Les cahiers de prothèse n° 131 du 01/09/2005

 

Prothèse composite

Christophe Rignon-Bret *   Christine Simonnet **   Benoit Herbout ***  


* DCD - Docteur de l'université Paris 11 - MCU-PH
** DCD, assistant hospitalier-universitaire
*** DCD - Ex-Assistant hospitalier-universitaire

Résumé

De nombreuses options thérapeutiques peuvent être envisagées par le praticien face à une situation clinique d'édentement partiel de grande étendue bimaxillaire, associé à des dents restantes de faible valeur parodontale. Une analyse précise du contexte clinique autorise un diagnostic et favorise le choix de la solution thérapeutique la plus adaptée au cas et aux souhaits du patient. Le choix, dans ce cas précis, de réaliser une prothèse amovible complète immédiate maxillaire et une prothèse amovible complète supraradiculaire est argumenté et les différentes étapes thérapeutiques décrites.

Summary

Partial edentulism and reduced periodont: therapeutic treatment

Numerous therapeutic options can be considered when a dental pratictioner is faced with a clinical situation of extended bimaxillary partial edentulism together with remaining teeth with a weak periodontal value. An accurate analysis of the clinical context permits a diagnostic and henceforth the choice of the therapeutic solution which is best suited to the case and the patient's wishes. In that case, an immediate maxillary removable full denture and a removable complete overdenture were realized. The reasons behind that choice are explained and the different clinical steps are described in details.

Key words

Therapeutic protocol, treatment planning, anchors, overdentures, immediate denture

Un praticien confronté à une situation clinique complexe d'édentement de moyenne ou de grande étendue bimaxillaire peut recourir à un large éventail de possibilités thérapeutiques. Une analyse précise du contexte clinique autorise un diagnostic et favorise le choix raisonné de l'option thérapeutique la plus adaptée au cas et aux souhaits du patient. Cette analyse fait intervenir des éléments à caractères médicaux (anatomo-physiologique, biologique) et technologiques, des aspects psychologiques et sociaux du patient (motivation, coopération, disponibilité de temps et de moyens financiers) et enfin les compétences et l'expérience de l'équipe soignante.

Le but de cet article est de présenter une situation clinique complexe d'édentement partiel maxillaire et mandibulaire et de proposer une solution thérapeutique adaptée et fiable.

État initial

Anamnèse

Le patient, âgé de 55 ans, consulte pour des douleurs dans les secteurs molaires mandibulaires. Il souhaite selon ses propres termes : « Manger sans douleurs et remplacer les dents absentes ». Le patient est d'un abord agréable, motivé et actuellement disponible pour réaliser un traitement. Il est en bonne santé. Les renseignements qu'il fournit révèlent un historique dentaire marqué par une négligence de son état dentaire et parodontal.

Traitement de l'urgence

Les dents 27, 26, 48, 46, 44, 42 présentent des foyers infectieux, des alvéolyses terminales associées à des mobilités III-IV. Elles ne peuvent être conservées et sont donc extraites rapidement. La situation clinique est ensuite réévaluée.

Examens cliniques

Examen exobuccal

L'examen de face montre un visage carré et une déviation de la cloison nasale sur la gauche (fig. 1a). L'examen de profil révèle une lèvre supérieure qui tombe verticalement avec un angle naso-labial ouvert (fig. 1b). La lèvre supérieure est légèrement en retrait de la lèvre inférieure.

Le sourire laisse apparaître un agencement asymétrique des dents : la ligne des bords libres incisivo-canins est oblique par rapport à la ligne bicommissurale. Les collets dentaires ne sont pas découverts lors du sourire.

La dimension verticale d'occlusion (DVO) est correcte. L'interrogatoire, la palpation et l'auscultation ne décèlent aucune pathologie des articulations temporo-mandibulaires. De plus, la cinématique mandibulaire est normale tant sur le plan des trajectoires que des amplitudes.

Examen endobuccal

Il révèle d'emblée un manque d'hygiène (fig. 2). La salive est abondante.

