Occlusodontie
Maxime Jaisson* Sébastien Felenc** Olivier Nocent***
*Docteur en chirurgie dentaire Ancien assistant hospitalo-universitaire dans la sous-section 58-02 prothèse de l’université Reims
Champagne-Ardenne.
Master de biomécanique
Attaché d’enseignement dans le master biomécanique-biomatériaux-biomédical, université Reims Champagne-Ardenne
**Chirurgien-dentiste, exercice libéral
Ancien assistant à la faculté de Montpellier
CES biologie buccale
CES prothèses fixée
CES parodontologie
DU implantologie faculté de Marseille
***Docteur en sciences
Maître de conférences en informatique
Chargé d’enseignement en DUT Informatique ;
Master Professionnel STIC, spécialité informatique ;
MSc Computer Animation and Graphical
Technology Applications, University of Teesside (UK)
Si l’avènement puis le développement de la CFAO a bouleversé la production des prothèses dentaires, leur conception dépend toujours des principes d’occlusion acquis au cours de l’évolution de la médecine. Cette discipline est au centre de la relation entre la clinique et le laboratoire. Aussi est-il nécessaire aujourd’hui de faire le point sur la gestion de l’occlusion par les systèmes CFAO. Après avoir posé le cadre et les questions relatives à l’occlusion, les techniques utilisées par la CFAO pour gérer ces paramètres sont abordées en détail. Cela permet d’en connaître les limites actuelles et, ainsi, d’aider le praticien à décider de la technique appropriée à la situation. Sur ce constat on pourra conclure que la CFAO peut ou non dépasser les anciennes pratiques, simplifier les procédures et amplifier les connaissances. L’objectif est d’y voir clair et de montrer qu’une révolution est en marche, au-delà de l’aspect technique de la production des prothèses.
If the advent and development of CADCAM has revolutionized the production of dental prostheses, the design principles of occlusion still depends on knowledge acquired during the evolution of medicine. As occlusion is central to the relationship between the clinic and the laboratory it is necessary today to review the management of occlusion by CADCAM systems. We will highlight the occlusion issues in order to make the point on the actual CADCAM technics used to deal with them. This will allow us to know the current limits and thus help the clinician to choose the appropriate technique related to the situation. On this observation we can conclude that the CFAO may or may not exceed the old practices, simplify procedures and enhance knowledge. The aim is to see clearly and to show that revolution is underway, beyond the technical aspects of the production of prosthesis.
L’objectif essentiel de la gestion de l’occlusion est l’obtention de prothèses parfaitement intégrées au système manducateur, aboutissement d’étapes cliniques et de laboratoire réalisées avec rigueur et précision.
Le cheminement thérapeutique commence par le choix du type d’occlusion le plus judicieux face aux exigences prothétiques et biomécaniques. Un autre choix à faire est celui des différents outils de gestion de la relation mandibulo-maxillaire (RMM) pour transmettre les données au laboratoire de prothèses qui mettra en forme les tables occlusales.
Parmi les premiers, Gysi [1] et Nagao [2] ont compris toute l’importance du lien existant entre la morphologie occlusale et l’accomplissement des mouvements mandibulaires. Von Spee, avant eux (en 1890) [3], avait écrit : « Le trajet des mouvements qui servent à écraser les aliments est non seulement déterminé par la configuration mécanique de l’articulation temporo-mandibulaire, mais il est aussi très substantiellement influencé par l’anatomie occlusale des dents ; en conséquence, les deux sont accordées ensemble d’une manière harmonieuse. »
La CFAO (conception et fabrication assistée par ordinateur), qu’elle soit directe (au fauteuil) ou indirecte (au laboratoire), constitue désormais une alternative dans de nombreux domaines prothétiques face aux techniques conventionnelles. Les occluseurs et les articulateurs ont simplement été dématérialisés. La démarche intellectuelle conduisant à faire le bon choix reste sensiblement la même malgré quelques nouveautés.
