Les cahiers de prothèse n° 160 du 01/12/2012

 

PLAN DE TRAITEMENT

Jean Schittly  

Docteur en chirurgie dentaire et
docteur en sciences odontologiques,
ancien professeur (1er grade) à la faculté
d’odontologie de l’université de Reims,
ancien odontologiste du service de consultations et
traitements dentaires.

40, rue Buirette
51100 REIMS

Résumé

Face à une situation d’édentement, plusieurs solutions peuvent être proposées pour répondre aux besoins et aux souhaits du patient. Parmi les différents facteurs qui influencent les choix thérapeutiques, l’évolution des techniques et les capacités du praticien sont prééminentes. Quatre situations cliniques sélectionnées parmi les patients traités au cours de 40 années de pratique permettent de mettre en évidence cette constatation. L’approche différente de 2 édentements unilatéraux et du remplacement de première prémolaire ou canine maxillaires conduit à une discussion autour de chacune des indications proposées dans le domaine de la prothèse composite, de la prothèse fixée conventionnelle ou de la prothèse fixée sur implants.

Summary

Prosthetics choices dependent on technical progress and practitioner abilities

Faced with a given edentulism, several solutions can be proposed to respond to the needs and expectations of the patient. Among the various factors that influence the therapeutic choices, the evolution of techniques and the abilities of the practitioner are pre-eminent. Four clinical situations selected from patients over 40 years of practice allow to highlight this observation. The different approach from 2 unilateral edentulous spaces and the maxillary replacement of first premolar or canine leads to a discussion of each of the indications proposed in the field of the removable prosthesis, of the conventional fixed prosthesis or of implant supported prosthesis.

Key words

treatment plan, prosthetics choices, removable partial denture, fixed prosthesis, implant supported prosthesis

Introduction

Face à une situation d’édentement, le chirurgien-dentiste a généralement différentes solutions thérapeutiques à proposer pour répondre aux besoins et à la demande du patient. Le choix est influencé par un grand nombre de facteurs souvent interdépendants. Les principaux sont liés à l’état de santé du patient, à sa personnalité et à sa situation bucco-dentaire, le montant de l’investissement financier intervenant finalement pour compléter l’information et obtenir son consentement éclairé.

On pourrait penser que les indications prothétiques résultent d’une démarche identique et s’appliquent de façon immuable à une situation clinique donnée. Or, ce n’est pas toujours le cas : il est fréquent de constater qu’un patient qui recueille l’avis de plusieurs praticiens est confronté à un choix difficile face à des propositions thérapeutiques totalement opposées. Cependant certaines d’entre elles, vues sous des angles différents mais concrétisées par des traitements cohérents, effectués conformément aux critères actuels de qualité, aboutissent à des résultats satisfaisants. En revanche, il est courant d’observer que certains patients n’ont pas reçu d’information sur la totalité des options adaptées à leur situation. C’est l’inconvénient de consulter des praticiens très spécialisés dans une discipline prothétique qui, tout naturellement, pensent pouvoir résoudre tous les problèmes dans leur domaine de prédilection. C’est également le cas de praticiens qui n’ont pas suivi les évolutions constantes des techniques et des progrès scientifiques.

Le reflet de notre propre pratique clinique confirme cet état de fait lorsque nous conduisons une réflexion sur la nature des plans de traitement mis en œuvre pour répondre à des situations cliniques identiques au cours des 40 dernières années.

Ce sera le thème de cet article grâce à quelques exemples caractéristiques des choix thérapeutiques influencés par notre propre formation continue en comparant les réalisations du passé avec ce qui aurait pu être proposé actuellement.

Premier exemple : traitement d’un édentement unilatéral postérieur de grande étendue

Cas clinique n° 1

Une patiente de 35 ans est venue consulter en 1975 pour des douleurs au niveau d’une canine, pilier d’un bridge de 13 à 17. L’interrogatoire médical et l’examen clinique n’avaient révélé aucun problème de santé. L’hygiène bucco-dentaire était bien maîtrisée. Le bilan dento-parodontal s’établissait comme suit (fig. 1) :

• absence de pathologie parodontale,

• à l’arcade mandibulaire, bridge de type CIV (couronne à incrustation vestibulaire) de 34 à 37 ;

• à l’arcade maxillaire :

– absence des 14, 15 16, 18 et 24, 27, 28, dents remplacées par des bridges en alliage précieux de type CIV en résine acrylique ;

– les 11, 21, 22, seules dents non préparées, étaient pulpées, restaurées par des obturations volumineuses au composite.