• L'arcade maxillaire présente un édentement de classe I de Kennedy (fig. 3a). Les crêtes sont résorbées, la fibromuqueuse est saine et adhérente au périoste. 22 et 15 sont dépulpées et restaurées par des couronnes céramo-métalliques (CCM) avec des joints dento-prothétiques inadaptés. Des restaurations, réalisées au composite, sur les incisives (12, 11, 21) sont délabrées, infiltrées et colorées au niveau de leurs limites. Les prémolaires et canines présentent des mylolyses vestibulaires, associées à des récessions gingivales. La ligne gingivale suit le plan d'occlusion oblique. Les dents restantes ont globalement une mobilité physiologique à l'exception de 22 (mobilité III) sur laquelle une perte d'attache est constatée et de 25 (mobilité II).

• L'arcade mandibulaire présente un édentement de classe II division 2 de Kennedy (fig. 3b). La crête du secteur 4 est fortement résorbée. La langue est tonique et volumineuse. 43 et 41 présentent des récessions gingivales. 36 et 37 sont mésio-versées avec un volumineux amalgame disto-occlusal sur 36. Cette dernière a reçu un traitement endodontique et présente une lésion interradiculaire et des poches parodontales de 4 mm. Les mobilités notables sont II+ sur 43, II sur 41 et 31, et I+ sur 36.

L'examen interarcades en occlusion statique montre une classe II d'Angle canine à droite et à gauche. Il révèle essentiellement un fort recouvrement incisif avec un faible surplomb et un plan d'occlusion oblique par rapport aux lignes de référence du visage. En occlusion dynamique, on note une fonction de groupe antérieur en propulsion et diduction.

Examens radiographiques

Les clichés rétro-alvéolaires et la radiographie panoramique (fig.4) mettent en évidence :

- une alvéolyse horizontale généralisée allant du tiers à la moitié de la hauteur radiculaire ;

- une alvéolyse angulaire au niveau de 31-32 et 36 ;

- un antécédent de résection radiculaire sur 22 ;

- des images apicales radioclaires sur 14, 22 et 36 ;

- des traitements endodontiques incomplets et peu denses sur 22, 25 et 36.

Diagnostic

La collecte des données issues de l'entretien, de l'observation clinique et des examens complémentaires met en évidence un édentement postérieur bimaxillaire, avec présence de foyers infectieux sur certaines dents restantes, des maladies carieuse et parodontale conséquences d'une hygiène orale insuffisante. Les crêtes résiduelles sont fortement résorbées et le plan d'occlusion déterminé par les dents restantes est oblique par rapport aux lignes et plans de référence du visage.

Le diagnostic étiologique est lié à la présence :

- de facteurs déclenchants avec une plaque bactérienne mal contrôlée ;

- de facteurs aggravants avec la présence de tartre et des édentements non compensés ;

- d'un facteur prédisposant parodontal familial (le frère est totalement édenté).

Objectifs du traitement

La finalité du traitement, lors des étapes préprothétiques, est de supprimer les foyers inflammatoires et infectieux, puis au stade prothétique de répondre à la demande du patient. Pour y parvenir, il faut donc restaurer l'esthétique et la fonction, améliorer les relations fonctionnelles et la stabilité entre les arcades, faciliter l'hygiène orale et prévenir les pathologies.

Solutions thérapeutiques

Pour le choix thérapeutique, c'est la pertinence des diverses solutions thérapeutiques dans une situation clinique donnée qui doit être analysée. Cette pertinence s'évalue au travers du rapport bénéfice/coût/sécurité en tenant compte de la faisabilité des traitements envisagés. Les différentes possibilités thérapeutiques sont alors proposées et expliquées au patient en insistant sur les avantages, les inconvénients et leurs contraintes : la durée du traitement, son coût financier et les informations concernant la maintenance et le suivi.

À l'arcade maxillaire

Les dents 14, 22, 24 et 25 doivent être extraites puisqu'il serait déraisonnable de les conserver. 24 et 25 présentent une alvéolyse sur plus de la moitié de la hauteur radiculaire et leurs valeurs extrinsèques sont insuffisantes pour supporter valablement une restauration plurale dento-portée.

La restauration prothétique peut être réalisée au moyen de différents types de prothèses :

Prothèse amovible partielle (PAP) à recouvrement muqueux maximal, en complément de soins conservateurs sur les dents antérieures maxillaires restantes : cette solution présente l'avantage de tester la motivation du patient et sa réaction au port d'une prothèse amovible. Mais dans ce cas, la PAP est défavorable sur le plan parodontal et ne peut être envisagée qu'à titre provisoire.