Faut-il et à quel moment se préoccuper des paramètres du déterminant postérieur de l’occlusion et, par extension, se soucier de la cinématique mandibulaire ? C’est cette question qui demeure au centre de la démarche occluso-prothétique. La décision d’utiliser un articulateur reproduisant les mouvements mandibulaires est essentiellement motivée par l’étendue du secteur à restaurer, sa position sur l’arcade ainsi que la présence et la qualité des éléments supports des restaurations.
Le but de cet article, après avoir posé le cadre et les questions relatives à l’occlusion, est de décrire en détail les outils offerts par la CFAO pour gérer les paramètres de l’occlusion. Un panorama des différentes techniques de conception numérique devrait aider le praticien à choisir la mise en œuvre appropriée à la situation clinique à laquelle il est confronté.
De nombreuses études ont été affinées pour isoler certains déterminants de l’occlusion.
Ils sont importants à appréhender dans certaines situations car le prothésiste, par leur maîtrise, s’en inspirera pour modeler ou organiser la surface occlusale des dents.
Les déterminants de l’occlusion, données liées à l’individu, pourraient être définis ainsi : « Ce sont les facteurs de l’appareil manducateur qui influencent l’occlusion. » Ces facteurs sont divisés en deux groupes : ceux qui sont fixes et ceux qui sont modifiables par le remodelage ou le repositionnement des dents :
– les facteurs fixes les plus cités sont la distance intercondylienne et l’anatomie de l’articulation temporo-mandibulaire, qui influent sur la cinématique mandibulaire, ainsi que le positionnement de l’arcade maxillaire et la relation mandibulo-maxillaire ;
– les facteurs modifiables les plus cités sont la forme des dents, la hauteur des cuspides et la profondeur des fosses, la position des dents, la dimension verticale et les courbes occlusales.
Ces déterminants sont interdépendants. Les facteurs modifiables étant ceux concernés par les travaux de restauration du chirurgien-dentiste, la démarche devra donc s’intéresser aux déterminants fixes et à les maîtriser.
Les déterminants fixes sont les suivants :
• positionnement vertical et horizontal des arcades par rapport au déterminant postérieur ;
• écartement condylien ;
• positionnement antéro-postérieur des arcades par rapport au déterminant postérieur articulaire ;
• déterminant postérieur, articulaire :
– pente condylienne,
– angle de Bennett,
– mouvement initial de Bennett.
À quel moment faut-il les recueillir et qu’apportent-ils ?
Les simulateurs qui aident à matérialiser le projet prothétique doivent-ils conserver la forme que nous leur connaissons ?
Peut-on espérer voir apparaître de nouveaux moyens susceptibles de simplifier la gestion de l’occlusion ?
Les techniques de CFAO, désormais très performantes pour aborder de nombreuses étapes d’élaboration des prothèses de tous types, fixées ou amovibles sur dents naturelles ou sur implants grâce à une évolution rapide, présentaient quelques lacunes pour intégrer la maîtrise de l’occlusion. C’est pourtant ce facteur essentiel de réussite des traitements prothétiques qui demande la plus grande précision tant en clinique qu’au laboratoire de prothèses.
Les derniers progrès pour favoriser le recueil des données cliniques aboutissant à une simulation du fonctionnement de l’appareil manducateur vont ouvrir de nouvelles perspectives pour permettre l’exploitation d’une chaîne numérique complète de conception et de fabrication avec la suppression progressive des points faibles.
Actuellement, si le cabinet dentaire est équipé de moyens de digitalisation des arcades dentaires et d’un logiciel de CAO, comment est-il possible de gérer l’occlusion en fonction des différentes situations cliniques tant au cabinet dentaire qu’au laboratoire de prothèses ? Cela peut-il réellement simplifier l’approche de l’occlusion ?
Il y a quatre méthodes qui permettent de gérer l’occlusion. Ces différentes solutions figurent dans plusieurs systèmes de CFAO. Les outils les plus élaborés sont retrouvés dans les systèmes chair side composés d’une unité de prise d’empreinte optique à laquelle est associé un logiciel de traitement des données. Ils sont destinés à équiper les cabinets dentaires. Ils sont désormais, pour la plupart, ouverts, c’est-à-dire que l’empreinte optique réalisée peut être envoyée directement au laboratoire de prothèses.
