Prothèse amovible complète (ou totale)
Fatima Azzahra Mastari* Emmanuel Nicolas** Olivier Hüe***
*Docteur en chirurgie dentaire
**MCU-PH, UFR d’odontologie de Clermont-Ferrand
***MCU-PH
****UFR d’odontologie « Garancière »
Service d’odontologie Hôtel-Dieu
5, rue Garancière
75006 Paris
Le biofilm est une communauté de micro-organismes qui se développent spontanément à la surface de structures humides. Son développement à la surface des prothèses amovibles est rapide et inéluctable, tout particulièrement au niveau de l’intrados. Sa présence est à l’origine de phénomènes inflammatoires de la muqueuse de la surface d’appui avec des conséquences négatives sur l’intégrité de la muqueuse. Son élimination s’avère indispensable. Cependant, les conseils d’hygiène sont peu, voire pas dispensés par le praticien auprès des patients. Dans cette étude, l’efficacité du brossage, procédé simple et peu onéreux, a été démontrée. Si initialement le biofilm recouvre en moyenne 50 % de la surface de l’intrados, le brossage réduit son étendue à 23 % à 8 jours et 12 % à 15 jours.
Efficacy of denture brushing on biofilm removal from intaglio of removable dentures: a clinical study
Dental biofilm is composed of micro-organsims that develop on all wet surfaces. Its development on the surface of removable prosthesis is fast and ineluctable, especially on the intaglio. So, the biofilm could share in inflammatory phenomena of the mucosal bearing area. Consquently, it must be eliminate. However, recommendations for hygienic maintenance are rarely provided by the dental practioner. In this study, the results of the intaglio denture brushing is measured. In conclusion, the brushing reduces the biofilm area from 55 % at the beginning at 25 % (J: 7) at 12 % (J: 15).
En prothèse amovible comme en denture naturelle, l’hygiène est un facteur essentiel de la pérennité des tissus de soutien : surface d’appui muqueuse et parodonte. Le premier objectif de l’hygiène est l’élimination de la plaque dentaire, dénommée maintenant biofilm. En effet, toutes les surfaces prothétiques ou dentaires sont recouvertes par le biofilm, dont la formation ou la création est considérée comme un phénomène naturel que seules certaines méthodes d’hygiène comme le brossage peuvent éliminer.
Selon Donlan et Costerton [1] : « Le biofilm est une communauté microbienne localisée, dont les cellules sont caractérisées par leur adhésion irréversible à une surface, ou les unes aux autres, leur inclusion dans une substance polymère extracellulaire qu’elles produisent elles-mêmes et par un phénotype modifié en termes de taux de croissance et de transcription de gènes ».
Le biofilm se forme spontanément sur toutes les surfaces et dans des milieux aqueux, qu’ils soient biologiques (les plantes, les dents…) ou non (biomatériaux dentaires, béton, alliages…). Il se forme, particulièrement et de manière rapide, dans des systèmes où l’eau ou tout autre liquide biologique (salive, sang, perfusions) circule et où les micro-organismes reçoivent un apport régulier de nutriments.
Sa structure correspond à une structure aérée traversée de systèmes canaliculaires [2, 3]. Ces canaux semblent être remplis de liquide et constituer un réseau de voies de transport. Les espaces qui séparent les micro-colonies permettent de véhiculer, entre autres, les aliments, des molécules de signalisation ainsi que certaines substances antimicrobiennes actives provenant de traitements chimiques buccaux capables d’atteindre des couches profondes du biofilm.
Cependant, si l’enseignement de l’hygiène est parfaitement dispensé auprès des patients dentés, il n’en est pas de même auprès des patients édentés porteurs de prothèses amovibles partielles ou totales. L’entretien des prothèses résulte le plus souvent de la propre initiative du patient plutôt que des conseils dispensés par les praticiens. Les techniques utilisées sont plus ou moins adaptées et plus ou moins bien appliquées.
Le but de cette étude a été de déterminer l’impact du brossage sur l’étendue du biofilm dans l’intrados prothétique chez des patients porteurs de prothèses amovibles.
