DÉTOURS CLINIQUES
Docteur en chirurgie dentaire,
chargé de cours à l’Université d’Odontologie de Marseille
Place du Général Dosse
05200 Embrun
La diminution ou la suppression des métaux en bouche est un souhait. Les avancées technologiques permettent de remplacer le métal dans des indications de plus en plus nombreuses. La zircone en prothèse sur implants permet de remplacer le métal. Cet article détaille l’utilisation de la zircone Prettau dans une indication de bridges complets transvissés sur 6 implants maxillaires et 6 implants mandibulaires. Les étapes cliniques et de laboratoire sont détaillées.
Bridge screwed on implants using Prettau zirconia. Clinical case
Technical progress in dentistry allow to avoid the use of alloys in many indications. Zirconia in implant dentistry can easily take the place of alloys. This article explain the use of Prettau zirconia for the fabrication of two bridges screwed on 6 implants on the maxillary and 6 implants in the mandible. All clinical and laboratory steps are listed.
Les techniques de réalisation des prothèses fixées en odontologie ne cessent d’évoluer depuis le XIXe siècle en fonction des inconvénients rencontrés à chaque étape et aussi des avancées techniques, les buts recherchés étant la solidité, la durabilité, la fonctionnalité, l’esthétique, la précision et la biocompatibilité.
Si les alliages métalliques ont rendu et rendent encore de grands services en prothèse dentaire, seuls ou accompagnés d’éléments cosmétiques, les problèmes rencontrés au niveau du galvanisme buccal et de la biocompatibilité deviennent de plus en plus d’actualité (relargage, corrosion…). De plus, les métaux sont responsables d’altération esthétique, de conflits, d’artefacts avec certains examens d’imagerie : imagerie par résonance magnétique, tomodensitométrie.
L’engouement pour les procédés tout céramique ne cesse de croître et la suppression des métaux, qui était un souhait voire une nécessité, est aujourd’hui une réalité.
À partir de 1965 et la céramique alumineuse de Mac Lean, de nombreux systèmes tout céramique ont permis la confection de couronnes en vitrocéramique, céramique pressée et incluant des infrastructures alumineuses, céramique basse fusion puis céramique usinée : Cerec®/Celey®, Procera™ (Mat Anderson) dans les années 1990.
Après quelques essais des différents systèmes, nos choix se sont portés sur les techniques Procera™ Alumina pour les restaurations unitaires.
Si les résultats étaient satisfaisants à court et moyen termes, avec le temps les couronnes ont montré, dans certains cas, des défauts de résistance au vieillissement (fracture de la céramique cosmétique ou des armatures). Par ailleurs, cette technique ne permettait pas de réaliser des prothèses de grande étendue.
Pour toutes ces raisons et dès que cela a été rendu possible (2004-2005), nous avons commencé à utiliser la zircone pour la réalisation des armatures et des chapes, des couronnes et des bridges sur dents naturelles, puis pour la prothèse sur implants. Le principal inconvénient de la zircone au départ était que le transvissage n’était pas réalisable. Étant partisans de la prothèse fixée transvissée sur implants pour les avantages qu’elle apporte (démontage/réparation/suppression du ciment), en 2005-2006 nous avons pu réaliser, à l’aide de la technique pantographique Zirkonzahn® d’Enrico Steger, un bridge complet transvissé sur 8 implants.
Le choix du Zirkograph s’est imposé car c’était la seule technique possible pour la mise en œuvre de pièces en zircone de grand volume.
Le bon comportement dans le temps de cette restauration nous a incité à poursuivre l’utilisation de ce protocole dans notre exercice. Le cas clinique suivant illustre ce protocole.
Une patiente est venue consulter le 14 août 2008 pour avoir un avis sur son état bucco-dentaire (fig. 1). Elle a été adressée par sa famille, en particulier par son père qui avait fait réaliser une restauration complète, et par sa sœur médecin qui, souffrant d’une parodontite à évolution rapide de l’adulte jeune extrêmement agressive, venait de bénéficier d’une restauration totale sur implants.
