Les cahiers de prothèse n° 158 du 01/06/2012

 

Articulation Temporo-Mandibulaire (ATM)

Roger Joerger*   Marcel G. Le Gall**   Bertrand Baumann***  


*MCU-PH
Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg
1, place de l’Hôpital
67000 Strasbourg
**DU d’occlusion
42, rue de la Belle-Fontaine
56100 Lorient
***Chef du service
d’odontologie

Centre hospitalier Émile-Muller
20, avenue du Docteur-René-Laennec
68000 Mulhouse

Résumé

La mastication et la déglutition sont deux fonctions essentielles. Elles sont explorées par l’axiographie mécanique. Quinze cas ont été sélectionnés sur 115. Ils représentent certes les 4 classes d’Angle mais révèlent surtout soit une ATM saine, soit une ATM pathologique. L’enregistrement concerne d’abord la déglutition d’une gorgée d’eau, puis la mastication légère d’un quartier de pomme et, enfin, la mastication forte de cacahuètes. Sur chaque enregistrement figurent la RC, l’OIM et l’enveloppe de la cinématique condylienne non forcée et non guidée. Les conclusions sont les suivantes : la déglutition s’effectue toujours en OIM. Les schémas masticatoires quant à eux sont difficiles à systématiser. La répartition par classes d’Angle s’avère possible sans être primordiale. En présence de dysfonctions de l’ATM, les résultats sont amplifiés et deviennent de ce fait plus fiables et plus faciles à interpréter.

Summary

Mastication and deglutition : interpretation through in axiographic analysis

The mastication and the deglutition are two essential functions. They are investigated by the mechanical axiography. Fifteen cases are selected on 115. They represent 4 classes of Angle and reveal either a healthy TMJ or a pathological TMJ. The recording concerns at first the deglutition of a mouthful of water, then the light mastication of a piece of apple, and finally the strong mastication of peanuts. On every recording appear the centric relation, the maximal intercuspation and wraps him with the kinematics not forced and not guided condylar path. The conclusions are the following ones : the deglutition is always made in maximal intercuspation. Mastication plans as for them are difficult to systematize. The distribution by classes of Angle turns out possible. In the presence of dysfonctions of TMJ, the results are amplified and become of this fact more reliable and easier to interpret.

Key words

mastication, deglutition, temporo mandibular joint, TMJ dysfunction, axiography, maximal intercuspation, centric relation

Malgré l’intérêt grandissant que manifestent de nombreux auteurs pour la physiopathologie de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM), la littérature reste malheureusement encore relativement pauvre quant à l’exposé pédagogique de l’interprétation des tracés axiographiques, notamment au cours de la mastication et de la déglutition [1, 2].

L’étude de ces deux fonctions s’avère cependant primordiale sur le plan clinique parce qu’elle permet d’apprécier l’état de fonctionnement des ATM et, dans une certaine mesure, des principaux muscles masticateurs. La lecture des tracés de mastication et de déglutition reste certes complexe, touffue et remarquablement individualisée parce que l’enregistrement des données s’effectue uniquement au niveau condylien et dans le seul plan parasagittal, et parce que trop peu d’auteurs ont publié leurs travaux. De plus, d’autres méthodes d’interprétation de la cinématique mandibulaire sont possibles, notamment l’imagerie par résonance magnétique, avec une double antenne et en acquisition dynamique, mais dont la mise en œuvre directe est bien sûr impossible au fauteuil [3, 4].

D’où l’intérêt de cette étude clinique : proposer des interprétations de tracés de mastication et de déglutition, issus de l’axiographie mécanique et enregistrés directement sur le patient au cours de l’examen clinique. Le but ultime étant de proposer un diagnostic de la situation occlusale et articulaire [5, 6, 7, 8, 9].

