Les cahiers de prothèse n° 153 du 01/03/2011

 

éditorial

Jean Schittly  

rédacteur en chef

C’est une maladie très répandue qui touche une population de tout âge, de toute condition sociale, de toute profession… et qui présente des formes cliniques très particulières : sa diffusion s’effectue sous une forme proche de l’épidémie, ses symptômes sont spécifiques à une catégorie sociale ou professionnelle particulière mais peuvent évoluer ou se renouveler en fonction du temps ou des effets de mode. On peut distinguer par exemple les symptômes révélés dans les...


C’est une maladie très répandue qui touche une population de tout âge, de toute condition sociale, de toute profession… et qui présente des formes cliniques très particulières : sa diffusion s’effectue sous une forme proche de l’épidémie, ses symptômes sont spécifiques à une catégorie sociale ou professionnelle particulière mais peuvent évoluer ou se renouveler en fonction du temps ou des effets de mode. On peut distinguer par exemple les symptômes révélés dans les cours de récréation, dans les groupes d’ados de banlieue, très différents de ceux des quartiers chics, des journalistes, des hommes politiques… et aucun individu n’est à l’abri d’une contagion d’un groupe à l’autre.

Le plus étonnant, c’est qu’un thérapeute qui voudrait en faire le diagnostic pourrait identifier facilement les symptômes chez les autres mais serait incapable de déceler sur lui-même, spontanément, toute contamination.

Enfin, on peut citer quelques cas de guérison spontanée observés chez des naufragés solitaires recueillis après plusieurs mois de séjour sur une île déserte.

Voilà, je viens, en fait, de livrer à votre sagacité, tous les indices devant vous permettre d’identifier cette maladie. Vous ne trouvez pas ? C’est pourtant clair, aucun individu de votre entourage n’y échappe et sans en avoir conscience vous êtes vous aussi contaminé par cette « ticoïdite aiguë » appelée plus vulgairement « tics de langage »

Le Petit Robert la définit comme « l’emploi d’un mot, d’un tour qui revient anormalement souvent dans le discours de quelqu’un » et des auteurs contemporains, c’est clair, en ont fait, du coup, une description très détaillée et, en fait, tout à fait essentielle(*).

Ça y est, c’est super, vous voici armé, lecteur assidu des CdP, pour déceler ce qui, en fait, vous agace chez vos interlocuteurs, ces inclusions inutiles et ces formules toutes faites qui finalement deviennent indispensables pour donner une respiration entre deux affirmations bien senties. Au fait, ne serait-ce pas l’occasion aussi de prendre conscience de votre propre contamination et d’en identifier les symptômes ?

Pour vous aider, je ne résiste pas à vous livrer un exemple caractéristique du tic de langage du footballeur interviewé à l’issue d’un match perdu : inlassablement, sans réfléchir, il utilise tout ou partie de « En fait, on a bien démarré la partie, on était bien en place, et voilà, on a encaissé ce but contre le cours du jeu. Maintenant on va continuer à travailler et on va prendre les matchs comme ils viennent, sans se poser de questions… »

Certes la langue française subit quelques outrages, mais voilà, en fait, c’est ce qu’on entend dans la vraie vie…

Pas facile, parfois de trouver le sujet d’un édito. Celui-ci n’a qu’un lointain rapport avec l’odontologie (quoique, écoutez bien vos patients et relevez ce que vous leur répondez…) mais voilà, celui-ci est bouclé et, en fait, ce fut un vrai bonheur de jouer à l’arroseur arrosé.

(*) Lectures conseillées (si vous souhaitez des moments de détente) :

– Pierre Merle, Les mots à la con. Edit. Mots et Cie

– Pierre Merle, Panorama aussi raisonné que possible de nos tics de langage. Edit. Fetjaine

– Frédéric Pommier, Mots en toc et formules en tic, petites maladies du parler d’aujourd’hui. Edit seuil/France INTER