Un examen clinique approfondi complété par l’étude de la radiographie panoramique faite le même jour (fig. 2) a mis en évidence les éléments de diagnostic suivants.
Au maxillaire :
– une parodontite généralisée avec des poches parodontales profondes (supérieures à 8 mm) dans le secteur antérieur ;
– l’absence des dents 18, 16, 15, 14, 24, 25, 27 et 28 (présence d’un débris radiculaire en regard de 24) et une prothèse partielle amovible en résine pour compenser cet édentement ;
– l’absence de 12 et 22 compensée par deux bridges prenant appui sur des dents dépulpées (11, 13, 21 et 23) qui présentaient des lésions apicales, des reprises de caries et des atteintes parodontales ;
– une maladie parodontale sévère en récidive après plusieurs tentatives de traitement selon les dires de la patiente.
En résumé, seules 17 et 27 semblaient pouvoir être conservées.
À la mandibule :
– l’absence de 38 et 48 ;
– la présence de 37 et 47 restaurées avec un amalgame, les tests de vitalité étant normaux ;
– une prothèse partielle amovible en résine pour compenser l’édentement de 43, 44 et 45 ;
– un bridge antérieur de 4 dents, mobile, reposant sur 32 (lésion apicale) et 42 pour remplacer 31 et 41 ;
– un bridge, mobile, remplaçant 34 et 35 avec des appuis sur 33 (lésion apicale) et 36 (reprise de carie et lésions apicale et parodontale).
En résumé, seules 37 et 47 semblaient pouvoir être conservées.
Les antécédents familiaux (sœur présentant un état parodontal similaire) et les échecs des précédents traitements parodontaux entrepris ont orienté la décision thérapeutique. En accord avec la patiente, il a finalement été décidé d’extraire l’ensemble des dents résiduelles à l’exception de 17-27-37-47 qui offraient l’avantage de caler la dimension verticale et de réaliser une restauration bimaxillaire sur implants.
Un examen cone beam a été également réalisé dans la même séance pour évaluer le volume osseux pour l’étude pré-implantaire et finaliser le plan de traitement (fig. 3 et 4).
Le plan de traitement suivant a été établi selon cette chronologie :
– réalisation de prothèses amovibles immédiates maxillaire et mandibulaire ;
– avulsion des dents résiduelles à l’exception des secondes molaires et pose des prothèses amovibles en résine ;
– pose des implants de type Brånemark MK III® en place de 16, 14, 12, 22, 24 et 26 au maxillaire avec greffe osseuse à l’aide de Bio-Oss® dans les secteurs 16 et 26 ;
– pose des implants mandibulaires en place de 36, 34, 32, 42, 44 et 46 ;
– transformation des prothèses amovibles provisoires en prothèses fixées provisoires, vissées sur des cylindres provisoires en titane le jour de la pose des implants (mise en charge immédiate) ;
– réalisation des bridges en céramique sur armature zircone au maxillaire et à la mandibule (type Prettau).
Le choix de la zircone répondait logiquement à notre volonté de supprimer le plus possible le métal des restaurations prothétiques. Un premier bridge en zircone, transvissé, réalisé en 2005 sur 8 implants et se comportant parfaitement dans le temps nous avait conforté dans l’option que nous avions choisie.
La première étape (le 23 octobre 2008) a consisté à extraire les dents 13-12-11-21-23-24-36-33-32-42 et 46 et à ne conserver que 17-27-37 et 47 comme moyens de rétention des deux prothèses amovibles temporaires et de calage de l’occlusion.
La pose des implants a été réalisée le 18 décembre 2008 ainsi que les protocoles de greffe de sinus.