L’occlusion se caractérisait par une intercuspidie maximale (OIM) stable, un guidage antérieur efficace et des diductions en fonction groupe, objectivées par des surfaces d’abrasion sur les prémolaires. Le bilan radiographique a permis d’établir le diagnostic de carie interne radiculaire de 13 (fig. 2) et un pronostic parodontal réservé de 17 avec une alvéolyse angulaire mésiale (fig. 2).

Hypothèses de traitement

Les propositions thérapeutiques ont donné lieu à de nombreuses réflexions, suivies d’informations très documentées à la patiente :

– l’extraction inévitable de la canine (13) posait deux problèmes simultanés qui exigeaient de trouver une solution transitoire après extraction et de proposer une prothèse d’usage confortable et esthétique ;

– le pronostic parodontal réservé de 17, lié aux contraintes biomécaniques, à un grand axe oblique et à une morphologie caractérisée par 3 racines non individualisées, constituait une complication supplémentaire.

Durant les années 1970, l’implantologie en était encore à ses balbutiements avec quelques tentatives peu fiables de pose d’implants aiguilles ou d’implants sous-périostés, ce qui limitait les propositions à la prothèse fixée sur dents naturelles ou à la prothèse amovible ou composite.

L’évocation d’une prothèse qui doit être déposée pour les soins d’hygiène a provoqué chez cette patiente un choc psychologique et un rejet : le port d’un « dentier » était ressenti comme un signe de vieillissement et jugé incompatible avec une vie sociale et culturelle intense.

Or, l’examen de l’occlusion et l’évaluation des contraintes exercées sur une prothèse fixée ont mis en évidence un pronostic réservé pour ce type de prothèse compte tenu de l’édentement de grande étendue de 12 à 17 et de la perte de la canine diminuant l’efficacité du guidage antérieur. Toutefois, devant l’insistance de la patiente et son état psychologique, c’est cette solution qui a été retenue en pleine connaissance des risques d’échec à moyen terme.

Enfin la patiente, très exigeante pour l’esthétique de son sourire, a souhaité renouveler les prothèses fixées existantes dont la partie cosmétique en résine était dégradée.

Propositions et prises de décision

Les solutions prothétiques ont été les suivantes :

– à la mandibule, bridge céramo-métallique conventionnel de 34 à 37 ;

– au maxillaire, bridge complet de 17 à 26 avec une conception adaptée pour répondre à la situation biomécanique et à la gestion prévisible de l’échec.

Pour une meilleure résistance mécanique, les alliages précieux ou semi-précieux ont été abandonnés au profit d’un alliage nickel-chrome (NiCr).

Première séquence prothétique

Le parallélisme approché des axes des racines des dents supports de 17 à 22 a permis de concevoir un bridge à deux étages : infrastructure à tenons, monobloc sur 2 dents et suprastructures scellées avec engrènement de type thimble crown, concept préconisé à cette époque par R. Leibovitch. Cette conception avait pour but de favoriser, sans risque de fracture radiculaire, la dépose des suprastructures pour la réalisation d’une prothèse composite avec de nouvelles couronnes céramo-métalliques (CCM) solidarisées sur les incisives intégrant en distal un attachement de précision (fig. 3 et ).

Pour gérer la période de transition, une prothèse amovible partielle (PAP) immédiate à base de résine avait été mise en place après l’extraction de 13. Les prothèses fixées existantes ont été déposées pour laisser place à des éléments provisoires fixés.

Les traitements endodontiques et le bridge mandibulaire ont été réalisés aux cours de longues séances de soins. Le bridge complet s’est ensuite intégré dans un contexte occlusal de fonction groupe étendue.

