Odontologie Restauratrice
Meriem Amine* Ghizlane Hassar** Aida Bigou*** Bachir Mbarky****
*Professeur assistant en prothèse
conjointe
**Spécialiste au service de
prothèse conjointe
***Professeur de l’enseignement
supérieur, chef de service de prothèse conjointe
****Professeur agrégé au service de
prothèse conjointe
Service de prothèse conjointe,
Centre de consultations et de traitements dentaires,
CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc.
Ce travail est une revue de la littérature ayant pour objectif d’analyser le taux de survie des facettes collées. L’analyse critique de cette revue de littérature a montré que les facettes céramiques collées présentent un excellent taux de survie. Le faible taux d’échec rapporté concerne des échecs mécaniques (fracture de céramique, fissures et craquelures) et des échecs d’adhésion (décollement total ou partiel et conséquences cliniques). Un travail de synthèse sur les facettes céramiques collées nous a permis de conclure que la technique est très fiable. Les quelques échecs constatés ne sont dus qu’à des erreurs de réalisation.
Reliability of porcelain laminates veneers. Literature review
This work is a literature review aimed to analyze the survival rate of ceramic veneers. Critical analysis of this literature review has shown that porcelain laminate veneers have excellent survival rates. The low failure rate reported concerned mechanical failures (fracture of ceramics, fissures and cracks) and failures of adhesion (full or partial loss of bonding and clinical consequences). A synthesis of the bonded ceramic veneers allowed us to conclude that the technique is very reliable. The few failures observed are due only to errors of execution.
La technique des facettes céramiques collées, apparue dans les années 1930 dans un souci d’économie tissulaire, a connu une évolution importante dans les années 1980, allant de pair avec le progrès technologique des matériaux esthétiques, des matériaux de collage, une meilleure compréhension des mécanismes de collage et la forme de contour de la préparation mieux adaptée aux exigences cliniques du matériau prothétique.
Le recul clinique de cette technique étant suffisant, l’étude du taux de survie des facettes céramiques collées est apparue intéressante à travers une revue de littérature.
Une recherche documentaire préalable a été réalisée au niveau de la base de données PubMed Medline, utilisant des mots-clés MeSH : « ceramic veneers AND survival rates » pendant les douze dernières années. Sur les 35 articles indexés, une analyse critique a permis de garder 7 études présentant la rigueur du protocole et l’analyse des données. Le tableau I résume les étapes de sélection des études d’après Kreulen et al. [1].
Sept études longitudinales de suivi ont été utilisées pour faire une compilation sur les facettes collées (tabl. II).
Dumfahrt et Schäffer [2], en 2000, ont analysé dans une étude rétrospective, menée sur 10 ans, le taux de survie de 191 facettes, en prenant quatre paramètres : la forme de contour de préparation (préparation en fenêtre ou avec recouvrement palatin), la situation de la ligne de finition (au niveau de l’émail ou de la dentine), l’étendue de la surface de collage (émail ou dentine) et l’occlusion.
Leur analyse a montré que le type de préparation (avec ou sans retour palatin) n’influence pas le taux d’échec. Ils ont noté une augmentation non significative statistiquement du taux d’échec en rapport avec la situation des lignes de finition au niveau de la dentine et/ou une surface de collage étendue au niveau de la dentine. L’adaptation est moindre lorsque les lignes de finition sont situées au niveau de la dentine. L’occlusion influencerait la majorité des cas d’échecs. Cette étude faite sur 10,5 ans montre un taux d’échec de 4 %. Les échecs sont mécaniques par fracture de céramique et par décollement de facettes. Le taux de survie rapporté est de 97 % à 5 ans et de 91 % à 10,5 ans.
Sieweke [3] en 2000 a effectué une étude rétrospective sur la longévité de 36 facettes en IPS Empress® d’Ivoclar Vivadent réalisées sur les canines et suivies pendant 6,74 ans. Les échecs rapportés ont concerné principalement des fractures de céramique et des décollements et, secondairement, la perte de participation dans la fonction. Le taux de survie demeure élevé : 76 % à 6,5 ans.
Pneumans en 2004 [4] a mené une étude prospective pendant 10 ans sur 87 facettes en céramique feldspathique réalisées avec retour palatin. Ils ont noté un pourcentage de réussite de 92 % à 5 ans. Il décroît à 64 % au bout de 10 ans.
Les échecs étaient en rapport avec des fractures de céramique (11 %) et des défauts d’adaptation marginale (20 %). Ces derniers étaient essentiellement localisés dans les zones où la limite de la facette se situait sur une restauration en composite préexistante. Seules 4 % des restaurations par facettes ont nécessité un remplacement après 10 ans de suivi.