Prothèse amovible partielle (PAP) à châssis métallique avec soins conservateurs : cette solution est simple et rapide, mais le problème esthétique avec le risque de visibilité des crochets sur des canines et l'asymétrie de l'agencement dentaire n'est pas résolu.

Prothèse composite avec une PAP à châssis métallique et un bridge fraisé avec des attachements de semi-précision : les dents piliers envisagées comme moyens d'ancrage de bridge sont 13, 12, 11, 21, 23. Cette solution élégante évite les crochets et facilite l'intégration de la barre corono-cingulaire. Sur le plan biomécanique, le pronostic est bon avec un rapport couronne/racine clinique favorable des canines. Cependant, ce type de prothèse ne résout que partiellement l'esthétique puisqu'il ne permet pas de réaligner l'agencement dentaire. Une intervention de chirurgie parodontale préprothétique d'élongation coronaire et de réalignement des collets devrait être envisagée.

Les autres contraintes sont liées à la gestion de la temporisation, la durée, le coût du traitement, et les réinterventions de suivi prothétique au niveau des attachements.

Prothèses fixées dento-portées dans le secteur antérieur (13 à 23) associées à de la prothèse fixée implanto-portée dans les secteurs postérieurs : cette solution offre les avantages d'une prothèse fixée restaurant la totalité de l'arcade et une facilité de maintenance supérieure à la solution précédente, mais elle partage avec celle-ci les mêmes inconvénients au niveau antérieur. Autre inconvénient, compte tenu du faible volume osseux disponible dans les secteurs latéraux, une chirurgie préalable de comblement sinusien (sinus lift) devrait être envisagée avant la pose d'implants.

En conséquence, la décision de cette option thérapeutique est conditionnée par le résultat du bilan préimplantaire complet (cires de diagnostic montées sur articulateur, guide d'imagerie, examen tomodensitométrique…).

Prothèse amovible complète (PAC) immédiate : cette solution rapide, esthétique, fonctionnelle est d'un bon pronostic. Les principaux inconvénients sont liés à la gestion psychologique de l'édentation totale et à l'amovibilité de la prothèse. La possibilité de faire évoluer la PAC immédiate vers une solution de prothèse implantaire est un atout séduisant.

Prothèse amovible complète supraradiculaire (PACSR) : elle est généralement contre-indiquée au maxillaire. En effet, l'existence de contre-dépouille antérieure systématique, liée à la présence des dents, pose un problème esthétique avec une fausse gencive forcément en sur-épaisseur. Ces contre-dépouilles compliquent l'insertion prothétique si un espacement, réalisé aux dépens des bords fonctionnels, n'est pas aménagé. De plus, l'encombrement du système d'attachement peut rendre l'élocution de certains phonèmes difficile. Enfin, au maxillaire, les possibilités offertes par une prothèse amovible complète bien conçue ne nécessitent pas l'apport de moyens de rétention complémentaire.

À l'arcade mandibulaire

Les extractions de 41, 31, 32 et 36 s'imposent ; les dents mandibulaires restantes sont 33, 34, 37, 43. Les solutions prothétiques envisagées dans ce contexte sont :

Prothèse amovible partielle conventionnelle : cette solution est simple, rapide et d'un coût raisonnable, mais elle est contre-indiquée dans cette situation. En effet, le pronostic parodontal est défavorisé par les crochets qui exercent des bras de leviers sur des dents au parodonte réduit, dans un contexte occlusal où les contraintes fonctionnelles sur les dents antérieures sont importantes.

Prothèse amovible complète immédiate : cette solution rapide est peu conservatrice. Elle permet une transition éventuelle vers la prothèse implantaire. Cette dernière solution a l'avantage de résultats fonctionnels satisfaisants et éprouvés [1]. Les inconvénients sont liés à la durée et au coût du traitement.

Prothèse amovible complète supraradiculaire (PACSR) avec conservation des racines 43, 33, 34.