Seconde séquence prothétique

Au bout de 7 années durant lesquelles une hygiène rigoureuse et des contrôles réguliers ont été instaurés, l’affaiblissement du support parodontal de 17 a libéré des contraintes de plus en plus importantes jusqu’à la fracture de l’armature en distal de 12. Le recours à une nouvelle PAP provisoire s’est alors révélé indispensable, accepté par la patiente finalement satisfaite d’avoir pu bénéficier de 7 ans de confort et comprenant que la seule solution de remplacement à la prothèse fixée était constituée par la prothèse composite.

La patiente refusant la présence même temporaire d’un crochet apparent sur le secteur antérieur, la PAP provisoire a été mise en place après extraction de la 17 avec une 12 coiffant la reconstitution après dépose de l’élément fixé (fig. 4 et 5). Les séquences de réalisation d’une prothèse composite se sont alors succédé :

– dépose des suprastructures des 21, 22 et 23 ;

– réalisation des prothèses fixées avec, en distal de 12, la glissière d’un attachement ASC C 52 en prenant soin de céramiser le pan vestibulaire de la glissière pour éviter qu’une embrasure se voie (fig. 6) ;

– empreinte anatomo-fonctionnelle pour la réalisation de la PAP ;

– solidarisation au châssis, par brasure, du boîtier de l’attachement (fig. 6) ;

– montage des dents et finition dans un contexte occlusal de fonction groupe étendue (fig. 6 à ).

L’adaptation psychologique de l’amovibilité de la prothèse, acquise sans difficulté notable grâce à la période de validation par la PAP provisoire, a finalement abouti à une acceptation de la restauration par la patiente, satisfaite en particulier du résultat esthétique.

Cas clinique n° 2

Une patiente âgée de 52 ans, en bonne santé, présentant une situation clinique comparable à celle du cas clinique n° 1, est venue consulter en 2003 pour résoudre le problème d’une mobilité inquiétante d’un bridge maxillaire droit. L’interrogatoire médical n’a révélé aucune contre-indication aux soins dentaires et à la chirurgie. La patiente était non fumeuse.

Bilan bucco-dentaire

Il n’y avait pas de pathologie articulaire. L’occlusion d’intercuspidie maximale était stable et équilibrée, pratiquement confondue avec l’occlusion en relation centrée.

Des bridges céramo-métalliques de 23 à 27 et de 35 à 37 restauraient les deux arcades côté gauche. À la mandibule, les 46 et 48 étaient absentes. La 47, restaurée par une couronne, était inclinée mésialement. Au maxillaire, à droite, le bridge de 13 à 17 présentait un descellement au niveau postérieur. Le bilan radiographique a confirmé une destruction carieuse du pilier postérieur (fig. 7). La 13, pulpée, réagissant normalement au test au froid, ne présentait pas de problèmes particuliers.

Propositions de traitement

La dent 17, irrécupérable, a été extraite après section du bridge en distal de 15. Seule la couronne sur 13 a été maintenue en occlusion. Une radiographie panoramique a été prescrite, montrant une hauteur importante de la crête osseuse (fig. 8).

Deux solutions de traitement étaient alors envisageables : une reconstruction par prothèse fixée sur implants et dent naturelle pour 13 ou bien une prothèse composite avec CCM sur 13 et attachement de précision support de PAP métallique (PAPM).

C’est la première solution qu’a retenu la patiente dans l’hypothèse de la possibilité de mettre en place 3 implants sur les sites 14, 15 et 16.

Le projet prothétique a été réalisé sur articulateur (fig. 9 et ). Un examen tomodensitométrique a confirmé la présence d’un volume osseux suffisant pour la pose des implants. Le traitement a ainsi pu comporter une restauration de 13 par une CCM indépendante et 3 éléments fixés sur implants.

