation.
Les atteintes érosives sont causées par une attaque prolongée de l’émail, par une acidité provenant d’une source intrinsèque comme un reflux gastro-œsophagien, des vomissements ou d’autres sources [4-7].
Les causes extrinsèques des érosions dentaires peuvent êtres classées en raisons environnementales, régimes alimentaires, médications et style de vie [8].
Les prothèses en vitrocéramique assemblées par un joint adhésif, de ce fait peu invasives, sont une solution de choix pour le traitement de ces érosions.
Le succès thérapeutique à long terme est déterminé par la résistance de cette adhésion face aux agressions subies dans l’environnement buccal [9, 10]. Il y a pléthore de recherches sur le thème des joints adhésifs des restaurations en céramique vitreuse et des facteurs qui affectent leurs qualités [11-16].
La force de l’adhésion non seulement est influencée par le matériau mais également est dépendante du protocole adopté pour la préparation de la dent et pour les différentes séquences cliniques.
Le cas présenté ici donne l’occasion de décrire ces différentes séquences conduisant à l’adhésion des vitrocéramiques aux structures dentaires et d’en rechercher l’optimisation.
Le patient, de 31 ans, s’est présenté à la consultation en raison de « l’absence de dents dans son sourire » et a exprimé le souhait d’une restauration (fig. 1). Il avait été hospitalisé pendant 10 ans dans un établissement psychiatrique. Il ne s’est plaint d’aucune douleur ou de déficit masticatoire. L’érosion des tissus durs était le résultat des médications prises par le patient : antidépresseurs et antipsychotiques qui ont souvent des effets secondaires anticholinergiques périphériques et, pour cette raison, ont un impact sur la composition et le débit salivaire [17, 18].
La diminution du débit, de la clairance et du pouvoir tampon de la salive accentue l’acidité de la cavité orale. La déminéralisation de l’émail apparaît en dessous d’un pH de 5,5 et, par ailleurs, en raison du syndrome de « bouche sèche », le patient peut être amené à consommer certaines boissons augmentant l’exposition des dents aux attaques acides.
L’examen clinique a révélé une denture sévèrement érodée, les dents antérieures et les prémolaires maxillaires étant particulièrement atteintes. Toutes les dents étaient vitales et il n’y avait pas d’autre symptomatologie. Le parodonte était d’un biotype épais avec une quantité importante de gencive attachée (fig. 2).
Selon la classification des érosions dentaires de Vailati et Belser, il s’agissait d’une classe V. Cela signifie une exposition dentinaire étendue sur la face palatine, une perte de la longueur supérieure à 2 mm ainsi que la réduction/perte de l’émail vestibulaire [19] (fig. 3).
La version vestibulaire des incisives mandibulaires et l’absence d’égression des dents antérieures maxillaires étaient liées à l’interposition linguale (fig. 4).
La dimension verticale d’occlusion (DVO) n’était pas diminuée et les molaires étaient correctement engrenées, le plan d’occlusion a été jugé correct et sans migrations (fig. 5). La relation intermaxillaire ne montrait pas de sévère protrusion et aucune latéro-déviation lors de l’intercuspidation n’a été diagnostiquée lors de l’évaluation préprothétique. Les molaires étaient en classe 1 d’Angle. Il n’y avait pas de guidage antérieur du fait des pertes de substance, les groupes cuspidés prenaient en charge la propulsion.
La 12 absente avait été remplacée par la canine lors d’un traitement orthodontique 15 ans auparavant. Le milieu interincisif était déporté latéralement à droite de la ligne sagittale médiane.
Les premiers objectifs thérapeutiques concernaient la restauration de la fonction et de l’esthétique par un traitement le plus conservateur possible pour les structures dentaires vivantes.
Le patient a demandé d’éviter la chirurgie et un traitement orthodontique étendu et il a souhaité une durée de traitement la plus réduite possible.
L’équipe soignante a jugé ces considérations réalistes et compatibles avec un plan de traitement adapté.
Une restauration de prémolaire à prémolaire maxillaire est envisagée en première intention.
