Les cahiers de prothèse n° 150 du 01/06/2010

 

PLAN DE TRAITEMENT

Olivier Etienne*   Samuel Lefevre**   Frédéric Trotzier***   Pierre Magniez****   Igor Weber*****   Corinne Taddéi******   Béatrice Walter*******  


*MCU-PH, Département de prothèse
**Étudiant en 6e année
***Prothésiste dentaire
****Maître-prothésiste
*****Prothésiste dentaire
******PU-PH, Département de prothèse
*******PU-PH, Département de prothèse
********Faculté d’odontologie de Strasbourg
1, place de l’Hôpital
67000 Strasbourg

Résumé

La perte progressive de la dimension verticale d’occlusion (DVO) se traduit par différents signes cliniques, parmi lesquels parfois la présence de perlèches, atteintes candidosiques des commissures labiales. Dans ce cas clinique original, la restauration de la DVO, répartie à la fois sur la prothèse amovible complète maxillaire et la prothèse fixée mandibulaire, a permis de faire disparaître cette pathologie. La démarche clinique pour une telle réalisation impose un travail préparatoire important, incluant des céraplasties et une temporisation longue afin de valider les options choisies, tant sur le plan esthétique que fonctionnel.

Summary

Clinical procedure to increase the occlusal vertical dimension, including removable complete denture and zirconia bridges

Progressive loss of occlusal vertical dimension (OVD) leads to several clinical complications. Angular cheilitis caused by candida is one of the most frequent. In this original clinical case, the increase of the OVD with the help of a removable complete denture at the maxilla and two zirconia fixed partial dentures at the mandible successfully treated the cheilitis. In such cases, clinical procedures must be strictly followed, especially concerning the OVD evaluation and validation. Long-term temporary dentures are needed to validate esthetic and functional improvements.

Key words

bridge, occlusal vertical dimension, zirconia

La perte de dimension verticale de l’étage inférieur du visage se traduit irrémédiablement par des conséquences esthétiques, mais aussi fonctionnelles, voire pathologiques [1-4]. Dès lors qu’elle est constatée, la réévaluation, puis la temporisation doivent précéder la réalisation prothétique finale qui assurera le retour à un équilibre des étages de la face [5].

Cette perte de dimension verticale peut avoir plusieurs origines. Hormis le cas de restaurations inadéquates pathogènes, elle résulte souvent d’une conjonction de phénomènes liés au vieillissement des structures dentaires naturelles et des structures prothétiques artificielles. Ce phénomène étant lent et progressif, s’installe la plupart du temps sans que le patient n’en ressente les signes précurseurs.

La prise en charge globale de ces réhabilitations pose de nombreux problèmes, particulièrement dans le choix et la chronologie des séquences cliniques [6].

Le but de cet article est de présenter, pour un cas clinique original, une démarche de plan de traitement rigoureuse et reproductible.

Présentation du cas clinique

Anamnèse générale

La patiente, âgée de 62 ans, a consulté pour avoir un avis concernant les chéilites angulaires (encore appelées perlèches) bilatérales qu’elle traite sans succès depuis plusieurs mois au Fluconazole® (fig. 1).

Son état de santé général ne présentait aucune particularité.

Examen clinique

Examen exobuccal

L’examen exobuccal en intercuspidie maximale a révélé d’emblée une perte de dimension verticale de l’étage inférieur de la face (fig. 2). Lors du sourire, les dents maxillaires étaient discrètes, mais apparentes (fig. 3).

Examen endobuccal

L’examen clinique endobuccal a mis en évidence la présence d’une prothèse amovible complète maxillaire opposée à une arcade mandibulaire entièrement dentée (fig. 4 et 5).

Celle-ci présentait de nombreuses restaurations sur les prémolaires et les molaires, dont la plupart méritaient une réintervention clinique. La racine résiduelle de 45 n’a pas, d’emblée, semblé conservable. Le maxillaire édenté présentait une résorption très importante, associée à un palais peu profond. La crête alvéolaire antérieure était flottante, signe caractéristique d’un appui occlusal excessif probablement lié à un glissement propulsif.

Enfin, la prothèse amovible complète maxillaire présentait, quant à elle, des signes d’usure au niveau des dents artificielles ainsi qu’une altération générale de la résine de la base prothétique. Toutefois, les plans d’occlusion étaient corrects, de même que les lignes du sourire et des milieux.

Examens complémentaires

Examens radiographiques

Une radiographie panoramique et un statut rétro-alvéolaire à la mandibule (fig. 6, 7 et 8) ont permis de préciser les options thérapeutiques.

L’orthopantomogramme a confirmé la résorption avancée du maxillaire, avec un os alvéolaire quasi inexistant dans les secteurs latéraux sous-sinusiens et de très faible hauteur dans la région incisivo-canine.