Séquences prothétiques

Les principales séquences prothétiques se sont déroulées comme suit :

– pose de 3 implants sur les sites 14, 15 et 16. Remise en place transitoire du bridge sectionné jusqu’à l’obtention de l’ostéo-intégration (fig. 10) ;

– séquence de réalisation des prothèses fixées ;

– pour obtenir une définition optimale des limites cervicales, prise d’une empreinte unitaire de 13 et réalisation d’un cône de transfert (fig. 11a) ;

– empreinte en un seul temps avec transferts en place sur l’ensemble des supports afin d’obtenir d’emblée le moulage de travail (fig. 11 et ) ;

– validation, à l’occasion de l’essai des armatures (fig. 12), des rapports d’occlusion en OIM par de la résine appliquée sur l’armature. (fig. 12) ;

– mise en place des CCM terminées (fig. 12), testées en occlusion et scellées (fig. 12).

Le bridge mandibulaire terminé a permis de renforcer l’OIM et d’assurer sa pérennité (fig. 13). Les contrôles réguliers, cliniques et radiographiques, ont témoigné en faveur d’un pronostic favorable de longue durée (fig. 14).

Discussion

Si l’on compare les traitements prothétiques mis en œuvre pour ces deux cas cliniques pratiquement identiques pris en charge à une trentaine d’années d’intervalle, un certain nombre de remarques peuvent être formulées :

– les limites d’indication des prothèses fixées sur dents naturelles sont toujours liées au contexte biomécanique et à l’état parodontal des dents supports ;

– la prothèse composite, dès les années 1980, réalisée selon les concepts décrits par les auteurs préconisant un châssis rigide, des empreintes anatomo-fonctionnelles et une grande maîtrise de l’occlusion, constituait une solution de remplacement esthétique et fonctionnelle à la prothèse fixée [1, 2]. Il en va toujours de même actuellement, le seul inconvénient de ce type de prothèse demeurant son amovibilité auquel on peut ajouter un vieillissement des matériaux, notamment des composants à base de résine acrylique. Les classes II de Kennedy, caractérisées par un édentement unilatéral en extension distale, exigent une conception du châssis tendant à optimiser les sensations proprioceptives perçues par le parodonte des dents du côté opposé grâce à la répartition des appuis occlusaux et à l’établissement d’une OIM stable et durable sur les dents prothétiques [3, 4] ;

– si la première patiente présentée avait été prise en charge plus récemment, elle aurait bien entendu bénéficié d’emblée d’un traitement avec recours à l’implantologie comparable à celui réalisé pour la seconde patiente ;

– concernant le traitement décrit pour cette dernière, commencé en 2003, les différentes séquences seraient actuellement identiques mais avec la possibilité de faire intervenir à plus ou moins grande échelle la CFAO ;

– un dernier point mérite d’être souligné : pour le second cas clinique, si une contre-indication à la chirurgie implantaire avait été détectée, un traitement par prothèse composite tel que celui décrit ci-dessus aurait été mis en œuvre.

En plus de 30 ans, la seule évolution concerne le choix des attachements et les techniques de laboratoire dont la précision et les performances se sont améliorées [5, 6].

On peut également évoquer le recours possible à une PAP stabilisée par implant : en présence d’une incisive latérale limitant l’édentement, un attachement axial sur un implant en situation de canine pourrait à la fois résoudre le problème esthétique et éviter toute intervention invasive sur la ou les dents supports [5, 6, 7, 8, 9] (fig. 15 et ).

Dans les deux cas, les traitements réalisés par prothèses scellées sur piliers implantaires ou par prothèse composite ont été validés en majeure partie par l’expérience [10]. À ce jour, le recours à des données bibliographiques « fondées sur les faits » pour proposer des solutions incontestables faisant l’objet d’un consensus global n’est pas applicable à des cas cliniques nécessitant le recours à de très nombreuses disciplines et techniques odontologiques [11]. Le niveau de formation du praticien et de l’ensemble des intervenants ainsi que leur expérience dans la gestion des échecs et des réussites paraissent toujours prééminents. Il est à noter également que c’est dans le domaine de la PAP que cette remarque est le plus pertinente. Cette discipline prothétique, considérée souvent comme peu valorisante, fait l’objet d’un désintérêt croissant dans les programmes de formation, conduisant à des divergences de conception des châssis et des préparations préprothétiques avec, pour conséquence, des résultats (au niveau international) à moyen et long termes très disparates [12, 13].