Déglutition et mastication

La déglutition est un mécanisme inné qui se modifie au cours de la vie selon des étapes physiologiques bien différenciables, depuis la tétée du nouveau-né à la déglutition adulte ; lorsqu’il est mature, le mécanisme de la déglutition repose principalement sur la stabilité de l’os hyoïde qui se comporte comme un véritable gyroscope autour duquel se rééquilibrent constamment les chaînes musculaires, dont la langue [10, 11, 12]. Mais la déglutition peut aussi révéler des dysfonctionnements notamment en cas d’insuffisance rhino-pharyngée, d’hypertonicité du muscle orbiculaire des lèvres, de dysharmonie dento-maxillaire ou de dysfonctionnement lingual, sachant aussi que ces différentes étiologies peuvent elles-mêmes interagir pour devenir à leur tour des conséquences. Quant à la mastication, toujours unilatérale et alternée chez l’adulte malgré l’existence d’un côté préférentiel, elle s’est enrichie, au cours des siècles de gastronomie et d’évolution des méthodes culinaires, d’un considérable acquis et vernis culturel. La mastication chez l’enfant suit un autre schéma, du moins jusqu’à la mise en fonction du couple des premières molaires maxillaires et mandibulaires [13, 14, 15]. L’examen axiographique de la mastication et de la déglutition présente un intérêt majeur dans la mesure où toute trace de pathologie, même légère, se trouvera amplifiée lors de l’examen de la fonction, alors qu’elle risquait de passer inaperçue lors d’un simple examen reposant sur les mouvements de diduction et d’ouverture-fermeture buccale. L’étude des tracés fonctionnels facilite donc considérablement le diagnostic des dysfonctions de l’ATM [16, 17, 18].

Matériel et méthodes

Rôle de l’axiographe

L’axiographe ne nous sert plus actuellement à l’évaluation chiffrée des déterminants postérieurs et antérieurs de l’occlusion en vue de programmer un articulateur. En effet, depuis la diffusion des notions d’occlusion fonctionnelle en 1994 avec Lauret et Le Gall, l’occlusion dynamique s’analyse désormais avec des entrées et des sorties de cycle de mastication, et les concepts de « travaillant et non travaillant » prônés par le courant gnathologique sont désormais devenus obsolètes et doivent être modifiés. De ce fait, l’articulateur classique, issu lui aussi de la philosophie gnathologique, a été remplacé, grâce à Landeau, par un articulateur qui « sait mastiquer » : le Reverse® [19]. De ce fait, l’axiographe devient étranger aux réglages de l’articulateur mais concourt cependant de façon admirable et élégante au diagnostic des dysfonctions temporo-mandibulaires. Cette expérimentation a été menée avec un simple axiographe mécanique de SAM® [20].

Échantillon

L’expérimentation clinique a été réalisée auprès de 115 étudiants en odontologie (soit 230 tracés), âgés de 20 à 25 ans et dont la denture était en bon état, sans traitement orthodontique préalable ni artifice prothétique ; tous ont été soumis à un examen axiographique mécanique et seuls 15 d’entre eux ont été sélectionnés pour participer à un enregistrement supplémentaire de déglutition et de mastication parce que leurs tracés libres étaient révélateurs soit d’un bon fonctionnement de l’ATM, soit au contraire d’une pathologie suffisamment significative pouvant être mise particulièrement en exergue grâce aux tests fonctionnels de déglutition et de mastication. Le tableau I présente un échantillon de 15 patients ; il ne permet pas de considérations statistiques mais montre simplement un échantillonnage des situations cliniques intéressantes. Les quatre classes d’Angle sont représentées pour respecter et reprendre les choix de classification effectués par les auteurs classiques [1, 5, 6, 9, 21].

Les dysfonctions de l’ATM retenues allaient de la légère distension articulaire à l’arthrose ; l’ankylose fonctionnelle et le blocage articulaire aigu n’ont pas été représentés ; ils ne présentent d’ailleurs aucun intérêt dans cette étude puisque leur diagnostic clinique est facilement accessible.

Enregistrement des tracés

L’axiographe de SAM® est équipé de deux comparateurs mécaniques permettant l’enregistrement simultané des côtés droit et gauche (fig. 1). L’attelle para-occlusale adoptée a été celle nécessitant 4 vis de fixation pour faciliter le positionnement sagittal médian du manche et réduire ainsi les artefacts d’enregistrement (Axiodapt AXO 333®) (fig. 2). Cette attelle n’a pas perturbé les contacts dentaires au cours des mouvements mandibulaires mais son encombrement a contrarié cependant le champ des mouvements, par la pression exercée sur les muscles orbiculaires des lèvres ainsi que sur les muscles du menton, particulièrement en cas de forte supraclusie incisive.

