Les cahiers de prothèse n° 159 du 01/09/2012

 

Prothèse amovible complète (ou totale)

Michel Pompignoli*   Didier Raux**   Jean-Yves Doukhan***  


*DSO, ancien assistant de la
faculté de Chirurgie dentaire, Paris 5

**Prothésiste dentaire, ancien chef de
laboratoire de la faculté de Chirurgie dentaire, Paris 5

***Maître de conférences des
universités, Faculté de Chirurgie dentaire, Paris 7

Résumé

Cet article issu de l’ouvrage Prothèse complète. Clinique et laboratoire, décrit dans l’ordre chronologique les doléances des patients totalement édentés appareillés. Pour chacune d’elles les causes sont analysées et leur traitement est abordé temps par temps. Les séquences de rebasage et de réfection totale des bases prothétiques font l’objet d’un développement particulièrement détaillé, illustrées par de nombreuses situations cliniques.

Summary

Complaints of the patient completely toothless paired

This article, extract of the work of M Pompignoli, JY Doukhan, D Raux Prothèse complète. Clinique et laboratoire chapter 14. (4e edition) Guide clinique Editions CdP 2011, described in the chronological order the complaints of edentulous patients wearing a new complete denture. For each one of them the causes are analyzed and their treatment is approached step by step. The sequences of relining or total repair of the prosthetic bases are the object of a particularly detailed development, illustrated by many clinical situations.

Key words

removable complete denture, patient complaints, redoing, relining denture base

Bien au-delà de l’aspect purement thérapeutique et moral de nos responsabilités, il existe, dans le contexte social actuel, une composante relationnelle avec les patients, qui peut bien souvent devenir conflictuelle. Le traitement du patient totalement édenté ne fait pas exception. En dehors même des demandes d’ordre esthétique où la jurisprudence nous réclamerait une obligation de résultat et non de moyen, les doléances du patient totalement édenté sont une source de déboires compliquant les rapports de confiance patient/praticien, indispensables à l’intégration fonctionnelle et psychologique de nos traitements.

Les interminables séances de « réglage » qui suivent la mise en bouche des prothèses pourraient singulièrement se réduire par la connaissance de quelques notions simples. Le patient totalement édenté est un malade gravement handicapé :

–physiquement : disparition des fonctions liées à la présence de dents (perte de la « butée » occlusale, du soutien des lèvres, des joues, étalement de la langue) ;

– psychologiquement (vie affective) ;

– socialement (importance du sourire dans la vie relationnelle, du « paraître »).

On ne peut pas remplacer intégralement les dents disparues. On construit modestement des outils compatibles avec la vie quotidienne. Trop de patients attendent qu’on leur restitue leurs dents naturelles, celles de leurs vingt ans. Le praticien doit dominer sa technique et l’appliquer consciencieusement, et le patient ne doit pas attendre l’impossible de nos traitements. En corollaire, si la prothèse « d’excellence » existe, elle demeure une prothèse. Si elle est ressentie comme un objet étranger, le patient doit travailler à l’adopter en s’adaptant à son utilisation. Il faut distinguer les doléances justifiées, des doléances injustifiées.

Parmi les premières, le praticien doit faire un diagnostic entre :

– les doléances contre lesquelles on ne peut rien et qui sont liées à l’existence même des prothèses. Celles-ci dépendent de la fourchette d’adaptation de chacun. Elles sont à la limite des doléances injustifiées ;

– les doléances dues à des erreurs minimes, à des défauts incontrôlés. Elles font l’objet de ce chapitre. En trouver la cause est parfois délicat, mais le remède est souvent simple ;

– enfin, les grosses erreurs qui imposent de recommencer l’ensemble du traitement. Tout essai d’amélioration est voué à l’échec. Savoir le reconnaître au bon moment permet de conserver la confiance du patient, d’économiser des désagréments et du temps de travail.

Les doléances injustifiées relèvent d’une autre compétence que celle de l’odontologie. Elles sont d’ordre psychologique et demandent un diagnostic précoce. Aucun traitement ou amélioration a posteriori ne sauraient apporter une solution à ces pathologies.

Cet article se propose d’aborder les doléances justifiées en prothèse amovible complète, en suivant un plan simple et pratique, issu de la chronologie de leur apparition, dans les séances qui suivent la mise en bouche des prothèses, d’en rechercher et d’en expliquer les causes pour fournir un aménagement, sinon un remède. Ce plan nous a été proposé par le regretté Pr Maurice Navarro, à qui nous voudrions rendre à nouveau hommage en cet instant.

Doléances immédiates

Les doléances immédiates sont celles dont le patient parle le jour même de la mise en place. On a bien sûr fait toutes les vérifications et tests inhérents à cette séance de mise en bouche. Quand tout est terminé et que l’on a donné les conseils d’usage, on laisse la parole au patient pour ces doléances immédiates. On aura su écouter les inquiétudes qui ne manquent pas de se manifester pendant les différentes séances de travail, et leur apporter une réponse, sinon une espérance.

On note 6 doléances, décrites par ordre d’importance.

Instabilité (fig. 1)

Le praticien doit distinguer d’emblée l’instabilité en occlusion de celle sans contact entre les deux arcades artificielles. Temporiser dans le second cas car la rétention (c’est d’elle dont il s’agit en cet instant) n’est pas encore effective. En revanche, contrôler l’équilibre occlusal dans le premier : une équilibration immédiate permet de rechercher simplement un trépied stable au niveau des 5 et des 6, centres d’équilibre des bases, en occlusion centrée. Ne pas oublier que les prothèses doivent « faire leur lit ».

