Odontologie Restauratrice
Docteur en Chirurgie dentaire,
Docteur en Sciences odontologiques,
Ancien Maître de conférences des UFR de Reims et
Nancy.
Exercice privé :
40, rue Buirette
51100 Reims
Les facettes de céramique collées dans les années 1980 étaient élaborées sur revêtement réfractaire ou sur feuille de platine. Seule la céramique feldspathique aux faibles propriétés mécaniques mais très apte au collage était utilisée. De nombreuses études ont prouvé la fiabilité de ces restaurations. Cet article se propose de relater le renouvellement, au bout de 22 ans de recul clinique, d’une facette de céramique feldspathique réalisée dans le cadre d’un traitement esthétique d’une dysmorphie. La première partie est consacrée aux raisons de ce renouvellement. La seconde aux solutions proposées concernant la préparation et le choix de la céramique.
Changing of a porcelain veneer after 22 years. Problems and solutions
In 1980s, bonded ceramic veneers were worked out on refractory material or on platinum leaf. Alone the feldspathic ceramic in weak mechanical ownership but very qualified to bonding was used. Numerous studies proved the reliability of this type of restauration. The aim of this article is to relate the changing, after 22 years of clinical retrospect, of a feldspathic ceramic veneer realised as part of an aesthetic treatment of a dysmorphic incisal. The first part is dedicated to the reasons of this renewal. The second will offer resolutions concerning the preparation and the choice of the ceramic.
En 30 ans, la technique des facettes de céramique collées a beaucoup évolué grâce essentiellement à l’apparition de nouvelles céramiques dont les qualités mécaniques et optiques n’ont rien de comparable avec la céramique feldspathique utilisée dans les années 1980.
De cette période, il faut retenir le manque de confiance qu’inspirait cette technique, la durée de vie des facettes étant évaluée entre 6 et 10 ans. Ces évaluations énoncées avec précaution par manque de recul clinique sont malheureusement reprises encore actuellement dans la plupart des blogs que les patients peuvent consulter sur des sites Internet.
De nombreuses études infirment ces arguments. Selon Kerschbaum [1], au bout de 10 ans plus de 90 % des facettes remplissent leurs fonctions et de 95 à 98 % d’entre elles répondent aux critères de qualité. Une autre étude de Layton en 2007 [2] sur 304 facettes démontre que le taux de survie à 6 ans est de 96 ± 1 %, ou encore de 73 ± 16 % au bout de 15 à 16 ans.
Le but de cet article est de montrer l’évolution des facettes de céramique collées en référence à un cas clinique concernant le renouvellement d’une facette élaborée en céramique feldspathique sur feuille de platine en 1988 pour le traitement d’une dysmorphie et refaite 22 ans plus tard.
Cette facette a donné pleinement satisfaction à la patiente pendant 16 ans. À l’issue de cette période, et durant 4 ans, une différence de comportement lumineux de la facette était devenue perceptible et il fut décidé de la refaire avec une céramique plus appropriée au nouveau contexte colorimétrique.
La céramique feldspathique ne pouvait être utilisée que sur des dents présentant une teinte dentinaire peu saturée. La teinte de la dentine intervenait pour 30 % dans la perception de l’aspect final. La haute translucidité de la céramique feldspathique avec un pourcentage élevé de diffusion du faisceau lumineux et la faible épaisseur de la facette ne permettaient pas de masquer une augmentation de la saturation dentaire.
L’apparition, dans les années 1990, de céramiques renforcées, plus opaques, élaborées par céramique pressée ou CFAO, a permis de traiter toutes les situations cliniques, y compris le traitement des dyschromies.
En 1988, une patiente âgée de 24 ans qui présentait une dysmorphie (dent en grain de riz) de la 12 souhaitait la réalisation d’une couronne, la technique des facettes étant encore peu répandue et n’étant pas considérée comme une technique fiable, par manque de recul clinique (fig. 1).