Pour chaque patient, trois paires de drapeaux ont été préparées, sur lesquelles figurent chaque fois (fig. 3) :

– le point d’axe charnière, en rouge, ou relation centrée guidée, non forcée, notée RC ;

– le point d’occlusion d’intercuspidie maximale en noir (OIM) ;

– les tracés en rouge d’ouverture-fermeture-diduction droite et gauche, non forcée, qui définissent l’enveloppe fonctionnelle habituelle. C’est l’équivalent de l’angle fonctionnel masticatoire de Planas (AFMP) mais enregistré au niveau condylien.

Trois enregistrements ont été effectués :

– la déglutition : la quantité d’eau déposée dans la bouche en 15 secondes par la seringue à eau du fauteuil est déglutie en une à deux fois selon le patient ;

– l’incision et la mastication d’un quart de pomme, déglutition incluse, notées « mastication légère » ;

– la préhension et la mastication complète de 12 cacahuètes, déglutition incluse, notée « mastication forte ».

Les tracés ont été numérisés et agrandis pour une meilleure lecture (fig. 4) [22].

Résultats

Présentation d’un cas complet

Il s’agit d’un patient de classe I sans pathologie cliniquement décelable.

Déglutition

Du côté droit, la déglutition s’est effectuée en OIM, sans atteindre la RC (fig. 5) ; du côté gauche, la déglutition s’est effectuée très légèrement en arrière de l’OIM, avec un petit mouvement en zigzag, reflétant au minimum une tension musculaire ; le condyle travaillait en comprimant légèrement le disque articulaire et c’est le faisceau antérieur du temporal qui en souffrait (fig. 6). Cette dernière donnée est issue de l’examen clinique de palpation musculaire.

Rapports entre RC et OIM

L’OIM se situe en dessous et en avant de la RC, à droite comme à gauche, sur le trajet d’ouverture. La distance qui sépare les deux points est de 1,5 à 2 mm et, si elle est plus élevée à gauche, c’est dû à la laxité ligamentaire du jeune patient ou à la manipulation opérateur dépendante de la recherche de la RC. La distance entre RC et OIM dépend de la valeur de la résilience articulaire : 2 mm environ chez l’adulte jeune, de 2 à 4 mm chez l’enfant et moins de 1 mm chez l’adulte de plus de 50 ans.

Incision et mastication légère (fig. 7 et 8)

À droite comme à gauche, le tracé est long, proche des mouvements limites, plutôt en forme de banane que de goutte étirée [1]. Les mouvements antérieurs correspondent à la préhension ; puis les mouvements se concentrent progressivement au niveau postérieur à mesure que le sujet mastique et s’apprête à déglutir. Le tracé fonctionnel droit se situe sur le tracé limite, donc l’ATM fonctionne bien, et le tracé fonctionnel gauche se situe en dessous du tracé limite ; ainsi, le disque n’occupe pas la même position pendant et en dehors de la fonction.

Des deux côtés de la ligne rouge d’ouverture-fermeture se forment deux types de tracés : un tracé majeur, noir soutenu, en forme de banane signant la répétitivité du mouvement (essentiellement composé de sorties de cycle de fermeture), la constance de sa direction et de la pression exercée sur le disque. On observe par ailleurs un tracé secondaire, gris clair, aéré, décrivant de discrètes spirales ; ce tracé spiralé correspond surtout aux entrées de cycle transversales et aux mouvements circumductifs pendant lesquels le patient rassemble le bol alimentaire avec sa langue et ses joues ; c’est l’expression sagittale de l’amplitude frontale des entrées de cycle qui n’exercent que de faibles pressions sur le disque.