Fradeani et al. [5] ont effectué en 2005 une étude clinique rétrospective sur 182 facettes sur une période de 12 ans. Les évaluations cliniques ont porté sur l’intégration colorimétrique, sur l’état de surface de la céramique, sur les discolorations marginales ainsi que sur l’intégrité marginale. Deux matériaux céramiques ont été étudiés : l’Empress® et la céramique feldspathique cuite sur moulage réfractaire. Les auteurs ont noté que la nature du matériau n’intervient pas dans les échecs. Le taux d’échecs rapporté, de 5,6 % à 12 ans, concerne essentiellement la fracture de céramique et le décollement partiel avec exposition dentaire portant atteinte à l’esthétique ou à la fonction. Le taux de survie des facettes en céramique collées selon cette étude s’élève à 94,4 % sur 12 ans.
Layton et Walton en 2007 [6] ont réalisé une étude de cohorte prospective concernant 304 facettes en céramique feldspathique suivies pendant 16 ans. Ils ont noté un taux de survie de 96 % à 5-6 ans ; 93 % à 12-13 ans et 73 % à 15-16 ans. Les taux de survie cumulatifs ont été calculés par la méthode Kaplan-Meier (qui permet de calculer la probabilité de survie à chaque fois qu’au moins un échec est enregistré. La courbe de survie est en marche d’escalier descendant, portant en abscisse le temps et en ordonnée la probabilité de survie). Les principaux échecs rencontrés sont d’ordre esthétique (31 %) ou mécanique (31 %), ou encore dus à un décollement (12,5 %), à des caries secondaires (6 %) ou à des fractures dentaires (6 %).
Guess et Stappert en 2008 [7] ont mené une étude prospective de 66 facettes en IPS Empress suivies pendant 5 ans. Ils ont analysé deux types de formes de contour : la préparation à bord libre modifié, le Butt Margin (fig. 1) et la forme de préparation avec retour palatin. Ils ont noté un taux de survie de 72 % pour la préparation à Butt Margin et de 85 % pour les préparations avec retour palatin. Toutefois, cette différence n’est pas significative statistiquement. Les échecs rencontrés sont d’ordre mécanique et adhésif.
Cötert et al. [8] en 2009 ont analysé, dans une étude prospective menée sur 5 ans, le taux de survie de 200 facettes céramiques. Ils ont étudié différents paramètres : la localisation des facettes, la vitalité pulpaire, la profondeur de préparation et les lignes de finition incisale, cervicale et proximale. L’échec le plus fréquent était le décollement suivi d’un seul cas de fracture cohésive cervicale. Après analyse des résultats par la méthode de Kaplan-Meier et le test du Log Rank*, ils ont noté des taux de survie élevés de l’ordre de 99,5 %, 99 %, 97,5 %, 94,9 %, 94,4 % et de 93,8 % à 8, 9, 11, 15, 16, et 34 semaines respectivement. Selon cette étude, la préparation est le paramètre qui influence le plus la survie des facettes céramiques. Dans cette étude, le facteur temps est très insuffisant pour servir de base d’étude.
À travers cette revue de littérature, les facettes céramiques collées présentent un taux de survie très élevé.
Déjà en 1998, une méta-analyse a été publiée par Kreulen et Creugers [1], analysant le taux de survie globale des facettes collées. Ils ont relevé un taux de survie de plus de 90 % à 3 ans.
Les études cliniques longitudinales restent la base pour établir des critères d’acceptabilité des facettes céramiques. En effet, le comportement clinique des matériaux de restauration est mieux étudié dans l’environnement buccal qui comporte l’application de forces cycliques multiples, intermittentes lors de la mastication, du grincement et du claquement des dents. Le milieu buccal est humide en permanence, riche en bactéries et varie avec l’ingestion de liquides chauds ou froids et d’acides.
Bien que les études in vitro n’aient pas la même valeur que les études in vivo (cliniques), nous avons retenu l’étude in vitro randomisée de Stappert [9] qui présente une rigueur du protocole pour discussion de nos résultats.
Cette étude rapporte également un taux de survie élevé de 81 % à 100 % pour 80 facettes exposées à un milieu buccal artificiel avec 12 millions de cycles de mastication à 49 N [6].
À travers cette revue de littérature, nous notons un taux d’échecs très faible en rapport avec des échecs mécaniques et d’adhésion.
