PLAN DE TRAITEMENT
Yordan Benhamou* Yves Allard** Patrick Mahler***
*Ancien interne en odontologie
Exercice libéral
4 avenue de Verdun
06000 Nice
**MCU-PH prothèse
***PU-PH
Chef du Service pôle odontologie
Hôpital Saint-Roch
06000 Nice
Depuis les débuts de l’implantologie, c’est sur le traitement de l’édentation totale que les cliniciens se sont penchés avec intérêt. Récemment, un consensus a même considéré que la prothèse complète stabilisée sur 2 implants constituait un minimum thérapeutique pour une mandibule édentée. Pour autant, l’implantologie ne peut pas remplacer la conception d’une prothèse obéissant aux exigences fonctionnelles et esthétiques usuelles. Cet article constitue un guide pour la prise en charge et le traitement implantaire d’une patiente totalement édentée. La description précise de chacune des étapes, depuis l’observation clinique jusqu’à la réalisation d’un bridge de 14 dents transvissé sur implants, permet de mettre en lumière les éléments à prendre en compte dans ce type de réalisation. La discussion des choix, à la lumière d’une littérature fondée sur la preuve, apporte des éléments de réponse au clinicien.
Complete treatment of edentulous jaw with screw retained denture
Since the beginning of implantology, clinicians have been most interested in the treatment of edentulous jaws. Recently, a consensus has considered that a complete denture on two implants was the minimum for the treatment of an edentulous mandible. However, implantology can’t go without usual aesthetics and function prosthodontics imperatives. This article consists in a guide for managing and treating a complete edentulous elder woman. Each step is described from clinical examination until the making of a screw retaining fourteen teeth bridge on implants, in order to bring to light the important elements in this kind of realization. Choices are discussed, with an evidence based literature in order to bring answers to clinicians.
Les prévisions pour la France en 2006 [1] annonçaient une explosion du nombre des seniors, dont 23,8 % seront totalement édentés. Cet édentement aboutit à une perte de fonction associée à un déficit esthétique, entraînant une malnutrition, une perte de confiance en soi et, à terme, une diminution de la qualité de vie [2]. Le but de cet article est de décrire, étape par étape, la prise en charge d’une patiente édentée de 70 ans, depuis la première consultation jusqu’à la phase de maintenance de la prothèse d’usage, en justifiant chacun des choix par les données acquises de la science (dentisterie fondée sur la preuve). La prise en compte des éléments issus de l’observation clinique et des souhaits de la patiente ont permis de lui proposer différentes solutions thérapeutiques dont les avantages et les inconvénients lui ont été exposés. La description détaillée et séquencée du traitement par bridge transvissé sur implants à la mandibule a mis en évidence les difficultés techniques et les moyens de les contourner. Enfin, cet article met l’accent sur l’importance de la planification de ce type de traitement qui apporte une prédictibilité du résultat final, gage de sécurité et de satisfaction de la patiente.
La patiente, âgée de 70 ans, s’est présentée à la consultation spécialisée d’implantologie en raison d’une prothèse amovible complète mandibulaire qui manquait de rétention.
L’interrogatoire médical n’avait révélé aucun problème particulier, la patiente n’avait pas d’antécédent de santé générale et, par conséquent, n’était soumise à aucun traitement.
Au cours de la discussion, il s’est avéré qu’elle supportait très bien sa prothèse amovible complète maxillaire mais que le passage récent à l’édentation totale à la mandibule engendrait des difficultés d’alimentation. Elle voulait retrouver une denture fixe au maxillaire comme à la mandibule mais ses possibilités financières ne lui permettaient pas de tout réaliser en une seule séquence ; elle souhaitait donc que le traitement, dans un premier temps, soit localisé à la seule mandibule.
On peut ainsi résumer ses attentes :
– rétablir l’esthétique du visage pour retrouver la confiance en soi ;
– obtenir une meilleure efficacité masticatoire pour pouvoir « manger » normalement ;
– éviter la solution amovible car la patiente voyage souvent et préfère une denture fixe lui rappelant sa denture naturelle ;
– enfin, le traitement mandibulaire doit être compatible et préparer la future réalisation d’une prothèse maxillaire fixée dans un avenir proche.
L’examen exobuccal de face (fig. 1) a montré un visage de forme carrée avec une diminution de la hauteur de l’étage inférieur, un affaissement des muscles masséters, des lèvres fines, une légère déviation nasale vers la gauche et une accentuation des sillons naso-géniens.