Par ailleurs, la largeur totale du tracé de mastication est en relation avec :

– la largeur de la gouttière occlusale, qui elle-même dépend de la morphologie dentaire (diamètre vestibulo-lingual des dents, hauteur des cuspides, degré d’usure des tables occlusales) ;

– le côté préférentiel de mastication ;

– la capacité du disque de se comprimer et de se distendre.

Des tracés franchissent le plan axio-orbitaire au niveau postérieur et supérieur [1] ; ce sont des tracés d’entrée de cycle de mastication survenant du côté mastiquant, en arrière et en dehors de l’OIM et de la RC. Il est par ailleurs normal qu’un tracé de mastication comprime plus ou moins l’articulation en fonction de la texture de l’aliment, de son épaisseur, de sa consistance. L’articulateur gnathologique n’a jamais reproduit les entrées de cycle de mastication visibles au-dessus du plan axio-orbitaire car le toit du boîtier empêche la sphère condylienne de monter et de reculer (fig. 8) ; seul l’articulateur Reverse® « mastique » à la fois avec des entrées et des sorties de cycle et reflète les concepts de l’occlusion dite fonctionnelle.

Mastication forte (fig. 9 et 10)

Le tracé est plus court et plus rectiligne que le précédent car il n’y a plus guère de préhension et d’incision ; le broyage par sorties de cycle sur les molaires est la fonction essentielle. Du côté gauche particulièrement, le tracé est plus effilé vers l’avant ; il se sépare en deux faisceaux correspondant à des mouvements associés aux entrées de cycle et à des mouvements de hachage. La surface générale a une forme plutôt rectangulaire, peu concave. Le tracé en petites spirales est nettement visible à droite ; il se produit juste avant la déglutition et ne dépend pas de la partie dento-dentaire du cycle mais des mouvements transversaux de la mandibule, des joues et des lèvres pendant le rassemblement du bolus alimentaire juste avant sa déglutition. Il est objectivé par des allers-retours de l’aiguille du comparateur.

Conclusion

Les tracés sont plus accentués à droite qu’à gauche à cause du côté préférentiel de mastication. Ils sont typiques d’une classe I d’Angle sans pathologie : harmonieux, plus ou moins concaves vers l’avant, situés le long du tracé limite supérieur et particulièrement en dessous, d’une grande amplitude. Le nombre limité de tracés d’entrée de cycle prouve qu’en mastication forte, le patient s’applique à mastiquer surtout en sorties de cycle, temps fort de l’écrasement du bol alimentaire.

Présentation de quelques particularités

Mastication des classes II-2

Incision et mastication légère (fig. 11)

Du côté droit, le tracé est bifide dans son tiers inférieur probablement à cause d’un sous-guidage d’entrée et/ou de sortie de cycle. La direction générale des forces est plutôt transversale, minimisant la composante antéro-postérieure et accentuant la distinction entre les entrées et les sorties. Le petit faisceau supérieur s’étend le long du tracé limite des entrées en restant en dessous du plan axio-orbitaire et le faisceau inférieur s’étend le long du tracé des sorties. Ramassés en arrière et en haut, les tracés fonctionnels sont nettement plus courts que les tracés limites exécutés à vide. Des boucles se dessinent en avant et en arrière du tracé dans les deux tiers supérieurs, lui donnant une configuration noueuse. L’amplitude des mouvements masticatoires est peu importante, la mastication s’effectuant essentiellement dans la région haute et postérieure. Le puissant mur incisif de la classe II-2 oblige en effet l’ATM à travailler en position rétruse de compression.

Mastication forte (fig. 12)

Du côté droit, le tracé est plus long et moins large que celui de la mastication légère. Le tracé est pauvre en mouvements d’entrée et de sortie de cycle. Il se concentre autour de la RC et de l’OIM ; l’enveloppe générale des mouvements s’étend très largement en direction postérieure mais voit son amplitude diminuer.

En règle générale, plus les classes II-2 sont contraignantes, plus les mouvements se postériorisent pour devenir des mouvements d’entrée et de sortie transversaux. En outre, l’enveloppe revêt alors une forme plus quadrangulaire. L’articulation travaille en force, autour de l’OIM, en hachant l’aliment autant qu’en l’écrasant.

