Prothèse fixée
Bouabid Morchad* Amal El Yamani**
*Professeur assistant en prothèse conjointe,
Faculté de médecine dentaire de Rabat, Maroc.
**Professeur d’enseignement supérieur en prothèse conjointe,
Chef du service de Prothèse conjointe au Centre de consultation et traitement dentaire de Rabat.
Dans sa pratique quotidienne, le chirurgien-dentiste rencontre souvent des restaurations prothétiques qui ont failli à leur fonction. Ces échecs apparaissent dans un délai plus ou moins long après leur scellement ; ils peuvent être dus à des erreurs survenues au cours de n’importe quel maillon de la chaîne de réalisation prothétique et qui se répercutent sur la pérennité des différents types de restaurations céramo-métalliques ou entièrement céramiques.
Errors in fixed prosthesis during the preparation and clinical essays
In the daily exercise, the dental surgeon often meets prosthetical restorations which failed in the function. These failures appear after more or less long deadline after their sealing, they can be owed to errors arisen during any link of the chain of prosthetical realization and which echoes on the sustainability of the various types of ceramometal or all ceramic restorations.
Actuellement, le regard de l’odontologiste sur son attitude thérapeutique vis-à-vis de l’organe dentaire l’oblige à prendre en compte des facteurs interdépendants. L’attention portée aux paramètres physiologiques de la pulpe et du parodonte et à l’intégration occlusale doit accompagner les progrès technologiques qui permettent un exercice structuré et cohérent. Dans le cadre de la prothèse fixée, l’approche sera globale, pour répondre aux exigences biologiques, fonctionnelles, esthétiques et de confort.
Les étapes prothétiques s’enchaînent suivant une logique spécifique orchestrée par le praticien, tant en clinique qu’au laboratoire de prothèse. À l’issue des préparations, les informations recueillies par l’empreinte et par l’enregistrement de l’occlusion, qui seront exploitées par le prothésiste pour construire des éléments prothétiques, aboutissent aux essais cliniques et à l’assentiment du patient.
Dans cet article, sont décrites des erreurs commises par le praticien lors de la préparation dentaire, de l’empreinte ainsi que lors des différentes étapes d’essais cliniques.
Les préparations dentaires s’inscrivent dans un contexte dynamique. Elles sont le reflet de considérations biomécaniques régissant l’intégration sans dommage de l’élément prothétique au contexte buccal (fig. 1 et ). Le principe directeur des préparations est de ménager l’espace nécessaire aux matériaux constituant l’élément prothétique [1].
La forme de préparation doit avoir une géométrie qui vise à limiter les contraintes mécaniques sur l’interface d’assemblage et à répartir les forces qu’elle subit. Dans ce contexte, la création de surfaces de résistance maximale demeure un objectif majeur. La préparation respectera la morphologie initiale de la dent avec une mise de dépouille correcte (fig. 2 et ), et, afin d’éviter tout mouvement de bascule ultérieur de la restauration, des moyens de rétention secondaire pourront être ajoutés pour s’opposer à la désinsertion (boîtes, rainures, etc.) [2].
La technique de réduction contrôlée et/ou des clés en silicone sectionnées dans différents plans constituent des méthodes simples et efficaces pour guider la préparation dentaire (fig. 3 et ). La restauration provisoire doit être réalisée avant la prise d’empreinte. Elle permettra de vérifier la compatibilité de la préparation avec les exigences mécaniques et esthétiques de la restauration définitive (fig. 4).
Le non-contrôle de la réduction entre en compétition avec les principes de pérennité de l’ensemble dento-prothétique, ce qui implique l’obtention :
– d’une épaisseur insuffisante de métal et/ou de céramique ;
– d’une résistance mécanique intrinsèque insuffisante [2, 3, 4, 5].
Une erreur très fréquente est commise lorsque la réduction n’est faite que selon le plan de l’axe du tiers cervical : l’épaisseur de céramique sur le tiers incisif est insuffisante avec, pour conséquence, un effet esthétique médiocre (fig. 5).
De plus, une réduction suffisante de la face vestibulaire, mais selon une seule direction, pourrait mettre en péril la vitalité pulpaire et réduire automatiquement la rétention des restaurations non adhésives [2].
