Odontologie Restauratrice
Michel Fages* Bertrand Bennasar** Jacques Raynal*** Jacques Margerit****
*11, avenue C. Arnaud 34110 la Peyrade
**Port Ariane Résidence Le Guilhem VI rue des Chevaliers de Malte 34970 Lattes
***9, avenue de la République 34700 Lodève
****Odontologie 564, avenue du Pr Viala 34193 Montpellier Cedex 5
L’endocouronne propose une alternative aux traitements prothétiques conventionnels des molaires. En donnant une approche plus conservatrice des tissus dentaires, elle apporte également une intégration biomécanique plus pérenne. Seulement, les critères de réussite imposent une mise en œuvre stricte : choix des matériaux, techniques de préparation, assemblage par collage.
The endocrown : criterias of success
The endocrown offers an alternative to conventional prosthetic treatment of molars. Giving a more conservative approach to dental tissues, it also makes a more lasting integration of biomechanics. But success criteria require a strict implementation : choice of materials, preparation techniques, adhesive bonding.
En 1999, A. Bindl et W. Moermann [1] proposaient dans leur article « Clinical evaluation of adhesively placed Cerec endo-crowns after 2 years-preliminary results », paru dans The Journal Adhesive Dentistry, une alternative à la couronne complète scellée sur un ancrage corono-radiculaire : « the Endocrown ».
Ce nouveau type de reconstruction reprenait des concepts développés par P. Pissis [2] dès 1989 et décrits en 1995 dans Practical Periodontics and Aesthetic Dentistry sous le titre « Fabrication of metal free restauration utilising monobloc technique ».
Plus près de nous, Mondelli [3], en 2004, reprenait ces principes en parlant de « Coroas endodonticas adesivas » : couronnes endodontiques adhésives.
E. Landers et D. Dietschi présentaient en 2008 un « clinical report » sur l’endocouronne [4], tandis que P. Magne [5] proposait en 2009 une étude comparative céramique-composite pour des restaurations molaires par endocouronnes.
Pour ces auteurs et bien d’autres, la préoccupation principale était de s’affranchir du métal et de réaliser une reconstruction collée, invasive a minima, en épargnant les canaux radiculaires.
Les nouvelles générations de céramiques et d’adhésifs ont permis d’envisager de tels traitements, alternative aux restaurations conventionnelles, inlay-core et coiffe périphérique [6, 7].
Toutefois, le succès ne peut reposer que sur une parfaite adéquation entre : l’indication, le choix des matériaux et la préparation.
Cet article traite uniquement des restaurations par endocouronnes pour molaires, [8] même si différentes études proposent d’étendre le concept aux prémolaires maxillaires (Lin et al.) [9] ou aux incisives maxillaires (Zarone et al.) [10].
Ces dernières propositions étant controversées [11], elles ne rentrent pas dans nos indications.
Notre but est d’apporter des précisions raisonnées sur le concept de l’endocouronne : choix des matériaux et techniques de préparation pour réaliser un traitement fiable et pérenne.
Les matériaux de restauration et d’assemblage sont la base de la bio-intégration de l’ensemble dentoprothétique. La préparation doit se faire en fonction de ces matériaux et de leur mise en œuvre (fig. 1).
Une vitrocéramique monobloc a été indiquée [13, 14].
(À différencier des éléments tout-céramique [15], réalisés à partir d’une infrastructure céramique, zircone ou alumine, stratifiée secondairement.)
L’intérêt est triple :
– réaliser une reconstruction en un seul matériau permet la suppression des interfaces successives. Les propriétés physiques du matériau étant connues, la gestion des contraintes est simplifiée ;
– le coefficient d’usure d’une vitrocéramique est proche de celui de la dent naturelle [16], il permet ainsi des rapports harmonieux avec les dents naturelles antagonistes.
Rechercher systématiquement plus dur et plus résistant que l’émail va à l’encontre d’une « bio-intégration » et peut éluder un problème, comme une mauvaise gestion des forces occlusales ou une préparation inadaptée ;
– la vitrocéramique présente des propriétés avérées de biocompatibilité avec la gencive [17] ; elle est, de plus, mimétique.
Parmi les vitrocéramiques, on trouve les feldspathiques renforcées, les vitrocéramiques renforcées, les disilicates de lithium [18]. Leur mise en œuvre se fait soit par méthode de CFAO [19], soit par méthode de céramique pressée [20].
Généralement, la CFAO est réalisée par le traitement d’une modélisation, issue de la numérisation d’un maître moulage [21]. Sur cette image, on effectue la CAO (conception assistée par ordinateur). Le projet prothétique est ensuite usiné (FAO : fabrication assistée par ordinateur) dans un bloc de céramique choisi pour ses propriétés physiques et sa couleur. Une fois usinée, la céramique peut être maquillée pour parfaire l’esthétique.