Ce type de mastication recourt beaucoup à la rotation, peu à la translation. La mastication s’effectue donc à proximité de l’OIM et en rotations semi-circulaires en arrière de celle-ci, mais on observe bien que le mur incisif peut être franchi sans perturbation neuromusculaire en dehors du temps de mastication.

Mastication des classes III (biproalvéolie) (fig. 13)

Lors de la mastication forte, à gauche, le tracé est concave vers l’avant sans avoir la forme de goutte allongée ; il longe le tracé d’ouverture-fermeture et se postériorise peu en fin de mastication ; les mouvements d’entrée de cycle ne sont pas rares.

La mastication est postérieure, proche de la RC et de l’OIM qui se confondent presque. Les tracés ne remontent pas au-dessus du plan axio-orbitaire. La pression en sortie de cycle entre les molaires est importante ; le disque est parfaitement à l’abri de ces pressions et c’est sans doute la raison pour laquelle on observe peu de dysfonctions de l’ATM dans les classes III.

Aucune autre caractéristique remarquable n’a pu être énoncée à partir des deux cas étudiés, alors que Slavicek décrit des mouvements de hachement de l’arrière vers l’avant et en bas.

Tensions neuromusculaires (fig. 14 et 15)

En même temps que la sigmoïde significative de la subluxation, on observe sur ce tracé de nombreux petits mouvements saccadés, très rapides, élastiques, attribuables pour la plupart à des tensions des faisceaux antérieur et moyen du temporal. Ces tensions sont plus fréquentes chez les patients de classe II-2 et concernent parfois les trois chefs du temporal, le digastrique, les deux ptérygoïdiens et le sterno-cléido-mastoïdien [23, 24]. Dans ce cas précis, le problème est bien sûr musculaire mais plus encore articulaire. La vérification clinique a été obtenue en testant l’ouverture tout en exerçant une pression sur les angles goniaques pour éliminer la composante musculaire du mouvement. Afin de ne pas confondre causes et conséquences des dysfonctions, un contrôle de la qualité des entrées et sorties de cycle s’impose, de même que celui de l’efficacité du pont d’émail des 16 et 26 ainsi que de sa correspondance sur 36 et 46.

Collage-blocage du disque articulaire

Le collage discal se caractérise par un blocage de la cinématique du disque au cours du trajet fonctionnel. Ce blocage aurait pour origine une usure ou une lésion de l’éminence temporale. On observe un ressaut du comparateur à l’examen axiographique. Le tracé est déformé et son amplitude dépend du degré d’écrasement du disque, de la distension ligamentaire et capsulaire et de l’âge de la pathologie.

Bien visible lors de la déglutition (fig. 16), il s’observe aussi pendant la mastication (fig. 17) ; de fait, le patient a nettement postériorisé sa fonction par réflexe protecteur. Le collage est permanent et le condyle effectue son trajet d’aller-retour en contournant l’obstacle du fait de la distension des ligaments collatéraux. Le mouvement d’entrée et de sortie de cycle étant perturbé, on peut supposer que le disque articulaire n’est pas stable dans le plan transversal, ce que montre le tracé axiographique : le trajet de diduction croise celui de la propulsion ; l’angle de Fischer est mixte.

Il est parfois repérable immédiatement (fig. 18) mais peut aussi passer inaperçu pendant une dizaine de cycles masticatoires (fig. 19). En revanche, la mastication forte le débusque presque systématiquement (fig. 20). Il en est de même pendant l’examen radiographique : si la pathologie ne se produit pas pendant l’unique mouvement radiographié (ouverture-fermeture), le diagnostic sera faussé, d’où cet avantage de réaliser un examen axiographique pendant la mastication.

Début de désunion condylo-discale et désunion condylo-discale

Ce tracé de classe I décrit un S à concavité postérieure dans sa partie supérieure près de l’OIM avec un claquement à l’ouverture se situant à 12 mm de l’OIM ainsi qu’un claquement de retour situé près de la position de référence, comme dans la plupart des cas. Assez large dans sa partie inférieure, le tracé s’amincit en rejoignant l’OIM (fig. 21).