L’examen exobuccal de profil (fig. 2) a objectivé une perte de dimension verticale de l’étage inférieur, avec un angle naso-labial ouvert accompagné d’un profil sous-nasal concave et une distance cou-menton faible.
L’ouverture buccale était satisfaisante puisque supérieure à 4 travers de doigts et, ainsi, dégageait une zone de travail suffisante pour le passage des instruments d’implantologie.
Les prothèses de la patiente étaient assez bien entretenues et ne présentaient pas de dépôts de plaque ou de tartre. La patiente avait été informée de la méthode de nettoyage des prothèses amovibles avec du savon de Marseille et une brosse à ongles par le praticien précédent.
L’examen endobuccal du maxillaire édenté (fig. 3) a révélé une crête épaisse de forme ovale avec des reliefs liés à des avulsions mutilantes, une profondeur vestibulaire correcte et un joint palatin postérieur qui coïncidait exactement avec la jonction palais osseux-palais mou.
L’examen endobuccal de la mandibule édentée (fig. 4) a montré une crête fine et résorbée de forme carrée, avec une zone parasymphysaire plus épaisse. On a retrouvé des freins latéraux symétriques et médians et une profondeur vestibulaire peu importante. Signalons un facteur défavorable du point de vue implantaire : la faible quantité de gencive kératinisée.
La vue de profil (fig. 2), compte tenu de la distance cou-menton, laissait déjà présager un décalage des bases osseuses dans le sens sagittal avec une mandibule en retrait.
La radiographie panoramique récente de la patiente (réalisée avant les extractions par son praticien traitant) a servi de premier examen (fig. 5). L’examen des bases osseuses n’a révélé aucune anomalie. À l’époque, les dents mandibulaires résiduelles montraient, pour la plupart d’entre elles, une perte d’attache modérée à sévère qui se traduisait par un rapport couronne/racine défavorable. L’os alvéolaire présentait une hauteur satisfaisante dans la zone située entre les deux trous mentonniers. On pouvait observer les alvéoles des dents maxillaires postérieures en cours de cicatrisation, la présence d’un débris radiculaire recouvert d’os dans le secteur 2 et la proximité des sinus avec la crête osseuse, preuve de l’importance de la résorption osseuse dans les secteurs postérieurs maxillaires.
La perte des dents a perturbé les paramètres :
– esthétique, la perte de la dimension verticale d’occlusion ayant provoqué un effondrement de l’étage facial inférieur et une accentuation des sillons ;
– fonctionnel, une sélection alimentaire (alimentation molle) ayant entraîné l’affaissement des muscles masticateurs (potentiel masticatoire) ;
– prothétique, un décalage squelettique de classe II de Ballard étant source de difficultés dans la réalisation et l’équilibration de prothèses amovibles complètes à la fois esthétiques et fonctionnelles ;
– implantaire, la crête mandibulaire possédant un faible potentiel de rétention pour une prothèse amovible mais le volume osseux dans la zone symphysaire pouvant être compatible avec l’implantologie.
Par ailleurs, une faible quantité de gencive kératinisée au niveau de la crête mandibulaire nécessitera un aménagement préalable ou simultané à la chirurgie implantaire (mise en condition tissulaire).
Le diagnostic étiologique évoquait une parodontite chronique généralisée de stade modérée à sévère, associée à des lésions dentaires avancées, qui ont conduit aux avulsions à l’origine de l’édentation totale.
Les objectifs thérapeutiques découlaient immédiatement de la demande de la patiente et du diagnostic :
– rétablir la fonction ;
– rétablir l’esthétique ;
– redonner confiance en soi à la patiente ;
– maintenir le résultat dans le temps.
Au maxillaire, une nouvelle prothèse amovible complète a été proposée comme une solution à moyen terme (2-3 ans), en préparation d’une implantation future.
Il faut rappeler que depuis 2002, le minimum thérapeutique pour le traitement d’un édentement mandibulaire complet est la prothèse amovible complète supra-implantaire sur 2 implants indépendants ou reliés par une barre [3].
Plusieurs solutions thérapeutiques ont été proposées (en bleu), et deux manières de les réaliser (en rouge) (fig. 6). Les avantages et inconvénients de chacune d’entre elles, ont été présentés à la patiente pour son information (tabl. I).