Des prothèses qui « tiennent », c’est le vœu le plus partagé parmi nos patients. Rien d’étonnant alors qu’ils s’appliquent à en éprouver la réalité à peine sont-elles mises en bouche.

Esthétique (fig. 2)

La lèvre supérieure apparaît souvent en avant ou gonflée. Muscles et téguments n’ont pas encore assimilé le nouveau volume prothétique. Dans ce cas, parler de « cellulite » qui déforme la peau, notion que les patients appréhendent très bien. Les dents sont alors trop visibles, trop longues. Il faut temporiser et attendre l’effet produit sur l’entourage.

Quelquefois, le changement apporté par la nouvelle prothèse peut effrayer certains patients timides. Il est alors habile de leur conseiller d’aller chez le coiffeur le jour de la mise en bouche, avant le rendez-vous.

Inconfort, encombrement (fig. 3)

La doléance d’inconfort ou d’encombrement est réelle, aussi bien pour un renouvellement que pour des premières prothèses.

Les prothèses remplacent en théorie un volume disparu (os et dents) mais viennent en surcontour au niveau du palais et des volets linguaux. La sensation d’un encombrement sous-nasal est fréquent. Le bord antérieur des bases est bien souvent surévalué.

L’adaptation est aisée au bout de quelques heures, voire de quelques jours. On peut anticiper pour contrer cette doléance en montrant dès l’empreinte primaire quel sera le volume de la nouvelle prothèse (fig. 4).

Nausées (fig. 5)

Il est bien rare de découvrir un réflexe nauséeux le jour de la mise en bouche. Dans les cas extrêmes, appliquer une pommade contenant un anesthésique de surface (Dynexan, de Pierre Fabre) donne des résultats inconstants. Certains patients perçoivent une sensation d’objet étranger qui provoque l’inverse de l’effet escompté). Temporiser, rassurer, faire exécuter des exercices de respiration : la relaxation, la mise en confiance sont les meilleurs remèdes à ce stade.

Il ne faut pas toucher au joint postérieur, sous prétexte que le patient se sente encombré ou qu’il mette en avant une difficulté à avaler.

Troubles de la phonation (fig. 6)

L’absence de troubles de la phonation, en revanche, est exceptionnelle. Le praticien doit rassurer le malade et, mieux, le prévenir.

Il faut savoir que la gêne disparaît presque aussitôt, sauf quand le volume de la nouvelle prothèse est très éloigné de celui de l’ancienne ou quand un changement important est intervenu dans la dimension verticale d’occlusion. L’explication rassure et conserve la confiance.

Hypersalivation

L’hypersalivation est également de règle. Pour les mêmes raisons que dans les troubles de la phonation : l’inconfort ou l’encombrement du nouveau volume prothétique.

Dans cette première séance, il convient de toujours temporiser, à moins de graves erreurs. Il faut par contre parler longuement au patient et lui donner des explications. L’utilisation d’images ou de comparaisons est souvent très utile :

– « vous avez besoin d’apprendre à vous servir de vos nouvelles prothèses » ;

– « n’essayez pas tout de suite d’éprouver leurs limites. Nous allons les adapter à vous, vous devez vous faire à elles ».

Aller trop vite, c’est risquer la blessure longue à cicatriser.

Deux conseils pour le comportement du praticien :

– montrer une assurance qui rassure ;

– écouter et croire tout ce qui est confié.

Le patient a tendance à exagérer ses doléances, car il a peur de ne pas être entendu. Il est inquiet car ses espoirs sont souvent déçus.

Tous ces conseils bien donnés dans un climat de confiance sont le gage de la réussite du traitement.

Le patient va quitter le cabinet après cette longue séance de mise en bouche. Un dernier impératif s’impose : le patient ne doit pas conserver avec lui ses anciennes prothèses. Cette règle ne peut souffrir aucune exception. Devant un patient résistant (agressivité ou séduction !), il faut montrer une fermeté sans équivoque et ne pas hésiter à le menacer de reprendre les nouvelles prothèses, dans les cas extrêmes. Un conseil : ne laissez pas les anciennes prothèses sur la table de travail ; demandez à votre assistante de les dissimuler au regard du patient.

Quand une obligation incontournable existe, il vaut mieux différer la séance de mise en bouche et la reporter, en accord avec le patient, à une période plus favorable.

Doléances exprimées dans les séances ultérieures

Ce sont là les séances qui vont réellement donner la parole au patient. Ce dernier aura subi l’influence de son entourage qui n’est malheureusement pas toujours bienveillant ! Écouter, croire ne peuvent que faire perdurer le climat de confiance établi et conservé tout le long du traitement.

Instabilité des prothèses

L’instabilité des prothèses présente deux aspects bien distincts en fonction de son origine. Elle relève soit d’un manque de rétention, soit d’une perte de rétention.

• Le manque de rétention se conçoit simplement et est mis en évidence en vérifiant l’efficacité des éléments de rétention (joints périphérique, postérieur et sublingual). Il faut savoir que cette rétention statique peut très bien exister le jour de la mise en bouche et disparaître dans le temps et inversement. Un équilibre occlusal imparfait est à l’origine d’une telle doléance.

