Les cahiers de prothèse n° 159 du 01/09/2012

 

IMPLANTOLOGIE

Christophe Médard  

MCU-PH
Université Reims-Champagne-Ardenne
CSERD de Reims
Selarl Médard
1, place Paul-Jamot
51100 Reims

Résumé

Pour des réhabilitations implanto-portées de grande étendue, les armatures coulées dans un alliage métallique par la technique de la cire perdue posent des problèmes de passivité. Le praticien et le patient s’exposent alors à des complications mécaniques. L’apparition des techniques de CFAO a permis de contourner élégamment ces problèmes. Le système Cresco™ est un procédé original qui permet de passiver secondairement une armature obtenue par coulée. Les résultats en termes de précision sont comparables à ceux des armatures obtenues par les procédés d’usinage. Le système Cresco™ offre en plus l’avantage de pouvoir rattraper légèrement l’axe des puits de vissage.

Summary

Cresco™ system for passivation of large framework in supraimplant prosthesis

For implant-retained rehabilitations of big dimensions, the framework casted into a metallic alloy by the technique of the lost wax raise problems of passivity. Then, the practitioner and the patient are exposed to mechanical complications. The appearance of the techniques of CAD-CAM allowed to by-pass elegantly these problems. The Cresco™ system is an original process which allows to passivate secondarily an armature obtained by casting. The results in terms of precision are comparable to those of the armatures obtained by the processes of CAD-CAM manufacturing. Furthermore, the Cresco™ system offers the advantage to be able to catch up slightly the axis of the wells of screwing.

Key words

passivity, implant-supported prothesis, screwed prothesis, Cresco™ system

En prothèse plurale fixée sur implants, notamment lorsque la prothèse est transvissée, l’obtention d’une passivité la plus parfaite possible de l’armature est indispensable pour limiter l’apparition de complications prothétiques : dévissage, fracture de vis, fracture de l’armature ou fracture du matériau cosmétique. Un manque de passivité peut également être à l’origine d’une perte d’ostéo-intégration. Plus la prothèse est étendue, plus cette passivité est difficile à obtenir.

Historiquement, les armatures étaient coulées par la technique de la cire perdue. Si cette technique, vieille de plusieurs siècles, est aujourd’hui bien maîtrisée pour réaliser des pièces prothétiques de faible étendue, elle devient problématique pour réaliser des pièces plus grandes. Les déformations qui apparaissent lors du refroidissement de l’alliage métallique aboutissent à des imprécisions qui rendent l’adaptation de l’armature en bouche très délicate. Le praticien est souvent dans l’obligation de sectionner l’armature et de faire réaliser des soudures secondaires. L’apparition de la conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) et des procédés d’usinage a permis de contourner les problèmes liés à la coulée et d’obtenir des armatures d’une grande précision. Néanmoins, le procédé conventionnel de coulée des armatures peut encore être exploité grâce à un procédé original : le système Cresco™. La précision d’adaptation des armatures pour une arcade complète réalisées avec ce procédé est comparable à celle obtenue par usinage. Le procédé Cresco™ permet également d’anguler les puits de vissage jusqu’à 17° et de corriger une légère divergence d’axes implantaires.

Le but de cet article est de faire la description de ce système et d’en présenter l’application dans deux exemples cliniques.

Description du procédé Cresco™

Le système Cresco™ s’adresse à des cas de prothèse fixée plurale. Pour chaque implant, il faudra commander un kit de composants regroupant tous les éléments nécessaires à l’élaboration de la restauration prothétique. Le kit Cresco™ (fig. 1) comprend deux séries de composants : l’une destinée aux étapes cliniques (praticien) et l’autre destinée aux étapes laboratoires (prothésiste). Les composants cliniques sont :

– un pilier Cresco™ (à visser sur l’implant) qui s’apparente à un pilier conique pour prothèse vissée, disponible en deux hauteurs (0,7 et 2 mm) et en deux conicités (20° et 45°) ;

– une coiffe de protection à visser sur le pilier entre les séances pour protéger le pas de vis et éviter que les tissus mous ne viennent recouvrir le pilier ;

– un transfert d’empreinte (à visser sur le pilier) pour empreinte à ciel ouvert ;

– une vis pour visser la suprastructure terminée (prothèse d’usage) sur le pilier.