Ces techniques peuvent mettre en œuvre :
– l’analyse géométrique. Une technique de construction de la table occlusale se fonde sur une analyse morphologique des dents environnantes pour déterminer l’anatomie occlusale de l’élément prothétique. Dans le cas où il reste quelques parois (par exemple pour un inlay), le logiciel s’en inspire (position d’une crête marginale restante, d’une ou de plusieurs cuspides) pour restaurer la partie manquante. Aucune empreinte optique de l’occlusion ou de l’antagoniste n’est alors nécessaire ;
– le mordu occlusal. C’est une acquisition optique de l’empreinte laissée par l’antagoniste dans un matériau plastique. Le logiciel recréera en volume le négatif laissé dans l’empreinte (fig. 1) ;
– l’empreinte vestibulaire. Cette solution est considérée à tort comme plus facile que la précédente. Son procédé se rapproche des techniques connues et apparaît comme plus cohérente dans la conscience collective. Cette solution nécessite cependant plus d’acquisitions de données. Il faut faire une empreinte optique du secteur à restaurer, puis une empreinte optique du secteur antagoniste (fig. 2) et, enfin, une empreinte vestibulaire des deux secteurs en occlusion. Cette acquisition doit être suffisamment large pour apporter au logiciel les données suffisantes pour confronter les modèles des deux arcades ;
– le FGP (Fonctionnaly Generated Path). Ce procédé resté confidentiel, proposé par Meyer [4] puis par Dawson [5], le devient actuellement un peu moins puisqu’il revient sur le devant de la scène grâce au logiciel de CAO. La version numérique a été adaptée par J. Raynal. Son avantage majeur est d’optimiser l’anatomie occlusale puisqu’elle est construite en fonction des trajets fonctionnels. Un premier enregistrement optique par la caméra est réalisé : l’acquisition numérique de l’empreinte statique en occlusion d’intercuspidie maximale (OIM) de la dent antagoniste laissée dans un matériau plastique. Le logiciel reconstruit alors l’anatomie occlusale de la dent antagoniste à partir du négatif obtenu comme pour un mordu. Le même procédé est appliqué avec un deuxième enregistrement mettant en œuvre les « trajets de guidage » pris en compte par un support modelable lors de la mise en mouvement de la mandibule. La clé numérique de cet enregistrement placée en OIM permet l’élimination des interférences fonctionnelles.
La cinématique mandibulaire est ainsi prise en compte en s’affranchissant complètement de la gestion des déterminants de l’occlusion (fig. 3).
Quels sont les critères de choix ?
Le rôle du guidage antérieur est à analyser pour chaque situation car il influence la prise de décision.
Un tableau récapitulatif reprend les critères de choix de la technique numérique de gestion de l’occlusion (tableau I). Des similitudes sont retrouvées avec les techniques mécaniques pour aborder les situations les plus couramment rencontrées [6]. Il n’est pas spécifié, dans ce tableau, l’étendue de la prise d’empreinte à réaliser mais la règle reste sensiblement la même que pour une chaîne de conception non numérisée. Face à l’immense diversité des situations, il est difficile d’établir des généralités. Ce tableau regroupe de façon non exhaustive les moyens à mettre en œuvre pour gérer l’occlusion.
Dans ce cas, la conception de l’élément prothétique peut se fonder sur l’analyse métrique, appelée biogénérique pour le Cerec(r) de Sirona. Le logiciel trouve dans la forme des dents restantes le profil « génétique » de la dent manquante. De puissants algorithmes contenus à l’intérieur du programme logiciel peuvent remonter jusqu’au plan de construction génétique mis en place par la nature par analyse des parois résiduelles de la dent à restaurer ou des dents voisines et antagonistes (la profondeur des sillons, les lignes de transition, la position des cuspides…). Ce choix est d’autant plus fiable que la dent à reconstruire n’est que partiellement délabrée.
La technique du mordu occlusal ou de l’empreinte vestibulaire peut être utilisée. Il n’est pas possible de faire complètement confiance à l’analyse métrique sans risque d’être confronté à des interférences dans le déclenchement des mouvements.