Les racines sont exploitées comme éléments de rétention complémentaire de la prothèse amovible complète par l'intermédiaire d'un système d'attachement. Cette solution permet de réduire le bras de levier susceptible de transmettre des contraintes nocives au niveau des dents restantes, en particulier sur 43 pour laquelle le support parodontal et le rapport couronne clinique/racine clinique sont peu favorables. La PACSR mandibulaire présente un surcoût modéré par rapport à la prothèse complète. Elle est d'un bon pronostic et donne satisfaction aux patients [2, 3]. En effet, la conservation de racines offre de nombreux avantages :

- sur le plan psychologique, elle réconforte le patient qui tient à conserver ses « dernières dents » ;

- d'un point de vue fonctionnel, elle offre une rétention complémentaire à la prothèse complète ;

- sur le plan biologique, cette solution réduit les contraintes sur les dents au parodonte affaibli et améliore leurs pronostics, préserve l'os alvéolaire autour des dents restantes et favorise ainsi par là même la stabilité de la prothèse amovible.

Le nombre de séances et le coût dévolus à la maintenance et à la ré-intervention sont les critiques les plus souvent incriminées envers ce type de prothèse.

Décision thérapeutique

Le patient entend l'exposé des différentes solutions envisageables, les avantages et inconvénients de chacune lui sont clairement exposés et la décision finale est prise d'un commun accord et avec le consentement éclairé de l'intéressé.

Elle prend en compte la motivation du malade, sa disponibilité et ses possibilités financières. La solution prothétique retenue est la suivante :

prothèse amovible complète immédiate maxillaire ;

prothèse amovible complète supraradiculaire mandibulaire avec attachements axiaux à liaison articulée sur 33, 34, 43.

Dans cette situation clinique, une barre de rétention n'est pas indiquée, car le différentiel de valeur parodontale est trop important entre 33 et 34 d'un côté et 43 de l'autre. En outre, la forme arrondie de l'arcade mandibulaire n'est pas favorable à la réalisation d'une barre rectiligne entre les dents supports. Le choix du système d'attachement axial s'est porté sur l'attachement Eccentric de Rothermann à résilience (41.01) (Cendres et Métaux). Il répond parfaitement aux exigences biomécaniques et volumétriques de la PACSR (fig. 5a à d) [3-6]. Il est activable, autorise une translation verticale de 0,5 mm et présente une rétention de 6N. Ses dimensions, hauteur totale 1,7 mm et largeur 4,6 mm, permettent de l'indiquer dans la majorité des cas en PACSR et, en particulier, lorsque l'espace prothétique disponible est limité [3-5]. Son efficacité rétentive est stable dans le temps comparée à celle d'autres attachements [7].

Plan de traitement

Il comprend 3 phases [8] : préprothétique, prothétique et suivi prothétique.

Traitement préprothétique

Il a pour double objectif d'assainir la situation clinique en supprimant les foyers inflammatoires et infectieux, et d'améliorer l'intégration de la future prothèse. Il s'effectue en plusieurs étapes :

- enseignement des techniques d'hygiène orale ;

- détartrage et assainissement parodontal ;

- réalisation du bilan photographique (portrait face et profil, sourire, vue endo-buccale des arcades en occlusion) et des modèles de la situation initiale (références préextractionnelles) ;

- traitements endodontiques sur 33, 34 et 43 (fig. 6a et b) ;

- extractions de 36 et 37 ;

- préparations périphérique et canalaire de 34, 33 et 43 (fig. 7) puis extractions de 32, 31, 41 avec mise en place du bridge provisoire de 34 à 43, réalisé par isomoulage (fig. 8) ;

- à ce stade, en présence d'un édentement de classe I de Kennedy bimaxillaire, il est classique et souvent souhaitable de réaliser 2 prothèses amovibles partielles provisoires maxillaire et mandibulaire pour rétablir un calage postérieur et améliorer les relations fonctionnelles entre les arcades.

Dans ce cas, cette option n'a pas été retenue faute de disponibilité du patient et pour des impératifs liés à la durée du traitement. En revanche, la réalisation prothétique a été réalisée en cinq séances cliniques espacées d'une semaine.

Traitement prothétique

Il est conduit simultanément au maxillaire et à la mandibule.