• La perte de rétention est plus délicate à appréhender du fait d’origines multiples. La rétention est perdue par tout élément ayant pour effet de déplacer une base sur sa surface d’appui : contact prématuré dans quelqu’une des positions inter-occlusales, interférence fonctionnelle sur un bord sur-étendu, action perverse d’une activité parafonctionnelle (tics, jeu, habitudes…).

• Les équilibrations médiates qui s’appliquent dans la période d’adaptation des prothèses doivent permettre de retrouver cette rétention qui était de mise à l’origine.

À cet effet, la perte d’efficacité du joint postérieur, appréciée par le test de traction rétro-incisif (fig. 7), doit faire penser à réaliser une rectification occlusale en rétropulsion qui a pour conséquence de recentrer les forces interocclusales sur les dents 5 et 6, centre d’équilibre des bases. Cette opération a un effet rapide, estimé en effectuant le test après chaque meulage.

Attention : le malade ne sait pas faire la différence entre :

– absence de rétention ;

– et perte de rétention, résultat de l’instabilité des bases provoqué soit par un déséquilibre occlusal (interférence ou prématurité), soit par une surextension des bords sur une des fonctions de l’appareil manducateur.

C’est au praticien de faire le diagnostic différentiel de la cause de l’instabilité, sachant qu’elle s’accompagne le plus souvent de blessures ou d’irritations et qu’elle demande des remèdes différents.

Rétention insuffisante ou inexistante

La mobilisation des bases intervient, les prothèses en inocclusion, bouche semi-ouverte. C’est le résultat :

• au maxillaire, de joints périphérique et postérieur inefficaces. Une résistance doit exister quand on appuie sur le bord des incisives, et sur les cuspides vestibulaires des dents au centre d’équilibre des bases ;

• à la mandibule, d’un joint sublingual inopérant. L’efficacité du joint sublingual se vérifie par une traction derrière les incisives et par une poussée sur leur face vestibulaire ;

• aux deux maxillaires :

– de bords très sous-étendus, ou de surextensions très importantes ;

– d’une erreur de la qualité de la sustentation sur les surfaces d’appui,

• soit par un manque de décharge de crêtes flottantes, soit par compression de zones élastiques (zones de Schrœder, palais mou au niveau du joint postérieur, trigones). Un joint vélo-palatin trop creusé, trop compressif, expulse la base de ses surfaces d’appui.

Tous ces éléments peuvent êtres aggravés par la présence d’une salive trop fluide ou rare (xérostomie).

La salive, nous l’avons déjà signalé, est un élément essentiel à la rétention des prothèses.

L’hyposialie, insuffisance de sécrétion salivaire, peut être améliorée plus ou moins de façon satisfaisante par des gestes simples comme faire sucer des bonbons acidulés, boire beaucoup. L’acupuncture décrit un point sensible situé sous la lèvre inférieure, dans la partie la plus déclive du menton. L’inconfort et la gêne induits par le manque de salive justifient toutes ces propositions de traitement.

La prescription de Sulfarlem®, ou de substituts salivaires : gamme Biotène® de GSK en gel, bains de bouche ou spray, salive artificielle AFNOR, Artisial, trouve ici une indication judicieuse.

Certains d’entre eux contiennent des agents adhésifs. L’utilisation des colles doit rester la prescription du praticien. En aucun cas elle ne doit être le moyen de pallier une insuffisance de traitement. Cette prescription reste judicieuse quand son indication est justifiée par des situations cliniques extrêmes dans le but d’améliorer la qualité de vie des patients.

L’absence totale de salive entraîne un véritable handicap, surtout qu’elle s’accompagne souvent de sensations de brûlures, douleurs qui aggravent cette pathologie. Boire à intervalles réguliers et de multiples fois dans la journée peut diminuer son inconfort.

Les surpressions sont également mises en évidence par l’utilisation d’un matériau d’empreinte fluide que l’on met sur l’ensemble de l’intrados prothétique. Les zones de pression visibles sont meulées avec beaucoup de prudence et après un diagnostic bien posé.

Pour les insuffisances importantes (joints et sous-extensions), une réfection de base est le plus souvent nécessaire.

Réfection des bases prothétiques

Définitions

La réfection des bases consiste à remplacer l’intégralité de la base en résine d’une prothèse maxillaire ou mandibulaire. Le rebasage, quant à lui, consiste à adjoindre une couche d’un produit, souple ou dur, dans l’intrados de la base. Sans stabilité dans le temps, ce ne sont que des solutions temporaires. La démarche est différente lorsqu’il s’agit du maxillaire ou de la mandibule. En effet, au moment de la mise en place de la base chargée du produit d’empreinte, son confinement entraîne des pressions sur les surfaces d’appui qui peuvent se manifester soit par des blessures ultérieurement, soit par une translation vers l’avant de la base au moment de l’empreinte, ce qui a pour conséquence une erreur de RIM une fois la prothèse polymérisée.

Ce confinement a moins d’influence à la mandibule, de par sa surface plus « ouverte ».

Dans les développements qui suivent, nous ne décrirons que la réfection des bases indiquée dans le but de réadapter un traitement soit mal conduit, soit résultant d’une modification dans le temps des données cliniques (RIM, surfaces d’appui…).

Clinique

Aménagement préalable des bases prothétiques

On peut être amené dans un premier temps à étendre, allonger, agrandir la surface de la prothèse. Une résine dure peut être utilisée directement en bouche sous le contrôle du praticien.

• À la mandibule

Ces modifications peuvent intéresser les volets linguaux ou le vestibule (poches de Fisch) (fig. 8, et 10).

