DÉTOURS CLINIQUES
Rajae Zeroual* Youness Laalou**
*Professeur agrégée de prothèse maxillo-faciale
**Faculté de médecine dentaire de Casablanca
Rue Abou Alaa Zahar
Quartier des hôpitaux – BP 9157
Casablanca – Maroc
***Ancien professeur, attaché
hospitalo-universitaire, Université Hassan-II
****Faculté de médecine dentaire de Casablanca
Rue Abou Alaa Zahar
Quartier des hôpitaux – BP 9157
Casablanca – Maroc
La problématique de l’appareillage des pertes de substance par une prothèse amovible coulée obturatrice est liée au comportement des tissus de soutien et à la biomécanique du châssis métallique. Les maxillaires présentant des pertes de substance se caractérisent par la notion de dualité des tissus de la surface d’appui : les dents, d’une part, et la muqueuse tapissant le pourtour de la perte de substance, d’autre part, ces deux structures différant de façon très nette par l’importance des comportements engendrés. Le but de cet article est de montrer dans quelle mesure un châssis porte-empreinte en prothèse maxillo-faciale permet de séparer l’enregistrement de la perte de substance de celui des dents, en dissociant les difficultés pour donner une empreinte différenciée de la perte de substance.
Dissociated impression technique using metal framework in maxillary intraoral defects
The problem of prosthetic rehabilitation of maxillary defects by a removable prosthesis obturator is the behavior of the supporting tissues and biomechanics of the metal framework. The maxillary exhibiting defects are characterized by the notion of duality of the supporting tissue : the teeth in one part, and the mucous membrane around the defect, in the other part ; these two structures differ very clearly by the importance of generated movements. The purpose of this article is to show in which measure a dissociated impression technique in maxillofacial prosthesis allows to differentiate the loss of substance area from teeth resilience.
La muqueuse aux alentours d’une perte de substance se déforme selon les caractéristiques d’une muqueuse opérée et régénérée [1, 2, 3].
Cette différence de dépressibilité tissulaire entre les éléments dentaires et ceux entourant la perte de substance entraîne souvent une instabilité prothétique engendrant une surcharge au niveau des dents qui supportent les appuis occlusaux et au niveau de la muqueuse qui tapisse la perte de substance. À moyen terme, des ulcérations muqueuses peuvent être observées et les dents subissent des efforts incontrôlés mettant en péril leur propre pérennité [2, 4, 5, 6].
Le moulage issu de l’empreinte doit refléter la différence des comportements tissulaires entre les unités dentaires subsistantes et les éléments anatomiques en rapport avec la perte de substance.
À l’opposé d’une empreinte en un seul temps avec un seul matériau, une empreinte anatomo-fonctionnelle en deux temps dissocie les difficultés, et peut prétendre atteindre ces objectifs. Elle consiste à :
– dans une première phase, obtenir avec précision la réplique des structures dentaires, ce qui permet l’élaboration du châssis ;
– dans une deuxième phase, enregistrer de nouveau la perte de substance en utilisant le châssis comme support du matériau à empreinte, afin d’obtenir une empreinte de correction en évitant l’encombrement d’un porte-empreinte individuel classique.
L’instabilité prothétique résulte entre autres d’une mauvaise adaptation de la base prothétique aux tissus de soutien.
Une empreinte unique à partir d’un matériau unique ne fournit pas une image précise à la fois des organes dentaires et des tissus muqueux selon les objectifs préalablement définis pour éviter une relative compression des tissus. Elle peut même conduire à une distorsion des tissus et à un manque de précision de l’empreinte se traduisant par un défaut d’adaptation des bases en regard de la perte de substance [1, 5, 6, 7].
Pour résoudre ce problème, les empreintes doivent être précises au niveau des dents, prendre en compte le manque de viscoélasticité de la muqueuse régénérée et assurer un recouvrement maximal du périmètre de la perte de substance [1, 3, 5, 8].
Différentes techniques d’empreintes ont été proposées, dont celle du châssis porte-empreinte qui revêt des intérêts particuliers en prothèse maxillo-faciale (PMF).
Le châssis porte-empreinte procure une empreinte différenciée de la perte de substance en réduisant le déplacement des tissus de la surface d’appui [1, 5, 9]. De plus, le matériau à empreinte porté par le châssis définitif est mieux véhiculé au sein de la perte de substance. Par ailleurs, l’utilisation du châssis porte-empreinte permet d’avoir approximativement le même axe d’insertion entre obturateur et châssis métallique lorsque la prothèse dentaire est solidaire d’un obturateur rigide [1, 3, 5, 9].