Un point fort de la CFAO est la possibilité de paramétrer l’espace dento-prothétique réservé au matériau de collage. Grâce à l’usinage, cet espace est précis et régulier. Il est programmé globalement à 100 µm sur l’ensemble de la restauration, avec un paramétrage spécifique à 40 µm pour la jonction cervicale périphérique.
Outre l’optimisation du fluage, cette régularité assure l’harmonie dans la répartition des contraintes au niveau de l’interface de collage, et garantit l’absence de contacts entre la céramique et la dent préparée. C’est un élément clé pour la pérennité de la prothèse (fig. 2).
Les endocouronnes sont souvent associées à la CFAO directe type Cerec (Sirona) [22, 23].
C’est la méthode de travail idéale pour les reconstructions monoblocs céramiques. Elle en permet la conception et la fabrication à partir d’une empreinte optique prise directement en bouche, avec tous les avantages de précision et de rapidité que cela apporte [24] (fig. 3).
Largement développée par le système Empress d’Ivoclar, elle met en œuvre les vitrocéramiques par un système de cire perdue [25]. La céramique est pressée à haute température dans un moule. L’espace dento-prothétique est géré par l’application du ciment d’espacement sur la réplique en plâtre de la préparation. Cette technique peut être moins constante que l’usinage quant à la régularité de l’espace dento-prothétique et du joint cervical ; elle est en revanche plus adaptative pour ce qui concerne la morphologie de la dent prothétique à concevoir (fig. 4, fig. 5, fig. 6).
La vitrocéramique est un matériau qui doit être collé et non fixé par cémentation.
Outre son rôle d’adhésif, le matériau de collage constitue l’interface indispensable entre la restauration et la dent préparée [26].
Du fait de son module d’élasticité, il présente une capacité d’accommodation des contraintes, à l’instar de la jonction amélo-dentinaire [27, 28]. Cette interface doit exister sur toutes les surfaces de la préparation pour pouvoir jouer efficacement son rôle mécanique.
Les matériaux de fixation préférentiellement utilisés sont des colles autoadhésives comme le Relyx Unicem(r) (3M) ou des composites de collage comme le Multilink Automix(r) (Ivoclar). Ils sont choisis pour leurs performances et leur facilité d’utilisation [29].
Le matériau de collage doit être parfaitement polymérisé dans tout l’espace dento-prothétique pour que le patient puisse mettre immédiatement en charge sa prothèse sans risquer de détériorer son interface de collage, mettant en cause la pérennité de la prothèse.
Théoriquement, la polymérisation du matériau peut se faire selon trois méthodes : chémo-polymérisation, photo-polymérisation ou la combinaison des deux polymérisations : le produit est alors dit « dual ».
Elle donne l’assurance d’une polymérisation totale et immédiate. Le patient quitte le cabinet avec la prothèse et son interface parfaitement fonctionnelles. Toutefois, la morphologie même de l’endocouronne contraint à l’utilisation d’une lampe à très forte puissance type Swiss-Master Light(r) (EMS). Les rayons lumineux doivent traverser une épaisseur de céramique parfois supérieure à 7 mm pour aller initier les photo-amorceurs au niveau du plancher pulpaire et sur toutes les faces de la cavité camérale [30].
Elle dispense de l’utilisation d’une lampe. Il est nécessaire de s’assurer que le temps de polymérisation est suffisamment court. Si le praticien ne possède pas une lampe susceptible de déclencher une photo-polymérisation sous des profondeurs de céramique importantes, il est préférable d’opter pour un produit dual, donc chémo-polymérisable à prise rapide, type Multilink automix(r) (Ivoclar).
Des produits chémo-polymérisables exclusifs comme le Super Bond peuvent être évidemment utilisés. Pour une optimisation du collage [31] et faciliter le retrait des excès de colle, le praticien peut s’assurer d’une parfaite isolation de la zone de collage par la pose de la digue.
L’analyse de l’anatomie de la dent à traiter est fondamentale dans l’indication de toute préparation [32], c’est aussi le cas pour les endocouronnes.
Les zones clés de la restauration sont : le trottoir cervical et la cavité camérale. La restauration aura donc deux parties : une partie intracoronaire qui investira la cavité camérale, et une partie coronaire qui reconstituera la dent (fig. 7).
Ce « trottoir » détermine la limite cervicale de la préparation. Il est préférentiellement supragingival, voire juxtagingival.
Sa position est fonction des tissus dentaires résiduels et du couloir prothétique. La réduction doit ménager la place au matériau de reconstruction.
Le trottoir cervical sert d’assise à la restauration et ménage, si possible, un bandeau d’émail périphérique pour optimiser le collage. Il doit permettre aussi une bonne lisibilité des limites, quelle que soit la technique d’empreinte (fig. 8).