Lors de la préparation des limites cervicales, le respect de certains principes évite une atteinte du parodonte et, par conséquent, un échec prothétique et esthétique.
– Respect de l’espace biologique : cet espace de 2,04 mm en moyenne, situé entre le fond du sillon gingival et le bord supérieur de la crête osseuse, doit être impérativement respecté lors de la réalisation de toute restauration [6, 7, 8].
Toute violation de cet espace entraîne une atteinte chronique, avec perte d’attache et migration apicale de la gencive marginale aux conséquences esthétiques graves (fig. 6 à ).
Une récession gingivale peut survenir, d’autant plus rapidement que l’os alvéolaire est peu épais : l’espace biologique se recrée automatiquement, mais la visibilité du joint prothétique provoquera un préjudice esthétique (fig. 7777 à 7) [9].
Des limites supragingivales n’étant pas toujours possibles (problèmes esthétiques, rétention insuffisante, renouvellement d’anciennes prothèses…), les limites sous-gingivales sont toujours plus difficiles à contrôler au niveau de l’adaptation marginale (fig. 8) [10, 11, 12].
– Mauvais choix du profil de limite cervicale : la limite préconisée actuellement tant pour des restaurations céramo-métalliques que pour des restaurations tout-céramique est le congé quart de rond, conduisant à une bonne répartition des contraintes (fig. 9) [8].
Dans l’objectif d’une économie tissulaire, le type de préparation sous forme de simple trace, qui n’est qu’une mise de dépouille sommaire réalisée avec une fraise conique fine, présente une imprécision et une difficulté de lecture au laboratoire ; un surdimensionnement de la prothèse favorise un surcontour et, secondairement, une agression chronique du parodonte [13].
– Limites imprécises, peu lisibles : des limites irrégulières, non polies, sans élimination des « béquets » d’émail ou des arêtes vives au niveau des angles externes, entraînent une mauvaise visibilité de celles-ci, avec difficulté d’enregistrement lors de l’empreinte et surtout un moulage trop fragile pour les manipulations au laboratoire (fig. 10) [8].
Les cas simples peuvent parfois se passer d’essais cliniques d’armatures et/ou de biscuit ; en revanche, pour les cas plus complexes, ils demeurent incontournables.
En premier, l’insertion et la désinsertion de l’infrastructure sont vérifiées. Pour diminuer les risques d’imprécision, les prothèses de grandes étendues seront si possible segmentées – ou bien segmentées en vue de brasures secondaires si une solidarisation est nécessaire [14].
Au cours de cet essai, trois points sont à contrôler.
Elle doit être satisfaisante pour éviter les percolations bactériennes et, par conséquent, un échec prothétique. Les valeurs du joint inférieures à 120 µm sont considérées par MacLean comme cliniquement acceptables et durables. Cet espace doit être invisible à l’œil nu, et la pointe de la sonde ne doit pas pouvoir y être insérée (fig. 11 et , 12 et ) [15].
Des défauts de l’intrados sont souvent à l’origine d’une mauvaise adaptation cervicale ; de nombreux matériaux de contrôle de l’ajustage peuvent les mettre en évidence.
– La disclosing wax indique les points de frottement ainsi que l’épaisseur du futur matériau d’assemblage.
– Un silicone fluide à prise rapide met en évidence les zones de surcontour cervical et les points de friction (fig. 13, 14).
Lors de l’essayage, la gencive doit conserver sa couleur.
Si elle blanchit, cela peut être dû :
– soit à une compression excessive des tissus gingivaux périphériques ;
– soit à un pincement du bord gingival ;
– soit à une prothèse provisoire mal conçue qui n’a pas soutenu la gencive libre.
Le respect des papilles est assuré par des embrasures ouvertes, permettant un bon accès à l’hygiène par le patient. L’embrasure gingivale doit laisser s’épanouir la papille sans pour autant laisser apparaître des « trous noirs ».
Des embrasures trop fermées entraînent une compression des papilles, avec une inflammation qui deviendra chronique, mettant en péril la santé parodontale (fig. 15 et ).
