PLAN DE TRAITEMENT
Thomas Belangeon* Gilbert Viguié** Matthieu Fabris*** Catherine Millet****
*Ancien interne
**Faculté d’Odontologie de Lyon – Université Claude-Bernard Lyon 1
Service d’Odontologie des Hospices civils de Lyon
6-8, place Depéret
69365 Lyon cedex 07
***MCU-PH
****Faculté d’Odontologie de Lyon – Université Claude-Bernard Lyon 1
Service d’Odontologie des Hospices civils de Lyon
6-8, place Depéret
69365 Lyon cedex 07
*****AHU
******Faculté d’Odontologie de Lyon – Université Claude-Bernard Lyon 1
Service d’Odontologie des Hospices civils de Lyon
6-8, place Depéret
69365 Lyon cedex 07
*******PU-PH
Responsable du département de prothèses
********Faculté d’Odontologie de Lyon – Université Claude-Bernard Lyon 1
Service d’Odontologie des Hospices civils de Lyon
6-8, place Depéret
69365 Lyon cedex 07
Cet article présente la gestion pluridisciplinaire d’un cas de réhabilitation prothétique de grande étendue sur parodonte affaibli. Après analyse du cas et discussion des différentes options thérapeutiques, les phases d’assainissement et de temporisation sont décrites temps par temps. La prothèse d’usage est réalisée après cicatrisation parodontale et validation fonctionnelle et esthétique du projet prothétique. La maintenance parodontale est déterminante pour la pérennité de ce type de traitement.
Global rehabilitation of periodontally compromised dentition
The purpose of this article is to describe the multidisciplinary management of a patient who needs a cross-arch stabilizing bridge with a reduced periodontal support. After analysis of this case report and discussion of different therapeutics choices, periodontal regeneration and transitional protocols are described step by step. The final prosthesis is performed after periodontal healing and validation of the functional and aesthetic prosthetic project. The periodontal maintenance is highly important to determine the long-term outcome.
L’implantologie moderne a connu un tel essor lors de ces dernières années que l’on peut actuellement s’interroger sur la validité des thérapeutiques associant traitement parodontal et prothèse fixée de grande étendue. Cependant, on ne saurait voir dans l’implantologie une solution systématique et incontournable à toutes les situations cliniques. Les réhabilitations globales sur dents naturelles réalisées sur un support parodontal sain mais réduit présentent encore plusieurs intérêts : psychologique, car le patient conserve ses dents même si celles-ci sont des piliers de bridge ; physiologique, avec le maintien d’un volume osseux péridentaire ; et économique, car les patients ne peuvent pas toujours financer des traitements implantaires associant chirurgie préimplantaire et implantaire. Il est incontournable de travailler sur un parodonte assaini, sinon l’évolution s’orientera inévitablement vers un échec à plus ou moins long terme avec la perte prématurée des piliers supports et l’apparition de dégâts osseux importants.
Le but de cet article est de décrire un cas clinique nécessitant une réhabilitation esthétique et fonctionnelle en proposant les différentes options thérapeutiques envisageables et en distinguant temps par temps les séquences cliniques pour la solution retenue.
Une patiente âgée de 56 ans est venue consulter pour un problème esthétique. Lors du premier rendez-vous, elle se plaignait de la position de ses dents antérieures. Elle souhaitait une correction des malpositions de ses incisives maxillaires gauches. D’après elle, cette malposition se serait aggravée à la suite de la réhabilitation prothétique de 12 et 13 deux ans plus tôt. La patiente n’a déclaré aucune pathologie générale, ni prise de médicaments, ni allergie. Elle ne consommait pas de tabac.
L’examen exobuccal n’a pas révélé de perte de dimension verticale, ni de dissymétrie faciale. Le sourire, même forcé, demeurait non gingival. En revanche, ce sourire n’était pas symétrique (fig. 1). La palpation n’a décelé aucune douleur musculaire ou articulaire. L’examen articulaire n’a mis en évidence aucun signe de craquement ou de claquement des articulations temporo-mandibulaires (ATM).
L’hygiène bucco-dentaire était très satisfaisante ; la patiente présentait peu de tartre supra-gingival (fig. 2a et b).
L’indice d’hygiène de Löe et Silness était de 0, ce qui traduit une excellente hygiène bucco-dentaire. Cet examen parodontal a mis en évidence une mobilité dentaire de 1 (selon l’indice de Muhlemann variant de 0 à 4) pour 18, 15, 14, 24, 27 et 28 sur l’arcade maxillaire et de 1 pour 48, 47 et 34 sur l’arcade mandibulaire. Au maxillaire, le sondage a révélé de nombreuses poches parodontales dont la profondeur était souvent supérieure à 5 mm. Il existait une lésion interradiculaire de classe I sur 26 et de classe II sur 27. La mandibule était beaucoup moins touchée ; les lésions se concentraient surtout sur 47 et 48 avec une lésion interradiculaire de classe I sur 47 (fig. 3a et b).