Concernant la chronologie de mise en charge, même si les conditions locales en permettaient une immédiate, celle-ci engendrait un coût supplémentaire (lié à la réalisation d’une prothèse provisoire à armature rigide faisant office de fixateur externe). Il faut malgré tout préciser que la mise en charge immédiate présente un double avantage : les études montrent un taux de succès supérieur des traitements quand elle est appliquée [6] et le temps de traitement pour aboutir à une prothèse fixée est considérablement réduit par rapport à la mise en charge différée (la prothèse est insérée 2 jours maximum après la chirurgie).
En ce qui concernant la loi de Hobo [4], elle permet de calculer la longueur idéale des extensions distales d’une prothèse sur pilotis selon la formule A × B/10 × C/10 = extension (fig. 7). Le problème, dans le cas de cette patiente, était la forme carrée de l’arcade conduisant à un quasi-alignement des implants dans le plan horizontal avec pour conséquence une impossibilité de réaliser des extensions sans risque de fracture de la prothèse.
À ce stade de la consultation, la patiente a reçu un document de consentement récapitulant les diverses propositions avec leurs avantages et inconvénients respectifs accompagné des devis correspondants aux différentes solutions prothétiques, un délai de 15 jours de réflexion favorisant une décision libre et éclairée
Pour respecter les vœux de la patiente, une nouvelle prothèse amovible complète a été proposée comme une solution à moyen terme (2-3 ans) Elle sera conçue en prévision d’une future implantation.
Compte tenu du contexte et des souhaits de la patiente, il est apparu que la solution d’un bridge en résine transvissé de 14 dents sur 8 implants à la mandibule était la plus intéressante.
Avec l’accord de la patiente, il a été décidé d’opter pour une mise en charge différée.
La réalisation de la prothèse amovible maxillaire s’inscrira dans un protocole aussi habituel que classique et, pour cette raison, il a été volontairement décidé de ne s’intéresser qu’à la seule conception de la prothèse mandibulaire
Cette étape a été consacrée à la réalisation des prothèses amovibles complètes maxillaire (fig. 8) et mandibulaire (fig. 9). Ces dernières répondaient parfaitement aux exigences esthétiques et fonctionnelles. Le concept occlusal privilégié correspondait aux exigences d’une occlusion totalement équilibrée dans tous les mouvements.
Ces prothèses devaient répondre à plusieurs objectifs :
– permettre la validation fonctionnelle, esthétique et psychologique préalable à l’implantation ;
– autoriser la réalisation d’un guide radiologique ;
– favoriser la réalisation d’un guide chirurgical ;
– faciliter la temporisation pendant la phase d’ostéo-intégration et de cicatrisation ;
– servir de référence pendant la réalisation du bridge ostéo-ancré.
Cette étape, souvent négligée, est pourtant la garantie d’un traitement bien conçu. Les implants ne représentent pas le but ultime du traitement mais le moyen de parvenir au résultat prothétique. Leur position est certes subordonnée aux conditions anatomiques mais également aux exigences occlusales. Un guide radiologique avec des dents radio-opaques a été réalisé à partir d’une réplique de la future prothèse pour positionner les implants de façon optimale (fig. 10).
Un examen d’imagerie tridimensionnelle cone beam (I-CAT 3D) a été effectué avec le guide en place et un mordu en silicone putty (index), ce qui a permis un positionnement sans erreur.
L’étude au format DICOM a ensuite été traitée dans un logiciel d’imagerie en 2 séquences : la première pour aborder la globalité par une reconstruction 3D, visualiser les structures et leurs rapports et, enfin, appréhender la chirurgie ; la seconde pour choisir la position, la longueur et le diamètre de chaque implant, en évitant les éléments nobles nerveux et vasculaires sur des coupes transversales.
La vue 3D parasagittale gauche (fig. 11) a parfaitement objectivé les observations cliniques précédentes : décalage des bases osseuses de classe II de Ballard, débris radiculaire dans le secteur 2 postérieur, grande résorption maxillaire et mandibulaire. La calcification du ligament stylo-hyoïdien donnait des processus styloïdes extrêmement longs sans pour autant être à l’origine d’un syndrome d’Eagle (douleur latérale cervico-faciale).
La même vue 3D parasagittale gauche avec le guide radiographique en place (fig. 12) a autorisé une excellente vision du décalage entre le talon des dents antérieures et le sommet de la crête osseuse. Dans ce cas, l’armature transvissée pourra rattraper le décalage sans changer la position des dents ni pratiquer des greffes osseuses difficiles.
Une vue 3D de trois quarts supérieure droite (fig. 13) a mis en évidence la proximité du trou mentonnier et du sommet de la crête.