Cette étude a été réalisée sur 30 patients porteurs de prothèses amovibles (dont 13 hommes et 17 femmes), âgés en moyenne de 57,8 ans ± 8,3 ans. Tous les patients choisis au hasard étaient en cours de traitement dans le service d’odontologie Hôtel-Dieu-Garancière. L’âge moyen des prothèses était de 5 ans. Les 39 prothèses se répartissaient comme suit, 18 prothèses amovibles complètes, dont 2 à complément de rétention implantaire et 21 prothèses amovibles partielles, dont 14 avec un châssis métallique. Les figures 1 et 2 présentent en détail le panel de l’étude.
L’étude a été réalisée en accord avec les règles définies par le Code de la santé publique. Les patients ont reçu un consentement éclairé sur le déroulement de l’étude, mais pas sur la finalité de celle-ci, le but étant d’évaluer l’observance des patients en l’absence de toute motivation à l’hygiène.
Tout patient devrait être porteur d’au moins une prothèse amovible, qu’elle soit totale ou partielle, en résine avec ou sans base métallique.
Ils concernaient les patients et les prothèses. En conséquence, ont été éliminés :
– tous les patients qui avaient reçu une antibiothérapie pendant l’étude où dans les 15 jours précédant le début de l’étude ;
– toutes les prothèses non réalisées avec des résines thermopolymérisables ou présentant des réparations, des fêlures, fractures et autres incidents techniques.
Pour obtenir des clichés reproductibles, les clichés des intrados ont été réalisés selon les modalités suivantes :
– statif Kroku Repro ;
– un appareil photo type : Nikon D300 ;
– un zoom : Micro-Nikkor 18-55 mm ;
– mode : manuel. Ouverture F 32. Vitesse 8", 500 ISO ;
– image : JPEG.Fine- 4288x2848 pixels ;
– fond noir + une plaque de verre anti-reflet ;
– lumière : deux lampes à UV de 13W chacune ;
– une boîte noire.
Cet appareillage est présenté sur la figure 3.
L’analyse des images a été effectuée par le logiciel de traitement d’image « MESURIM » qui permet de mesurer l’étendue du biofilm par rapport à la surface totale de l’intrados prothétique. On obtient alors des résultats à la fois visuels et numériques (%) (fig. 4).
L’étude s’est déroulée chronologiquement comme suit.
• le patient remplit un questionnaire médical dont la question principale porte sur les conseils d’hygiène qui lui ont été dispensés (fig. 5) ;
• la ou les prothèses ont été temporairement empruntées au patient pour être trempées dans une solution aqueuse de fluorescéine, à la concentration de 300 mg/l, pendant 1 minute. Ensuite, elles ont été photographiées sous lumière ultraviolette. Un seul cliché a été nécessaire, car seul l’intrados prothétique a été pris en considération dans le cadre de l’étude. Un rinçage soigneux de l’intrados de la prothèse à l’eau courante a été effectué pendant 1 min ; seul l’extrados a été soigneusement brossé. La prothèse a ensuite été remise au patient ;
• des conseils d’hygiène ont alors été dispensés à chaque patient à la fois oralement et avec une fiche écrite. Une brosse prothétique (Pierre Fabre Oral Care) a été offerte et le mode d’utilisation exposé, à savoir :
– brossez votre appareil après chaque repas (3 fois/j) ;
– brossez votre prothèse dans tous les sens : extérieur et intérieur ;
– brossez toujours votre prothèse au-dessus d’un lavabo rempli d’eau ou au-dessus d’une serviette (évite les fractures en cas de chute).
Ces conseils de brossage ont été dispensés aux patients comme complément aux éventuels procédés d’hygiène qu’ils utilisaient afin que le brossage ne vienne qu’en complément des procédés habituellement utilisés.
Lors de ces deux séances, les prothèses ont à nouveau été empruntées au patient, et l’intrados coloré. La prothèse a été photographiée dans les mêmes conditions que lors de la première séance (fig. 6, 6b, 6c et 7, 7b, 7c).