• À l’arcade maxillaire
– Toutes les dents étaient présentes, y compris les dents de sagesse.
– La dent 21 était en palato-version et 22 en vestibulo-version.
– Les dents 12, 13, 16, 24, 25, 26 étaient restaurées par des couronnes céramo-métalliques.
– Plusieurs dents présentaient des soins conservateurs ; 27, 14, 15 et 17 étaient obturées par des amalgames. Les faces proximales des dents antérieures 11, 21, 22, 23 comportaient des composites.
• À l’arcade mandibulaire
Les dents 35, 36, 37, 38, 44 et 46 étaient absentes. Cet édentement mandibulaire bilatéral était compensé par une prothèse partielle amovible à châssis métallique (PPAM). Deux couronnes ajustées en or restauraient 48 et 47. Toutefois, 47 présentait une importante carie distale (fig. 4).
Le bilan rétro-alvéolaire a révélé une alvéolyse horizontale généralisée comprise entre 50 et 70 % au maxillaire. Les lésions interradiculaires étaient bien confirmées sur 26, 27 et 47, tout comme la carie distale sur 47. Les traitements endodontiques avaient été réalisés avec des cônes d’argent (fig. 5a à e).
Les moulages d’étude, avec et sans la prothèse amovible mandibulaire, ont été transférés sur articulateur à l’aide d’un arc facial. L’examen interarcade en occlusion statique a montré un fort recouvrement et un surplomb important. Le plan d’occlusion était perturbé par la migration de certaines dents. L’analyse occlusale dynamique a permis de détecter des interférences travaillantes et non travaillantes en diduction et une répartition non homogène des contacts lors du guidage antérieur pouvant expliquer à la fois l’atteinte parodontale et la migration de 21 et de 22 (fig. 6a et b).
La collecte des données issues de l’anamnèse, de l’observation clinique et des examens complémentaires a accrédité le diagnostic d’une parodontite chronique caractérisée par une alvéolyse horizontale généralisée plus sévère au maxillaire qu’à la mandibule. Le diagnostic étiologique était lié à l’existence d’un facteur prédisposant parodontal familial et de facteurs aggravants avec la présence d’un peu de tartre, de restaurations iatrogènes et d’interférences occlusales.
Le but principal du traitement était de stabiliser la maladie parodontale et d’améliorer l’esthétique par des systèmes prothétiques fixés restaurant le plan d’occlusion et les courbes de compensation.
Dans tous les cas, une thérapeutique initiale comprenant une prise en charge parodontale maxillaire et mandibulaire devait être réalisée [1], complétée ou non par de l’orthodontie préprothétique pour corriger les malpositions, les rotations et les axes dentaires. Ceci aurait pour but d’améliorer la distribution des piliers dentaires au sein de l’arcade, de faire coïncider au mieux les axes dentaires avec les axes prothétiques, de favoriser l’esthétique finale de la réhabilitation et d’améliorer la répartition des forces occlusales.
Après la phase initiale, différentes solutions thérapeutiques seraient envisageables.
Solution n° 1 : réalisation d’un bridge complet de contention maxillaire. Cette solution était réalisable étant donné le nombre important de piliers.
• Avantages :
– psychologique : conservation des dents ;
– esthétique.
• Inconvénients :
– délabrement tissulaire des préparations (en particulier sur les dents antérieures) ;
– difficultés opératoires ;
– coût financier.
Solution n° 2 : avulsion de 24, 25, 26, 27, 28 et 14. Réalisation d’un bridge de grande étendue de 17 à 23 et d’une prothèse sur implants de 24 à 27 après chirurgie préimplantaire de soulevé de sinus.
• Avantages :
– esthétique ;
– pérennité.
• Inconvénients :
– nécessité d’une chirurgie de comblement sinusien ;
– délabrement tissulaire (dents antérieures) ;
– durée du traitement ;
– coût financier très élevé.
La dent 47 doit être extraite du fait de sa très faible valeur intrinsèque et extrinsèque. La restauration prothétique peut être réalisée suivant deux solutions.
Solution n° 1 : prothèses implanto-portées dans les secteurs postérieurs, la perte des dents liée à une parodontite ne constituant pas une contre-indication à l’implantologie [2, 3].
• Avantages :
– esthétique ;
– confort.
• Inconvénients :
– durée du traitement ;
– coût financier élevé.
Solution n° 2 : PPAM pour rétablir un calage postérieur.