L’étude par éléments finis de Pierrisnard et al. [10] en 1998 a rapporté des contraintes et des déformations plus intenses sur les facettes à faible recouvrement incisif comparativement aux facettes sans recouvrement ou à recouvrement important. La forme de contour à recouvrement faible n’étant pas recommandée, les contraintes et déformations sont nettement moins intenses en cas de facettes sans recouvrement ou à recouvrement important, ce qui corrobore les conclusions de Dumfahrt et Schäffer [2] selon lesquelles le type de préparation (avec ou sans retour palatin) n’influence pas le taux d’échec.
Un échec n’est jamais dû à une seule cause mais à une conjugaison de plusieurs causes dont l’une peut être prépondérante. Par des voies d’études différentes (prise en compte de paramètres différents), on arrive aux mêmes résultats (mêmes échecs).
C’est donc une technique très sûre, très souple car, quels que soient les paramètres étudiés, le taux d’échecs est toujours très faible. Les échecs sont dus à une mauvaise utilisation de la technique.
Un travail de synthèse nous a permis de déterminer les facteurs influençant le succès des facettes céramiques collées :
– l’examen clinique systématique et minutieux avant de poser l’indication ;
– le choix judicieux de la forme de contour de la préparation en fonction des critères clinique et prothétique ainsi que la rigueur lors de la réalisation ;
– le matériau prothétique qui doit se prêter aux exigences de cette technique, résistant en faible épaisseur, apte au mordançage à l’acide fluorhydrique, indispensable au collage.
Les céramiques vitreuses (feldspathiques et pressées), malgré une résistance mécanique intrinsèque faible par rapport aux céramiques cristallines, ont l’avantage de se prêter au mordançage à l’acide fluorhydrique et d’avoir une bonne esthétique (degré élevé de translucidité) favorisant le mimétisme.
D’autre part, leur résistance mécanique se trouve fortement augmentée par le collage cohésif au support. Ainsi, selon Pneumans et al., « la force de cohésion de la céramique feldspathique mordancée et silanée à la dent est supérieure à celle de la jonction émail-dentine et à la cohésion propre de la céramique » [11].
Les infrastructures cristallines alumineuses et en zircone, même si elles ont des qualités mécaniques accrues, gardent une aptitude au collage hypothétique [12].
La réalisation des facettes au laboratoire peut faire appel à des techniques de mise en œuvre très diverses : facettes en céramique feldspathique sur revêtement réfractaire, facettes IPS Empress en technique pressée/coulée avec ou sans stratification, facettes CFAO.
Le succès des facettes céramiques est grandement en rapport avec les aptitudes d’observation du prothésiste, avec son talent artistique, avec sa discipline ainsi qu’avec les connaissances techniques de l’équipe de laboratoire. Une collaboration efficace doit être établie entre le chirurgien-dentiste et le céramiste, pour bien comprendre et satisfaire les désirs du patient [13].
Le principe d’adhésion aux tissus dentaires se fait par micro-clavetage mécanique au niveau de l’émail mordancé. En revanche, l’adhésion au niveau de la dentine est principalement assurée par la couche hybride.
Le traitement de surface de la facette est à base de mordançage acide et de silanisation et le collage fait appel à des adhésifs de quatrième génération MR2 ou MR3 (Goracci et Mori, 1998 [14]), les colles utilisées sont les composites BIS GMA (Variolink® II, Variolink® Veneer d’Ivoclar Vivadent, Choice® de Bisico). Le protocole clinique d’assemblage doit se faire avec une grande rigueur [14].
Si la couleur de la facette doit être modifiée avec un composite de collage coloré, il faut savoir que le composite non polymérisé n’a pas le même rendu de la teinte une fois polymérisé. Une étude préalable des teintes permet d’éviter ce genre d’écueil [12].
L’ajustement occlusal ne doit jamais être entrepris avant le collage des éléments en céramique, en raison des risques importants de fracture du matériau. On commence par l’occlusion en intercuspidie maximale. Les retouches sont apportées avec des fraises diamantées à grains fins et des pointes en silicone. Une attention toute particulière doit également être portée au maintien ou au rétablissement d’un guidage antérieur correct et fonctionnel au cours des mouvements mandibulaires, qu’il soit assuré ou non par les facettes en céramique. La finition et le polissage sont de rigueur afin d’éviter les risques d’échecs à long terme [15].
La restauration par facette collée est une des techniques utilisées pour la restauration esthétique du secteur antérieur.
Le pourcentage élevé de survie est encourageant. Il s’agit de restauration durable si le protocole opératoire est scrupuleusement respecté.
Le très faible taux d’échecs mentionné dans la littérature est dû à des erreurs ou à des non-observations du protocole clinique.
Cette technique fiable mérite réellement de faire partie de l’arsenal thérapeutique de tout praticien.