Des embrasures trop ouvertes posent un problème esthétique, mais aussi mécanique en affaiblissant les travées de bridges, avec fragilisation de l’ensemble prothétique et risque de fracture.
Ainsi, dans les secteurs antérieurs, pour les prothèses unitaires, l’hygiène interdentaire est assurée par l’utilisation de fil de soie ciré. Concernant les bridges, le passage des brossettes interdentaires dans le secteur antérieur impliquerait des embrasures plus ouvertes, provoquant la vision inesthétique de « trous noirs ». De ce fait, il faut prévoir un juste compromis entre une morphologie adaptée permettant de rétablir l’esthétique et la possibilité de contrôler la plaque dentaire.
Dans les secteurs postérieurs, l’embrasure peut, sans complication, laisser le passage nécessaire et suffisant aux brossettes interdentaires [13, 16, 17].
Pour assurer une bonne rigidité, l’armature doit avoir une épaisseur de 0,3 à 0,5 mm environ. L’épaisseur de la céramique, elle aussi, doit être suffisante pour masquer la masse opaque [2].
L’épaisseur de l’armature a également son importance sur les faces occlusales : un manque d’espace pour la céramique crée un risque de fracture et/ou l’apparition d’un aspect opaque après réglage de l’occlusion ou apparition du métal. Le recours a posteriori au meulage occlusal des dents antagonistes en normo-position est l’une des erreurs qui peuvent conduire à la perte de confiance du patient envers son praticien (fig. 16).
Un enregistrement de l’occlusion et, si nécessaire, un remontage sur articulateur permet d’éviter un grand nombre de problèmes et réduit le temps passé au fauteuil [13, 17].
Enfin, toute interférence entre la chape métallique sur dent cuspidée et les dents antagonistes sera impérativement éliminée aussi bien en propulsion qu’en mouvement de diduction.
Il importe de vérifier si la restauration comprime ou non la gencive marginale et si les intermédiaires de bridge sont correctement adaptés aux crêtes (fig. 30 et 31). La forme des embrasures doit répondre aux exigences décrites ci-dessus pour l’essai des armatures (fig. 17 à ).
Les contacts proximaux : ils ne doivent être ni trop serrés, ni trop lâches, et doivent être évalués avec un fil de soie, en maintenant la prothèse sous pression digitale.
Si ceux-ci sont trop serrés, la restauration risque de ne pas être en enfoncement total sur la préparation (surocclusion et hiatus cervical), avec impossibilité pour le patient de passer le fil de soie ; cet espace est vérifié en plaçant et en interposant un papier marqueur de couleur fin. Si, au contraire, le contact est trop faible, le patient risque de subir une gêne continue, avec un bourrage alimentaire provoquant des troubles gingivaux [16, 17].
Le profil d’émergence est évalué ; son importance est capitale pour le maintien de la santé parodontale et pour le résultat esthétique (fig. 18).
Un surcontour entraîne une compression des tissus parodontaux (gingivite, parodontite), alors que le sous-contour concourt à la création de tassements alimentaires (risque carieux, gingivites, etc.) [13, 17].
L’occlusion n’est réglée qu’après contrôle de la mise en place complète de la restauration.
Une occlusion d’intercuspidie sans activité musculaire importante est d’abord réalisée, pour prévenir toute fracture ultérieure de la céramique [18, 19].
Le passage en occlusion de relation centrée permet de visualiser la présence ou l’absence de prématurités.
En fonction du concept occlusal choisi au préalable lors de l’examen clinique, la restauration doit être intégrée aux différents guidages pour éliminer toutes interférences pouvant entraîner un échec prothétique à court ou à long terme.
L’intégration de toute restauration passe par une phase de préparation dentaire comportant l’élimination d’une certaine épaisseur de tissus adaptée au type de restauration (partielle ou à recouvrement total). Toute erreur lors de cette étape peut avoir des conséquences néfastes sur les suivantes tant en clinique qu’au laboratoire.
À réception des travaux réalisés au laboratoire, le praticien doit avoir un esprit critique et mener les essais cliniques de façon rationnelle pour éviter l’accumulation des erreurs, conduisant à une intégration prothétique défectueuse, mal acceptée par le patient ou présentant des effets pathogènes sur l’environnement tissulaire des prothèses.