Les premières ébauches de cire ajoutée ayant révélé la nécessité d’augmenter la DVO pour redonner des proportions correctes aux dents antérieures, les secteurs molaires devront donc être inclus dans le traitement (fig. 6 et 7). Les restaurations d’usage devront être réalisées sans changement majeur pour l’orientation du plan d’occlusion mais en relation centrée puisqu’il sera nécessaire d’augmenter la DVO.
Les options thérapeutiques disponibles pour traiter et rectifier ce cas d’érosion dentaire sévère sont soit de rechercher de la rétention par une préparation conventionnelle, soit d’exploiter les structures dentaires résiduelles et d’utiliser une technique adhésive. La plus classique est l’approche conventionnelle, incluant des traitements endodontiques, l’insertion de tenons faux moignons pour les dents antérieures et des couronnes sur dents vivantes dans les secteurs postérieurs. Les matériaux peuvent être tout céramique ou céramo-métalliques.
Le concept occlusal est une occlusion mutuellement protégée avec un guidage canin ou fonction de groupe.
La seconde option représente une méthode plus économe, exploitant les bandeaux d’émail périphérique autour des incisives, avec comme but de conserver le plus possible de tissu dentaire. La rétention mécanique perd de son influence au profit du potentiel d’adhésion des éléments tout céramique. La vitrocéramique renforcée en disilicate de lithium est un matériau qui offre les caractéristiques nécessaires à un bon comportement mécanique et une bonne transmission de la lumière [20].
Cette céramique est produite à partir de lingotins pressés (E.max Press®, Ivoclar Vivadent) et peut, en fonction de l’épaisseur de matériau prothétique, être soit stratifiée (région antérieure), soit maquillée (région postérieure). Le concept occlusal dans ce scénario est pensé de façon à minimiser les forces latérales sur le guidage antérieur par des contacts de groupe sur ses latéralités travaillantes tout en faisant passer les cuspides de manière tangente dans leurs excursions non travaillantes.
Après l’information complète du patient concernant ces deux options, c’est la seconde qui est retenue, notamment en raison du caractère hautement conservateur du traitement. Le fait de pouvoir revenir à la première approche en cas d’échec à court ou à long terme est le second argument déterminant.
Cette thérapeutique est dépendante du résultat de l’adhésion, lequel est très influencé par le type d’adhésif employé, les techniques et les protocoles mis en œuvre.
Un wax-up complet a permis l’évaluation du traitement proposé à la nouvelle dimension verticale (fig. 8). Un articulateur semi adaptable a été programmé de manière à approcher la réalité anatomique du patient et ainsi minimiser les retouches post-opératoires. Cette démarche prothétique pourrait être qualifiée de « conventionnelle » car nous pouvons espérer une simplification de ces procédures grâce aux évolutions numériques dans un futur proche.
L’augmentation de DVO fixée à 1 mm en postérieur, a été testée avec une gouttière mandibulaire semi-rigide pendant 1 mois avant de d’entreprendre les préparations, l’objectif étant de vérifier l’absence de tension musculaire ou de problème articulaire.
Les principes de préparation adaptée à la vitrocéramique et associée à une économie tissulaire maximale ont été appliqués. Dans les secteurs molaires, les faces occlusales ont été aplanies tout en respectant une épaisseur minimale de 1 mm, puis une encoche large dans le sillon vestibulaire a permis de sécuriser le repositionnement de la pièce prothétique. Dans le secteur antérieur, pour les préparations, il s’agissait de réaliser un épaulement large à bord interne arrondi préservant une limite amélaire franche et la plus large possible. Dans les secteurs prémolaires, les faces occlusales érodées ont dû être aplanies et les faces vestibulaires ont été préparées comme des facettes épaisses, les faces palatines et proximales au-dessus des points de contact ont été laissés en l’état (fig. 9). Les incisives mandibulaires ont été préparées pour des facettes à recouvrement lingual de manière à lingualer les axes dentaires (fig. 10).
Les prothèses temporaires ont été préparées à partir de coquilles en résine acrylique issues des wax-up, selon la technique décrite par Fradeani [21]. Elles ont toutes été solidarisées en raison de la faible rétention offerte par les préparations (fig. 11).