Les composants pour le laboratoire sont :

– une réplique de pilier ;

– une vis de travail pour les étapes laboratoire ;

– une gaine calcinable appelée wax tube. Elle peut être courbée, au-dessus d’une flamme, jusqu’à 17° pour rattraper un axe implantaire (fig. 2) ;

– une préforme support de bridge qui sera fraisée dans sa partie la plus coronaire puis qui sera soudée par laser à l’armature obtenue par coulée.

Avec le système Cresco™, il est possible de réaliser des armatures en alliage cobalt-chrome, en alliage de titane ou en alliage semi-précieux. Si l’armature est coulée en cobalt-chrome, les préformes supports de bridge à souder sur l’armature fournies dans les kits sont en cobalt-chrome. Si elle est en alliage de titane, le praticien commandera des kits avec des préformes supports de bridge en alliage de titane. En revanche, dans le cas d’une armature coulée dans un alliage semi-précieux, les kits Cresco™ correspondants proposent des préformes supports de bridge calcinables à couler dans le même alliage que celui utilisé pour l’armature.

Une maquette de fonderie est réalisée par le prothésiste de manière classique à l’aide de cire et/ou de résine calcinable autour des wax tubes vissés sur le maître moulage, puis l’armature coulée par la technique de la cire perdue est secondairement passivée. L’opération de passivation se déroule en deux temps. Dans un premier temps, l’ordinateur calcule la quantité de matière à enlever dans la partie apicale de l’armature obtenue par coulée et dans les parties coronaires des préformes supports de bridge (fig. 3). La partie apicale de l’armature, préalablement emprisonnée dans une contre-partie en plâtre, est fraisée par une machine-outil pilotée par l’ordinateur (fig. 4). Les parties coronaires des préformes supports de bridge vissées sur le maître moulage sont également fraisées (fig. 5). Le second temps consiste à réunir les préformes supports de bridge à l’armature par une soudure au laser (fig. 6).

Applications cliniques

Cas clinique n° 1

Un patient, âgé de 55 ans, portait un bridge complet maxillaire. Pour des raisons parodontales, aucune des dents maxillaires ne s’est révélée conservable. Dans un premier temps, les extractions ont été réalisées, suivies de l’insertion d’une prothèse amovible complète provisoire pour une période de 3 mois. La solution prothétique retenue pour le maxillaire a consisté en un bridge céramo-métallique transvissé de 12 éléments. Une chirurgie osseuse reconstructrice (comblement sinusien bilatéral et greffe d’apposition vestibulaire dans le secteur antérieur) a été nécessaire pour obtenir un volume osseux en adéquation avec le projet prothétique. À la mandibule, l’édentement de classe I sera traité par prothèses scellées sur implants.

Douze mois après la chirurgie pré-implantaire, 8 implants (Astra Tech OsseoSpeed) ont été posés au maxillaire (deux temps chirurgicaux) en position de 16, 15, 13, 11, 21, 23, 25 et 26 à l’aide d’un guide chirurgical, réplique de la prothèse amovible complète provisoire (fig. 7).

Cinq mois après la mise en place des implants, la mise en fonction a été effectuée et une courte période de cicatrisation des tissus mous a été observée. Les piliers Cresco™ ont alors été choisis et vissés à demeure sur les 8 implants, à l’aide d’une clé dynamométrique (15 Ncm). Les transferts d’empreinte livrés dans le kit Cresco™ ont été vissés sur les piliers (fig. 8). Le positionnement correct des piliers et des transferts a été vérifié par des radiographies rétroalvéolaires. Les transferts d’empreinte ont été reliés entre eux par un fil interdentaire puis par de la résine Pattern Resin® (GC). Après polymérisation, la poutre en résine ainsi obtenue a été fragmentée entre chaque transfert à l’aide d’un disque diamanté, puis les fragments ont été à nouveau solidarisés par des apports de résine pour compenser la rétraction de prise de la première polymérisation (fig. 9). Une empreinte à ciel ouvert a été réalisée avec un polyéther en double mélange (Penta Quick Soft®, 3M ESPE). Les répliques des piliers ont été vissées sur les transferts d’empreinte (fig. 10) et l’empreinte adressée au laboratoire pour réaliser la coulée d’un maître moulage avec fausse gencive. Une clé de validation fabriquée à l’aide de plâtre de type III et les transferts d’empreinte récupérés après coulée du maître moulage ont permis la validation en bouche par vissage (fig. 11) et par des clichés rétroalvéolaires. Dans la même séance, le moulage maxillaire a été transféré sur articulateur à l’aide d’un arc facial (fig. 12) et l’enregistrement de la relation mandibulo-maxillaire réalisé.