La fonction est à prendre en compte. Le mordu occlusal ou l’empreinte vestibulaire n’est plus suffisant et encore moins l’analyse métrique. Les logiciels pourront éditer la restauration et celle-ci s’intégrera dans l’occlusion statique. Or, des risques sont pris vis-à-vis de l’occlusion dynamique. Dans ce cas, la technique de choix est le FGP pour éviter de se confronter à des risques d’interférences lors des mouvements d’excursion. L’autre solution serait de faire appel à la fonction « articulateur virtuel » mais qui est plutôt à réserver à des restaurations de grande étendue.
La plupart des logiciels de CAO de laboratoire proposent de fabriquer des modèles physiques à partir de l’empreinte optique. Les techniques employées sont soit additives, par stéréolithographie (modèles SLA), soit soustractives, par fraisage. Les fabricants de telles machines s’appliquent à donner un aspect au toucher et aux reflets lumineux proches de ceux du plâtre pour ne pas déstabiliser le prothésiste dans son travail. Ces modèles partiels (fig. 4) ou complets interviennent à différents niveaux dans la chaîne de conception de la prothèse et trouvent plusieurs applications :
– le chirurgien-dentiste est équipé d’une caméra pour empreinte optique et envoie son fichier au laboratoire. Si aucun matériau destiné à la FAO ne remplit le cahier des charges pour répondre aux exigences de traitement du cas clinique, un modèle est réalisé et le prothésiste travaille de façon conventionnelle. Pour certains systèmes, il est de toute façon obligatoire de passer par la case « réalisation de modèle » ;
– le laboratoire scanne l’empreinte ou reçoit l’empreinte numérique du praticien. L’armature est conçue informatiquement puis réalisée par frittage ou usinage. Le matériau cosmétique étant apporté manuellement après réception de l’armature, un modèle physique est commandé par la même occasion pour gérer les contacts occlusaux. Mais en cas de besoin, un montage sur articulateur des modèles est possible en les dissociant de leur charnière.
Les modèles créés ressemblent à s’y méprendre aux moulages issus de coulée de plâtre. Mais la CFAO autorise des montages des arcades antagonistes qui n’étaient pas permis auparavant ou plutôt déconseillés. Les indications de l’empreinte sectorielle ne découlent plus de certaines particularités comme cela était stipulé auparavant [7] Elle n’est plus déconseillée :
– en cas de reconstruction terminale d’arcade à cause d’une perte de calage postérieur. Les modèles numériques des deux secteurs d’arcade se repositionnent exactement comme en bouche grâce à l’empreinte optique du « mordu occlusal » ou par empreinte vestibulaire. Ainsi, les risques liés à la déformation de la clé occlusale et donc d’erreurs de situation des moulages en plâtre par manque de contacts stabilisateurs n’ont plus lieu d’être ;
– en présence de dents postérieures fortement abrasées. Le repositionnement fiable et précis est constant avec une empreinte optique vestibulaire et une corrélation des segments d’arcade. De plus, l’absence d’interposition de matériau d’empreinte évite tout risque de dérapage spontané dû au réflexe de mastication.
La CFAO est donc plus tolérante à ce niveau mais il ne faut pas perdre de vue l’implication et donc la qualité du guidage antérieur. En cas de défaut, des empreintes de la totalité des arcades avec une mise en articulateur virtuel sont fortement recommandées. De plus, une maîtrise des déterminants postérieurs sera favorable à la réalisation d’une meilleure morphologie occlusale [8].
C’est le cas lorsque :
– les restaurations intéressent le secteur antérieur ;
– la position de référence occlusale du patient doit être modifiée.
Il est nécessaire de faire appel à l’utilisation de l’articulateur virtuel. Ainsi, il est désormais possible de confronter les arcades virtuelles entre elles grâce à leur positionnement sur un simulateur dont la forme et les fonctionnalités sont les mêmes que celles des simulateurs mécaniques conventionnels. Assez récemment, cette fonction « articulateur virtuel » [9] a été intégrée aux logiciels de CAO dentaire par différents distributeurs, succédant à des tentatives plus anciennes comme celles de F. Duret en 1983 avec l’access articulator [10]. Une analyse des mouvements mandibulaires était réalisée puis transmise au logiciel de CFAO qui modifiait les cuspides et sillons de la dent modélisée. Ces articulateurs virtuels trouvent désormais leur légitimité grâce à l’évolution des matériaux permettant de faire face à la totalité des situations cliniques.