1re séance

Maxillaire

Une empreinte primaire à l'alginate (Aroma Fine® normal set, GC) est réalisée avec un porte-empreinte du commerce (Rimlock®) (fig. 9). L'utilisation d'eau glacée augmente le temps de prise de l'alginate. L'opérateur possède alors suffisamment de temps pour :

- garnir le porte-empreinte d'alginate ;

- modeler l'alginate avec les doigts humides ;

- enduire le fond du vestibule et le palais d'alginate avec une spatule ;

- introduire le porte-empreinte garni de ce matériau en bouche.

Mandibule

- empreinte des préparations de 33, 34 et 43 selon une technique en un temps (fig.10). Les techniques en deux temps (type Wash-Technic) sont à proscrire, car elles comportent un risque important d'erreurs lié au repositionnement de l'empreinte avec le matériau haute viscosité sur une surface d'appui dépressible ;

- empreinte primaire mucostatique au plâtre (Buccofix®, GACD) réalisée avec un porte-empreinte du commerce (Cer-pac®, GACD) en prenant soins de boucher, au préalable avec des boulettes de coton vaselinées, les orifices canalaires des dents préparées (fig. 11).

Au laboratoire

- Sur le modèle issu de l'empreinte primaire maxillaire, un porte-empreinte individuel (PEI) en résine (SR Ivolen®, Ivoclar) est construit. Il est ajusté au niveau des surfaces d'appui muqueuses des crêtes et légèrement espacé au niveau des dents à l'aide d'une clé en silicone de haute viscosité ou d'une cire calibrée (fig.12 et 13) [3, 9-11]. Il comporte, en regard du secteur édenté, des bourrelets dont le rôle est de préfigurer l'encombrement de la future arcade dentaire et d'assurer à la musculature les soutiens souhaités. Les limites du PEI sont conformes à celles de la prothèse totale dans le secteur édenté [3, 9, 12]. En revanche, dans la région antérieure, le PEI est pratiquement ajusté au niveau de la zone la plus saillante qu'il ne doit pas dépasser [3, 9-11].

- Le PEI mandibulaire est fabriqué [3, 4, 9]. Il est également réalisé en résine chémopolymérisable, ajusté sur le modèle issu de l'empreinte primaire avec des bourrelets également en résine. Il est perforé en regard des racines de 33, 34 et 43 pour faciliter son insertion après la mise en place des chapes (fig. 14a). Le PEI est renforcé au niveau des perforations par l'incorporation, sans surépaisseur, de fils d'acier de 0,8 mm de diamètre. Les perforations sont ensuite comblées avec un élastomère haute viscosité (Optosil®, Heraeus Kulzer) pour assurer la continuité du bourrelet et l'herméticité de la base (fig. 14b). Cette herméticité est nécessaire pour contrôler l'efficacité du joint sublingual avant la réalisation de l'empreinte secondaire.

- Des chapes à tenon radiculaire sont réalisées en alliage d'or platiné à partir des modèles positifs unitaires. Celles-ci doivent être de forme parabolique [3, 9]. Ces chapes sont obligatoirement surmontées de cylindres en résine nettement plus haut que le bourrelet pré-figurant l'arcade dentaire du PEI (fig. 15 et 16).

2e séance

Maxillaire

- réglage des bords du PEI dans le secteur postérieur sans interférence avec la ligne de réflexion muqueuse fonctionnelle (fig. 13) ;

- enregistrement du joint périphérique dans le secteur édenté et du joint postérieur avec une pâte thermoplastique (pâte de Kerr verte, Kerr) (fig.17 et 18). L'obtention de ces joints permet de stabiliser le PEI et de le replacer à l'identique en bouche pour enregistrer avec précision la limite fonctionnelle au niveau du vestibule antérieur ;

- en plusieurs temps, le joint antérieur « souple » est enregistré, au niveau du vestibule antérieur, dans le secteur denté avec un polyéther (Permadyne, haute viscosité orange, 3M-Espe) [3, 9-11]. L'emploi de cet élastomère permet de régler le PEI, en objectivant les zones en surextension et sur-épaisseur, puis en les corrigeant à la fraise, et d'obtenir un joint satisfaisant grâce à l'adjonction d'une nouvelle couche de ce même matériau. Les excès d'élastomère, côté palatin et côté vestibulaire, sont supprimés avec une lame de scalpel et les angles ainsi formés sont adoucis à la fraise à résine (fig. 17) ;

- empreinte secondaire réalisée avec un polysulfure de basse viscosité (Permlastic Light®, Kerr) (fig. 19) ;

- contrôle et traitement de l'empreinte.

