Laboratoire de prothèse (dentaire)
Ayako Iri * Corinne Taddéi ** Pierre Magniez *** Olivier Etienne ****
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Ancien interne en odontologie
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MCU-PH
***
Maître-prothésiste
****
ancien AHU
Département de prothèses
Faculté de chirurgie dentaire
1, place de l'Hôpital
67000 Strasbourg
Parmi les options prothétiques envisageables lors du passage à l'édentement total, la prothèse immédiate est reconnue comme l'option la moins traumatisante pour le patient et la plus conservatrice pour les tissus de soutien ostéo-muqueux. La réalisation d'une telle prothèse répond à un protocole bien défini, au sein duquel l'empreinte secondaire, mucodynamique, doit permettre l'enregistrement des futures limites prothétiques et des surfaces d'appui. Les conditions particulières, liées à la présence des éléments dentaires subsistants lors de cet enregistrement, nécessitent l'utilisation d'un porte-empreinte individuel adapté. Le porte-empreinte individuel fenêtré présente de nombreux avantages et s'avère d'une réalisation aisée pour le laboratoire et d'un usage facile pour le praticien.
The immediate removable denture ranks as the less traumatic option and the best one to preserve the supporting tissues when a patient needs to be totally edentulous. Making such a denture follows a very specific protocol with a preliminary impression enabling the realization of an individual tray. This tray must allow the recording of the future denture limits, supporting the tissues as well as the remaining teeth. Owing to these remaining teeth during the impression, a specific individual tray should be designed. We henceforth propose an opened individual impression tray easy to realize and easy to use at chair for the prosthodontist.
Le passage de l'édentement partiel à l'édentement total reste un obstacle souvent difficile à franchir pour de nombreux patients. La prothèse amovible complète immédiate est une solution de choix pour rendre ce passage plus acceptable.
Tout comme en prothèse amovible complète classique, la prothèse complète immédiate permet de rétablir les fonctions de mastication, de déglutition et de phonation. Elle permet aussi de conserver ou de corriger les caractéristiques esthétiques du sourire pré-existant, tout en préservant au mieux les surfaces d'appui ostéo-muqueuses par une sollicitation mécanique précoce. Quel que soit le protocole clinique retenu [1], les dents constituant le bloc incisivo-canin sont conservées durant tout le traitement (fig. 1). Lorsqu'un protocole non chirurgical est envisagé, les avulsions de ces dents restantes sont réalisées délicatement, lors de la dernière séance, et immédiatement suivies de l'insertion prothétique (fig. 2a et 2b).
La prothèse amovible complète immédiate doit également répondre aux critères habituels de sustentation, de rétention et de stabilisation. Pour respecter au mieux ces exigences cliniques, l'empreinte secondaire doit reproduire le plus fidèlement possible la situation buccale préextractionnelle.
Pour cela, elle doit contourner les difficultés inhérentes à la présence des dents antérieures restantes et des contre-dépouilles qui y sont associées. Cette empreinte mucodynamique est destinée à enregistrer le jeu physiologique de la musculature périphérique. La conception d'un porte-empreinte individuel (PEI) répondant à un certain nombre de critères, spécifiques aux particularités de la prothèse amovible complète immédiate et à la technique d'empreinte mise en œuvre, permet cet enregistrement.
Le porte-empreinte individuel répond à des exigences communes à la prothèse amovible complète. Il doit être:
- ajusté au niveau des surfaces d'appui muqueuses ;
- parfaitement rigide ;
- muni de bourrelets durs préfigurant l'encombrement des futures arcades dentaires et replaçant la musculature périphérique dans une situation proche de celle qui existe lors du port de la prothèse.
À ces critères principaux, s'ajoutent des critères spécifiques à la prothèse complète immédiate:
- le fractionnement du porte-empreinte qui permet à la fois l'enregistrement séparé des éléments dentaires restants et le démoulage du moulage secondaire sans risque de fracture ;
- l'espacement au niveau des dents restantes ;
- la possibilité d'enregistrer les dents restantes sans les déplacer, dans les cas de forte mobilité parodontale ;
- la présence de bourrelets limités aux zones édentées pour respecter les appuis de la musculature périphérique sur les éléments dentaires restants.
Le problème majeur est lié à l'enregistrement de la limite fonctionnelle antérieure sans surextension ni sur-épaisseur. Or, le bord d'un porte-empreinte individuel classique est souvent espacé pour passer les contre-dépouilles dentaires ; il se situe alors trop en avant du fond du vestibule et interfère avec le jeu physiologique de la lèvre. Les empreintes obtenues ne reflètent qu'imparfaitement la future limite prothétique antérieure (fig. 3a, 3b et 3c).