Selon des fabricants, la fonction « articulateur virtuel » peut être plus ou moins évaluée. Cette évaluation dépend non seulement de la qualité du montage mais aussi des articulateurs qui sont proposés. Pour une société, il faut obligatoirement être équipé de l’articulateur Artex(r) au cabinet. Ce même articulateur figure en version numérique dans le logiciel. Pour une autre, l’ensemble des articulateurs disponibles sur le marché est disponible en version 3D (fig. 5), ce qui présente l’avantage de ne pas être pas obligé de se rééquiper et, ainsi, de conserver l’axiographe compatible.
Pour aborder ces approches numériques, il faut comprendre le fonctionnement et les principales techniques de montage.
Trois techniques peuvent actuellement être pratiquées : le montage virtuel arbitraire ou intégral, un double montage avec dispositif de transfert ou bien encore le double montage avec scannage de l’articulateur.
• Montage virtuel arbitraire ou intégral
Les arcades numérisées sont placées de façon arbitraire sur l’articulateur virtuel. Le praticien ne fait aucun montage sur simulateur. Il fournit l’empreinte des arcades et un enregistrement de l’OIM. Le positionnement du maxillaire et celui du plan d’occlusion se font selon une valeur moyenne, sorte de table de montage virtuelle (fig. 6). Le logiciel propose tout de même un réglage des boîtiers condyliens. Il n’est évidemment pas recommandé de rechercher les informations du déterminant postérieur si l’on ne prend pas la peine d’utiliser l’arc facial. Cette méthode, comparable à un montage arbitraire sur son homologue mécanique, trouvera ses applications cliniques rassemblées sur la figure 6.
• Double montage avec utilisation d’un dispositif de transfert
Un double montage s’impose s’il n’est pas possible de s’affranchir d’un montage réel sur articulateur [11]. Cette démarche est incontournable actuellement lorsqu’un arc facial a été utilisé et une programmation des boîtiers condyliens entreprise. Ces éléments recueillis sont communiqués au laboratoire par le biais du transfert du montage des arcades dentaires sur articulateur mécanique. Le prothésiste, en fonction du système avec lequel il travaille, aura deux façons de transposer ce montage sur son logiciel de CAO. Le premier décrit ici est l’emploi d’un « dispositif de transfert » (fig. 7). Mais dans ce cas, le logiciel n’est paramétré que pour reconnaître un seul articulateur. Le cabinet dentaire devra donc être équipé de l’articulateur et des accessoires correspondants (axiographe et arc facial).
• Double montage avec scannage de l’articulateur
Dans ce cas, l’articulateur avec les moulages en plâtre est placé dans le scanner (fig. 8). Il faut au préalable informer le logiciel du type d’articulateur employé. Il possède dans son « arthrothèque » (bibliothèque d’articulateurs) la majorité des simulateurs du marché. Les moulages sont scannés individuellement puis en occlusion. Enfin l’ensemble articulateur et moulages est scanné.
Sur le fond, les progrès n’apparaissent pas évidents d’emblée : l’articulateur dans sa conception est le même, il reproduit les mêmes mouvements de l’enveloppe limite et la technique de montage reste toujours aussi fastidieuse. Mais l’avantage majeur de la plupart des systèmes est d’avoir une vision inédite grâce à des jeux de transparences au niveau des maillages des modèles et de suivre l’évolution des contacts occlusaux (fig. 9). La visualisation en temps réel des déplacements des arcades entre elles permet d’ajuster en fonction la morphologie occlusale des restaurations.