La figure 14 représente une vue 3D occlusale de la mandibule avec le guide radiologique et les dents radio-opaques perforées en leur centre.
L’étude du scanner est résumée dans un tableau récapitulatif (fig. 15).
Les éléments nobles à éviter sont le nerf alvéolaire inférieur, le nerf mentonnier, le nerf incisif et le pédicule vasculaire de la table interne symphysaire.
Concernant la densité osseuse, selon la classification de Lekholm et Zarb, il existe une qualité osseuse type II [7] se traduisant par un os dense avec une stabilité primaire des implants élevée. Selon la classification de Cawood et Howell [8], relative au volume osseux, la résorption osseuse type IV, la plus sévère à la fois dans les plans verticaux et horizontaux, donne une crête en forme de goutte. Il est alors possible d’anticiper la nécessité d’écrêter pendant la chirurgie pour obtenir un plateau osseux d’au moins 5 mm d’épaisseur et en profiter pour récupérer de l’os qui sera repositionné sur la partie cervicale des implants avant les sutures, car ce sera la partie la plus fine. Les implants envisagés étaient des Brånemark MKIII® (Nobel Biocare) à pans parallèles, à connexion externe et sans platform switching(1) mais offrant l’avantage d’être disponibles en version courte (7 mm). Les références des implants choisis sont reprises dans la figure 15.
L’étude du scanner a permis de confirmer la faisabilité de la solution thérapeutique choisie par la patiente et de préparer cette dernière à la chirurgie.
Une prémédication d’amoxicilline 2 g flash 1 h avant le geste opératoire a été prescrite, en accord avec la recommandation AFSSAPS [9] pour chaque mise en place chirurgicale d’implant.
Il est vivement conseillé d’associer une prémédication d’anti-inflammatoire stéroïdien : prednisolone 60 mg/j le matin, à commencer 1 jour avant et à poursuivre pendant 3 jours pour limiter les suites opératoires, selon la recommandation de la Société francophone de médecine buccale et chirurgie buccale [10].
Après une anesthésie locorégionale bilatérale, le guide chirurgical directement dérivé du guide radiologique a été inséré en bouche (fig. 16). Un pointage a été réalisé jusqu’à l’os avec la fraise boule de petit diamètre, et ce avant ouverture du lambeau.
La figure 17 indique les pointages au niveau du sommet de la crête après retrait du guide chirurgical.
Un lambeau à décharge médiane antérieure a été soulevé et la crête régularisée pour obtenir son horizontalité (fig. 18). L’os récupéré a été conservé dans du sérum physiologique.
Un contrôle des axes avec des jauges de forage en position (fig. 19) a permis de corriger les divergences (il faut normalement les sécuriser avec un fil, non présent sur la photo).
La visibilité de certaines spires, lorsque tous les implants ont été installés (fig. 20), constitue une conséquence prévisible compte tenu de la finesse de la crête.
Tous les implants doivent être situés sur un même plan horizontal (régularisation de la crête). La position de certains implants a été modifiée par rapport à l’étude scanner à cause de la présence d’une boucle du nerf mentonnier identifiée lors du soulèvement du lambeau.
Un comblement de ces zones a été réalisé avec de l’os autogène récupéré sur le site de forage (fig. 21).
Les sutures ont été réalisées au fil Gore-Tex® ePTFE CV5 (fig. 22), avec des points de type Blair-Donati (matelassier). Pendant la chirurgie, la présence de la prothèse maxillaire a également servi de référence avec le guide mandibulaire pour placer les implants dans un axe correct.
L’exactitude du positionnement implantaire a été vérifiée par un contrôle radiographique. La patiente, avant d’être libérée, a reçu une prescription de paracétamol (3 g/j) à prendre pendant 3 jours (recommandation de la Haute Autorité de santé [11]) et des bains de bouche passifs, (chlorhexidine 0,12 %, 3 fois par jour pendant 1 semaine). De plus, il a été expressément recommandé à la patiente de ne pas porter l’appareil mandibulaire pendant 1 mois. Enfin, une alimentation molle a été conseillée.
Le délai de retrait des sutures a été de 10 à 15 jours.
Au bout de 3 mois, la patiente a été convoquée pour la deuxième phase chirurgicale.
Le parfait recouvrement des implants par la muqueuse a été constaté (fig. 23) mais la quantité de gencive kératinisée était toujours faible. Pendant cette phase de chirurgie, des lambeaux en rotation et traction ont permis de modifier la hauteur de tissu kératinisé.