Mandibule

- essai des chapes à tenon sur 33, 34 et 43 et contrôle de leur adaptation (fig. 15) ;

- réglage du PEI et enregistrement des joints. Les bords vestibulaires et linguaux du PEI sont classiquement réglés en bouche pour que les mouvements fonctionnels extrêmes puissent être effectués sans interférences, tant du côté vestibulaire que lingual [3, 4, 13, 14]. Le PEI est ensuite stabilisé au niveau des poches de Fish par l'intermédiaire de la pâte de Kerr verte. Le joint sublingual est enregistré à la pâte de Kerr grise sous l'action des mouvements fonctionnels extrêmes de la langue. Grâce à l'herméticité du PEI offerte par les bouchons en élastomère, la qualité du joint obtenu peut être testée. Les bouchons en élastomère sont ensuite retirés pour permettre le passage des cylindres en résine, après mise en place des chapes ;

- réglage de l'insertion du PEI après insertion des chapes. Les cylindres en résine sont éventuellement retouchés pour faciliter la mise en place du PEI mandibulaire sans interférences (fig. 16) ;

- empreinte secondaire de la surface d'appui muqueuse. Elle est réalisée, avec les chapes en place sur les racines, suivant la technologie classique utilisée en prothèse complète pour l'enregistrement d'une empreinte fonctionnelle [3, 4, 13, 14]. Compte tenu de la qualité de la surface d'appui prothétique avec une fibromuqueuse bien adhérente à l'os et de la tonicité musculaire du patient, le matériau d'empreinte choisi est un poly-sulfure de moyenne viscosité (Perm-lastic regular®, Kerr) [4, 9, 14]. L'empreinte est réalisée sous pression digitale de l'opérateur alors que le patient est invité à mobiliser sa musculature périphérique et linguale dans les mouvements fonctionnels extrêmes (fig. 20) [4, 9]. Après réticulation du matériau, l'empreinte est retirée, vérifiée et validée (fig. 21) ;

- solidarisation fonctionnelle des chapes. Les excès de matériau recouvrant les cylindres en résine ainsi que les bourrelets sont retirés aux ciseaux (fig. 22). Les chapes toujours en place, l'empreinte est replacée en bouche.

La résine des cylindres des chapes et celle du bourrelet sont d'abord humectées de monomère, puis de la résine chémopolymérisable (Pattern Resin®, GC) est déposée de manière à assurer une solidarisation fonctionnelle des chapes à l'empreinte [3, 4, 9, 14]. Cette solidarisation est réalisée au moyen des index vaselinés du praticien qui exercent une pression maximale sur les cylindres en résine ; les majeurs exercent une pression maximale sur les bourrelets du PEI jusqu'à la poly-mérisation complète de la résine (fig. 23a et b). L'empreinte globale tient compte de la dépressibilité tissulaire maximale de la fibromuqueuse de la crête et du desmodonte. Elle est vérifiée et validée (fig. 24).

Au laboratoire

- les empreintes sont traitées selon les règles de la prothèse complète [3]. Lors du traitement de l'empreinte mandibulaire, il est indispensable d'enduire les tenons et les intrados des chapes avec une fine couche de cire, à l'exception de la pointe du tenon et de la limite périphérique. Cette manipulation évite de détériorer le modèle de travail mandibulaire lors du retrait de l'empreinte et permet de repositionner précisément les chapes sur ce modèle [3, 4, 9, 14] ;

- construction de la base d'occlusion maxillaire selon les règles de la prothèse complète immédiate [3, 9, 10, 15] (fig. 25 et 26) ;

- construction de la base d'occlusion mandibulaire selon les règles de la PAC. Les emplacements des chapes sont préalablement recouverts de bouchons en élastomère pour les protéger, mais aussi pour espacer les préparations et la gencive marginale de l'intrados de la base d'occlusion (fig. 27).