Deuxième exemple : remplacement d’une dent dans les secteurs prémolaire ou canine maxillaires

La perte des premières prémolaires au maxillaire est liée le plus souvent à une agénésie ou à un échec de traitement de restauration unitaire ayant entraîné la destruction de la racine.

La prise en charge de cette situation peut mettre en œuvre la prothèse fixée plurale conventionnelle avec préparations partielles ou périphériques, intégrant ou non la canine, ou bien la prothèse unitaire sur implant en un temps ou en deux temps chirurgicaux.

C’est pour illustrer ces deux options de traitement que les deux cas cliniques suivants sont présentés.

Cas clinique n° 3

Une patiente, âgée de 56 ans, en bonne santé, non fumeuse, est venue consulter en 2000 pour des douleurs au niveau des prémolaires maxillaires gauches.

Bilan bucco-dentaire

L’examen clinique a révélé une situation étrange en vestibulaire d’un élément prothétique sur le site 23. Une suppuration était provoquée par la pression à la périphérie des parties métalliques apparentes. Aux dires de la patiente, il s’agissait d’un implant posé une quinzaine d’années plus tôt (fig. 16).

Une radiographie rétroalvéolaire, complétée par une radiographie panoramique, a révélé la présence d’un implant sous-périosté avec une image de foyer infectieux osseux (fig. 17 et b).

Le bilan dento-parodontal pouvait se résumer comme suit :

• au maxillaire :

– 18 et 28 incluses,

– toutes les dents étaient pulpées sauf 15 et 26, restaurées par des couronnes,

– présence de nombreuses restaurations à l’amalgame sur les dents cuspidées,

– présence d’une agénésie de l’incisive latérale remplacée sur l’arcade par la canine. La prothèse sur implant avait donc eu pour objectif de remplacer la dent absente en mésial des prémolaires ;

• à la mandibule, édentement de classe II de Kennedy, subdivision 1, compensé par une PAPM bien tolérée. L’état dento-parodontal des dents restantes était satisfaisant.

L’occlusion était caractérisée par une OIM stable et un guidage antérieur efficace.

Propositions de traitement

Compte tenu de l’état infectieux autour de l’implant et de sa mobilité, sa dépose était inévitable. Avant de procéder à cet acte, la solution prothétique pour remplacer la 23 devait être définie.

Deux options avaient été envisagées : pose d’un implant avec mise en charge immédiate ou prothèse fixée sur dents naturelles, avec deux possibilités : la réalisation d’un bridge avec onlays sur la canine en situation de 22 et 24 ou avec onlays sur 25 et 24 et 23 en extension mésiale. Un traitement antibiotique a permis de différer l’intervention de dépose pour décider de la meilleure indication.

La palpation vestibulo-palatine, la situation de la crête osseuse appréciée sur les radiographies et, surtout, une largeur mésio-distale disponible de 4 mm ont conduit au rejet d’une solution implantaire en dépit de l’avantage de ne pas avoir à préparer les dents proximales. Ainsi, la prise en compte du niveau osseux dans le sens vertical, la situation et l’épaisseur de la crête ainsi que la morphologie du rebord gingival peuvent aboutir à un traitement complexe ou encore à l’abandon de la solution implantaire [14]. Il restait à déterminer la conception de la prothèse fixée la plus indiquée.

La présence d’amalgames sur les deux prémolaires et la prise en charge du guidage antérieur par la canine en lieu et place de la 22 ont plaidé en faveur d’un bridge avec ancrages sur les 24 et 25 sous forme d’onlays en évitant ainsi la préparation de 23.

Une autre solution aurait consisté à réaliser un bridge englobant la canine pour tenter de la transformer en incisive latérale. Une étude préprothétique avec simulation en cire aurait été nécessaire, mais, d’emblée, la patiente a refusé que l’on porte atteinte à sa canine saine en déclarant qu’elle s’était très bien habituée à l’asymétrie de son sourire.

C’est la solution avec onlays sur les prémolaires qui a été retenue.