Des implants de type Brånemark Ti-Unit MKIII® (Nobel Biocare) ont été posés comme suit :
– 16 : 10 × 5 WP ;
– 14 : 11,5 × 4 RP ;
– 12 : 13 × 3,3 NP ;
– 22 : 13 × 3,3 NP ;
– 24 : 15 × 4 RP ;
– 26 : 11 × 5 WP ;
– 32 : 15 × 3,3 NP ;
– 34 : 11,5 × 3,75 RP ;
– 36 : 11,5 × 5 WP ;
– 42 : 3,3 × 15 NP ;
– 44 : 3,75 × 11,5 RP ;
– 46 : 11,5 × 5 WP.
Les prothèses partielles amovibles (fig. 5) ont été utilisées comme guides chirurgicaux puis transformées en prothèses fixées avec mise en charge immédiate (fig. 6 et b). Une radiographie panoramique a permis de contrôler l’ostéo-intégration (fig. 7).
La patiente est revenue pour un contrôle le 7 avril 2009. Après validation de la cicatrisation, il a été décidé de passer à la phase prothétique finale. Le délai de cicatrisation a été d’environ 4 mois.
Les empreintes ont été réalisées le 7 avril 2009 (fig. 8 et b). Pour vérifier la fidélité des moulages issus de ces empreintes, des clés en plâtre ont été essayées le 10 avril 2009 (fig. 9).
L’enregistrement des rapports mandibulo-maxillaires a été effectué à l’aide de cire dure aménagée supportée par les prothèses transvissées (fig. 10 et ).
Après vérification, les bridges provisoires ont été vissés sur les moulages (fig. 11 et ) pour réaliser le transfert sur articulateur (moyen le plus simple d’enregistrer les rapports d’occlusion).
À ce stade, la patiente étant satisfaite de l’esthétique de ses prothèses provisoires, il a été décidé de valider le montage avec une clé en silicone réalisée sur les moulages montés sur articulateur (fig. 12).
Ces clés en silicone ont servi à l’élaboration des maquettes en polyuréthane. Ce matériau a été choisi en raison de son extrême précision et de sa stabilité dimensionnelle dans le temps.
Les maquettes en polyuréthane ont été réalisées et fixées en bouche.
Leur essayage, en date du 26 mai 2009, a révélé une évolution du sourire de la patiente : il s’était libéré et était devenu plus gingival qu’auparavant (fig. 13). Il a donc été décidé de modifier le projet esthétique initial avec la suppression de la fausse gencive en céramique et la réalisation d’un bridge en zircone Prettau esthétique avec émergence gingivale connecté directement aux implants (fig. 13).
L’intérêt de ces maquettes en polyuréthane a été de pouvoir valider l’esthétique, l’occlusion et divers autres paramètres (rapports avec la gencive). Il a suffi ensuite d’en faire une réplique en zircone à l’aide du Zirkograph et une « synthérisation ».
Nous avions pu réaliser, à l’aide de la technique pantographique Zirkonzahn® d’Enrico Steger, un premier bridge complet transvissé sur 8 implants. Le bon comportement dans le temps de cette restauration nous a incité à généraliser ce protocole.
Le choix du Zirkograph s’était imposé car c’était la seule technique possible pour la mise en œuvre de pièces en zircone de grand volume, les systèmes CFAO étant à l’époque limités pour la réalisation des prothèses de grande étendue.
La zircone est produite chimiquement à partir de matières premières minérales telles que le silicate de zirconium purifié en oxyde de zirconium (ZrO2), le sodium (Na2O), le silicium (SiO2) et l’oxyde d’aluminium (Al2O3). La zircone que nous utilisons est partiellement stabilisée à l’yttrium (Y2O3) dans sa phase tétragonale qui présente les meilleures propriétés mécaniques. Elle est transformée par des procédés mécaniques (pressage mécanique isostatique de 3 000 bars à 1 500 °C, présynthérisation) en blocs de zirconium faciles à usiner.
L’incompatibilité de certaines céramiques et des zircones, notamment à cause des problèmes liés au coefficient de dilatation thermique (CDT) inadapté entre eux, a entraîné des échecs.