3e séance

Elle a pour but l'enregistrement du rapport maxillo-mandibulaire (RMM) et se déroule comme pour une prothèse totale bimaxillaire :

- réglage des bourrelets postérieurs maxillaires suivant un plan parallèle au plan de Camper et passant par la situation idéale du futur point incisif. Dans le cas présent, ce point correspond à l'angle mésial de la 21 et la ligne inter-incisives doit être rectifiée pour correspondre à l'axe de symétrie du visage (fig. 28) ;

- détermination de la dimension verticale d'occlusion. Différents tests se recoupant permettent de l'estimer [16] ;

- enregistrement du RMM (fig. 29) [3, 9, 15, 16] ;

- choix de la dimension, de la forme et de la couleur des dents prothétiques.

Au laboratoire

- transfert sur articulateur du modèle maxillaire avec la table de transfert et montage selon la technique de la base engrenée ;

- montage sur articulateur du modèle mandibulaire dans le RMM enregistré et suivant la technique de la base engrenée ;

- montage des dents sur les maquettes en cire selon les règles de PAC de l'occlusion intégralement équilibrée. Il s'agit d'un prémontage au maxillaire puisque les dents sont encore présentes sur le modèle de travail.

4e séance

- essai et validation clinique esthétique et fonctionnelle du montage sur cire. Le prémontage maxillaire autorise une ultime vérification du RMM ;

- réalisation des clés maxillaires avec un élastomère haute viscosité pour la prothèse immédiate maxillaire. Leur objectif de conserver la référence des dents maxillaires à partir de laquelle est extrapolée l'esthétique souhaitée de la future prothèse. Il s'agit dans le cas clinique exposé de corriger notamment l'asymétrie d'inclinaison du plan incisivo-canin par rapport aux lignes haute et basse du sourire. Trois clés sont réalisées : une clé maxillaire découpée selon la ligne haute du sourire, une clé mandibulaire de mordu découpée selon la ligne basse du sourire et sur laquelle est indexée la situation du futur point interincisif, et enfin une clé vestibulaire des dents antéro-maxillaires destinée à évaluer, après la suppression des dents sur le modèle, l'épaisseur disponible pour la fausse gencive de la base prothétique ;

- réalisation des clés avec un élasto-mère haute viscosité pour la PACSR mandibulaire. Deux clés sont confectionnées, l'une vestibulaire et l'autre linguale (fig. 30 et 31). Elles ont pour but de prendre comme référence les profils idéaux des extrados prothétiques et les dents antérieures. Ces clés permettent ainsi de visualiser l'espace disponible pour incorporer l'ensemble du système de rétention complémentaire (chapes, patrice et matrice de l'attachement Eccentric de Rothermann, dispositif d'espacement) sans interférer avec le profil lingual idéal et les dents antérieures remises en place dans la clé vestibulaire ;

- préparation du modèle de travail maxillaire. Le praticien supprime les dents restantes sur le modèle en plâtre et pratique, selon le protocole de la prothèse immédiate d'usage [3, 10, 11, 17], la résection des parties correspondantes de l'os alvéolaire souvent en contre-dépouille ;

- tracé et gravure du joint postérieur ;

- prescription médicamenteuse pour la chirurgie de prothèse immédiate (prémédication sédative, traitement anti-infectieux, etc.) [18].

Au laboratoire

- mise en place des attachements Eccentric de Rothermann sur les chapes suivant un protocole largement décrit [3, 4]. Il est toutefois primordial de rappeler que la sustentation prothétique est intégralement assurée par la prothèse complète mandibulaire, sans participation des racines, grâce au système d'espacement. Ainsi, les racines, par l'intermédiaire des attachements, contribuent à la rétention de la prothèse mandibulaire en complément de l'efficacité des joints classiques, sans être sollicitées lors des pressions occlusales fonctionnelles [3, 4, 9, 14] ;

- finition des cires, mise en moufle, polymérisation et finition des prothèses avec équilibration sur articulateur (fig. 32 et 33) ;

- réalisation du guide chirurgical en occlusion en résine transparente selon un protocole parfaitement codifié, véritable réplique de la PAC maxillaire [3, 9, 19].