Au laboratoire de prothèses, un wax tube a été positionné sur chacune des répliques de pilier avec la possibilité d’anguler chacun d’eux jusqu’à 17° pour compenser de petites erreurs de positionnement des implants et favoriser l’émergence des puits de vissage dans les faces occlusales du bridge (fig. 13). La maquette de fonderie de l’armature a ensuite été construite par céraplastie en fonction de clés en silicone réalisées sur le montage directeur (fig. 14 et 15). La base des wax tubes doit être dégagée sur une hauteur de 3 mm pour permettre l’opération de passivation. L’armature a été mise en cylindre (fig. 16) et coulée de manière conventionnelle dans un alliage cobalt-chrome. La figure 17 montre les défauts d’adaptation de l’armature repositionnée sur le maître moulage après grattage.

Le travail a été envoyé dans un second laboratoire, équipé du système Cresco™, pour réaliser la passivation de l’armature. La fraiseuse à commande numérique a usiné la partie coronaire des préformes supports de bridge et la partie apicale de l’armature. La précision de cette opération est de l’ordre du micromètre. L’ensemble a été réuni par une soudure au laser.

Après vérification, l’armature a été renvoyée au laboratoire pour en assurer la finition sans intervenir sur les soudures sous peine de risquer une altération des propriétés mécaniques de l’ensemble (fig. 18 et 19).

L’armature a pu être essayée en bouche, mais cette étape n’est pas indispensable si toutes les étapes en amont ont été respectées. La céramique cosmétique a été stratifiée. L’essai du biscuit et les réglages occlusaux ont été effectués pour aboutir au glaçage et au polissage mécanique de la céramique (fig. 20 et 21). Le bridge a ensuite été vissé en bouche avec un tournevis spécifique aux vis Cresco™. Ce tournevis a permis de descendre dans des puits de vissage légèrement courbes. Les vis ont été serrées à 15 Ncm et les puits de vissage fermés avec une résine composite photopolymérisable (fig. 22 et 23).

Les radiographies rétroalvéolaires réalisées 1 an après l’insertion de la prothèse ont montré une parfaite adaptation du bridge sur les piliers (fig. 24).

Cas clinique n° 2

Un patient âgé de 73 ans, totalement édenté au maxillaire, portait une prothèse amovible complète maxillaire depuis de nombreuses années. Il est venu consulter pour savoir si une solution fixée était envisageable. Une réplique de sa prothèse amovible complète a été réalisée en résine transparente. Des repères radio-opaques en gutta-percha ont été compactés à chaud dans des puits objectivant les axes dentaires. L’examen tomodensitométrique montrait un volume osseux disponible suffisant pour poser 8 implants en position de 17, 13, 12, 11, 21, 22, 23 et 27, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une chirurgie pré-implantaire. Cependant, la résorption centripète du maxillaire ne permettait pas de réaliser un bridge céramo-métallique comme pour le cas clinique précédemment exposé. La solution d’un bridge sur pilotis a été retenue. Huit implants (Astra Tech OsseoSpeed®) ont été posés et mis en nourrice pendant 5 mois (fig. 25). Après mise en fonction et observation d’une période de cicatrisation des tissus mous, les piliers Cresco™ ont été vissés à demeure sur les implants et l’empreinte a été réalisée selon la méthode décrite précédemment (empreinte à ciel ouvert avec des transferts d’empreinte solidarisés avec de la résine). La qualité de l’empreinte a été vérifiée par une clé de validation en plâtre vissée en bouche et contrôlée radiographiquement.