• Avantages :
– traitement évolutif et réversible ;
– facilité d’exécution ;
– traitement moins long ;
– coût modéré.
• Inconvénients :
– amovibilité ;
– confort moindre ;
– dents piliers sollicitées lors de chaque insertion/désinsertion de la prothèse.
Après exposé des différentes solutions envisageables, un temps de réflexion a été laissé à la patiente. Consciente des possibilités thérapeutiques maxillaire et mandibulaire, cette dernière a demandé de traiter en priorité l’arcade maxillaire, souhaitant, pour des raisons financières, repousser la réhabilitation mandibulaire et refusant catégoriquement toute étape préprothétique orthodontique.
Dans l’impossibilité de concevoir dans un même temps les restaurations maxillaire et mandibulaire, il a été proposé de diviser le principe initial de réfection globale en deux étapes, avec dans un premier temps la seule réfection de l’arcade maxillaire. Cette décision thérapeutique devrait permettre de répondre au motif de consultation de la patiente en améliorant l’esthétique du secteur antérieur maxillaire grâce à la réalisation d’un bridge complet de contention de 17 à 27 après assainissement parodontal. L’analyse de la littérature et la pratique clinique mettent en évidence des résultats intéressants avec de bons pronostics pour ce type de réhabilitation [4, 5, 6, 7]. La seconde étape consistera en la réalisation différée de prothèses fixées supra-implantaires à la mandibule.
Il a été décidé de conserver la PPAM mandibulaire le temps de la réhabilitation maxillaire pour assurer le calage postérieur et la fonction. Des courbes occlusales idéales pourront être restaurées au maxillaire, imposant alors des retouches sur la PPAM qui simulera le futur projet prothétique supra-implantaire mandibulaire programmé ultérieurement. Ainsi, seules les étapes de la réhabilitation maxillaire sont décrites dans cet article.
1. Réalisation d’un wax-up pour simuler le projet esthétique (fig. 7a à c)
2. Traitement parodontal non chirurgical
Il a consisté en une phase de débridement mécanique par un détartrage supra et infra-gingival sous antibioprophylaxie (amoxiciline 1 g deux fois par jour pendant 7 jours) puis un surfaçage radiculaire toujours sous couverture antibiotique pour potentialiser l’effet mécanique [8].
3. Réévaluation à 3 mois
Les gencives n’étaient plus inflammatoires (fig. 8). On a noté de légères récessions et les profondeurs de poches sont restées supérieures à 5 mm sur de nombreux sites maxillaires (fig. 9). Un protocole complémentaire d’accès aux lésions par traitement chirurgical a été décidé.
4. Traitement chirurgical avec régénération tissulaire guidée
Un lambeau d’assainissement a été associé à une thérapeutique de régénération tissulaire guidée grâce à l’utilisation des amélogénines, l’objectif étant d’obtenir un nouveau système d’attache – et d’éviter ainsi la cicatrisation classique du long épithélium de jonction. Selon les études cliniques, ces protéines sont particulièrement indiquées pour les défauts infra-osseux et les lésions interradiculaires [9, 10, 11, 12]. Après élévation d’un lambeau, le tissu de granulation a été éliminé, puis une préparation des surfaces radiculaires à l’aide de PrefGel® (Straumann) et la mise en place d’Emdogain® (Straumann) au niveau des poches infra-osseuses ont été réalisées (fig. 10a à c).
5. Cicatrisation
Les sutures ont été déposées à 15 jours post-opératoires et un contrôle réalisé après six semaines (fig. 11a et b).
6. Réalisation de prothèses provisoires de première génération
Après assainissement parodontal, la prothèse provisoire de première génération a pu être conçue. Deux bridges provisoires postérieurs bilatéraux et un bridge antérieur de canine à canine ont été confectionnés après préparations initiales volontairement supra-gingivales pour ne pas altérer la cicatrisation parodontale [13]. En effet, malgré toutes les précautions liées au polissage de la résine, la porosité de ce matériau constitue un aspect négatif pour la cicatrisation.
7. Réalisation d’une prothèse transitoire
Un bridge de deuxième génération a été conçu à partir du wax-up (fig. 12a et b) et réalisé sur un moulage issu de l’empreinte des préparations initiales. Le contrôle au paralléliseur du moulage de ces préparations a permis de mettre en évidence un problème d’axes prothétiques sur les dents antérieures. Pour cette raison, 11 et 22 ont été dépulpées avant correction de leur axe de préparation.
Le bridge transitoire a été rebasé (résine Unifast®, GC) et scellé provisoirement à l’aide d’un ciment provisoire organo-minéral (Durelon®, 3M ESPE et vaseline). L’occlusion, validée sur l’articulateur, a été contrôlée en bouche.