La couronne dentaire était indemne de toute lésion carieuse. La couleur de la dent ne présentait aucune dyschromie, la teinte n’était pas saturée. La solution prothétique proposée à la patiente fut la réalisation d’une facette de céramique collée sur préparation dite pelliculaire pour conserver la vitalité pulpaire. Seules les faces vestibulaire et mésiale avaient été réduites et la limite cervicale sous forme d’un congé rond avait été placée en situation juxta-gingivale (fig. 2).
À cette époque, seules les céramiques feldspathiques étaient disponibles [3, 4]. Leurs qualités mécaniques faibles avant le collage rendaient leur manipulation délicate. Les phases de laboratoire étant réalisées par nos soins, c’est une élaboration sur feuille de platine qui avait été jugée préférable face à la technique sur die réfractaire, beaucoup plus longue et délicate [5] (fig. 3).
Ne pouvant apprécier le rendu esthétique qu’après la dépose de la feuille de platine, cette technique nécessitait l’élaboration de 2 ou 3 facettes pour obtenir un résultat esthétique satisfaisant (fig. 4).
La facette de céramique ne s’est jamais décollée. On notait toutefois une différence de couleur avec les dents naturelles adjacentes (fig. 5). L’examen en fort grandissement des bords libres (fig. 6) soulignait la présence d’une fêlure axiale du tiers incisif, fêlure également présente sur le bord libre de l’incisive centrale.
En vue palatine (fig. 7), la fêlure du bord libre semblait dans le prolongement du joint dento-prothétique mésial [6, 7].
La préparation choisie, sans retour lingual (fig. 2), n’était pourtant pas une situation favorable en référence avec les études de Pierrisnard [8] par la technique des éléments finis : les contraintes à l’interface dent/facette sont maximales sur toute la surface de la dent. La facette avait été collée selon la technique utilisant une colle et un adhésif de type mordançage-rinçage (M & R) (Variolink 1®, Ivoclar Vivadent), preuve que ce mode de collage, dans des situations délicates, est performant et particulièrement fiable même en présence de surface dentaire réduite [9].
La radiographie (fig. 8) montrait un joint dento-prothétique régulier sans récidive carieuse.
La modification de l’aspect esthétique était nettement perceptible avec un bord libre toujours aussi naturel mais les portions médiane et cervicale apparaissaient plus saturées que les portions correspondantes des dents adjacentes. Cette transformation, très visible sur une vue en noir et blanc (fig. 9), permet d’attribuer cette modification au facteur luminosité de la couleur.
Ce changement n’était pas imputable à la structure de la facette mais à la modification de la saturation de la teinte de la dentine, la pulpe étant très rétractée (fig. 8).
La céramique feldspathique, de haute translucidité et de faible épaisseur, laissait passer une grande partie du rayon lumineux qui se réfléchissait sur une surface saturée et en modifiait l’aspect final. Ce changement de saturation de la dentine était visible sur la portion radiculaire de la 12 (fig. 10).
On pouvait également noter une légère différence de luminosité entre la portion distale collée sur un support dentaire et la portion mésiale uniquement faite de céramique.
La patiente, n’étant plus satisfaite de son sourire, accepta la dépose de la facette et son remplacement par une facette de céramique moins translucide, de plus haute opacité pour corriger tous les défauts répertoriés.
Un cordonnet 000 (Ultrapack®, Bisico) a été placé dans le sillon gingivo-dentaire (fig. 10) pour déplacer légèrement apicalement la gencive marginale et fixer le niveau de la nouvelle limite en juxta-gingival.
La facette, n’ayant pas pu être décollée, a été meulée totalement (fig. 11). Le joint de colle mis en évidence ne montrait aucune zone infiltrée. Après élimination de toute la céramique, les limites de l’ancienne préparation étaient objectivées (fig. 12).
En fonction de la nouvelle situation gingivale, la limite cervicale a été déplacée apicalement en situation juxta-gingivale. Le profil de l’ancienne limite cervicale, un congé rond d’une profondeur de 0,6 mm, a été augmenté à 1 mm pour répondre aux exigences de la céramique pressée renforcée au disilicate de lithium (fig. 13).