Enfin, la possibilité de faire bénéficier les restaurations qui n’y avaient pas accès auparavant de la précision et de l’adaptation des travaux issus de la CFAO (fig. 10) rend ces outils numériques intéressants. En effet, ils permettent d’accéder à la modélisation, pour des cas de reconstruction de grande étendue pour lesquels la gestion de la morphologie occlusale serait inenvisageable sans la maîtrise de l’ensemble des déterminants de l’occlusion. Les boîtiers condyliens mécaniques (fig. 11), garants d’une matérialisation du déterminant postérieur, sont maintenant modélisés et réglables virtuellement de la même façon que leurs homologues mécaniques, ce qui assure au clinicien un transfert parfait des données recueillies.
Ces simulateurs virtuels trouvent tout leur intérêt car ils constituent le chaînon manquant entre la conception assistée par ordinateur et la fabrication par la mise en forme des matériaux pouvant répondre aux exigences mécaniques de l’ensemble des cas cliniques.
Les solutions pour contrôler et recréer l’occlusion sont multiples et très performantes mais une exigence est à respecter : assurer la chaîne complète de CFAO.
Dans les cas de restauration de faible étendue et lorsque les logiciels sont bien maîtrisés, il est satisfaisant de constater que l’intégration occlusale de la pièce correspond au projet informatique avec, au bout de la chaîne, l’usinage d’un bloc de céramique. La problématique est la même concernant les articulateurs virtuels. Ceux-ci ne peuvent apporter un véritable bénéfice que si la CAO faite sur ces simulateurs se termine par une FAO des surfaces occlusales. La véritable révolution intervient également au niveau des matériaux et de leur mise en forme.
La modification de l’approche de l’occlusion à cette étape est perçue dans les laboratoires. Il faut trouver des solutions pour matérialiser la modélisation prothétique faite par le prothésiste sur son logiciel. Il est en effet difficilement envisageable que l’anatomie occlusale puisse être maîtrisée, adaptée informatiquement et que, finalement, l’artisan prothésiste soit contraint de stratifier manuellement les matériaux cosmétiques en revenant au simulateur mécanique. Plusieurs solutions existent pour remplacer le montage manuel de la céramique cosmétique.
La principale technique est l’usinage de vitrocéramique : des blocs de céramique renforcée à la leucite ou au disilicate de lithium, plus connus sous le nom d’Empress CAD(r) ou e.max CAD(r) (Ivoclar Vivadent) assurent la production de l’élément prothétique.
D’autres blocs usinables sont à base de résine nanochargée (RNC).
Pour les restaurations unitaires, intéressant plutôt les secteurs postérieurs du fait de leurs caractéristiques esthétiques médiocres, la couronne Full Zircone™ est une autre option. C’est une dent monobloc en zircone usinée.
Le procédé CAD-on® est utilisé pour les travaux sur armature et les petits bridges (fig. 12 à 14). La CFAO permet de réaliser l’infrastructure en zircone et, séparément, une suprastructure en céramique cosmétique, ces deux éléments étant ensuite assemblés. Cette même technique existe pour des restaurations unitaires sur implant (fig. 15) avec la conception informatique du pilier anatomique, de la chape en zircone et de la suprastructure en vitrocéramique usinée porteuse de la morphologie occlusale. L’assemblage entre l’armature et la partie cosmétique se fait grâce à un liant céramique avec cuisson ou encore par collage avec des colles composites.
Une autre solution serait d’imprimer ou d’usiner de la cire ou bien de la résine calcinable pour une technique de mise en moufle et de pressée de céramique.
Pour ces différentes solutions, le bénéfice de l’ajustement de l’occlusion par le logiciel n’est pas perdu.
Ces situations cliniques souffraient de ne pas pouvoir bénéficier des avancées techniques de la CFAO. C’est désormais chose faite avec la possibilité d’utiliser des simulateurs adaptés et, donc, de respecter les concepts de l’occlusion incontournables pour assurer la pérennité des prothèses. De plus, comme pour les restaurations de plus petite étendue, la matérialisation de la morphologie occlusale créée et validée à l’aide des logiciels peut être respectée grâce à l’emploi de certains matériaux et à leur mise en forme.
Pour les restaurations intéressant toute l’arcade mais pouvant être séparées en petites entités, la vitrocéramique renforcée au disilicate de lithium est une solution de choix.
