Éditorial
Gériatre
L'ouverture du 25e Congrès mondial de la population, qui s'est tenu en France cette année, s'est accompagnée ce lundi 18 juillet 2005 d'une information essentielle délivrée par les médias : avec un taux de fécondité particulièrement élevé de 1,9, la France ferait figure d'exception parmi les pays d'Europe. Cette natalité débordante - seule l'Irlande fait mieux que la France -, alliée à une immigration en hausse, contribuerait à un renouvellement de la population...
L'ouverture du 25e Congrès mondial de la population, qui s'est tenu en France cette année, s'est accompagnée ce lundi 18 juillet 2005 d'une information essentielle délivrée par les médias : avec un taux de fécondité particulièrement élevé de 1,9, la France ferait figure d'exception parmi les pays d'Europe. Cette natalité débordante - seule l'Irlande fait mieux que la France -, alliée à une immigration en hausse, contribuerait à un renouvellement de la population plus rapide que prévu.
Et si la France, sans vraiment s'en rendre compte, vivait une révolution démographique ? interrogeait l'Express dans un article de mai 2005. Le recensement de 2004 aurait en effet révélé une population bien plus dynamique que prévu. La France devait compter 64 millions d'habitants vers 2050. Tout le monde semble aujourd'hui d'accord sur le fait que ce chiffre sera dépassé. Encore plus incroyable, en 2003, la population française a augmenté de 211 000 personnes et celle de l'Europe des 25 de 216 000… Autrement dit, la France aurait assuré à elle seule l'excédent naturel européen !
Ces nouvelles données marqueraient-elles le début d'une nouvelle ère d'optimisme portée par une France jeune et dynamique ? Ce serait négliger le phénomène de recul de la mortalité qui doit nous amener à repenser notre organisation sociale et sanitaire.
L'allongement continu de l'espérance de vie a fait doubler la population des plus de 60 ans au cours du siècle dernier. L'effectif des 85 ans et plus devrait passer de 1,236 million en 2000 à plus de 2 millions en 2020 et les centenaires d'environ 8 000 à 21 000 durant la même période.
Par ailleurs, le nombre de personnes âgées dépendantes, concentré sur la population des 80 ans, devrait augmenter de 35 à 80 % selon l'optimisme ou le pessimisme des scenarii. En revanche, le nombre d'aidants potentiels, actuellement constitués par les 50 à 79 ans, n'augmenterait en parallèle que de 10 % durant cette même période.
Selon l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), le vieillissement n'épargne pas la profession dentaire qui, au sein des professions de santé, présente le taux le plus élevé des 55 ans et plus (24,2 %) et une faible part de moins de 35 ans (14,3 %). Départ à la retraite, féminisation de la profession, réduction du temps de travail et faible augmentation du numerus clausus permettent d'estimer la baisse des effectifs à environ 10 % d'ici une dizaine d'années.
Que pourront donc ces quelques courageux chirurgiens-dentistes face à cette masse de population de plus en plus âgée et dépendante, maintenue à domicile ou en maison de retraite ? L'éloignement, l'absence d'aidants naturels et les difficultés de transport risquent dans certaines régions de supprimer toute possibilité de soins pour cette population. Une étude en cours sur les disparités territoriales montre en effet que dans des zones comme le Morvan, aucun dentiste ne sera disponible à moins de 50 kilomètres. Sans compter que tous les cabinets ne sont pas au rez-de-chaussée, ne sont pas forcément accessibles par un ascenseur pouvant contenir un fauteuil roulant, ne sont pas tous équipés de toilettes pour handicapés…
Les chirurgiens-dentistes de l'Essonne ayant en charge les personnes âgées des EHPAD 1 ont récemment évalué les besoins en soins dentaires des personnes hospitalisées. Cette étude a révélé des carences de prise en charge liées à l'insuffisance, voire à l'absence complète de filières de soins buccodentaires. Malheureusement, pour la population âgée, il semble que les indicateurs actuels dont nous disposons ne soient pas forcément en faveur d'une amélioration de sa prise en charge buccodentaire.
Intégrer ces données démographiques semble aujourd'hui indispensable pour penser l'exercice dentaire de demain et pouvoir répondre aux besoins de toute une population. Certaines pistes ont déjà été évoquées : création de cabinets dentaires itinérants, formation d'infirmières à l'hygiène buccodentaire… Au-delà des initiatives individuelles pour offrir les meilleurs soins possibles, ce vieillissement galopant de la population doit inciter la profession à anticiper l'exclusion buccodentaire des personnes âgées de demain. Ce travail de longue haleine nécessite dès aujourd'hui d'intégrer la gérodontologie dans les pratiques : réflexion sur les besoins de cette population, renforcement de l'enseignement gériatrique en faculté dentaire, travail avec les autorités à une véritable organisation des soins gériatriques… Je vous laisse le soin d'y songer !
(1) EHPAD : Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.