On peut également chercher une adaptation plus étroite avec la surface d’appui, par exemple au niveau des volets linguaux (fig. 11).

• Au maxillaire

Il s’agit le plus souvent de rallonger la limite postérieure de la base qui affecte l’efficacité du joint vélo-palatin. Une technique, décrite par le Pr Devin, permet de corriger cette insuffisance en bouche.

En faisant prononcer le « Ah » grave, on détermine la limite distale de la zone de flexion du voile, située généralement 2 mm en arrière des fossettes palatines. Cette limite est marquée en bouche à l’aide d’un crayon dermographique (fig. 12).

Un morceau de feuille de cire est placé et collé sur l’extrados de la base au niveau de la voûte palatine pour servir de support à la résine chémopolymérisable.

La base chargée de résine est mise en place. Après durcissement, les excès sont éliminés pour ajuster la base à la limite retenue (fig. 13).

On peut bien sûr prendre une empreinte à l’alginate de la prothèse en place et la rallonger sur le modèle en plâtre qui en est issu, en respectant le tracé qui est imprimé sur l’alginate et reporté sur le plâtre.

De la même manière, on peut effectuer ces modifications en regard des tubérosités ou au niveau d’une zone vestibulaire très sous-étendue en évitant toute surextension sur les tissus environnants (freins, ligaments…).

Une fois les limites rectifiées et correctes obtenues, la réfection de base proprement dite peut être effectuée. Il s’agit de prendre en quelque sorte l’empreinte de la surface d’appui avec un porte-empreinte (la prothèse) qui, en réalité, a déjà été réalisée au moment de l’empreinte secondaire. On peut dire qu’il s’agit d’une empreinte tertiaire.

La réfection des bases : l’empreinte de surfaçage

Il peut s’agir parfois d’un simple surfaçage avec un produit très fluide (type polyéthers, Permadyne bleue ou silicone light) (fig. 14). Il est indispensable d’enduire la résine de l’adhésif correspondant.

Le plus souvent cependant, il s’avère nécessaire d’adapter les bords de la prothèse au plus près des limites fonctionnelles, voire d’influencer les organes périphériques (sustentation quantitative) ou bien encore d’aménager la surface d’appui (sustentation qualitative) pour majorer la sustentation de la prothèse. L’utilisation des résines retard trouve ici sa pleine indication.

Les figures qui suivent décrivent les temps par temps de la démarche clinique et de laboratoire (fig. 15, et 17).

Le maxillaire

En présence de crêtes édentées fortement prononcées, qui sont matérialisées par des contre-dépouilles importantes, un meulage de l’intrados est indiqué pour une désinsertion aisée sans risque de fracture de la base une fois mise en moufle.

L’étape de laboratoire (fig. 15 et 16) consiste à éliminer entièrement la base en résine d’une prothèse tout en conservant le montage des dents.

Avant de prendre l’empreinte de réfection, le praticien aura pris soin de supprimer les contre-dépouilles éventuelles de l’intrados de la prothèse.

Tous les produits utilisés sont ceux décrits pour la mise en moufle des prothèses.

La mandibule (fig. 17)

Formes cliniques (fig. 18, , , , , et 24).

Ce qu’il faut retenir

Le surfaçage consiste en un lavis avec un produit de très faible viscosité. Les produits « super light » utilisés pour enregistrer les préparations dentaires conviennent parfaitement. La Permadyne bleue, de la gamme des polyéthers, a un comportement favorable au moment du surfaçage. L’espace dévolu au matériau de cette empreinte « tertiaire » est réduit dans l’intrados prothétique. C’est surtout aux dépens des bords que le gain est recherché.

L’indexation du RIM est indispensable. Elle permet de repositionner les deux prothèses au laboratoire et éventuellement d’effectuer des ajustements occlusaux.

Effectuée avant l’empreinte, elle permet de valider le bon positionnement de la base : elle est chargée du matériau d’empreinte, insérée et positionnée manuellement par le praticien. Immédiatement après, le patient est invité à serrer et retrouver les indentations de la clef, vérifiant et confirmant leur juste emplacement, quand l’instabilité d’une base est redoutée. Dans le cas inverse, en présence de reliefs bien marqués, cet enregistrement peut être effectué après la prise du matériau d’empreinte.

D’autre part, quand une étape de mise en condition tissulaire et occlusale a précédé l’empreinte de réfection de base, il est préférable d’enregistrer cette clef avant l’empreinte de surfaçage, cette mise en condition ayant, et c’est le cas le plus souvent, modifié plusieurs paramètres fonctionnels et le RIM en particulier (fig. 25).

La réfection d’une ou des deux bases prothétiques est un moyen d’assurer dans le temps la pérennité de nos traitements.

Instabilité dynamique

Dans le cas d’une instabilité dynamique, il y a rétention mais les prothèses sont mobilisées par les mouvements fonctionnels du patient. Il y a perte de rétention (le joint postérieur ou le joint périphérique perdent soudain leur efficacité, un mouvement de la langue soulève la base), et la recherche de la cause précise à l’origine de cette doléance est essentielle. Celle-ci intervient-elle :

Pendant la phonation et les mimiques ?

L’enregistrement des mouvements des organes para-prothétiques n’a pas pris en considération certains mouvements ou, plus simplement, leur amplitude, et a pour résultat des surextensions sur la fonction.