L’enveloppe masticatoire s’infléchit nettement vers le bas, décrivant une sinusoïde. Le tracé non fonctionnel se déplace en direction supérieure et postérieure. L’amplitude paraît normale. Le mouvement dorso-caudal proche de l’OIM résulte du glissement du condyle vers l’arrière, à l’horizontale ou presque en position postérieure dans la cavité glénoïde alors que le disque articulaire amorce son mouvement vers l’avant. Le tracé en sigmoïde évoque avec constance une légère et asymptomatique désunion condylo-discale et renvoie à un contrôle occlusal des entrées et sorties de cycle ainsi que de l’efficacité du pont d’émail (fig. 22 et 23).

Désunion totale et arthrose

Le tracé est considérablement raccourci, très rectiligne ; le disque articulaire n’est plus fonctionnel ; l’angle de Fischer est d’abord positif et précoce puis devient mixte (fig. 24). En même temps que la désunion totale se dessine une tendance à l’arthrose en raison du tracé très ondulé, bosselé, irrégulier, signant la destruction et le remodelage de la corticale articulaire (fig. 25).

L’enveloppe du mouvement manque de coordination, d’harmonie, du fait des tensions neuromusculaires ; elle se situe généralement en arrière et en bas ; en cas de modifications morphologiques importantes, l’enveloppe de mastication n’est pas coordonnée et se répartit en revanche sous la trajectoire limite qui est courte et aplatie par l’usure des structures osseuses (fig. 26 et 27). La pente du tracé est accentuée en phase de luxation non réductible aiguë puis elle diminue avec la chronicité (fig. 28 et 29). L’amplitude du mouvement, quant à elle, est variable et augmente avec le temps.

Essai de synthèse

Le tableau II synthétise ces constatations.

Discussion

L’étude de la fonction masticatrice et de la déglutition reste un exercice difficile et à situer dans son contexte clinique [21, 25, 26, 27, 28, 29].

L’orientation d’un tracé résulte :

– du type de guidage fonctionnel qui se reflète dans la largeur du tracé (avec ou sans défaillances des entrées et des sorties de cycle, avec ou sans une OIM stable). La distance qui sépare la ligne de propulsion et la ligne de diduction correspond à l’amplitude, dans les sens frontal, des cycles de mastication [30, 31] ; elle correspond à l’angle de Fischer, qui peut être positif, négatif, mixte, précoce, tardif mais aussi plus ou moins ouvert [7]. Une analyse occlusale sera cependant toujours nécessaire pour confirmer l’hypothèse axiographique ;

– de l’inclinaison du versant antérieur des cavités glénoïdes par rapport au plan axio-orbitaire de référence. L’angle de la pente condylienne, qui augmente dans les classes II-2 et diminue dans les classes III, semble être un paramètre dépendant soit de l’anatomie de la cavité glénoïde, soit de l’état fonctionnel du disque articulaire ;

– de la présence ou non de tensions musculaires, de surcontacts ou de sous-contacts, de surguidages ou de sous-guidages occlusaux, provoquant des mouvements d’évitement ou, au contraire, d’induction, agrémentant les tracés de petites boucles, de mouvements saccadés, de ressauts du comparateur, d’hésitations dans le mouvement, de variations de la vitesse d’ouverture.

Ainsi l’étude de la fonction montre-t-elle plus ou moins bien des enveloppes de mouvements stéréotypés chez les patients, permettant d’identifier tel ou tel problème articulaire. Si le patient perçoit par exemple régulièrement un claquement articulaire, il peut consciemment ou inconsciemment éviter de le provoquer ; mais la luxation se démasquera fatalement lors de la mastication. Par ailleurs, dans le cas d’une articulation arthrosique, les mouvements seront parfaitement et invariablement guidés par les surfaces osseuses, avec la précision de la correspondance entre une clé et sa serrure.

L’étude de la fonction favorise considérablement l’accès au diagnostic, condition sine qua non de la qualité du pronostic et, par conséquent, du traitement [32, 33, 34].