L’examen des radiographies rétro-alvéolaires a permis de confirmer la nécessité d’extraire la racine 45, trop délabrée. La dent 35 offrant un ancrage radiculaire faible, sa conservation a été discutée. Enfin, en raison de leurs insuffisances, la globalité des traitements endodontiques ont dû être repris.

Examen occlusal

La patiente ne présentait aucune pathologie décelable au niveau des articulations temporo-mandibulaires. Lors de la fermeture occlusale, un proglissement mandibulaire était objectivé.

Diagnostic

La présence de restaurations postérieures inadéquates, associée à une denture naturelle et peu usée dans le secteur antérieur a permis d’envisager la chronologie historique de la situation pathologique :

– insuffisance de calage occlusal postérieur en raison de la morphologie et de la hauteur des dents préalablement restaurées ;

– proglissement mandibulaire ;

– appuis occlusaux antérieurs excessifs ;

– résorption accélérée de la crête maxillaire antérieure ;

– affaissement progressif de la DVO ;

– apparition des perlèches, candidose favorisée par le contexte humide et chaud du pli commissural.

Toutefois, si les chéilites angulaires étaient bénignes et associées à Candida albicans dans 80 % des cas [7], le diagnostic différentiel a dû aussi être établi avec d’autres origines possibles, telles que l’immuno-dépression ou l’origine herpétique. Outre leur rareté, ces étiologies ont été rapidement écartées grâce au suivi régulier de la patiente pendant la phase de temporisation. La disparition progressive des chéilites au cours des premières semaines suivant l’augmentation de la DVO a confirmé notre intuition première.

Décision thérapeutique

Options thérapeutiques

Au maxillaire

La solution prothétique sur implants, fixée ou amovible, a été rejetée par la patiente en raison des greffes osseuses préalables indispensables. Il lui a donc été proposé de renouveler son ancienne prothèse.

À la mandibule

La décision thérapeutique pour la mandibule a bénéficié de la conjoncture favorable de l’antagonisme occlusal. En effet, les charges occlusales induites par la PAP maxillaire seront forcément diminuées et dès lors autoriseront une attitude conservatrice.

Ainsi, du côté droit, a été décidée la réalisation d’un pont en 47-46-45 avec la 45 en élément prothétique en extension. Cette solution, économe à tout point de vue, a été jugée préférable à la mise en place d’un implant en 45 ou à la préparation de la dent 44 indemne. Les bridges céramo-métalliques à extensions prothétiques mésiales ont un bon pronostic dès lors que le rapport de l’ancrage sur l’élément cantilever est important. L’alternative constituée par une armature en zircone était également une indication, mais qui pouvait sembler sujette à réserves en termes de résistance mécanique [8]. Pour ce cas clinique, l’absence de charges occlusales importantes a été considérée comme un critère décisif pour opter pour ce procédé plus actuel.

Du côté gauche, la préservation de la dent 35 répondait, elle aussi, à un souci de conservation des dents restantes. Il a été décidé de solidariser les 4 dents délabrées. En effet, si la solidarisation de 34-35-36 était évidente pour les raisons déjà évoquées, la 37 a été reliée à cette construction dans le seul but d’éviter sa distalisation et une ouverture de l’espace interdentaire à ce niveau.

Le choix de constructions « tout-céramique » est strictement motivé par le souci de limiter la présence d’alliages divers en bouche. En revanche, le recours à des armatures en zircone s’impose dans ces secteurs postérieurs et plus encore compte tenu de l’extension en 45.

Réalisation prothétique

Phase initiale de temporisation

La nouvelle DVO a été recherchée selon les concepts habituels de la prothèse amovible complète [1] : évaluation de la dimension verticale de repos (DVR) et retrait de l’espace libre d’inocclusion (ELI) estimé à 2 mm. Cette évaluation approchée a été testée et validée avant de poursuivre le plan de traitement. La surélévation totale estimée représentait 2 mm dans le secteur molaire. Elle devait être répartie équitablement sur les deux arcades. En effet, au maxillaire, la résorption osseuse et l’usure des dents prothétiques au cours du temps ont dû aussi être prises en compte.

Pour cela, les moulages d’étude ont été transférés sur articulateur grâce aux cires d’occlusion (fig. 9 et 10). La tige incisive déréglée à + 2 mm correspondait à une augmentation de 1 mm dans le secteur molaire. Le millimètre supplémentaire nécessaire a été gagné aux dépens de l’ancienne prothèse complète réadaptée transitoirement. Les céraplasties des secteurs latéraux mandibulaires ont alors été effectuées (fig. 11 et 12). L’occlusion a été préparée au laboratoire sur l’articulateur selon un concept occlusal globalement équilibré, encore appelé « concept balancé » [9, 10], imposé par la prothèse la plus instable, la prothèse complète maxillaire.

Un nouveau moulage en plâtre a été obtenu par une réplique de cette céraplastie, et une gouttière thermoformée réalisée sur celui-ci (fig. 13).