Elles sont corrigées en utilisant un matériau révélateur (Disclosing Wax®, silicone fluide type Fit Checker®) (fig. 26).

Les incisives et canines mandibulaires, quand elles sont positionnées trop à l’extérieur des crêtes, sont à l’origine d’une instabilité de la base mandibulaire. L’orbiculaire des lèvres, par sa puissance, déloge la base dès l’instant de l’ouverture buccale (fig. 27).

Il convient d’interroger le patient et de profiter de son aide dans la recherche précise du geste qui mobilise la base : est-ce le rire, le bâillement, une grimace, la prononciation de certains phonèmes (le « AH » grave) ?

Les remèdes consistent à refaire les tests d’enregistrement des limites des bases, en s’aidant d’un révélateur de pression et à corriger les surextensions interférentes.

Il faut porter une attention toute particulière à l’examen des surfaces polies stabilisatrices. Ce sont en effet les appuis nécessaires à l’émission de certains phonèmes ou à la formation de mimiques.

Dans les cas rebelles, il ne faut pas hésiter à recourir aux empreintes phonétiques intégrales de Devin ou semi-intégrales à l’Adheseal®, ou à utiliser les résines retard qui sont d’assez bonnes révélatrices de surextension sur les fonctions, en empreinte ambulatoire (fig. 28).

Au cours des contacts interdentaires ?

À vide : une mauvaise équilibration caractérisée par des contacts prématurés entraîne une perte de rétention secondaire. Il faut contrôler l’existence de contacts simultanés inter-arcade :

– en intercuspidation maximale, de part et d’autre de l’arcade au centre d’équilibre des bases (fig. 29) ;

– en propulsion, un contact antérieur et deux autres postérieurs au niveau des secondes molaires semblent suffisants. Une prématurité antérieure en propulsion s’accompagne souvent d’une douleur ou d’une blessure, au niveau de la papille bunoïde et/ou du frein médian supérieur ;

– en latéralité, il faut, dans tous les cas, obtenir au minimum le fameux trépied stabilisateur, deux contacts, côté travaillant et un contact, côté équilibrant.

Il existe parfois une doléance relative au manque de contact en bout à bout incisif ; elle est formulée de façon bien différente selon les patients : « je ne peux plus couper du fil…, je ne peux plus manger des artichauts… » Les contacts postérieurs étant corrects, un meulage judicieux du bord libre d’une seule dent prothétique, sans modifier le schéma occlusal de la propulsion, résout ce genre de problème.

L’équilibration des prothèses au papier à articuler épais, puis de plus en plus fin au fur et à mesure que l’équilibre s’affine, amène le retour d’une rétention objectivable par le patient.

Ces doléances s’accompagnent souvent de blessures et de douleurs. Attention, le malade ne comprend pas que l’on meule ses dents alors qu’il est certain d’avoir mal « aux gencives ».

À la mastication : ces griefs sont le résultat d’erreurs de montage au laboratoire : les dents sont situées en dehors du polygone de sustentation et engendrent des composantes déstabilisatrices (fig. 30).

Il faut savoir que les forces de rétention ne peuvent résister aux forces développées pendant la mastication et s’opposer au déséquilibre des bases.

Il est difficile de corriger de telles erreurs. Cependant, le meulage d’une cuspide ou d’un versant vestibulaires peut réorienter favorablement les résultantes occlusales.

Mobilisation des bases par jeu

La doléance concernant la mobilisation des bases par jeu est le résultat :

– d’une mauvaise rétention de la base inférieure ;

– d’un joint sublingual mal situé (soit la langue s’insère au-dessous, soit trop volumineux, soit convexe) ;

– d’une béance antérieure trop importante (la lèvre inférieure et la langue s’interposent) ;

– d’un malade qui suce ses prothèses comme s’il s’agissait d’un noyau d’olive.

Cette doléance peut prendre des aspects très différents en fonction des patients : différents bruits de succion des bases, claquements sonores, grincements… C’est l’entourage qui est souvent victime de ces manifestations disgracieuses.

Les patients qui se crispent sur leurs prothèses avec des forces importantes provoquent à long terme des résorptions significatives qui entraînent une perte de rétention.

Persistance des doléances immédiates

Sans aggravation

• Inconfort de la langue

Les dents sont trop lingualées par le non-respect de la règle de Pound. Le remède consiste à meuler la face linguale des dents inférieures. Augmenter modérément la concavité des volets linguaux ajoute du confort et de l’espace à la langue (fig. 31).

• Inconfort des lèvres

Cet inconfort peut se manifester par une gêne à siffler, à se moucher, à se raser pour les hommes, à passer leur rouge à lèvres pour les femmes.

Il faut rechercher une surextension labiale inférieure et/ou supérieure ou une surépaisseur des bords à cet endroit. Une insuffisance de profondeur de l’échancrure frénale peut être à l’origine de doléances de cet ordre.

Les causes sont éliminées par meulages prudents et répétés, pour éviter de perdre l’efficacité rétentive du joint périphérique. Il faut s’aider de révélateur d’interférence.

• Nausées

S’il s’agit de nausées provoquées par la présence des prothèses, il faut rechercher une interférence entre la prothèse et une zone réflexogène. Celle-ci correspond à la partie postérieure du dos de la langue, en regard du joint vélo-palatin.

Dans ce cas, il faut rechercher :

– un bord postérieur trop épais, qui « accroche » le dos de la langue ;

– une surévaluation de la dimension verticale d’occlusion.