Les données des patients ainsi que les données « MESURIM » correspondantes ont été centralisées dans un tableur Excel, où une première analyse a été effectuée, avec comme objectif d’évaluer la tendance de l’échantillon. Les données ont été ensuite analysées à l’aide du logiciel SPSS (version 11.5). Le test effectué était celui de Kolmogorov-Smirnov qui est un test d’ajustement à une loi continue, prenant en compte l’ensemble des quantiles et en fixant le risque α à 5 %.
Les résultats ont porté sur les conseils d’hygiène et l’étendue du biofilm.
Au total, 80 % des patients n’ont reçu aucun conseil d’hygiène. Seuls 20 % des patients ont déclaré avoir reçu des conseils d’hygiène et d’entretien de la part du praticien qui a réalisé les prothèses (tabl. I). Parmi ces derniers, 2 utilisaient des brosses prothétiques, un seul avait reçu une brosse souple pour les muqueuses. Quatre patients utilisaient de leur propre chef des produits effervescents. Cependant, le questionnaire a révélé une mauvaise utilisation (non-respect de l’usage et du temps imparti).
L’analyse statistique de l’étendue du biofilm s’est déroulée en deux étapes : une analyse à l’aide d’Excel afin d’évaluer la tendance de l’échantillon, puis à l’aide de SPSS pour déterminer l’aspect paramétrique de l’échantillon.
À J0, la surface moyenne occupée par le biofilm s’élevait à 55,16 % ± 25,59. Cette surface moyenne s’est réduite à 25 % ± 14,06 à J7 et 11,93 ± 7,69 à J15 (tabl. II).
Pour l’ensemble des patients, la tendance a été une diminution de la surface recouverte par le biofilm dans l’intrados des prothèses suite aux conseils d’hygiène fournis sous forme de fiche, associés à la remise d’une brosse prothétique à chaque patient (fig. 8 à 10).
L’analyse de l’échantillon a révélé une distribution normale, ce qui permet d’effectuer une analyse de variance. Celle-ci a été réalisée afin de mettre en évidence d’une part la relation temps de brossage et type de prothèse et, d’autre part, temps de brossage et matériaux prothétiques (fig. 11 à 13).
L’analyse statistique a révélé des résultats hautement significatifs avec une p-value à 0,001 %.
La comparaison entre les arcades maxillaire et mandibulaire a révélé une régression nette du biofilm dans l’intrados prothétique, toutefois sans distinguer de différence entre des prothèses amovibles partielles et totales. De même, la comparaison entre des bases métal et celles en résine acrylique montre une superposition de la ligne d’évolution du biofilm dans le temps à l’arcade maxillaire. En revanche, à l’arcade mandibulaire, l’évolution a été identique, mais la surface occupée par le biofilm inférieure sur les plaques métalliques.
La discussion porte sur les trois éléments suivants : l’échantillon, l’enseignement de l’hygiène et l’incidence du brossage.
L’étude a montré une hygiène insatisfaisante chez les patients porteurs de prothèses amovibles, résultant à la fois du manque, voire de l’absence d’information de la part du praticien d’après le questionnaire, et de la méconnaissance ou du mauvais usage des produits par le patient.
Cette étude a porté sur 30 patients (28 suivis pendant 15 jours). Ce nombre s’inscrit dans la moyenne des autres études cliniques (entre 20 et 40 patients). L’échantillon a été totalement randomisé dans cette étude, les patients ayant été sélectionnés dans tous les services de polycliniques sans exception.
La durée de l’étude a été fixée à 15 jours, ponctuée de trois séquences, à J0, J7 et à J15. Le choix de la coloration à base de la fluorescéine a été retenu, pour les caractéristiques de révélation sous lumière ultraviolette et non sous la lumière visible de cette substance, pour ne pas informer visuellement le patient et donc ne pas créer de biais dans cette étude.
Par ailleurs seules deux études ont fait appel à des techniques de coloration du biofilm [4, 5]. Dans celles-ci, l’évaluation de la surface recouverte était réalisée zone par zone, avant et après délivrance de conseils d’hygiène, contrairement à notre étude dont l’objectif était de déterminer l’influence du brossage sur l’étendue du biofilm.