Conclusion

Appliquée à la mastication et à la déglutition, l’axiographie est sans conteste une aide précieuse au diagnostic des dysfonctions de l’ATM. C’est une technique facilement et rapidement réalisable en pratique courante, même si la manipulation requiert un certain apprentissage et si l’interprétation des résultats reste délicate, surtout en dehors du contexte clinique.

En ce qui concerne la déglutition, il apparaît qu’elle s’effectue toujours en OIM en non en RC comme le soutiennent les gnathologistes, hormis bien sûr les très rares situations dans lesquelles OIM et RC coïncideraient [35, 36, 37].

La mastication, quant à elle, échappe pour une bonne part à la tentative de systématiser les résultats en fonction de schémas purement pédagogiques. La réalité est plus complexe, en l’occurrence surtout à cause du petit nombre de cas analysés. Elle s’appréhende grâce à des « tendances » révélatrices à la fois d’une synthèse de la classification des dysfonctions des ATM et d’une classification orthodontique. Mais, grâce à l’essor de l’occlusion fonctionnelle telle qu’elle est définie par Lauret et Le Gall [16, 17] et grâce à la disparition prévisible de l’occlusion gnathologique incapable de réaliser que le mouvement travaillant ou non travaillant ne correspond à rien dans la réalité, que le choix de la relation centrée comme position de référence est indéfendable, il devient fort probable que l’interprétation des tracés axiographique prenne une orientation nouvelle, susceptible de corréler le tracé avec la qualité de la fonction masticatrice, elle-même sous la dépendance de la qualité des entrées et des sorties de cycle de mastication.

Une confrontation de ces données pourrait en outre être envisagée avec celles fournies par l’axiographie électronique tridimensionnelle qui a l’avantage d’étudier le mouvement en relation avec le temps, en l’individualisant à l’échelle 5 ou 10, tout en sachant le mémoriser, calculer de nombreux paramètres (distance entre RC et OIM par exemple) et apprécier instantanément les valeurs des microparamètres et macroparamètres de l’occlusion. De ce fait, l’exploration de la déglutition et de la mastication ouvre des horizons prometteurs.