Ces coquilles ont été rebasées avec de la résine acrylique et assemblées avec un ciment sans eugénol : du polycarboxylate (Durelon™) (fig. 12). Le patient et le praticien ont alors été en mesure de tester et d’ajuster la nouvelle fonction occlusale et le rendu esthétique pendant quelques semaines (fig. 13).
Les restaurations d’usage ont commencé par les secteurs molaires pour conserver la relation mandibulo-maxillaire stabilisée par les prémolaires et les secteurs antérieurs. Les molaires ont été reconstruites par des table tops, ou overlays, qui sont les restaurations les plus conservatrices lors d’augmentation de DVO [22, 23] (fig. 14).
Ensuite, les prémolaires et les dents antérieures ont été réalisées et assemblées (fig. 15).
Il est pertinent de détailler ici la session de collage utilisée pour assembler ces vitrocéramiques car de la qualité du joint adhésif dépendra en grande partie la pérennité du traitement dans cette situation relativement extrême avec très peu de rétention, notamment dans les secteurs postérieurs (fig. 16).
La littérature médicale est riche de travaux concernant les différents protocoles envisageables pour optimiser le résultat de l’adhésion. L’idée générale est de contrôler et d’apprêter les états des deux surfaces en présence. Le respect strict des protocoles étant totalement déterminant, il est apparu nécessaire de le présenter à nouveau en détail.
Le traitement de surface des céramiques est à réaliser après leur essayage pour éviter la contamination des intrados. L’essayage des pièces prothétiques permet de vérifier leur adaptation et les contacts proximaux, l’occlusion n’est pas testée au risque de les fracturer. Ensuite les traitements de surface spécifiques aux dents et aux céramiques peuvent être réalisés dans le même temps ou successivement.
Après la dépose des prothèses transitoires, les surfaces dentaires ont été nettoyées aux ultrasons puis un brossage mécanique à la ponce a terminé cette approche macroscopique fondamentale [24, 25] (fig. 17).
Le champ opératoire en latex a pu alors être installé. Il a permis le contrôle des états de surface en cours de préparation.
L’optimisation du traitement de surface dentaire a été réalisée par un sablage à l’alumine 50 µm à 2-5 bars pendant 10 secondes, pour développer l’énergie de surface et augmenter la rétention mécanique de l’adhésif [26] (fig. 18). L’utilisation d’une sableuse fait désormais partie des équipements courants nécessaires pour pratiquer la dentisterie adhésive dans de bonnes conditions.
Cette approche microscopique du traitement de surface met encore plus en évidence la nécessité d’un champ opératoire qui permet de ne pas provoquer de saignement de la muqueuse marginale.
Les systèmes de mordançage et rinçage de 4e génération avec primer puis adhésif sont encore les normes de référence du point de vue de leurs caractéristiques mécaniques [27-31].
Le protocole standard (fig. 19) ci-après a été suivi :
– mordançage amélaire pendant 30 secondes à l’acide phosphorique à 34 % V/V ;
– mordançage dentinaire pendant 15 secondes maximum ;
– rinçage pendant 30 secondes ;
– léger séchage à l’air, sans eau ;
– application du primer et brossage doux de la surface ;
– léger passage d’air sec pour étaler le produit ;
– application de l’adhésif et brossage doux de la surface ;
– léger passage d’air sec pour que les solvants s’évaporent ;
– photopolymérisation pendant 40 secondes ;
– application de la résine de collage sur la pièce prothétique apprêtée et assemblage ;
– élimination des excès ;
– photopolymérisation 1 minute par face.
Les matériaux employés ont été le Syntac® et le Variolink® II (Ivoclar Vivadent).
Le traitement de surface de la vitrocéramique avant son collage est un standard bien acquis mais il existe des possibilités d’optimisation (fig. 20 à 22).