De plus, les différentes études d’évaluation de l’hygiène des prothèses ont été le plus souvent réalisées par des enquêtes ponctuelles s’appuyant sur les réponses issues de questionnaires portant sur les connaissances du patient en matière d’entretien des prothèses ainsi que sur les produits utilisés par ce dernier. Toutes ces études ont mis en évidence le manque d’entretien et de nettoyage des prothèses [6, 7], mais sans que les procédés d’entretien aient été évalués.
Dans l’enseignement de l’hygiène, deux paramètres doivent être pris en compte : la prescription des conseils d’hygiène et l’évaluation de l’application des conseils d’entretien.
Les conseils d’hygiène bucco-dentaire et d’entretien prothétique, dispensés par les praticiens lors de l’insertion, ont été peu fréquents, voire inexistants. De même, les patients semblaient ignorer l’importance du suivi et des séances de contrôle prothétique. Ces mêmes constats ont été observés dans d’autres études [8, 9]. Dans notre étude, seuls 20 % des patients avaient reçu ces conseils. Ceci est confirmé par les résultats obtenus par Arendorf et Walker en 1987 [10]. L’apprentissage de l’entretien des prothèses a donc été le plus souvent réalisé par le patient lui-même. Les informations sur l’hygiène bucco-dentaire et les conseils sur l’entretien des prothèses est cruciale : « car l’hygiène prothétique est la meilleure technique pour prévenir l’inflammation des tissus de la surface d’appui ».
Le brossage – un moyen peu coûteux – a montré, dans le cadre de l’étude, d’excellents résultats. Cependant, seuls 10 % de l’échantillon ont déclaré utiliser une brosse contre 57,1 % dans l’étude de Ozkan et al. en 2002 [11] et 94 % dans l’étude de Castelluci Barbosa et al., en 2008 [9]. Un contraste difficile à ignorer et qui nous pousse à réfléchir en matière d’hygiène orale et d’entretien prothétique chez les porteurs de prothèses amovibles. Les produits effervescents n’ont pas fait l’objet de cette étude. Toutefois, même si leur utilisation est plus importante, la valeur la plus élevée en taux de recouvrement par le biofilm a été enregistrée chez l’un des utilisateurs.
Seules deux études ont fait appel à des techniques de coloration du biofilm [4, 5]. Dans celles-ci, l’évaluation de la surface recouverte était réalisée zone par zone avant et après délivrance de conseils d’hygiène.
Le choix de la coloration à base de fluorescéine a été retenu, pour les caractéristiques de révélation sous lumière ultraviolette et non sous la lumière visible de cette substance, afin de ne pas avertir le patient et donc ne pas créer de biais dans cette étude.
Cette étude s’accorde avec toutes les études évaluant l’hygiène bucco-dentaire et la mise en évidence du biofilm [12] pour asseoir que le port prothétique est associé à une prévalence élevée du biofilm.
Une accumulation accentuée au niveau des anfractuosités prothétiques tels que les appuis occlusaux des prothèses amovibles partielles est une observation que l’on retrouve aussi dans les études [5, 13].
Dans cette étude, aucune lésion de la muqueuse buccale n’a été observée. Cependant, ce point demeure sujet à discussion. En effet, contrairement aux études de Bergman en 1977 [14] ainsi que Budtz-Jorgensen et Isidor en 1990 [15], 3 études rapportent de rares cas de lésions muqueuses en rapport avec le port prothétique, dues soit :
– à l’absence de contrôle des prothèses et de suivi des patients [12] ;
– à une instabilité prothétique [16] ;
– ou encore aux longues heures de port des prothèses [17, 18].
Le biofilm est une communauté de micro-organismes : bactéries, champignons, algues ou encore protozoaires qui adhèrent à une surface et/ou entre eux. Son développement à la surface des prothèses amovibles est un phénomène « naturel » et inéluctable. Cependant, sa présence est à l’origine de phénomènes inflammatoires qui se situent au niveau de la surface d’appui muqueuse avec les conséquences que l’on imagine. Son élimination est indispensable, et le brossage s’avère une technique simple, efficace et peu onéreuse.
Cependant, le contrôle de la bonne exécution de ce brossage est souvent délicat. L’utilisation de révélateur de plaque dentaire objective, à la surface des prothèses, la présence du biofilm, ce qui permet un meilleur contrôle de l’hygiène prothétique.