La fatigue du port des prothèses en surdimension verticale se concrétise en fin de journée par l’apparition de phénomènes de nausées qui accompagnent des signes de fatigue musculaire et d’hypersalivation.

Si le joint postérieur est inefficace, la rétention insuffisante entraîne une insécurité et le patient traduit son angoisse par des nausées.

Il est important de convaincre le patient que ce phénomène va disparaître. L’application des techniques de relaxation, de décontraction et de contrôle de soi apporte une aide non négligeable dans la résolution de ces doléances. Parfois c’est la gêne, l’encombrement, qui provoquent l’angoisse d’étouffement. Il suffit alors ­d’expliquer au patient que la respiration se fait normalement par le nez et de lui proposer des exercices de ­respiration bouche fermée. Une fois le patient rassuré, l’angoisse s’estompe et, par voie de conséquence, la nausée disparaît.

Avec aggravation

Pour les doléances immédiates avec aggravation, il s’agit essentiellement de toute la pathologie des blessures, des douleurs et des irritations.

•  Blessures et irritations

Pour les mettre en évidence, il faut obliger le malade à porter ses prothèses au moins 24 heures.

On comprend l’importance de confisquer temporairement les anciennes prothèses : c’est le seul moyen de s’assurer que les nouvelles seront portées.

Il faut toujours rattacher une blessure à une cause :

– soit occlusale, à vide ou au cours de la mastication ;

– soit à la base : intrados, extrados, limites (épaisseur ou longueur).

En règle générale, il ne faut jamais rectifier une base avant d’avoir vérifié les rapports occlusaux. C’est seulement quand on est sûr de la validité de l’occlusion que l’on peut retoucher les bords des bases, en regard d’une blessure ou d’une irritation.

On utilise à cet effet un révélateur (Fit Checker®) sur les bords et l’intrados.

Le produit est déposé sans surépaisseur et la prothèse est remise en bouche. Le praticien exerce alors une pression modérée au niveau du centre d’équilibre des bases, puis le patient est invité à serrer les dents avec délicatesse et enfin à effectuer les gestes et mimiques, en relation avec la cause de la blessure. La prothèse est déposée au bout de 2 à 3 minutes, la cire étant ramollie. La zone incriminée apparaît clairement et le meulage doit être prudent et pondéré. La manœuvre sera répétée autant de fois qu’il reste une zone sans cire marquant l’interférence.

• Traitement des blessures

Il existe une corrélation entre blessure et instabilité des bases. Une même étiologie, occlusion ou sustentation, peut se manifester soit par une blessure, quand la rétention est suffisante pour maintenir la base en place, soit par sa désinsertion dans le cas contraire.

• Mise en évidence de l’étiologie des blessures

La localisation de la blessure donne déjà une indication sur sa cause. Une origine occlusale se manifeste par une blessure sous la base prothétique, une surextension sur son bord (fig. 32).

Une prématurité ou interférence occlusale provoque une blessure sous-jacente homolatérale mais aussi de l’autre côté de l’arcade du fait de la mobilité des bases sur les surfaces d’appui. Cela est d’autant plus observé que la muqueuse est fine et peu encline à « encaisser » les pressions.

Les exemples suivants illustrent ces différentes situations.

• Blessures et occlusion (fig. 33, , , , , , , , , , et 44)

• Blessures et limites fonctionnelles

Une fois l’étiologie occlusale éliminée, les blessures prennent leur origine sur les limites fonctionnelles des bases.

C’est un mouvement, une parafonction qui sont responsables. Tout comme les interférences qui déstabilisent la base, celles qui génèrent les blessures sont parfois difficiles à mettre en évidence.

Une fois encore, l’usage d’un révélateur est indispensable. Les images qui suivent illustrent des exemples de blessures en regard de surextensions sur les limites fonctionnelles et leur traitement (fig. 36, , , , , et 42).

Il faut agir toujours avec modération et ne pas meuler à l’aveugle. La partie blessée est tuméfiée et se présente avec un gonflement qui augmente son interférence.

Le patient qui souffre attend beaucoup de cette séance. Il a une certaine propension à exagérer sa douleur. Il convient de l’écouter mais de se limiter à l’observation des signes cliniques. Il ne faut pas par exemple lui demander si ce meulage que vous venez de faire a fait disparaître la douleur. Sa réponse est toujours négative. Par contre, lui demander s’il ressent un soulagement peut mieux orienter sur la démarche à suivre.

La disparition d’une blessure et de la douleur qui l’accompagne amène le patient à utiliser son outil d’une manière différente, ce qui peut devenir alors l’origine d’une nouvelle blessure…

Ne pas oublier de faire le diagnostic différentiel avec les maladies de la muqueuse buccale : aphtes, bulles, lichen, brûlures… De plus, il peut exister des douleurs sans blessure sur la totalité des crêtes, au niveau des articulations temporo-mandibulaires, des paresthésies par irritation d’un filet nerveux mentonnier, une stomatodynie ou encore, une irritation mécanique de la muqueuse buccale, résultant d’une bruxomanie.

•  Gêne à la déglutition

Douleurs, blessures : c’est la fameuse sensation d’angine qui conduit certains patients chez leur médecin. La prothèse est responsable d’un tableau clinique souvent sans aucune mesure avec la blessure. Il faut rechercher :

– des volets linguaux trop étendus en arrière ou en bas, ou trop épais ;

– un joint postérieur trop long, trop comprimant ou trop tranchant. Attention à ne pas le faire disparaître par des rectifications excessives.