Séquence prothétique

Pour avoir la possibilité de mettre en place un élément provisoire dès la dépose de l’implant, la préparation des prémolaires a été effectuée ainsi que les onlays provisoires.

La dépose de l’implant a pu s’effectuer sans lambeau en découpant les différentes digitations pour les extraire dans le sens des courbes. Une radiographie intermédiaire a permis d’évaluer l’orientation des parties subsistantes (fig. 18). Après cicatrisation, le bridge a pu être réalisé de façon conventionnelle en alliage semi-précieux [15].

Les contrôles réguliers ont confirmé la fiabilité d’une telle restauration (fig. 19 à ).

Cas clinique n° 4

Une patiente de 52 ans est venue consulter en 1997 pour traiter une situation clinique comparable à celle de la patiente précédente : le remplacement d’une première prémolaire irrécupérable pour cause de fracture radiculaire axiale (fig. 20).

La gestion de l’urgence et les exigences esthétiques de cette patiente ont dû être prises en compte très rapidement.

Bilan clinique

La patiente, en bonne santé, non fumeuse, a toujours respecté la fréquence annuelle des visites de contrôle, ce qui a permis de préserver un état bucco-dentaire et un niveau d’hygiène excellents.

L’occlusion équilibrée se caractérisait par des guidages fonctionnels de type fonction canine. La fêlure radiculaire de 24, restaurée plus de 15 ans auparavant par une CCM sur reconstitution par inlay-core, pouvait être liée à une atteinte carieuse autour des tenons, à des contraintes répétées ou bien à un traumatisme fonctionnel ponctuel.

Dans le secteur maxillaire gauche, toutes les dents étaient pulpées, les 26 et 27 avaient été restaurées par une obturation en amalgame.

La 25 comportait une volumineuse obturation en composite et la 23 une obturation distale de faible volume.

Proposition de traitement

Ce cas clinique, assimilable au précédent, a fait l’objet de la même réflexion pour envisager une solution qui réponde au mieux au rapport bénéfice/coût et à l’esthétique. Dans le cadre du respect de l’économie tissulaire, un bridge sur onlays ne pouvait être retenu en raison de l’extension vestibulaire de la perte de substance de 25 qui aurait conduit à une préparation périphérique. Pour respecter le guidage antérieur existant, il a été jugé préférable de ne pas intervenir sur la canine.

Ainsi, la solution qui s’imposait alors était la réalisation d’une couronne sur implant. En 1997, la pose de l’implant immédiatement après extraction de la dent et sa mise en charge progressive sur une couronne provisoire étaient déjà entrées dans la pratique. Toutefois, en raison d’un recul clinique très limité dans notre exercice, en accord avec la patiente et le praticien sollicité pour l’acte chirurgical, il a été décidé de procéder à une technique conventionnelle en deux temps après cicatrisation de l’alvéole. Se posait alors le problème de la solution transitoire pouvant répondre à la demande esthétique de la patiente.

La solution a consisté à exploiter l’obturation composite de la 25 pour adjoindre une dent du commerce collée, avec un renfort métallique, en extension mésiale.

Séquence prothétique

Après une antibiothérapie de temporisation, l’extraction de la racine a été programmée (fig. 21).

Avant la chirurgie, l’ébauche de l’élément provisoire a permis de limiter les projections dans l’alvéole.

L’extraction de la racine a été effectuée sans difficulté, le collage d’une dent prothétique a été finalisé sous champ opératoire (fig. 22).

Après 4 semaines de cicatrisation, la chirurgie implantaire a nécessité la dépose de l’élément provisoire puis sa remise en place par un nouveau collage.

À l’issue d’une période d’ostéo-intégration de 4 mois, ce même protocole a été répété pour le second temps chirurgical (fig. 23).

Après un nouveau délai de 3 semaines, une couronne provisoire transvissée a permis un aménagement des tissus péri-implantaires d’autant plus nécessaire que la hauteur du manchon muqueux était très importante (fig. 24).

Après quelques semaines de maturation des tissus (fig. 25), les séquences de réalisation des éléments prothétiques se sont succédé de façon conventionnelle jusqu’au scellement de la CCM sur un pilier transvissé (fig. 26 et ).