Le bridge de type Prettau consiste en l’usinage monolithique de la partie coronaire et de l’infrastructure en zircone elle-même reliée aux implants. Une étape de maquillage de la partie gingivale est faite par le prothésiste. Une mise en articulateur virtuel avec réglage des points d’occlusion est envisageable lors de l’étape de modélisation de l’infrastructure et des reliefs occlusaux (fig. 16).
Une poutre-infrastructure transvissée réliée aux implants avec la réalisation d’éléments unitaires télescopés collés à la poutre peut être utilisée (fig. 17). La poutre peut être usinée en titane ou en zircone et les coiffes en zircone ou en vitrocéramique. Un articulateur virtuel peut être utilisé pour modeler les tables occlusales qui seront ensuite reproduites par FAO. Pour le cas présenté ici, il a été convenu entre le praticien et le prothésiste de faire une stratification manuelle sur chapes en zircone des parties coronaires avec un montage sur articulateur mécanique. Mais une solution de CFAO complète des restaurations aurait été envisageable dans cette situation.
La chaîne numérique peut être respectée également dans les cas de restauration par prothèse complète amovible [12]. La méthode employée est une réalisation des empreintes de manière conventionnelle. Elles sont prises séparément puis réunies après détermination de la relation mandibulo-maxillaire. De ces empreintes découlent un modèle numérique et la modélisation de la future plaque base résine (fig. 18). Le scannage des deux empreintes se fait séparément puis ensemble comme déterminé en bouche. Le logiciel peut ainsi positionner les modèles l’un en face de l’autre puis importer la modélisation des dents prothétiques qui sont ensuite placées virtuellement. L’emplacement des dents est laissé en négatif au sein de la plaque qui peut être usinée dans un bloc de résine rose. Les dents sont ensuite assemblées par collage dans la loge qui leur est réservée.
Différents types de gouttières occlusales peuvent être conçus par usinage ou encore par stéréolithographie (fig. 19). Des matériaux répondant au cahier des charges en termes de biocompatibilité et de dureté sont actuellement disponibles sur le marché. Le cas présenté est une gouttière de relaxation lisse. Sa réalisation ne nécessite pas forcément un transfert sur articulateur. Le logiciel pourrait être une aide précieuse pour répartir harmonieusement les points d’occlusion sur l’ensemble de la gouttière ainsi que pour ajuster leur intensité. De plus, la surface obtenue est extrêmement lisse, évitant ainsi toute interférence dans le déclenchement des mouvements. Le détail du procédé de mise en œuvre pour d’autres types de gouttières fera l’objet d’un autre article.
Désormais, quel chemin prendre pour trouver une solution de remplacement aux simulateurs ? Les matériaux et les techniques de mise en œuvre sont fiables et efficaces. Les simulateurs tentant de se rapprocher au mieux du fonctionnement de l’appareil manducateur offrent un bon moyen de reproduction de la cinématique mandibulaire mais sont tout de même limités.
Les plus distribués ne prennent pas en compte la véritable réalité fonctionnelle de l’appareil manducateur. Les travaux sur la mastication entrepris par Lundeen et Gibbs [13] avec la mise au point du gnathic replicator ont mis en évidence des mouvements de rétrusion condylienne lors de la mastication et à proximité du début de l’entrée de cycle, au moment de l’apparition des contacts dentaires. Il y a d’autres phénomènes beaucoup plus délicats à appréhender car presque imperceptibles et qui ne sont pas pris en compte par les simulateurs [14], par exemple le mouvement vertical d’ascension du condyle qui peut être dû à la propriété mécanique du disque articulaire. Il est défini comme un matériau porohyperélastique [15], un corps déformable. Sous contrainte, il a des capacités de déformation mais on ne connaît pas encore ses capacités de récupération. Dans le cas d’une mastication intense d’une pâte à mâcher assez dure, on peut observer un déplacement du barycentre des forces en postérieur. Cet événement est qualifié de phénomène de résilience articulaire.