Les moulages de travail ont été transférés sur articulateur. Un montage directeur a été élaboré (fig. 26) et validé en bouche.

La maquette de fonderie a été conçue de manière conventionnelle par céraplastie autour des wax tubes fournis dans les kits Cresco™ (fig. 27). Les vis des transferts d’empreinte repositionnées sur le maître moulage ont montré la divergence des implants en position 17 et 27 par rapport aux implants posés dans le secteur antérieur (fig. 28). La possibilité de pouvoir courber légèrement les wax tubes a permis de rattraper ces divergences d’axes. Pour construire l’armature en fonction du volume final de la restauration prothétique, le prothésiste s’est aidé de clés en silicone réalisées sur le montage directeur (fig. 29). La maquette de fonderie a été mise en cylindre et coulée dans un alliage cobalt-chrome. Les défauts de passivité de l’armature, après coulée, sont clairement visibles (fig. 30). Le travail a été adressé au laboratoire équipé du système Cresco™ pour la passivation (fig. 31 et 32). Puis de retour dans le laboratoire habituel du praticien, le montage des dents sur cire a été réalisé (fig. 33). Après essayage en bouche de l’armature et du montage, la prothèse a été polymérisée. L’insertion finale a été faite par vissage à 15 Ncm des 8 vis de prothèse, puis fermeture des puits de vissage à l’aide de résine composite photopolymérisable (fig. 34 à 36).

Discussion

La recherche d’une passivité la plus parfaite possible des prothèses transvissées sur implant est une obsession clinique. Cependant, le niveau d’imprécision au-delà duquel les problèmes vont apparaître est encore mal défini. D’un point de vue biologique, la complication redoutée est la perte d’ostéo-intégration. Si les études d’analyse par éléments finis montrent qu’un défaut de passivité est susceptible d’entraîner des contraintes importantes au niveau de l’os péri-implantaire [1, 2, 3, 4, 5], les résultats des études in vivo sont contradictoires [6, 7] et les études cliniques [8] ne parviennent pas à mettre en évidence une corrélation entre pertes osseuses et défauts de passivation. Les complications susceptibles de survenir lorsqu’il existe un défaut de passivité de l’armature sur les implants ou les piliers seraient plutôt d’ordre mécanique : dévissage, fracture de vis, fracture de l’armature et/ou du cosmétique.

Dans une étude récente, Mitha et al. [9] montrent que les armatures de bridge complet implanto-porté coulées par la technique de la cire perdue présentent systématiquement des défauts de passivation importants. Les imprécisions observées sont comprises entre 416 et 477 µm [9]. Le problème est d’autant plus pernicieux que les défauts d’adaptation de l’armature ne sont pas homothétiques dans les trois dimensions de l’espace [9].

Le système Cresco™ a montré son efficience à corriger les défauts liés à la coulée de l’armature et à limiter l’apparition des complications cliniques d’ordre mécanique [10, 11, 12, 13]. Les études in vitro montrent que la précision d’adaptation d’une armature passivée à l’aide du système Cresco™ est comparable à celle d’une armature usinée par le procédé Procera® (Nobel Biocare), c’est-à-dire de l’ordre de 20 et 30 µm [14, 15, 16]. Ces mêmes études confirment que les précisions obtenues avec les procédés Cresco™ ou Procera® sont supérieures à celle d’une armature coulée par la technique de la cire perdue [15, 16, 17].

Conclusion

Le système Cresco™ est compatible avec 17 marques d’implants. Il s’adresse à des cas de prothèse de bridges transvissés. Il peut être utilisé pour de petits bridges, à partir de deux implants adjacents. Mais l’intérêt de ce système prend tout son sens pour les armatures de grande étendue dont la coulée par la technique de la cire perdue est hasardeuse. Ce procédé, qui permet également de récupérer un axe implantaire légèrement divergent par rapport au couloir prothétique, constitue une solution de remplacement séduisante aux procédés d’usinage.

Remerciements : Laurent Cotret et Philippe Huet, Laboratoire de prothèse dentaire Saint-Rémi Dentaire (Reims), Laboratoire de prothèse dentaire Odontech (Valenciennes).

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