Ce n’est pas le sertissage qui est recherché, comme avec un congé ou un épaulement [33], mais une surface stable, plane et large, s’opposant aux contraintes en compression, qui sont majoritaires sur les molaires.
L’orientation du trottoir cervical est parallèle au plan d’occlusion, pour lui permettre de subir ces contraintes dans le grand axe de la dent.
D’un point de vue mécanique, plus le trottoir cervical est important (largeur, circonférence), plus les contraintes sont réparties sur cette zone, et réduites au niveau du reste de l’organe dentaire subsistant.
La position du trottoir cervical détermine :
– la hauteur de la cavité camérale ;
– la largeur du bandeau d’émail (idéalement, il se situe à l’endroit où le bandeau d’émail est le plus large) ;
– le volume laissé à la céramique (fig. 9).
Son rôle est essentiel pour la rétention et stabilisation de la prothèse.
Elle se divise en trois parties : la cavité d’accès à la chambre pulpaire, la chambre pulpaire proprement dite, et le plancher pulpaire avec ses entrées canalaires (fig. 10).
• La cavité d’accès : elle a été créée pour réaliser l’endodontie. Elle doit être économe en substance et respecter l’anatomie de la chambre pulpaire [34].
• La chambre pulpaire : elle a une anatomie spécifique à la mandibule et au maxillaire.
Sa forme, trapézoïdale pour les molaires mandibulaires et triangulaire pour les molaires maxillaires [35], assure le blocage antirotationnel de la restauration (fig. 11).
Les parois de la cavité camérale ne sont pas directement sollicitées par les contraintes en compression puisqu’elles sont parallèles au grand axe de la dent.
• Le plancher pulpaire et l’entrée des canaux radiculaires
Le plancher pulpaire détermine la limite inférieure de la cavité camérale. Son anatomie en « selle » permet le calage de la restauration (fig. 12).
L’entrée des canaux radiculaires est une zone d’intérêt car elle participe à cette morphologie spécifique.
Lors de la préparation, les canaux radiculaires ne subissent aucune mise en forme et ne sont pas investis. Ils ne sont donc pas fragilisés par le forage [36] et n’ont pas à subir l’effet de contraintes, comme lors de la mise en place d’un ancrage [37].
Le plancher pulpaire subit les contraintes selon la même direction que le trottoir cervical. Elles sont réparties sur toute sa surface, toujours dans le grand axe de la dent.
Un matériau de substitution dentinaire déposé au niveau du plancher supprimerait le calage donné naturellement par la forme en selle et diminuerait la hauteur de la cavité camérale.
Toutefois, sa réalisation peut se concevoir par la volonté de réaliser une zone d’accommodation de contraintes plus importante entre la restauration et le plancher pulpaire.
Un tel volume peut se créer en meulant légèrement et de façon homothétique (2 mm maximum) l’intrados prothétique en regard du plancher pulpaire, pour laisser une place plus importante au matériau de collage.
On utilise pour cela des meulettes à céramiques montées sur pièce à main.
En résumé
L’accommodation des contraintes pour une molaire recevant une endocouronne se répartit :
– en compression au niveau du trottoir cervical et au niveau du plancher pulpaire ;
– en cisaillement au niveau des parois axiales de la cavité camérale.
Les parois de la cavité camérale reçoivent des contraintes orientées dans le grand axe de la dent. L’interface est donc sollicitée en cisaillement. Plus la cavité camérale est importante, plus la surface de collage est importante, assurant une meilleure dissipation des contraintes.
Le plancher pulpaire reçoit les contraintes résiduelles (fig. 13).
La préparation se divise en quatre étapes :
– préparation du trottoir cervical ;
– mise de dépouille de la cavité camérale ;
– polissage du trottoir cervical ;
– toilette de la cavité camérale avec dégagement des entrées canalaires.
Les fraises utilisées sont extraites d’un coffret destiné aux restaurations tout-céramique et à la mise en œuvre par CFAO (coffret pour la préparation guidée en CFAO/CAD.CAM, mis au point par le Dr Jacques Raynal, distribué par NTI). Cette méthodologie convient également pour des restaurations réalisées par méthode pressée (fig. 14).
On utilise une fraise diamantée « roue » bague verte (818040C-FG).
La préparation du trottoir cervical détermine la réduction occlusale :
La réduction est perpendiculaire au grand axe de la dent et se fait parallèlement aux plans d’occlusion pour assurer une application idéale des contraintes. La forme de la fraise permet de contrôler parfaitement l’orientation de la réduction et assure la création d’une surface plane.
La réduction doit être au minimum de 2 mm au niveau des cuspides d’appui et des cuspides guides, pour ménager un espace suffisant à la céramique.