Les caractéristiques de l’ancienne préparation ont été conservées. La nouvelle préparation ressemble à l’ancienne (fig. 2 et 13). Cependant, la comparaison de la forme du bord libre de la canine de 1988 (fig. 1) à celle de 2010 montrait une abrasion de celui-ci qui pouvait faire craindre des interférences avec les dents mandibulaires dans les mouvements de latéralité (fig. 14). Il s’est révélé indispensable, lors des contrôles qualité, d’évaluer en latéralité l’espace entre le bord libre de la préparation et la dent antagoniste : un espace de sécurité de 2 mm n’existe pas (fig. 15).
Rien ne remplace l’expérience clinique et l’analyse des échecs à court, à moyen et surtout à long termes. Les conditions ne sont jamais identiques [10, 11] et il faut anticiper les difficultés sur les plans mécanique et esthétique. Un cas clinique présentant la même situation occlusale a permis d’orienter la réflexion…
En 1989, sur une 12, une facette en céramique feldspathique a été réalisée sur préparation pelliculaire sans retour lingual, conférant un rendu esthétique convenable. Pour ce cas suivi également pendant 20 ans, la vue de cette facette en 1999 mettait en évidence un éclat de céramique en vestibulaire (fig. 16), éclat peu important ne compromettant pas l’anatomie du bord libre. En 2009, soit 20 ans plus tard (fig. 16), la fracture était plus importante et le bord libre endommagé.
Cet incident était lié à l’abrasion du bord libre de la canine sur cette durée. La fonction canine de 1989 est devenue, en 2009, une fonction de groupe.
La facette de céramique ne présentait pas de retour lingual. En latéralité, la dent mandibulaire glissait sur la face linguale de 12 et interférait avec le bord libre de la facette (fig. 16). Le joint de colle, qui en 20 ans s’est hydrolysé, a créé un rebord de céramique vulnérable.
Cette situation ne se serait pas produite si un retour lingual avait été réalisé.
La conservation maximale de la structure dentaire est un facteur primordial pour la pérennité des restaurations prothétiques. La dent étant petite et de faible épaisseur, la décision a été prise de réduire le bord libre de 2 mm mais, toutefois, sans un retour lingual qui s’avérerait trop délabrant et inutile dans ce contexte sur le plan mécanique [12] (fig. 17).
Outre les conditions occlusales, le choix de réduire le bord libre de 2 mm a été d’ordre esthétique. Le bord libre de la nouvelle facette ne sera plus influencé par la présence d’un support dentaire partiel.
Une fois modifiés, les bords de la préparation ont été finis à l’aide d’un insert ultrasonique (fig. 18).
La facette provisoire est réalisée avant la prise d’empreinte, pour éviter le risque de léser des limites de la préparation après l’empreinte, avec une base en résine chémopolymérisable pour masquer la couleur de la dent. Cette base est en résine recouverte de composite « émail » pour reproduire les nuances colorimétriques des dents adjacentes. La facette provisoire doit respecter le contexte parodontal par son anatomie axiale (fig. 19).
L’empreinte, réalisée en deux temps, doit enregistrer tous les détails de la préparation ainsi que le profil d’émergence (fig. 20).
Le maximum d’informations doit être transmis au laboratoire de prothèses [13]. Il est recommandé de réaliser un schéma, si possible à l’échelle, de la couleur de la dent. Actuellement, la transmission des informations par photographie comprenant l’échantillon du teintier est préférable [14] (fig. 21).
L’empreinte a été traitée en polyuréthane pour éviter toute fracture du modèle positif unitaire (MPU) intégré dans un moulage de travail en plâtre (fig. 22).