Inconfort : il faut rechercher :

– une erreur de dimension verticale d’occlusion ou de rapport intermaxillaire provoquant une absence de stabilité occlusale ;

– une erreur de situation du plan d’occlusion qui peut provoquer une morsure de la langue, ou un glissement des bases ;

– un joint sublingual mal situé.

•  Gêne à l’articulation des phonèmes

Les 17 muscles de la langue jouent sur le clavier de la denture naturelle. Cette image montre la corrélation entre la langue la phonation. Le tableau ci-dessous résume les principales doléances phonétiques et leurs causes.

Il est possible de mettre en évidence les surfaces interférentes en utilisant des matériaux révélateurs comme les silicones très fluides.

Les cas difficiles sont traités par des empreintes tertiaires phonétiques.

• Esthétique

Les griefs concernant l’esthétique sont certainement les plus empreints de subjectivité. Voici les doléances les plus souvent rencontrées :

– dents trop longues ;

– dents trop jaunes ;

– dents trop ou trop peu visibles ;

– béance fonctionnelle non acceptée et incomprise ;

– malpositions prises pour des erreurs.

À ce stade, il est difficile de faire des modifications essentielles. Cependant, on peut changer le bloc incisivo-canin si la teinte n’est plus acceptée. Mais il ne faut pas oublier que le montage a été avalisé au moment de l’essai fonctionnel et lors de la mise en bouche. Il faut savoir montrer son assurance et ne pas se compromettre dans une concession qui peut être assimilée à une capitulation ou à la reconnaissance d’une faiblesse. Et éviter de promettre un traitement « esthétique » qui implique une obligation de résultat. À cet effet, il n’est pas inutile, comme certains confrères, d’envoyer les patients faire (ou réaliser soi-même) des photographies de face et de profil avant le début du traitement pour éviter l’accusation : « vous m’avez défiguré(e) ».

Il faut faire des concessions mais sans aller jusqu’à faire ressembler nos patients à des édentés ! La prévention de ces doléances consiste à faire avaliser l’essai esthétique par un proche influent ou à faire participer un enfant ou petit-enfant, dans lequel le patient se reconnaît, « se retrouve jeune ».

Doléances d’apparition différée ou progressive

Les doléances d’apparition différée ou progressive sont particulièrement perfides, dans la mesure où elles apparaissent alors que les prothèses se mettent en place et que le patient commence à les intégrer. Elles viennent « en surface », quand les doléances plus « bruyantes » ont disparu. Là aussi, beaucoup de compréhension et de psychologie permettront de garder la confiance de notre malade.

Morsure de la langue ou des joues

La morsure de la langue ou des joues est la conséquence, le plus souvent, de l’absence de surplomb horizontal des dents des deux arcades. Un meulage en pan coupé permet de rétablir ce surplomb.

Quand la langue ou les joues sont pincées entre les deux bases au niveau des trigones, un simple meulage en épaisseur est suffisant pour ménager un espace.

Une dimension verticale sous-évaluée, ou un profil mal étudié des surfaces polies, dans leur vocation de soutien des organes paraprothétiques, conduisent aux mêmes conséquences. Les corrections sont alors plus radicales : rétablissement de la dimension verticale correcte avec remontage des dents prothétiques et réfection des bases.

Claquements sonores

Les claquements sonores relèvent une dimension verticale d’occlusion surévaluée ou une instabilité des bases prothétiques (inférieure le plus souvent).

Les dents en porcelaine donnent un son plus sec et plus perceptible par l’entourage du patient. Il reste néanmoins certain que l’utilisation de dents en résine ne constitue pas une solution à cette doléance.

Instabilité à l’ouverture

Lorsque les prothèses sont stables, sauf dans les mouvements de grande amplitude (bâillement), il faut rechercher :

– à la mandibule, une surextension dans les poches de Fish ou une interférence sur les fibres antérieures du Masséter ;

– au maxillaire, une interférence avec les ligaments ptérygo-maxillaires.

Instabilité à la déglutition

Un calage occlusal stable est nécessaire au bon fonctionnement des différents temps de la déglutition.

En présence d’une instabilité, il faut rechercher :

– une petite erreur de rapport intermaxillaire ;

– une erreur d’engrènement dento-dentaire. Une légère interférence en occlusion centrée entraîne une mobilisation des bases ;

– une surextension ou une surépaisseur des volets linguaux qui mobilise la base inférieure, sans provoquer par ailleurs de blessure.

Instabilité à l’incision

Lorsque les prothèses sont stables, sauf pour l’incision d’un aliment résistant, l’apprentissage du patient doit le conduire rapidement à appréhender la limite des possibilités de ses prothèses. Sinon, il faut rechercher :

– un montage trop externe, ou une sustentation insuffisante (base sous-étendue) ;

– une insuffisance d’efficacité du joint postérieur ;

– des dents antérieures trop longues ;

– une crête antérieure dépressible ou mobile (sustentation qualitative).

Gonflement des sublinguales

Le tassement des prothèses provoque une compression des canaux excréteurs ou une obstruction des émonctoires des glandes salivaires dans la région sublinguale. La perturbation de la fonction sécrétoire entraîne le gonflement des glandes salivaires.

Un meulage parcimonieux prendra soin de ne pas détruire le joint sublingual.

Au maxillaire, un gonflement des parotides peut être confondu avec la maladie des oreillons.