Le trottoir doit présenter une largeur d’au moins 2 mm sur 60 % minimum de la circonférence dentaire (fig. 15).
L’atteinte carieuse, souvent proximale, peut contraindre l’opérateur à réaliser une limite juxta, parfois légèrement infragingivale au niveau de la lésion. La différence de niveau entre les différentes zones est corrigée par une pente à 60° (fig. 16 et 17).
On utilise une fraise cylindro-conique bague verte (848 018F-FG).
Le but de cette étape est de mettre en continuité la cavité d’accès, créée lors de l’endodontie, et la chambre pulpaire, avec une dépouille minimale.
On utilise une fraise cylindro-conique diamantée bague verte. La conicité de la fraise est de 3,5° pour permettre une dépouille globale de 7°.
Les 7° de divergence ont un double intérêt :
– ces valeurs sont proches de celles décrites par Jorgensen en tant que dépouille minimale favorisant la rétention et la stabilisation [6] ;
– ce sont les valeurs de dépouille minimales pour une prise d’empreinte optique intrabuccale « point and click » avec une caméra type Cerec [38].
Orientée dans le grand axe de la dent, la fraise réalise la préparation des murs de la cavité sans pression excessive et sans toucher le plancher pulpaire.
Une dépouille excessive de la cavité camérale a pour conséquence la réduction de l’épaisseur des murs et du trottoir cervical, fragilisant l’organe dentaire subsistant et diminuant l’assise de la prothèse.
Pour présenter une surface de collage exploitable, un rôle de stabilisation et une rétention minimale, la profondeur de la cavité camérale ne doit pas être inférieure à 3 mm. Les parois de cette cavité peuvent avoir des hauteurs différentes, l’opérateur doit s’assurer que son volume est compatible avec la bonne tenue de la prothèse (fig. 18 et 19).
On utilise des fraises 846-025C-FG et/ou 848-018C-FG.
Le polissage du pourtour cervical améliore la prise d’empreinte, permet une meilleure adaptation de la reconstruction à la limite cervicale (meilleure étanchéité), et favorise le mimétisme de la céramique.
Le polissage se fait à la fraise diamantée bague rouge.
Elle est passée sur toute la circonférence de la dent en insistant sur la zone amélaire, pour supprimer les microreliefs et obtenir une surface parfaitement plane. Une bonne limite cervicale doit déterminer une arête vive (fig. 20 et 21).
L’utilisation des ultrasons est préconisée pour le nettoyage de la chambre pulpaire et du plancher.
Ce toilettage rigoureux permet également d’optimiser le collage.
En aucun cas le praticien ne doit fraiser la zone du plancher pulpaire, même dans le but d’augmenter la profondeur de la cavité camérale. Toute atteinte du plancher fragiliserait sensiblement l’organe dentaire, entraînant des risques de fêlure au niveau de la furcation, et à terme la perte de la dent.
L’entrée des canaux pulpaires est dégagée. La gutta-percha est enlevée sur une profondeur minime n’excédant pas 2 mm pour optimiser l’anatomie en selle du plancher. Cette exérèse se fait à l’aide d’une fraise boule lisse ou d’un fouloir à gutta préchauffé, afin de ne pas léser l’entrée des canaux. L’intégrité tissulaire des canaux radiculaires doit être préservée, c’est une des spécificités de l’endocouronne (fig. 22).
L’impossibilité de réaliser une des étapes précédemment décrites est une contre-indication à la restauration par endocouronne.
L’indication des endocouronnes porte sur les molaires maxillaires et mandibulaires, à condition de ménager des valeurs minimales de profondeur de cavité camérale et de trottoir cervical. Il convient avant toute décision de parfaitement poser l’indication clinique.
Une ancienne restauration par couronne métallique est à remplacer, la dentine infiltrée contraint à déposer l’amalgame (fig. 23 à 27).
Remplacement d’un volumineux amalgame avec perte d’étanchéité, sur 26 (fig. 28 à 31).
En prothèse fixée, la reconstruction des molaires avec ancrage reste d’actualité. Les nouveaux matériaux et la maîtrise de leur mise en œuvre élargissent notre éventail thérapeutique.
Il est désormais admis d’aller au-delà des simples concepts géométriques pour rechercher une intégration biomécanique optimisant la pérennité de l’organe dentaire subsistant.
Être le moins invasif possible, préparer les dents de façon réfléchie pour exploiter au maximum les propriétés des matériaux, s’inscrivent dans la philosophie de la majorité des praticiens.
L’endocouronne est une reconstruction qui souscrit parfaitement à ces concepts, et qui devrait rapidement trouver sa place parmi les restaurations tout-céramique pour dents cuspidées.
Remerciements : Groupe FLAP.