De nombreuses formes de porte-empreintes individuels ont été proposées en fonction des différentes techniques d'empreinte [2-4]. La réalisation de ces porte-empreintes au laboratoire de prothèse est souvent délicate, de même que leur utilisation clinique. Le porte-empreinte individuel fenêtré se révèle, à l'usage, le plus « universel » ; sa conception le rend simple à réaliser au laboratoire et facile à utiliser en clinique. De nombreux détails de conception lui confèrent des qualités cliniques optimales.
Ainsi, il présente :
- une plaque base en résine chémo-polymérisable ajustée au niveau des crêtes (fig. 4a) qui constitue la partie primaire du porte-empreinte, et dont le bord antérieur, rigide, est ajusté à la ligne de réflexion muqueuse ;
- une partie secondaire, amovible, engrenée dans la partie primaire par le biais d'encoches de repositionnement (fig. 4b). Cette partie complémentaire est espacée au niveau du secteur denté ;
- des bourrelets durs, en résine, présentant des encoches de préhension pour faciliter la désinsertion (fig. 4c).
Les limites du porte-empreinte individuel fenêtré au niveau occlusal sont identiques à celles d'un porte-empreinte individuel classique de prothèse amovible complète :
- 2 mm en arrière de la zone de flexion du voile du palais lors de la prononciation du « A » grave ;
- 2 mm au niveau des freins et brides ;
- 1 mm du fond du vestibule au niveau du secteur denté subsistant ;
- au fond du vestibule au niveau des zones latérales.
Le porte-empreinte est réalisé sur le moulage issu de l'empreinte primaire. À l'aide de cire, le moulage est espacé uniquement autour des dents résiduelles (fig. 5), puis isolé avec un isolant plâtre-résine.
La résine chémopolymérisable, de préférence transparente, est calibrée à l'aide d'une tablette et d'un rouleau vaseliné. Elle est appliquée sur le moulage et découpée au bistouri selon le tracé des limites définies ci-dessus. La partie secondaire englobant les dents est également découpée au bistouri avant la prise de la résine. Les encoches de repositionnement sont élaborées lors de la découpe (fig. 6). Après polymérisation à chaud et sous pression, le porte-empreinte est dégrossi, et la bonne concordance des deux parties est vérifiée. Si nécessaire, un ajout ponctuel de résine peut être envisagé à ce stade (fig. 7). Les bourrelets simulant les arcades dentaires sont positionnés secondairement, et une cannelure est aménagée sur leur face vestibulaire et palatine pour favoriser la bonne prise en main du porte-empreinte lors de la désinsertion. Enfin, la partie secondaire est perforée sur toutes ses faces pour permettre l'échappement des excès de matériau et éviter ainsi les fusées sous le matériau d'empreinte de la partie primaire.
Les bords de ce porte-empreinte individuel devant libérer le jeu des organes paraprothétiques, celui-ci est adapté en bouche grâce aux tests de Herbst [5], qui permettent de mettre en évidence les surextensions, et ainsi de le rendre physiologique. Dans un premier temps, le joint périphérique est enregistré en plusieurs étapes au niveau de la partie primaire et selon le protocole classiquement utilisé en prothèse amovible complète (fig. 8a et b).
L'absence de la partie secondaire encastrable permet une mobilisation sans interférence de la musculature labiale et, par conséquent, un enregistrement précis du joint antérieur sans surépaisseur (fig. 9a, 9b et c). Après l'enregistrement et le contrôle des limites fonctionnelles, les surfaces d'appui ostéo-muqueuses peuvent être enregistrées à l'aide du matériau le mieux indiqué au cas clinique (fig. 10a et 10b). L'empreinte peut être désinsérée, contrôlée, voire corrigée si nécessaire. La zone dentée est délicatement débarrassée du matériau d'empreinte, particulièrement au niveau des zones d'encastrement de la partie secondaire, pour ne pas interférer sur son repositionnement correct (fig. 11).
Enfin, l'empreinte secondaire est finalisée par l'enregistrement du secteur denté. Un alginate fluide est chargé dans la partie secondaire, repositionnée avec précision grâce aux encoches. L'ensemble ainsi reconstitué est désinséré sans démontage intrabuccal. La jonction correcte des deux matériaux confirme la bonne qualité de l'empreinte (fig. 12a et 12b).
L'application de ce porte-empreinte individuel fenêtré peut être généralisée dans de nombreux cas de prothèse amovible complète immédiate. La possibilité d'enregistrer un joint périphérique continu, d'utiliser des matériaux conventionnels et de pouvoir corriger indépendamment le surfaçage, assure une reproduction parfaite des surfaces muqueuses et des dents restantes. Cependant, des contre-indications spécifiques subsistent et donnent lieu à d'autres variantes plus appropriées comme, par exemple, un porte-empreinte individuel fenêtré à ouverture vestibulaire permettant un démontage en bouche avant désinsertion qui paraît plus indiqué dans les cas de grandes mobilités dentaires ou de fortes contre-dépouilles alvéolo-dentaires [6].