5e séance

• essai clinique de la PACSR mandibulaire sans les chapes supraradiculaires pour vérifier les qualités de sustentation, stabilité et rétention propres à la prothèse complète conventionnelle ;

• essai des chapes surmontées des patrices et contrôle de leur adaptation ;

• la prothèse mandibulaire est de nouveau essayée avec une seule chape en bouche. Le praticien doit ressentir la friction lors du passage de l'anneau-ressort de la matrice sur la patrice. L'espacement est également apprécié. Une pression occlusale ne doit pas provoquer un mouvement de bascule de la prothèse - signe d'une interférence avec le dispositif de rétention. Le cas échéant, l'interférence est recherchée et objectivée avec un matériau révélateur (cires révélatrices ou matériau à empreinte polyvinylsi-loxane). Cette opération de contrôle est renouvelée individuellement pour chacune des trois chapes, puis deux à deux et enfin avec les trois chapes en bouche ;

• scellement des chapes sous pression digitale, puis retrait des excès de ciment après la prise (fig. 34). Mise en bouche de la PACSR mandibulaire. Il est impératif qu'elle ne soit pas retirée pendant 24 h pour éviter tout risque de descellement des chapes ;

• l'acte chirurgical, largement décrit par ailleurs [3, 10, 17] comporte quatre temps :

- incision vestibulaire à biseau interne au niveau des dents à extraire en sectionnant d'emblée les papilles à mi-hauteur et se prolongeant distalement sur le sommet des crêtes ;

- décollement d'un lambeau muco-périosté en regard des dents sans atteindre la zone de réflexion muqueuse ;

- avulsions des dents puis ostéoplasties effectuées à la pince gouge et à la râpe à os correspondant aux rectifications du modèle en plâtre. Elles sont réalisées progressivement, en replaçant le lambeau et, en utilisant le guide chirurgical transparent placé en occlusion. Celui-ci révèle les zones blanchies de la fibromuqueuse où la correction osseuse s'impose. On recherche l'obtention d'une occlusion parfaite sans blanchiment de la muqueuse et la constatation d'un joint périphérique et efficace. Les sutures ne sont pas nécessaires si la coaptation des berges est parfaite. Le patient est invité à serrer les dents en occlusion pendant 10 min ;

- le guide chirurgical est retiré et remplacé par la prothèse complète maxillaire qui ne doit pas être enlevée pendant 48 heures ;

• contrôle de l'occlusion (fig. 35).

Suivi prothétique

Il est fondamental pour un pronostic favorable à moyen et long terme.

• Au bout de 48 heures, le praticien procède au retrait et au nettoyage des prothèses, à la détersion de la plaie, au contrôle de la cicatrisation et au contrôle de l'occlusion statique. Le patient est ensuite revu de manière hebdomadaire (fig. 36).

• Équilibration occlusale immédiate, puis différée.

• Visites régulières de maintenance pour :

- motiver le patient ;

- vérifier l'état buccodentaire ;

- surveiller l'équilibre prothétique et tissulaire. Lors du suivi, une attention particulière est portée sur l'apparition éventuelle d'une résorption au niveau des crêtes accompagnée d'un phénomène de bascule de la PACSR autour des dents ;

- assurer les réglages et les réparations du système d'attachement et des prothèses.

Le tableau I synthétise l'ensemble de ces étapes cliniques et de laboratoire.

Conclusion

Le choix raisonné du traitement, décidé en accord avec le patient, est le fruit d'un diagnostic précis, prenant en compte le contexte médical et anatomo-physiologique, les aspects psychologiques et sociaux du patient et les données acquises de la science. Les techniques développées pour ce cas clinique constituent des solutions prothétiques fiables pour améliorer l'esthétique et rétablir une fonction satisfaisante chez certains sujets présentant des édentements complexes (fig. 37).

La préservation ou l'amélioration immédiate de l'esthétique et la restauration rapide de la fonction par les prothèses d'usage facilitent l'intégration psychique des prothèses. Les résultats obtenus par une élaboration prothétique rigoureuse, associée à une technique chirurgicale précise utilisant un guide, permettent d'orienter la cicatrisation et contrôler la résorption. Cela supprime la nécessité de réaliser une prothèse provisoire d'attente avec tous ses nombreux inconvénients, esthétique, fonctionnel et psychologique. Enfin, la situation clinique peut évoluer dans un contexte favorable vers une solution implantaire.

Remerciements à Messieurs Claude Audoux et Christophe Duval pour le travail de laboratoire.

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