éditorial
rédacteur en chef adjoint
En septembre 2009, la Lettre du Conseil de l’Ordre annonçait la création d’une nouvelle rubrique « Démographie professionnelle » sur son site internet et précisait qu’à « l’heure où notre démographie professionnelle devient de plus en plus préoccupante, cet outil de veille n’en apparaît que plus nécessaire ». En effet, après avoir enregistré une hausse régulière au cours des quinze dernières années, le nombre de chirurgiens dentistes a commencé à diminuer...
En septembre 2009, la Lettre du Conseil de l’Ordre annonçait la création d’une nouvelle rubrique « Démographie professionnelle » sur son site internet et précisait qu’à « l’heure où notre démographie professionnelle devient de plus en plus préoccupante, cet outil de veille n’en apparaît que plus nécessaire ». En effet, après avoir enregistré une hausse régulière au cours des quinze dernières années, le nombre de chirurgiens dentistes a commencé à diminuer (40 930 en 2010 contre 41 374 en 2006). Cette situation, prévisible et annoncée dans le rapport 2006/2007 de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (http://www.sante.gouv.fr/rapport-annuel-2006-2007-de-l-ondps.html) est la conséquence de la mise en place d’un numerus clausus depuis 1971. Avant 1971, l’entrée dans les études d’odontologie était libre. Depuis son instauration à 1 938 postes, le numerus clausus pour les étudiants en odontologie a connu plusieurs grands changements, une réduction drastique (de 1 850 à 1 020 places) au cours de la période 1977-1984, puis cette diminution s’est poursuivie jusqu’en 1992 mais de manière plus modérée, pour atteindre un niveau de 800 places. À partir de 2002, il a été décidé d’un rehaussement continu pour atteindre 1 097 en 2008 avec, pour les dernières augmentations, une priorité donnée aux facultés des régions qui présentent la plus faible densité de praticiens.
Malgré ces hausses récentes et modérées, la diminution du nombre de chirurgiens-dentistes va se poursuivre dans les années à venir, le nombre de cessations d’activité (environ 1 600 par an jusqu’à 2020) n’étant pas compensé par les nouvelles inscriptions au Tableau de l’Ordre (1 050 cette année).
Cette baisse progressive de la densité de chirurgiens-dentistes n’est pas homogène sur tout le territoire. Il existe des fortes disparités à la fois inter-régionales entre le Nord et le Sud (à l’exception de l’Île-de-France, de l’Alsace et de la Bretagne) mais aussi entre communes rurales et grands pôles urbains.
Parallèlement, on observe deux phénomènes. En premier lieu, un vieillissement de la profession avec une hausse de l’âge moyen qui est passé de 42 ans en 1990 à 47 ans en 2006, et aussi, une féminisation continue de la profession, qui compte actuellement 35 % de femmes (contre 29 % en 1990).
Heureusement, le taux de non-utilisation du diplôme est pratiquement nul et les diplômés, hommes comme femmes, ont tendance à exercer rapidement leur profession.
Dans le rapport présenté en 2002 par le Pr Yvon Berland, il était noté l’inquiétude grandissante des professionnels de santé qui rencontrent « des difficultés de plus en plus importantes dans leur exercice public ou privé, salarié ou libéral quel que soit leur lieu d’exercice, zone urbaine ou zone rurale »… « ? Les indicateurs d’alerte démographiques sont en effet nombreux, qu’il s’agisse de pénuries disciplinaires à l’hôpital, de phénomènes de files d’attente en augmentation pour certaines spécialités ou de désertification de zones rurales ».
Neuf ans plus tard, les conclusions de ce rapport sont encore d’actualité.
Alors que fait-on pour sortir de ce « trou démographique », générateur d’inquiétudes pour les professionnels et qui accroît la difficulté d’accès aux soins de nos concitoyens ?
Pour stabiliser le nombre de chirurgiens-dentistes au niveau actuel, il aurait fallu former 3 000 dentistes de 2005 à 2010 et ensuite environ 2 000 par an jusqu’à 2020. Les capacités matérielles et humaines des unités d’enseignement ne permettent pas de gérer de telles variations brutales. Alors, comment faire ?
Le choix politique est clairement comptable. Le numerus clausus en odontologie est, chaque année, fixé par arrêté ministériel (Enseignement supérieur et Santé). Moins il y a de prescripteurs, moins il y aura de dépenses pense-t-on peut-être !
Mais la population générale vieillit, les besoins en soins augmentent et même si l’indice CAO à 12 ans a connu une baisse spectaculaire dans les années 1990 (de 4,2 à 1,9), il n’y a encore que 35 % des Français qui consultent un dentiste au moins une fois par an. Les demandes d’accès aux soins dentaires des populations qui en étaient exclues avant l’instauration de la Couverture maladie universelle (CMU) ne sont pas toujours satisfaites.
Une solution viendra peut-être de l’Europe. En effet, le 13 avril, le commissaire au Marché intérieur a fait état des priorités de la Commission pour optimiser la croissance économique. Cela concerne notamment la circulation des chirurgiens-dentistes pour lesquels « l’établissement ou la prestation de service hors de leur pays d’origine sera facilitée ». D’ores et déjà, il existe une reconnaissance automatique des diplômes européens (plus Suisse, Lichtenstein, Norvège et Islande) pour les praticiens de nationalité française ou d’un des états membres de l’Union européenne. Sur les 1 050 nouveaux inscrits au Tableau l’an dernier, on trouve 896 Français (dont 15 avec des diplômes étrangers), 56 Roumains, 21 Espagnols et 10 Belges entre autres.
Depuis l’entrée dans la communauté européenne de la Roumanie, de plus en plus de Français font le choix d’aller se former dans ce pays. En effet, il existe depuis longtemps des filières en médecine, pharmacie et odontologie qui sont ouvertes aux étudiants étrangers en langue anglaise ou française pour les trois premières années. La fin du cursus est dispensé en Roumain. Cette année, environ 90 étudiants français sont inscrits en 1re année de médecine à Cluj-Napoca et environ 60 en Odontologie. À l’issue de leur formation, un nombre non négligeable de ces étudiants viendra s’ajouter à ceux issus de la formation en France. Et cette perspective intéresse déjà certaines régions qui viennent proposer aux étudiants en médecine à Cluj de venir faire leurs stages en France (dans la Sarthe par exemple), et ensuite de s’installer et d’exercer au minimum 5 ans dans ce département, en contrepartie, le département finance une partie de leurs études. Ce système de partenariat semble devoir se développer pour les étudiants en médecine et sera probablement plus efficace que les primes versées pour la venue des infirmières espagnoles il y a quelques années. Ce sont peut-être ces filières de formation en Europe qui permettront d’atténuer la baisse des effectifs en France.