Discussion

C’est l’analyse du mode de prise en charge de la patiente n° 3 qui conduit aux premières réflexions en particulier concernant la mise en place d’un implant juxta-osseux. Cette pratique peut en effet faire s’interroger sur le mode d’évaluation des techniques prothétiques quelles qu’elles soient : si on prend en compte, pour une étude randomisée, la « durée de vie » des implants, peut-on considérer comme un succès le traitement de cette patiente qui a conservé cet implant, posé dans les années 1980, durant plus de 15 ans ? À notre avis, la réponse est « non » car si la dent prothétique est restée en place si longtemps, c’est grâce à une forme très rétentrice des digitations en cobalt-chrome et à une grande faculté d’adaptation de la patiente qui a certainement dû supporter des épisodes inflammatoires, voire infectieux, au fil des années et qui s’est également accommodée d’un aspect esthétique de sa restauration pour le moins médiocre.

Un autre sujet de discussion concerne la pratique de techniques qui n’ont pas fait l’objet de suffisamment d’études de suivi étayées par un nombre de succès permettant de conclure à leur fiabilité. Les implants sous-périostés, appelés aussi juxta-osseux, ont été décrits depuis le début des années 1940. Des études cliniques rapportées dans la littérature médicale en 1983 [16] faisaient état de taux de succès de 30 % au maxillaire et de 60 % à la mandibule, et il faut souligner que cette technique était mise en œuvre pour des arcades ou hémi-arcades avec crêtes fortement résorbées et en aucun cas pour des restaurations unitaires. Un cas clinique pris en charge au début de 1990 illustre bien ce risque pris pour ces indications à considérer comme assez hasardeuses (fig. 27 à ).

Enfin, concernant le choix prothétique finalement retenu, on peut dire que c’était adopter une conception qui avait fait ses preuves depuis longtemps. Ces onlays comme moyens d’ancrage auraient d’ailleurs pu représenter la meilleure indication pour résoudre le problème initialement posé, ce qui aurait évité le risque d’une complication plus invalidante causée par l’implant juxta-osseux. Les premières publications en français datant des années 1970 ont servi de support aux différentes formations initiales et continues dispensées dès cette période par de jeunes enseignants expérimentés [17, 18, 19].

Le traitement de la patiente n° 4 est intervenu alors que nous avions acquis une expérience en prothèse sur implant. L’indication d’une restauration de cette nature s’était imposée et le choix des séquences reposait sur une technique éprouvée avec une chirurgie en deux temps et une temporisation très longue pour une préparation optimale des tissus mous. Si cette patiente avait été prise en charge actuellement, il est vraisemblable que la pose de l’implant immédiatement après l’extraction aurait été privilégiée avec une mise en charge confiée à un élément provisoire intégré progressivement à l’occlusion. En effet, le niveau osseux était réduit dans le sens vertical mais la possibilité de mettre en place un implant long (13 mm) permettait une telle indication. Le pronostic à long terme aurait certainement été aussi favorable, mais c’est la réduction du nombre de séquences et la simplification des actes qui auraient été bénéfiques.

Conclusion

Ces quatre cas cliniques ont été sélectionnés parmi les très nombreux patients pris en charge durant plus de quatre décennies pour, d’une part, mettre en évidence l’évolution des techniques prothétiques, et, d’autre part pour démontrer la nécessité pour un praticien de se former à cette évolution pour l’ensemble des disciplines prothétiques. C’est seulement à ce prix que le patient peut être informé des différents types de traitements correspondant au mieux à sa situation clinique.

Il est incontestable que l’implantologie a élargi le champ des indications de la prothèse fixée mais le recours à la prothèse fixée conventionnelle sur dents naturelles comme celui de la prothèse amovible sont toujours d’actualité pour répondre aux réels besoins de la population dans le contexte de contre-indications chirurgicales ou de contraintes économiques de plus en plus nombreuses.

Les séquences de chirurgie implantaire ont été réalisées par le Dr Philippe Russe.

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