Les cahiers de prothèse n° 158 du 01/06/2012

 

éditorial

Éric Robbiani  

Rédacteur en chef adjoint

« Constatant l’échec de toutes les mesures incitatives, nous préconisons des mesures de régulation de l’installation pour améliorer l’adéquation de l’offre avec les besoins de la population » déclarait récemment le Dr Michel Legmann, président du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) au Quotidien du Médecin.

Le numerus clausus instauré dans les années 1970 s’est accompagné d’un vieillissement de la population et d’une...


« Constatant l’échec de toutes les mesures incitatives, nous préconisons des mesures de régulation de l’installation pour améliorer l’adéquation de l’offre avec les besoins de la population » déclarait récemment le Dr Michel Legmann, président du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) au Quotidien du Médecin.

Le numerus clausus instauré dans les années 1970 s’est accompagné d’un vieillissement de la population et d’une demande plus forte de prise en charge médicale et paramédicale par les patients. Les inégalités territoriales se sont aggravées au fur et à mesure de la baisse du nombre de professionnels et posent maintenant des problèmes de santé publique. Depuis 2004, de nombreux rapports (Assemblée nationale, Sénat, Observatoire national des professions de santé) ont mis en avant des mesures destinées à attirer les médecins généralistes dans certaines zones : il s’agit pour l’essentiel d’incitations financières à l’installation et au développement d’exercice professionnel répondant mieux aux attentes des jeunes diplômés (exercice en groupe pluridisciplinaire, temps de travail réduit). Face à la relative inefficacité de ces mesures incitatives et à leur coût élevé, il a été proposé par certains parlementaires (Jean-Marc Juilhard en octobre 2007, Marc Bernier en septembre 2008) des mesures plus directives. L’idée de recourir à des mesures plus coercitives comme outils de lutte contre les inégalités territoriales semble retenir aujourd’hui l’attention des pouvoirs publics. Depuis le 18 avril 2009, les infirmiers et infirmières ont accepté, dans un accord signé avec l’Assurance maladie, de limiter leur liberté d’installation en échange d’une revalorisation des tarifs de 5,3 %. L’objectif de cet accord est de corriger des déséquilibres démographiques susceptibles de mettre en danger le principe d’égalité d’accès aux soins. Concrètement, en zone « très sur-dotée » (cote méditerranéenne, Bretagne), l’installation n’est possible qu’en remplaçant un départ. A contrario, l’installation en zone « très sous-dotée » (banlieue parisienne, Marne) donne lieu au versement d’une subvention à l’équipement du cabinet, par l’Assurance maladie, limitée à 3 000 € par an pendant 3 ans.

Fin 2011, un syndicat de masseurs-kinésithérapeutes a voté en faveur d’un projet d’avenant conventionnel visant à revaloriser les tarifs des actes de kinésithérapie. En contrepartie pour les professionnels, à l’instar des infirmières, il leur est demandé d’accepter des mesures limitant leur liberté d’installation en zone sur-dotée. Pour les pharmaciens, il existe des règles géo-démographiques qui organisent la répartition des officines dans l’hexagone (quota de 2 500 habitants pour la première officine, puis de 3 500 habitants pour les suivantes dans la loi du 19 décembre 2007). Le 1er juin 2010, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé tout à fait conforme au droit communautaire le fait qu’une réglementation nationale puisse restreindre la liberté d’installation.

Dans les conclusions de son séminaire annuel, consacré à l’accès aux soins, le CNOM propose ni plus ni moins qu’à l’issue de son post-internat, un médecin désireux d’exercer (en libéral, en salarié ou en hospitalier) soit tenu de le faire pendant cinq ans dans la région de délivrance de son diplôme. Les lieux d’exercice seraient déterminés par l’Agence régionale de la santé (ARS), en fonction des besoins et en liaison avec le conseil régional de l’Ordre. Cette règle s’appliquerait aussi aux médecins qui choisiraient le remplacement. Même régime pour les médecins à diplôme étranger : pour eux aussi, le lieu d’exercice serait déterminé par les ARS. L’Ordre précise que dans cette éventualité, il faudrait harmoniser les aides proposées par les collectivités territoriales afin d’éviter par exemple qu’une région offre des bourses aux étudiants en médecine, et pas la région voisine.

Les recommandations de l’Ordre des médecins ont exaspéré les syndicats étudiants qui pensent que les propositions ordinales « mettent gravement en péril l’attractivité de la médecine libérale pour les jeunes médecins », qu’elles sont « dangereuses, contreproductives et nombrilistes » et rejettent une approche coercitive « qui ne concerne que les jeunes ». Comment ne pas comprendre cette exaspération devant le changement unilatéral de règle, sans concertation, en cours de cursus.

Le choix de son lieu d’exercice doit correspondre à une démarche personnelle et familiale réfléchie et toute contrainte sera ressentie par les professionnels médicaux comme une atteinte à leur statut de libéral. Cependant, les besoins légitimes de la population sur tout le territoire vont nécessairement contraindre les différents acteurs, et les chirurgiens-dentistes seront aussi concernés, à trouver une solution. Cette solution ne pourra certainement pas être d’imposer de façon unilatérale à un professionnel de santé de s’installer là où il ne veut pas exercer.