Ce sont les bases sur lesquelles sont édifiées toutes les réalisations prothétiques, à savoir les lois de la sustentation, de la stabilisation, de la rétention et de réciprocité. Elles prennent toute leur importance dans le domaine de la prothèse maxillo-faciale, car les structures permettant de les appliquer sont fortement diminuées [3, 10] (fig. 1).
La sustentation est définie comme étant l’ensemble des forces qui s’opposent à l’enfoncement de la prothèse dans ses tissus de soutien [11].
Dans le cas d’une perte de substance acquise, il y a une diminution de la surface d’appui. De plus, la muqueuse opérée ne présente pas la même résistance à l’enfoncement que le reste de la fibro-muqueuse. Il faut donc recouvrir un maximum de surface pour éviter de traumatiser les dents restantes. Elle doit être étendue au-delà des limites habituelles ; les brides cicatricielles, bien fixes, ne seront pas déchargées mais serviront de points d’appui. Pour compenser la diminution de la surface d’appui, le praticien doit également multiplier les appuis dentaires en utilisant de nombreux taquets occlusaux [3, 8, 10].
La stabilisation est l’ensemble des forces s’opposant aux mouvements de translation ou de rotation de la prothèse. La stabilité en PMF est inversement proportionnelle à l’étendue de la résection [12, 13]. Pour éviter les phénomènes de bascule, il faut rechercher le maximum de points d’appui et exploiter les indices biologiques favorables : les rebords de la perte de substance, les contre-dépouilles, les versants des crêtes, les brides cicatricielles, etc.
L’occlusion joue un rôle important dans les cas de pertes de substance étendues. La prothèse ayant tendance à basculer du côté de la perte de substance lors de la mastication, il faut veiller à réduire les pentes cuspidiennes ainsi que la courbe de Spee et celle de Wilson. On pourra même, dans certains cas, ne pas monter les dents prothétiques du côté malade [3, 7, 14].
Chez le patient partiellement édenté, il faut être le plus conservateur possible ; le nombre et la position des dents restantes maxillaires constituent, en effet, un facteur déterminant pour la rétention des prothèses obturatrices.
Des crochets, en nombre suffisant, seront utilisés comme moyen de rétention. Les contre-dépouilles seront exploitées lors de la prise de l’empreinte ; des aimants pourront éventuellement être placés entre l’obturateur et la plaque [3, 7].
• Au niveau dentaire
Les crochets sont les éléments les plus significatifs pour la rétention. Cependant, les contraintes imposées par les mouvements prothétiques peuvent être trop importantes. Le nombre, la position et l’état parodontal des dents restantes sont les facteurs essentiels à prendre en considération.
La contention fixée de quelques dents ou de leur ensemble peut être utile pour dissiper les forces qui seraient concentrées sur les dents supports. Selon Lyons et Beumer [15], « la contention des dents supports adjacentes à la perte de substance permet d’améliorer la distribution d’effort autour de ces dents pendant la fonction, ce qui augmente leur vie clinique ».
Si les dents restantes ne sont pas parallèles aux parois de la perte de substance et si les surfaces palatines ne sont pas adéquates, des plans guides peuvent assurer une résistance au déplacement vertical de la prothèse. Les bras de réciprocité ont pour rôle supplémentaire de s’opposer à la bascule de la prothèse dans la cavité d’exérèse [8, 15].
• Au niveau des crêtes alvéolaires
La taille et la forme de la crête influencent la rétention. Une crête résiduelle large et forte est plus rétentive qu’une crête étroite.
La rétention intracavitaire est la rétention qu’on peut obtenir au niveau des zones en retrait au sein de la perte de substance.
Les grandes pertes de substance approchant la taille d’un maxillaire doivent contribuer à la rétention de la prothèse de façon intrinsèque. En outre, ceci soulagera les dents supports.
Cinq éléments intracavitaires autour de la perte de substance ont été décrits pour ce rôle rétentif [8, 12, 15] :
– le reste du voile du palais (fig. 2),
– le reste du palais dur,
– les trous nasaux antérieurs,
– la bande cicatricielle jugale (fig. 3),
– la hauteur de la paroi latérale de la cavité.
L’empreinte préliminaire vise à fournir des moulages qui tiendront lieu de documents de référence, avant traitement et pour la détermination du tracé prospectif suite à l’analyse au paralléliseur. Il s’agit d’une empreinte anatomique prise en un seul temps avec un seul matériau et utilisant un porte-empreinte de série.