Les forts taux d’échecs ne peuvent être imputés à un manque de résistance du matériau cosmétique car la résistance des cosmétiques pour zircone est comparable à celle des cosmétiques pour infrastructures métalliques. La cause des échecs tiendrait plutôt à un décalage entre les deux coefficients de dilatation thermique.
Une des solutions pour remédier au problème est la zircone Prettau.
On doit à Enrico Steger l’idée et la mise au point du concept 100 % zircone : le bridge Prettau.
Il offre plusieurs intérêts.
– La section des embrasures peut être augmentée au maximum de la hauteur disponible ;
– Il n’existe plus de risque de fracture de la partie cosmétique s’il est décidé de ne pas en mettre ;
– Cette zircone est infiltrable par des pigments de coloration avant le frittage définitif pour régler les problèmes cosmétiques et ne nécessite pas d’apport de céramique, bien que cela soit possible ;
– Il permet des restaurations de grande étendue ;
– Il permet tout de même l’adjonction de céramique cosmétique ;
– Il permet de travailler avec des hauteurs occlusales très réduites ;
– Le protocole de travail est comparable à celui de la réalisation d’armatures en zircone classique (protocole zircone Zirkograph).
Son principal inconvénient réside dans le fait que la résistance à la flexion de cette zircone est inférieure d’environ 20 % à la zircone standard. Ce n’est que parce que l’on peut augmenter ses dimensions au niveau des embrasures que le système est globalement plus résistant.
Ce sont des maquettes en polyuréthane, réalisées à l’identique de la pièce finie, qui servent de modèle pour le fraisage du bloc de zircone avec le Zirkograph car les retouches sont difficiles à réaliser.
C’est l’option que nous avons retenue pour traiter cette patiente.
Pour ce cas, le prothésiste a utilisé le fraisage manuel de la zircone préfrittée à l’aide d’un Zirkograph (fig. 14 et et fig. 15).
Le principe est le copiage de la maquette avec un système pantographique. La maquette est collée sur une plaque qui est ensuite installée sur le plateau pour être lue par un palpeur guidé manuellement. De l’autre côté, sur l’autre plaque, un pain de zircone est positionné puis fraisé jusqu’à l’obtention de la pièce à l’échelle 1/1,293. Le choix de cette échelle de reproduction est déterminé par le coefficient de rétraction de la zircone lors du processus de frittage (ou synthérisation) qu’elle subit après usinage.
Le protocole de synthérisation est différent de celui de la zircone standard du type ice zircone. Il y a une montée en température de 8 °C par minute puis un palier de 2 heures à 1 550 °C. Le cycle de refroidissement dure 15 h 30.
Ce protocole nécessite un étalonnage différent des fours.
Le travail de cette zircone demande un nouvel apprentissage en laboratoire et des protocoles extrêmement stricts pour qu’il n’y ait presque pas de retouches lorsque le produit est synthérisé.
Zirkonzahn® offre un dioxyde de zircone qui est translucide grâce à sa microstructure optimisée. En association avec les Color Liquid Prettau et les teintes de maquillage, il est possible de créer des bridges entièrement en zircone ce qui évite le problème de l’écaillement de céramique. L’obtention d’un résultat esthétique n’est pas aisée car il n’y a pas de repère colorimétrique (16 teintes) (fig. 16 et ).
Les bridges sont terminés au laboratoire mais des retouches minimes peuvent toutefois être réalisées au fauteuil à l’aide du coffret retouche et polissage de faux moignon et bridge ZR (Komet®).
Le coffret retouche et polissage de faux moignon et bridge ZR est indiqué pour les retouches de faux moignon, les retouches occlusales sur des bridges 100 % zircone et les retouches de puits de vissage. Il est conseillé de travailler sans irrigation et en exerçant une pression faible (fig. 17, 18, et ).
Les figures 19 et 20 illustrent les constructions finales au laboratoire et les figures 21 et les restaurations prothétiques finales en situation clinique
La radiographie panoramique de fin de traitement témoigne de la grande précision de la construction intégralement réalisée en zircone Prettau (fig. 22).