L’immobilité des implants (fig. 24) a été vérifiée, un son clair à la percussion signant une bonne ostéo-intégration [12].
Un tournevis hexagonal pour implants Brånemark MKIII® (Nobel Biocare) a été utilisé pour dévisser la vis de couverture. Après mise en place de tous les piliers de cicatrisation et réalisation des sutures au fil résorbable Vicryl® rapide 4/0 (Ethicon), une médication postopératoire du même type que celle de la première chirurgie a été prescrite.
Un contrôle radiographique panoramique (fig. 25) a permis de vérifier la bonne ostéo-intégration des implants et l’adaptation des piliers de cicatrisation. Dans ce cas, le pilier sur la 36 a été revissé après la radiographie car il existait un hiatus entre le pilier et l’implant 36.
La cicatrisation a été jugée correcte au bout de 1 mois et la quantité de gencive kératinisée s’est révélée très favorable à la prothèse sur implants (fig. 26).
La mise en place de piliers Multi-Unit Abutments® (Nobel Biocare), dont les hauteurs ont été choisies en fonction de la hauteur muqueuse péri-implantaire, a constitué une étape délicate car c’est à ce stade que la cratérisation peut se déclencher sur un implant dépourvu de platform switching [13, 14]. Il faut être le plus aseptique possible pour éviter de transporter des micro-organismes au niveau du joint implant-os. La figure 26 met en évidence la parfaite santé gingivale péri-implantaire.
Les coiffes de protection des piliers Multi-Unit® (Nobel Biocare) (fig. 27) ont été vissées sur ceux-ci. Elles ont également été utilisées pour stabiliser la prothèse amovible de la patiente après son rebasage sur ces coiffes coniques pour une rétention de type télescope grâce à un silicone de rebasage (Silagum®, Pred) (fig. 28).
L’empreinte globale a été réalisée avec un porte-empreinte individuel fenestré au niveau des implants (fig. 29), en utilisant une technique pick-up sur piliers Multi-Unit®. Le matériau choisi a été le polyéther Impregum™ (3M) de consistance regular en raison de ses propriétés thixotropiques et de sa stabilité dimensionnelle après la prise [15].
Après mise en place de tous les transferts d’empreinte, la visibilité des limites n’a pas justifié de contrôle radiographique (fig. 30).
L’empreinte a été réalisée en un seul temps et les transferts ont été dévissés après la prise du matériau. Après la désinsertion de l’empreinte (fig. 31), sa lecture rigoureuse a été nécessaire pour vérifier l’absence de mobilité d’un ou des transferts. Les répliques des piliers ont été vissées dans l’empreinte par le praticien pour s’assurer d’un maximum de sécurité.
Une deuxième sécurité a consisté à contrôler la précision du moulage de travail avant d’envisager toute autre réalisation. Pour cette raison, une clé en plâtre de Sheffield (fig. 32) a été confectionnée. Le vissage séquentiel permet d’identifier une zone d’imprécision lorsque la clé se fissure et se fracture. Dans le cas présent, celle-ci ne s’est pas fracturée. Le maître moulage a donc pu être validé et l’armature réalisée.
L’enregistrement du rapport mandibulo-maxillaire (RIM, ou rapport intermaxillaires) sur toute une arcade est un défi en prothèse sur implants. Pour transférer le moulage sur articulateur avec le maximum de précision, le guide chirurgical, réplique fidèle de la prothèse mandibulaire, a été utilisé comme maquette d’occlusion.
Quatre coiffes de protection des piliers positionnées en quadrilatère ont été solidarisées à ce guide en occlusion en relation centrée (ORC) à l’aide d’un silicone dur de type Luxabite® (Pred) (fig. 33 et 34). La maquette ainsi obtenue était parfaitement stable pour autoriser un montage sur articulateur (fig. 35). L’avantage de cette méthode est d’indiquer au prothésiste la forme et la position des dents définitives préfigurées par la réplique. À ce stade, l’armature a pu être fabriquée directement (fig. 36).
L’armature a été reçue en une seule partie dans un premier temps. La précision d’adaptation doit être de moins de 100 µm sinon il y a des risques de fracture des vis de la prothèse par des phénomènes de tension.
Un contrôle radiographique a été jugé indispensable pour valider l’adaptation parfaite de cette armature sur les piliers (fig. 37, 38, 39 et 40).
Après cette validation clinique, l’armature a été renvoyée pour être séparée en 3 parties (pour prendre en compte le mouvement d’élasticité mandibulaire) [16]. Le prothésiste a réalisé un montage des dents sur cire pour un ultime essayage apprécié par la patiente et un de ses proches (fig. 41 et 42).