L’empreinte préliminaire doit objectiver l’anatomie des dents restantes, la morphologie des parois de la perte de substance, la situation des organes périphériques comme les brides cicatricielles et le reste de la voûte et du voile. Les mucosités salivaires et les sécrétions sont enlevées à l’aide d’une compresse ; les zones anatomiques en contre-dépouille, difficiles d’accès, peuvent être enregistrées en y déposant de l’alginate à l’aide d’une seringue de type Ramitec®, sans oublier d’oblitérer la perte de substance à l’aide d’une mèche vaselinée pour éviter que le matériau ne fuse dans des récessus anatomiques où il ne pourrait pas être récupéré [3, 16, 17]. L’empreinte est ensuite décontaminée par pulvérisation de glutaraldéhyde à 2 % ou d’hypochlorite de sodium à 0,5 %. Puis elle est traitée de façon conventionnelle [1, 5] (fig. 4 et 5).
Une étude préprothétique est indispensable pour évoluer du tracé prospectif au tracé définitif. Le paralléliseur détermine les axes des piliers ainsi que l’axe d’insertion de la prothèse. Le choix de l’axe d’insertion de l’obturateur optimise sa stabilité, qui conditionne celle de la prothèse dentaire. L’utilisation du paralléliseur permet de combler les contre-dépouilles non exploitables selon un axe précis [17, 18] (fig. 6).
La prothèse conventionnelle peut être insérée selon une trajectoire rectiligne qui permet à tous les appuis de s’asseoir simultanément, En revanche, dans le cas d’une prothèse partielle obturatrice, un trajet rotatif d’insertion et de dépose de l’obturateur peut être nécessaire, en insérant d’abord la portion obturatrice de la prothèse ; ensuite, selon la direction des surfaces guides, on achève l’insertion de la prothèse au niveau dentaire [17, 19] (fig. 7).
Dans le cas de perte de substance de moyenne étendue, la prothèse dentaire peut être solidaire d’un obturateur rigide. Dans d’autres cas, la balle obturatrice peut être désolidarisée du reste de la prothèse et contient dans sa portion inférieure un système mécanique dans lequel vient s’emboîter la prothèse, ou alors la rétention entre les deux parties est assurée par un système d’attraction magnétique [17, 19, 20].
Après réalisation du tracé prospectif, il est indispensable d’adapter l’arcade traitée au tracé prédéfini. Différents types de préparations sont prévus à cet effet, qui consistent en des préparations de logettes, des passages interproximaux, des surfaces de guidage et la création de zones de retrait [4, 8, 12].
En ce qui concerne l’empreinte primaire, sa mise en œuvre est identique à celle qui a été décrite pour l’empreinte préliminaire. Elle a lieu après l’analyse et les aménagements tissulaires.
Elle peut être réalisée à l’alginate de consistance épaisse et avec de l’eau froide pour avoir le temps d’introduire le porte-empreinte en bouche malgré la difficulté inhérente à l’existence fréquente d’un trismus [3, 7, 20].
Tout tracé en PMF, quel que soit son concept, se doit de répondre à un rationnel de construction et nécessite donc une méthodologie [13].
La première analyse concerne la situation de la perte de substance par rapport aux dents résiduelles (fig. 8).
Selon Aramany et Devauchelle [7, 21], la classification permet la systématisation des tracés.
Selon Gaillard [13], chaque cas nécessite une analyse clinique adaptée pour définir le plan de traitement spécifique.
Le moulage de travail est celui sur lequel sera élaboré le châssis métallique selon les exigences définies précédemment [3, 8, 12] (fig. 9).
Les préformes placées de façon spécifique conduisent à la mise en œuvre de la prothèse au laboratoire (fig. 10 et 11). Selon Gaillard [13], « ces préformes devraient être mises au point après expérimentation : essais de fatigue, essais de contraintes, qui devraient répondre aux normes de déplacement de la selle en PMF et de résistance à la pression masticatoire ».
La plaque métallique, qui a conservé jusque-là une bonne surface d’appui sur la muqueuse saine, se prolonge en regard de la perte de substance par une grille rétentive placée légèrement en retrait pour être complètement enrobée de résine chémopolymérisable et constituer ainsi le châssis porte-empreinte. La résine est légèrement espacée du moulage à l’aide de cales, pour compenser la compression provoquée par l’alginate sur les muqueuses [1, 17, 20] (fig. 12 et 13).
Le châssis enrobé de résine chémopolymérisable est essayé en bouche pour contrôler sa parfaite adaptation et s’assurer de l’absence de zones trop compressives sous l’intrados de la selle. À cet effet, on peut recourir à un silicone fluide révélateur de pression [6, 22].
Le réglage des bords du porte-empreinte individuel (PEI) est réalisé en bouche pour éviter les surextensions et les surépaisseurs selon les méthodes habituelles. L’objectif est d’enregistrer, du côté de la perte de substance, la zone cicatricielle le long de la face interne de la joue pour assurer une meilleure herméticité et une sustentation efficace souvent exploitable à ce niveau [7, 20, 21] (fig. 14).