Efficacité masticatoire réduite

Des équilibrations un peu trop poussées finissent par effacer le relief cuspidien. Il faut resculpter les surfaces occlusales ou remplacer les dents prothétiques.

Le relief occlusal a peu d’incidence sur l’efficacité masticatoire. Il participe certes à la dilacération et au déchirement des aliments mais un montage correct, stabilisant les bases sur leurs surfaces d’appui, est plus important pour assurer l’efficacité des prothèses pendant la mastication.

Perturbation du goût

La notion du « fin palais », qui attribue à cette zone la responsabilité de la gustation, est fortement ancrée dans l’esprit de nos patients (qui sont tous, par ailleurs, convaincus d’être de très fins gourmets !). La base qui recouvre et « cache » la voûte palatine est à l’origine de cette doléance, qui est plus subjective qu’objective. Il faut ici expliquer et convaincre.

Les récepteurs du goût (les bourgeons gustatifs) sont répartis essentiellement sur le dos de la langue, même si quelques-uns sont disséminés sur la muqueuse buccale.

Les papilles gustatives ont un rôle mécanique sur le palais. Elles provoquent l’étalement de la substance sapide dans le but d’exciter un plus grand nombre de récepteurs linguaux, augmentant l’acuité gustative.

Cependant, il faut savoir :

– que la présence du monomère libéré encore quelques jours après la mise en bouche peut provoquer une sensation désagréable ;

– qu’on observe une kératinisation de la surface de la langue, en regard de la résine qui provoque une augmentation du seuil gustatif ;

– que le goût du plastique existe et que certains de nos patients sont capables de discerner l’eau d’une bouteille en plastique de celle d’une bouteille en verre !

– que les extérocepteurs, responsables des informations concernant la température et la nature physique de l’aliment goûté, participent également globalement à cette perception. Ils peuvent être perturbés par la présence de la base en résine.

Une manipulation simple peut aider à convaincre les patients : une petite boulette de coton imbibée d’eau salée est appliquée sur le palais, en évitant son contact avec la langue ; le patient ne perçoit rien. La boulette est ensuite appliquée sur la langue et le goût salé devient évident.

Suintement aux commissures labiales et perlèche

Un filet de salive qui s’échappe régulièrement par les commissures labiales provoque, en complication, une perlèche. Les causes sont de deux ordres :

– dimension verticale sous-évaluée ou surévaluée s’accompagnant d’hypersalivation ;

– soutien insuffisant du modiolus, accompagné d’un manque d’épaisseur des bords.

Le diagnostic est confirmé avec le morceau de cire ou de résine rapporté au niveau des premières prémolaires mandibulaires (fig. 43).

Intolérance-allergie

L’intolérance de la muqueuse aux matériaux prothétiques est très contestable. Il faut être très prudent avec cette notion. Une vraie allergie apparaît en quelques secondes et donne des signes disséminés à tout l’organisme. L’intolérance aux prothèses est au contraire parfaitement localisée et en regard des bases.

On peut incriminer : le monomère libre, l’hydroquinone, le peroxyde de benzoïle ou les colorants.

La démarche de reconnaissance du produit responsable est délicate et ne peut se faire que par élimination.

Cependant un diagnostic différentiel s’impose avec :

– une fragilité capillaire ;

– une irritation mécanique (compression des zones de Schroeder) ;

– une erreur d’occlusion.

Enfin, il ne faut pas oublier de penser à une candidose buccale, affection en recrudescence depuis l’apparition des antibiotiques.

Saprophytes de la muqueuse buccale, les Candida albicans sont présents dans la bouche de 5 à 30 % des sujets sains et cette proportion augmente avec l’âge.

En présence de ces lésions buccales, il faut soupçonner :

– un abus d’antibiotiques, facteur de déséquilibre de la flore commensale ;

– la porosité du matériau prothétique mal polymérisé.

Il ne faut pas oublier que les candidoses buccales sont multifactorielles et que les prothèses dentaires sont un facteur favorisant leur développement.

Les premiers gestes thérapeutiques conjugent :

– une hygiène rigoureuse des prothèses ;

– et un traitement médicamenteux : enduction d’un mince film de Daktarin® en gel buccal ou de Fungizone® en lotion dans l’intrados prothétique, associée à la prise per os de Triflucan® 50 mg pendant 1 à 2 semaines.

La persistance des signes cliniques doit orienter le patient vers une thérapeutique plus spécialisée, basée sur une éventuelle analyse biologique.

Ces doléances entraînent les patients à essayer une multitude de propositions de traitements différents (fig. 44).

Conclusion

À l’écoute des doléances du patient totalement édenté appareillé, il faut redoubler d’humilité…, mais aussi soupçonner les patients de mauvaise foi pour ne pas prendre en compte leurs griefs par erreur.

Cependant, l’observation élémentaire de la majorité des traitements prothétiques réalisés consciencieusement montre des erreurs tangibles et la répétition de séances multiples d’équilibration, rectifications, modifications arrive à « user » la résistance de certains de nos patients, donnant l’illusion de traitements réussis.

Nous laisserons la conclusion à John Sharry (Complete denture prosthodontics) : « Il n’existe aucune solution parfaite à la disparition de n’importe quelle partie du corps humain, que ce soit une jambe, un bras, ou une arcade dentaire… Les prothèses complètes sont comme des béquilles… Un patient peut apprendre à vivre avec elles, il apprend rarement à les aimer. »

lectures conseillées

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