La dépose des anciennes restaurations a été réalisée dans la même séance, des deux côtés.

Elle s’est terminée par la confection directe des éléments provisoires grâce à la gouttière thermoformée. Lors de la séance suivante, l’intrados prothétique de la prothèse maxillaire a été recouvert d’une résine à prise retardée, appliquée en plusieurs couches jusqu’à obtenir la surélévation souhaitée.

Dès lors, l’avulsion de 45, puis la reprise des traitements endodontiques ont été effectuées au cours des semaines suivantes. Ce temps de temporisation a permis aussi de valider l’absence de conséquences pathologiques de l’augmentation de la DVO. À notre grande satisfaction, les perlèches ont disparu après 5 semaines, confortant le diagnostic et le choix thérapeutique.

Séquences de réhabilitation

Premier temps : l’arcade mandibulaire

Les reconstitutions corono-radiculaires coulées ont été scellées, côté par côté (fig. 14), et de nouvelles dents provisoires réalisées avec la même gouttière thermoformée. L’occlusion a été rigoureusement conservée grâce à la présence des prothèses provisoires du côté contro-latéral.

À l’option d’une seule empreinte enregistrant les 7 préparations, il a été jugé préférable de réaliser deux empreintes consécutives, une pour chaque côté (fig. 15 et 16). Cette méthode d’empreinte facilite la gestion de la contamination salivaire et l’accès aux limites gingivales.

Deux moulages de travail ont ainsi été obtenus et transférés sur le même articulateur, avec le moulage maxillaire existant comme antagoniste (fig. 17 et 18).

La réalisation des armatures en zircone a été entreprise. Pour soutenir correctement la céramique cosmétique, la confection des armatures en cire (fig. 19, 20, 21, 22 et 23), puis le double scannage ont permis de reproduire par usinage les armatures souhaitées. La conception et la fabrication (CFAO) des deux armatures prothétiques ont été réalisées sur une station de travail équipée du logiciel Procera® System (Nobel Biocare).

Ces armatures ont été essayées, validées, puis redonnées au laboratoire pour leur céramisation (fig. 24). Les deux prothèses réalisées ont ensuite été scellées provisoirement, ce que permet la zircone contrairement aux autres matériaux vitrocéramiques d’armature.

Deuxième temps : le maxillaire

L’arcade mandibulaire restaurée, les phases de traitement suivantes ont été consacrées à la réfection de la prothèse maxillaire. Tous les critères de l’ancienne prothèse rebasée ont été conservés (fig. 25) grâce au réglage de la maquette d’occlusion et au report sur articulateur du moulage issu de l’empreinte anatomo-fonctionnelle et particulièrement la DVO (fig. 26).

La forme et la teinte des dents ont été modifiées pour répondre aux exigences esthétiques. Le contrôle de l’occlusion intégralement équilibrée a été effectué le jour de l’insertion prothétique et finalisé la semaine suivante lors du contrôle (fig. 27).

Troisième temps : le scellement définitif

Le scellement définitif des deux prothèses tout céramique mandibulaires est intervenu 2 mois après leur mise en place provisoire. Ce délai a été jugé suffisant pour valider les choix thérapeutiques en termes d’augmentation de DVO.

Les armatures zircone ont été scellées à l’aide d’un ciment verre-ionomère modifié par adjonction de résine (Fujicem Automix®, GC), après préparation des supports dentaires à l’acide polyacrylique (Dentin Conditionner®, GC) (fig. 28 et 29).

Discussion

Ce type de traitement associant prothèse amovible complète unimaxillaire et prothèse fixée dans un contexte occlusal déséquilibré (OIM et DVO) implique deux facteurs essentiels de réussite :

– la recherche et la validation d’une occlusion fonctionnelle grâce à l’étude préprothétique et aux prothèses transitoires ;

– la nécessité de fournir au laboratoire toutes les données esthétiques et fonctionnelles établies pour éviter tout empirisme.

Pour atteindre ce dernier objectif, plusieurs protocoles sont envisageables. Pour ce cas clinique, il a été décidé d’exploiter la prothèse complète existante modifiée pour la rendre plus fonctionnelle.

Une alternative aurait pu consister à réaliser un montage directeur sur cire au maxillaire répondant aux exigences esthétiques et fonctionnelles pour servir de référence à la réalisation des prothèses fixées mandibulaires.

Conclusion

Le rétablissement d’une DVO correcte demande une prise en charge particulière qui passe obligatoirement par le test et la validation des nouveaux rapports mandibulo-maxillaires. Le rehaussement occlusal peut se faire en une fois, sous réserve d’un suivi rigoureux du patient. Il s’agit ensuite d’organiser le plan de traitement pour ne jamais perdre l’équilibre occlusal validé durant la phase de temporisation.

Remerciements à la société Nobel Biocare® pour sa collaboration et son soutien à la Faculté dentaire de Strasbourg.

bibliographie

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