La prothèse achevée a été vissée à 15 Ncm avec des vis spéciales neuves en or palladié (fig. 43). Ces vis sont désormais remplacées par les vis TorqTite®, en alliage de titane recouvert d’un revêtement TorqTite® (fig. 43). À la réception du travail terminé, le rattrapage du décalage antéro-postérieur par la prothèse a pu être observé (fig. 44).
Les 3 bridges (fig. 45) décontaminés ont été insérés et vissés à fond dans un premier temps à la main et, dans un second temps (au bout de 15 jours), ils ont été vissés à 15 Ncm. La patiente a été informée des méthodes de nettoyage et d’entretien de ses prothèses (utilisation du jet dentaire et de brossettes interdentaires) (fig. 46). Les puits de vissage ont été obturés avec un composite de teinte A3 et, pour certains, avec une résine veinée rose de type Rebaron® (GC) après vissage définitif (fig. 47).
La patiente, très satisfaite de ses prothèses, a eu le sentiment d’avoir retrouvé une denture naturelle, parfaitement intégrée. Pendant son suivi, elle a manifesté le désir de recourir à des implants sur l’arcade maxillaire car, en dépit d’une excellente rétention de la prothèse maxillaire, il existait malgré tout un différentiel très perceptible entre prothèse amovible et prothèse fixée. La prothèse maxillaire sera réutilisée de la même façon que la prothèse mandibulaire pour effectuer une implantation selon les lois prothétiques. Dans cette éventualité, le schéma opératoire pour implanter le maxillaire sera identique à celui qui a servi pour élaborer la prothèse mandibulaire.
De face (fig. 48), les étages faciaux sont équilibrés, les sillons moins visibles, le visage lumineux et le sourire naturel.
De profil (fig. 49), le changement est encore plus radical. En effet, la patiente est apparue rajeunie, le soutien des tissus mous permettant d’obtenir un profil sous-nasal convexe et esthétique.
De profil en souriant, la patiente a retrouvé une denture d’aspect naturel.
La figure 50 présente une reconstitution illustrant parfaitement le rôle des prothèses dans le soutien labial, les lignes horizontales représentant le parallélisme des plans de Camper et d’occlusion. La ligne verticale symbolise la ligne E, ou ligne esthétique de Rickets.
Le traitement de l’édentement complet par une prothèse totale transvissée sur implants représente un énorme investissement temporel et financier pour le patient. Le rôle du chirurgien-dentiste est de guider celui-ci vers la solution thérapeutique la mieux adaptée à ses besoins sans écarter ses doléances. L’impact sur la qualité de son existence grâce à une meilleure vie relationnelle et à une meilleure alimentation est évident [16].
Même si les implants utilisés n’intègrent pas le platform switching, ils offrent tout de même des avantages en termes de pièces prothétiques et de recul clinique.
Le choix de la séparation en 3 bridges a été longuement discuté en clinique, puis finalement adopté, sachant que les études montrent des pertes d’implants distaux dans les bridges complets mandibulaires [17, 18]. En termes de pronostic sur ce type de traitement, les études cliniques accordent une survie implantaire de 99,5 % à 5 ans [19]. Une fois que tout a été correctement réalisé, le plus difficile reste le suivi des patients et le maintien de l’hygiène [20]. Le contrôle de l’usure des dents en résine et leur remplacement seront à effectuer pour prévenir une perte de calage et de centrage mandibulaire. Cette précaution est encore plus impérative en présence d’une prothèse fixée sur implants antagoniste.
Compte tenu du résultat, cette patiente, très satisfaite, a récemment commencé un traitement implantaire pour le maxillaire. La même méthodologie sera utilisée, le changement concernera le choix thérapeutique qui s’orientera plutôt vers une prothèse scellée sur implants avec concept occlusal modifié au profit d’une occlusion de type naturelle (fonction canine) [21]. Elle aura donc le privilège dont beaucoup de seniors rêvent ; celui de pouvoir profiter d’une « troisième denture ».
(1) Le platform switching correspond à un déplacement de la connexion implant-pilier vers le centre de l’implant, ce qui déporte l’espace biologique d’un plan vertical vers un plan horizontal, mettant à distance de l’os crestal les éventuelles bactéries.
Remerciements
Au Dr Daniel Serre pour son aide précieuse dans la réalisation des étapes pré-implantaires et implantaires.