Le protocole utilisé est le suivant :
– mordançage à l’acide fluorhydrique 5 % pendant 20 secondes (Porcelain-etch®, Ultradent), toujours pour développer l’énergie de surface. Le temps de mordançage est dépendant de la concentration de l’acide utilisé et de la nature de la céramique comme détaillé dans le tableau I ;
– rinçage pendant 30 secondes ;
– séchage intense à l’air sec ;
– application du silane en brossant la surface en deux fines couches orthogonales à laisser s’évaporer. Pour ce cas, c’est le Ceramic Primer® de 3M qui a été utilisé. Certains silanes s’utilisent en monocouche, d’autres proposent de silaniser avec le matériau adhésif, dans tous les cas il faut suivre à la lettre les recommandations du fabricant.
Tripodakis et Blatz, dans leur mise au point sur les pratiques adhésives en 2011, insistent sur le fait de sécher fortement l’intrados prothétique avant d’appliquer le silane en une couche la plus fine possible [32].
L’optimisation du protocole se fait avec le chauffage du silane à 125 °C. Il a été montré que cela améliore la qualité de la silanisation. Cela peut se faire avec un sèche-cheveux ou, mieux encore, un four à céramique [33, 34] (tableau I).
Il est important de terminer cette séquence par le traitement de la couche inhibée de surface par l’oxygène. Deux méthodes peuvent être proposées : un gel de glycérine appliqué sur les limites avant la dernière photopolymérisation, ou bien un léger excédent de résine de collage préservé pour être réduit ensuite par le polissage.
Les premières corrections occlusales ont été réalisées puis polies, les joints contrôlés et polis, enfin un vernis fluoré a été appliqué sur les limites pour combler les microporosités (fig. 23 et 24).
Le patient a reçu également une gouttière de protection nocturne pour minimiser les effets des parafonctions.
Les modalités de traitement décrites ci-dessus permettent la conservation maximale des tissus sains dans le contexte des destructions existantes et dans la limite des attentes esthétiques du patient (fig. 25 et 26).
Si la pérennité du traitement est fortement tributaire de la qualité de l’adhésion des prothèses, il faut aussi prendre en considération les préparations, le concept occlusal et ses ajustements car les forces de cisaillement sont considérées comme délétères pour les joints adhésifs [35].
Pour cette raison, des contacts de groupes dans les mouvements excursifs ont été recherchés ainsi qu’un minimum d’espace postérieur du côté non travaillant.
L’équilibration en fin de traitement a été réalisée en appliquant la technique décrite par Fillastre [36] et qui consiste à remonter des moulages fractionnés sur articulateur pour rechercher une équilibration optimale. La dynamique masticatoire a été étudiée pour évaluer les cycles entrants et sortants, puis les angles fonctionnels masticatoires de Planas ont été égalisés de manière à favoriser une mastication unilatérale alternée [37] (fig. 27 et 28).
Concernant le comportement du matériau céramique, le disilicate de lithium allie performances mécaniques, capacité d’adhésion et qualités optiques [38].
La possibilité d’en faire une utilisation soit monolithique, soit totalement ou partiellement stratifiée induit de la simplicité et de la cohérence dans la réalisation de ces travaux.
Les thérapeutiques adhésives sont de plus en plus utilisées pour de nombreuses et bonnes raisons, mais elles ne peuvent pas faire l’objet d’une simplification des protocoles à outrance car cela mènerait à de nombreux échecs.
En effet, pour ces situations extrêmes, le succès thérapeutique est totalement lié à la pérennité du joint adhésif.
Ces techniques peuvent sembler complexes mais lorsqu’elles sont correctement mises en œuvre, c’est une réelle satisfaction pour le praticien et le patient. Elles répondent au gradient thérapeutique décrit par Tirlet et Attal [39] car, dans le cas d’un échec ou d’un aléa, il est toujours possible de renouveler l’assemblage de la pièce prothétique, de refaire une nouvelle pièce de céramique ou bien encore de se diriger vers l’option plus conventionnelle avec rétention mécanique.
Les auteurs remercient chaleureusement le laboratoire Créadent (Grabels, 34) pour l’excellence de la réalisation technique. Le couple praticien-prothésiste est absolument déterminant pour le succès de cette thérapeutique. Ils remercient également le professeur Jacques Margerit pour son soutien bibliographique ainsi que le study group du Flap pour ses critiques constructives, à retrouver sur www.leflap.com.