8. Chirurgie esthétique parodontale
À la séance suivante, le pilier 12 montrant des signes de « faiblesse », il a été décidé de procéder à l’extraction de cette dent (fig. 13), acte sans conséquence compte tenu du nombre de piliers et de la réponse favorable au traitement parodontal de l’ensemble des dents maxillaires. Immédiatement après l’avulsion, une greffe de conjonctif enfoui a été effectuée pour maintenir un volume crestal compatible avec l’esthétique. Un prélèvement palatin a été réalisé selon la technique de Bruno [14] et le tissu conjonctif replié sur lui-même pour augmenter l’épaisseur de tissu apporté a été suturé dans l’alvéole (fig. 14). Le bridge a été modifié en réalisant un élément intermédiaire non compressif dans un premier temps. Après prescription adaptée à ce type de chirurgie, toutes les précautions liées à ce geste chirurgical ont été enseignées à la patiente.
La temporisation a duré six mois après l’achèvement de la phase initiale. Cette phase a permis la maturation tissulaire et l’évaluation de la valeur des supports, de l’esthétique et de la fonction. Le contrôle clinique et radiologique a montré une gencive saine, non inflammatoire, avec des profondeurs de poches comprises entre 2 et 3 mm sans saignement au sondage. La parodontite a semblé stabilisée et la santé parodontale désormais compatible avec la restauration prothétique d’usage. La patiente a souhaité voir apporter quelques corrections esthétiques au secteur antérieur maxillaire.
La forme globale des incisives a été modifiée par fermeture des espaces interdentaires, ces derniers ayant été volontairement ouverts pour favoriser l’hygiène et le contrôle de plaque. L’intrados de l’élément intermédiaire en place de 12 a également été rectifié pour assurer une légère compression gingivale (fig. 15a). D’autre part, suite à la migration apicale de l’attache épithéliale, les préparations cervicales ont été corrigées pour être placées en situation très légèrement intrasulculaire dans le secteur vestibulaire antérieur. Le bridge transitoire rebasé a été parfaitement validé par la patiente (fig. 15b).
Après la prise d’empreinte avec un polyvinylsiloxane (Elite®, Zhermack), le moulage de travail a été coulé puis transféré sur articulateur grâce à l’utilisation d’un arc facial (fig. 16a à c). Le rapport mandibulo-maxillaire a été enregistré à l’aide de deux cales en résine (Pattern®, GC) confectionnées en deux temps : après dépose du bridge provisoire côté droit dans un premier temps, puis côté gauche dans un second temps en maintenant en bouche la cale droite. Les cales, rebasées en bouche avec un ciment provisoire (TempBond®, Kerr), ont ainsi permis le montage du moulage mandibulaire sur l’articulateur (fig. 17a, b et c).
Le prothésiste a réalisé l’armature définitive sur laquelle des index d’occlusion ont été placés en trois points pour contrôler et valider la relation mandibulo-maxillaire lors de l’essayage de l’ajustage de l’armature. Le recours à un silicone light a permis d’apprécier la précision d’adaptation de l’armature (fig. 18a et b).
Une sur-empreinte aux élastomères a été réalisée pour enregistrer l’environnement gingival autour des piliers dentaires, cette information ayant été perdue au moment du détourage des modèles positifs unitaires (MPU). Ce nouveau moulage de travail a permis d’optimiser les profils d’émergence.
La couleur a été choisie en fonction des dents naturelles mandibulaires. Le biscuit (fig. 19), par l’intermédiaire de clés en silicone, a été conçu à l’identique du bridge transitoire validé.
Lors de l’essayage du biscuit, quelques retouches mineures de l’occlusion ont été réalisées. Après glaçage, le bridge a été scellé à l’aide d’un ciment verre ionomère (fig. 20).
La patiente, revue une semaine plus tard, était satisfaite du résultat esthétique (fig. 21a et b). L’objectif thérapeutique a été atteint.
Après une année, un contrôle clinique et radiologique a été réalisé (fig. 22). La patiente s’est alors déclarée prête à commencer la thérapeutique implantaire mandibulaire.
La réalisation d’une prothèse de contention sur un parodonte affaibli reste une thérapeutique actuelle. Dans un souci de respect des tissus parodontaux, il est préférable de réaliser des préparations juxta-gingivales (surtout après la thérapeutique de régénération), qui peuvent donner un résultat discutable sur le plan esthétique à court terme. On observe déjà après un an de port de la prothèse d’usage un début de réattache (creeping attachment) favorisé par la maintenance. C’est grâce à une prise en charge pluridisciplinaire que ce type de réhabilitation a été possible, avec un bon pronostic favorable à moyen et long termes.