L’empreinte de la perte de substance est entreprise sous forme d’empreinte ambulatoire, avec comme matériau une résine à prise retardée (Fitt® de Kerr) et comme support le châssis porte-empreinte précédemment réglé en bouche.
D’autres conditionneurs tissulaires peuvent être utilisés à condition d’être le moins compressifs possible. Une empreinte ambulatoire assure la mise en forme des tissus ; la résine à prise retardée garnit l’intrados des selles et de la grille et enregistre en quelques jours l’état de la muqueuse, le pourtour de la perte de substance et les structures périphériques pendant les fonctions physiologiques (fig. 15 et 16).
Cette empreinte ambulatoire peut être recommandée sur terrain irradié dans le cas de traitements complémentaires ou palliatifs de radiothérapie curative [9, 21, 23].
Après une semaine, une empreinte de correction de la perte de substance réalise un surfaçage de l’empreinte ambulatoire. L’insertion est guidée par le châssis, qui est maintenu sous pression digitale au niveau des éléments métalliques en veillant à ce que les appuis viennent se positionner, très précisément, dans les logettes préparées à cet effet [5, 6, 9].
Pour cette empreinte, trois types de matériaux offrent un intérêt du point de vue temps de travail et temps de prise. En l’absence de zones de contre-dépouille par rapport à l’axe d’insertion du châssis, le choix d’une pâte à l’oxyde de zinc-eugénol comporte de nombreux avantages : hydrophile, rapidité de prise, stabilité dans le temps et absence d’utilisation d’adhésif [5]. En présence de contre-dépouilles, les autres familles de matériaux peuvent être envisagées comme les silicones monophases en cartouches automélangeuses, les polysulfures de basse et de moyenne viscosité (Permlastic® light de Kerr). Dans le cas d’une légère contre-dépouille, on peut recourir à un polyéther ; en l’occurrence, dans ce cas, il s’agit de la permadyne bleue (3M® Espe) [5, 17] (fig. 17).
Après validation de l’empreinte de correction, une surempreinte à l’alginate est entreprise. Pour cela, un porte-empreinte métallique du commerce, englobant l’ensemble de l’arcade, et sans interférence avec le châssis et la selle porte-empreinte, est choisi avec beaucoup d’attention [1, 5].
Le châssis porte-empreinte est replacé en bouche et deux butées en cire sont positionnées dans le porte-empreinte pour éviter toute infiltration d’alginate sous les selles lors de la prise d’empreinte [1, 5, 22] (fig. 18).
La validation de cette surempreinte est essentielle avant son traitement au laboratoire ; le châssis, idéalement, doit être emporté dans l’empreinte à l’alginate au niveau de laquelle la transition entre tissus mous et châssis doit être lisse, sans fuite d’alginate sous les selles, les appuis occlusaux et les griffes – quand elles existent [1, 5, 9].
Lors du démoulage, une attention particulière est portée pour ne pas fracturer le moulage au niveau des contre-dépouilles de la cavité d’exérèse.
La coulée peut être réalisée en deux parties qui s’emboîtent l’une dans l’autre, grâce à l’utilisation d’indices de repositionnement (fig. 19, 20 et 21), ce qui permet de réaliser une maquette d’occlusion sans risque de fracture du moulage.
Une maquette d’occlusion est confectionnée sur ce moulage, pour l’enregistrement du rapport mandibulo-maxillaire et le transfert sur articulateur (fig. 22).
Le montage sur cire est effectué, suivi de l’essai esthétique et fonctionnel (fig. 23 et 24).
La résine est ensuite polymérisée, polie, finie, et la prothèse est mise en bouche après équilibration (fig. 25 et 26).
Ce procédé peut être élargi aux pertes de substance associées à un édentement subtotal ou total. À cet effet, une plaque palatine peut être réalisée, mais il est possible aussi d’utiliser celle ayant servi à la réalisation de la prothèse immédiate ou provisoire. Elle est réadaptée, au gré de la cicatrisation, par adjonction régulière de résine retard. L’ensemble prothèse et matériau de surfaçage est finalement emporté dans une surempreinte globale à l’alginate. Le moulage obtenu servira, par la suite, à la réalisation de la prothèse obturatrice.
Le traitement des pertes de substance du maxillaire chez le patient partiellement édenté présente un certain nombre de difficultés liées à la diminution de la sustentation, de la rétention et de la stabilisation. Cette technique d’empreinte utilisant un châssis porte-empreinte a permis d’améliorer en prothèse maxillo-faciale, et de façon essentielle, la stabilité des bases prothétiques, grâce à un meilleur recouvrement du périmètre de la perte de substance, mais aussi grâce à une meilleure prise en considération de la dualité de comportement des tissus de soutien. De plus, le traitement de cette empreinte est largement simplifié grâce à la surempreinte à l’alginate.