La technique de la céramique pressée nécessite l’élaboration d’une maquette de cire (céraplastie) représentant la base dentinaire de la future facette. Elle a été élaborée de façon à ménager en surface un espace, d’épaisseur la plus régulière possible, réservé à la partie stratifiée de l’émail (fig. 22). Cette maquette, d’une épaisseur de 0,6 mm, a ensuite été placée à l’aide d’une tige de coulée sur un cône de coulée (fig. 22).
La masse dentinaire de la céramique devait répondre à deux critères de réussite essentiels :
– masquer la couleur de la portion distale de la dent ;
– avoir une translucidité identique sur toute la surface de la dent.
Chaque nuance de la céramique e.max Press(r) d’Ivoclar se décline en quatre niveaux de translucidité : haute et basse translucidités (HT, high translucency, et LT, low translucency) et moyenne et haute opacités (MO, mean opacity, et HO, high opacity) [15].
Deux bases translucides ont été testées. La première, de moyenne opacité, ne permettait pas de répondre au second critère imposé. Sur la figure 23, on distingue très nettement les deux parties mésiale et distale.
La seconde base, de haute opacité, convenait mieux pour l’harmonie de la translucidité. La différence entre les deux portions était peu marquée. La translucidité du bord libre était uniforme, effet favorisé par la réduction de 2 mm du bord libre de la dent (fig. 23).
Après le choix de la base dentinaire sur le plan de la translucidité, la stratification de la portion émail a été réalisée, reproduisant tous les détails observés, y compris la fêlure axiale intégrée lors de la stratification (fig. 24).
L’essai a constitué une étape délicate. L’intégration de la facette sur le plan anatomique a été facile pour la forme générale, la longueur et les lignes de transition. Pour la perception de la couleur, l’essai a été plus difficile, la facette ne pouvant être fixée provisoirement (fig. 25).
L’essai avec une colle non polymérisable (Variolink(r) Try-In) a permis d’apprécier le rendu esthétique recherché. La teinte de la dentine n’intervenait pas dans le rendu final, aucune différence entre les portions mésiale et distale n’était décelable, le bord libre était d’un effet naturel. Le critère colorimétrique non respecté concernait la luminosité. La facette réfléchissait trop de blanc, phénomène constaté sur une vue large du sourire (fig. 26).
Après modification de la stratification de l’émail des parties médiane et cervicale, la facette a été essayée une seconde fois et le rendu esthétique critiqué (fig. 27).
La vue linguale a permis de juger de l’intégration esthétique et de la qualité de translucidité du bord libre, proche de celle de la dent naturelle (fig. 28).
En 30 ans, la technique des facettes de céramique s’est avérée très fiable. Elle doit faire totalement partie de l’arsenal thérapeutique car elle permet de respecter l’organe dentaire grâce à des préparations a minima. De nombreuses situations cliniques peuvent être traitées par facettes de céramique appelées également restaurations adhésives de céramique (RAC) [16, 17, 18].
Nous considérons toujours la céramique feldspathique comme la plus belle des céramiques mais, en contrepartie, la plus difficile à élaborer. Elle ne peut répondre à toutes les situations, en particulier dans le cas clinique de cette présentation avec couleur saturée (fig. 5 et 29) et manque de support dentaire (fig. 30).
Ses faibles propriétés mécaniques ne l’éliminent cependant pas de notre arsenal thérapeutique. De nombreux cas sont encore réalisés avec cette céramique particulièrement apte au collage [10, 19, 20].
La céramique pressée, technique très appréciée des prothésistes dentaires, permet quant à elle d’obtenir des rendus esthétiques remarquables [17] plus facilement prévisibles, tel l’aspect final à 6 mois du cas clinique décrit ci-dessus (fig. 31).
Cette technique se développe grâce aux évolutions mécaniques et esthétiques du matériau céramique [15, 21]. Les contraintes mécaniques comme les comportements lumineux doivent être connus des praticiens pour adapter les préparations au matériau choisi [12, 22].
Remerciements : Laboratoire De Bucca Solis, Hervé Maréchal et Florence Michel.