bibliographie

  • 1 Slavicek R. L’enregistrement axiographique de la trajectoire condylienne à l’aide d’un arc facial à fixation « extra-occlusale ». Cah Prothèse 1983;41:77-86.
  • 2 Slavicek R. Das Kauorgan. Klosterneuburg : Gamma Medizinisch-Wissenschaftliche Fortbildungsgesellschaft, 2000.
  • 3 Buthiau D, Dichamp J, Goudot P. IRM de l’articulationtemporo-mandibulaire. Paris : Vigot, 1994.
  • 4 Rozencweig D, Gerdolle D, Delgoff C. Imagerie de l’ATM. Aide au diagnostic des troubles cranio-mandibulaires. Paris : CdP, 1995.
  • 5 Schulz D, Winzen O. Basiswissen zur Datenübertragund. Fruchstal : Teamwork media, 2004.
  • 6 Dapprich J. Funktionstherapie in der Zahnärztlichen Praxis. Berlin : Quintessenz Verlag, 2004.
  • 7 Joerger R, Leize M. Imagerie des DTM et examen axiographique. Real Clin 1996;7:197-208.
  • 8 Clauzade M, Cardonnet M. Pathologie de l’ATM. Cah Prothèse 1987;57:129-157.
  • 9 Cardonnet M, Clauzade M. Diagnostic différentiel des dysfonctions de l’ATM. Cah Prothèse 1987;58:125-170.
  • 10 Nogueras J, Salsench J, Torrent J, Samsó J, Peraire M, Anglada JM. Study of the mandibular movements during swallowing. J Craniomandib Pract 1991;9:322-327.
  • 11 Deffez JP, Fellus P, Gérard C. Rééducation de la déglutition salivaire. Paris : CdP, 1995.
  • 12 Romette D. Déglutition. Orthod Fr 1982;53:565-569.
  • 13 Gaspard M. Acquisition et exercice de la fonction masticatrice chez l’enfant et l’adolescent (1re partie). Rev Orthop Dento Faciale 2001;35:349-403.
  • 14 Gaspard M. Acquisition et exercice de la fonction masticatrice chez l’enfant et l’adolescent (2e partie). Rev Orthop Dento Faciale 2001;35:519-554.
  • 15 Melikian K, Joerger R, Hedelin G. Axiographie et déterminants de l’occlusion chez l’enfant. Rev Orthop Dento Faciale 1993;64:701-712.
  • 16 Lauret JF, Le Gall M. La mastication, une réalité oubliée par l’occlusodontologie Cah Prothèse 1994;85:30-46.
  • 17 Le Gall M, Lauret JF. La fonction occlusale. Implications cliniques. Rueil-Malmaison : CdP, 2011.
  • 18 Deppen P, Hugel B. Mastication et déglutition étudiées par l’axiographie. Strasbourg : Université Louis Pasteur, 1991 (thèse de doctorat d’exercice n° 02-03).
  • 19 Landeau C, Lauret JF, Le Gall M. Analyse occlusale des mouvements latéraux. 2e partie : programmation de l’articulateur Reverse®. Syn Prothet 2001; 3:31-45.
  • 20 Baumann B, Izambert O, Joerger R. L’approche tridimensionnelle de l’articulation temporo-mandibulaire. Strat Prothet 2009; 9:53-61.
  • 21 Mongini F, Tempia-Valenta G. Graphic and statistical analysis of the chewing movements in function and dysfunction. J Craniomandib Pract 1984;2:125-134.
  • 22 Peyron MA, Woda A. Adaptation de la mastication aux propriétés mécaniques des aliments. Rev Orthop Dento Faciale 2001;35:405-420.
  • 23 Møller E. The chewing apparatus : an electromyographic study of the action of the muscles of mastication and its correlation to facial morphology. Acta Physiol Scand 1966 69 (suppl.) :1-229.
  • 24 Wilkinson TM. The relationship between the disk and the lateral pterygoid muscle in the human temporo-mandibular joint. J Prosthet Dent 1988;60:715-724.
  • 25 Mongini F, Schmid W. Orthopédie cranio-mandibulaire et articulaire (ATM). Paris : CdP, 1992.
  • 26 Lewin A. Electrognathographics. Atlas of diagnostic procedures and interpretation. Chicago : Quintessense Publishing Co., 1985.
  • 27 Lundeen HC, Gibbs CH. Advances in occlusion. Boston : John Wright, 1982.
  • 28 Lundeen HC, Gibbs CH. Mouvements mandibulaires et forces durant la mastication et la déglutition. Signification clinique. Toulouse, Compte rendu des Premières Journées Internationales du CNO. Paris : CNO, 1984: 2-46.
  • 29 Ahlers O, Jakstat H. Klinische Funktionsanalyse als Grundlage der Diagnostik-Kaskade. Quintessenz 2007; 58:451-464.
  • 30 Kuwahara T, Bessette RW. Maruyama T. Chewing pattern analysis in TMJ patients with and without internal derangement: part I. J Craniomandib Pract 1995;13:8-14.
  • 31 Kuwahara T, Bessette RW, Maruyama T. Chewing pattern analysis in TMJ patients with and without internal derangement : part II. J Craniomandib Pract 1995; 13;93-98.
  • 32 Cardonnet M. Dysfonctions de l’appareil manducateur. Les gouttières. Indications. J Edgewise 1989; 19:9-64.
  • 33 Decker A, Deffrennes D, Guillaumot G, Kohaut JC. L’orthopédie dento-faciale dans la genèse, le traitement et la prévention des dysfonctions cranio-mandibulaires. Rev Orthop Dento Faciale 1993;27:433-459.
  • 34 Raymond JL. Traitement orthopédique des malocclusions de classe III. Réhabilitation occlusale et fonctionnelle. Empresa, 2002.
  • 35 Posselt U. Physiologie de l’occlusion et réhabilitation. Paris : Julien Prélat, 1969.
  • 36 Joerger R. La relation centrée, un concept métaclinique. Strat Proth 2005;5:369-376.
  • 37 Le Gall M, Joerger R, Bonnet B. Où et comment situer l’occlusion Relation centrée ou position de déglutition guidée par la langue Cah Prothèse 2010;150:33-46.