Ainsi, actuellement, les simulateurs disponibles sur le marché, mécaniques ou virtuels, en fonction de leur perfectionnement, contrôlent plus ou moins bien les déterminants de l’occlusion. La reproduction de la cinématique n’est qu’une approche des mouvements mandibulaires réels réduite à une addition de valeurs angulaires schématisant, dans les plans de l’espace, les trajets des condyles mandibulaires.
Une situation de compromis s’impose toujours entre la qualité des restaurations et le temps passé au fauteuil (fig. 20). Le choix se porte souvent vers une simplification des morphologies dentaires pour faciliter et réduire le temps de réglage de l’occlusion lors de la pose des prothèses. Ramfjord [16] proposait d’assurer une occlusion de sécurité en modelant des zones de plus large tolérance lors d’un défaut de maîtrise des déterminants de l’occlusion.
Les concepts occlusaux étant souvent liés à l’évolution de la technique permettant de reproduire plus ou moins bien la cinématique mandibulaire, on peut espérer dans un avenir proche de voir l’occlusion prothétique se rapprocher de l’occlusion fonctionnelle décrite par Lauret et Le Gall [17].
Est-il possible d’utiliser autre chose que les articulateurs ?
La situation des arcades dentaires par rapport à la base du crâne est un élément important pour la construction de l’architecture occlusale. La forme des courbes de Spee et de Wilson en découle, définissant les courbes fonctionnelles. Les travaux d’Orthlieb ont grandement participé à la compréhension de l’enjeu inhérent au respect de ces éléments [18]. L’imagerie cone beam est également une alliée intéressante pour résoudre ce problème en permettant d’importer le modèle des arcades numérisées au sein de l’imagerie radiographique (fig. 21).
En ce qui concerne la cinématique mandibulaire, elle pourrait être mieux maîtrisée grâce au procédé de motion capture ou captation du mouvement, hérité du cinéma d’animation, les données cinématiques étant ensuite appliquées au modèle 3D des arcades. Mais les solutions envisagées ne sont actuellement pas suffisamment précises pour prendre en charge la très faible amplitude des mouvements à enregistrer.
Le constat est le suivant : l’association matériaux, mise en forme, outils de CAO et simulateurs très performants donne une possibilité au prothésiste de respecter plus facilement les schémas occlusaux. L’approche fonctionnelle de l’occlusion pourrait ainsi bénéficier des avancées techniques mais la prise en main est délicate et nécessite une refonte de la façon de travailler. Les prothésistes ont été les premiers à s’équiper en CFAO, avec des logiciels performants qui méritent notre attention. Certains congrès scientifiques comme celui d’ARIA cad-cam dentaire ont cette vocation de provoquer les échanges praticien-prothésiste et de nous ouvrir les yeux sur l’avenir de notre profession.
Internet offre également un bon moyen d’approcher l’impact de la configuration de l’articulation temporo-mandibulaire sur les déplacements dentaires et d’appréhender les notions de base de l’occlusion comme « pente condylienne, angle de Bennett, déplacement latéral immédiat… ». Un site internet comme http://www.modjaw.com est une plate-forme 3D interactive [19] utilisable pour analyser la cinématique mandibulaire et comparer en temps réel les déplacements sous forme graphique avec un modèle 3D du crâne et de la mandibule en mouvement (fig. 22).
La profession se trouve actuellement au carrefour des sciences de l’ingénieur et des nouvelles technologies mais une bonne maîtrise de la physiologie et des exigences biomécaniques reste toujours nécessaire. La finalité de ces avancées techniques permettra de partager un certain confort pour le praticien, confort dans son travail par une meilleure confiance diagnostique ainsi que par une amélioration de la qualité des soins prodigués. Le patient reste le premier bénéficiaire avec une réduction du nombre de séances, une meilleure adaptation des prothèses ainsi qu’un confort fonctionnel amélioré.
Dr Olivier Nocent, laboratoire ADEIS (Challes-les-Eaux), laboratoire Creadent (Grabels), Dr Charles Goodacre et Dr Philippe Leclercq, MM. Jean-François Martinez, Jean-Yves Ciers, Ivoclar, Collège national d’occlusodontologie (CNO), Société odontostomatologique de Savoie (SOSDS), Pr Jean Schittly.