Orthodontie (ODF)
Bruno Grollemund * Rémy Mathis **
*
Docteur en chirurgie
dentaire, spécialiste qualifié en ODF - Assistant HU
à la Faculté d'odontologie de Strasbourg
1A, rue de Haguenau
67300 Schiltigheim
**
Docteur en chirurgie dentaire -
Spécialiste qualifié en ODF - MCU-PH à la Faculté
d'odontologie de Strasbourg
2, rue du Sand
67600 Sélestat
L'orthodontie de l'adulte peut traiter des malocclusions primaires ignorées pendant l'enfance et l'adolescence. Elle peut également corriger des malocclusions secondaires consécutives à la perte prématurée de dent ou à des parodontopathies. L'orthodontie, en replaçant les dents dans un environnement physiologique convenable, permet des restaurations prothétiques fonctionnelles, participe indirectement au traitement parodontal et améliore à long terme le pronostic thérapeutique. Cela révèle l'importance des plans de traitement pluridisciplinaires qui repoussent les limites de chaque praticien au-delà de celles qui sont habituellement permises. De nombreux cas cliniques illustrent les possibilités orthodontiques dans la contribution aux économies tissulaires.
While restoring intra-and inter-arch physiological relations, dento-facial orthopaedics - as other dental disciplines - participates in the preservation of dental, periodontal, bone and articular tissues. Recent technical and scientific progress has helped to improve the way of treating adults in orthodontics. The harmonization which is obtained with an orthodontic device ensures long lasting occlusal reconstructions. As for the pluridisciplinary treatments, orthodontics optimizes prosthetic realisations in correcting the dental axes and thus avoiding endodontic treatment or even extractions. Moreover, the prosthesis' abutments are placed in such a way as to distribute the occlusal forces as evenly as possible. The balance which is thus obtained guarantees an increased longevity of the devices which have been realised while preserving the underneath periodontal tissues better. When trying to get close to the ideal solution for each individual, it is necessary to plan tailor-made treatments which takes into account the limits imposed by each patient and the nature of the work that has been undertaken.
Les avancées scientifiques et techniques propres à chaque discipline de l'art dentaire améliorent les possibilités pour limiter les pertes tissulaires dentaires, parodontales, osseuses et articulaires. C'est le rôle de l'orthopédie dento-faciale (ODF) dans cette stratégie pour les patients adultes qui est mis en évidence dans cet article.
En favorisant l'établissement de rapports dentaires intra-arcades et inter-arcades convenables, ainsi qu'une fonction occlusale optimale, l'ODF permet de prévenir d'une part la dégradation des tissus dentaires, parodontaux et osseux, et d'autre part de faciliter la réalisation des soins dentaires conservateurs ou parodontaux lorsque cela est devenu nécessaire.
Dans le cadre des traitements prothétiques, le recours à l'ODF, par la répartition des piliers qu'elle autorise, permet de concevoir le traitement des édentements afin de prévenir au mieux la perte ultérieure de dimension verticale, avec son cortège de dégradations osseuse, articulaire, esthétique et psychologique. Il permet aussi, par la maîtrise des axes dentaires, de procéder à la préparation des supports dans les meilleures conditions d'économie tissulaire pendant les travaux, et de prévenir au maximum, dans le temps, l'atteinte parodontale. Enfin, la conduite adéquate des traitements d'ODF doit veiller à minimiser les pertes tissulaires locales qui peuvent les accompagner (résorptions radiculaires, caries, déminéralisations, pertes parodontales), en tenant compte en particulier des spécificités et fragilités individuelles des patients.
Dans certains cas, l'état buccodentaire est tel que seule une stratégie pluridisciplinaire peut permettre de reculer les limites propres à chaque discipline (prothèse, parodontie, orthodontie, chirurgie), et de réaliser la réhabilitation la plus satisfaisante possible.
Le patient adulte ne présente plus ce formidable potentiel de croissance souvent favorable dont bénéficient les enfants et les adolescents. La morphogenèse des articulations temporo-mandibulaires (ATM) est achevée et leur potentiel adaptatif est limité. Le but des traitements est de corriger des malocclusions à la fois alvéolo-dentaires et squelettiques, résultat d'une éruption désordonnée des dents associée à un développement cranio-facial inadapté. Les activités cellulaires du parodonte sont ralenties et freinent le déplacement des dents. Le temps de réponse aux stimuli est plus long [1]. À ce constat physiologique, s'ajoutent des pathologies acquises avec le temps qui concernent les dents, le parodonte, les bases osseuses et les ATM. Les traitements compensateurs reposent sur des choix fonctionnels et conservateurs. Des compromis étant parfois nécessaires, le praticien doit veiller à éviter tout acte irréversible qui pourrait s'avérer pathogène par la suite.
À une époque où l'esthétique joue un rôle important dans les relations humaines, un sourire disgracieux lié à des malpositions dentaires peut être ressenti comme un handicap. La généralisation des traitements orthodontiques adultes permet désormais, dans de tels cas, la reconstruction d'une occlusion harmonieuse, équilibrée et esthétique en denture naturelle. Dans les cas les plus simples, l'orthodontie peut à elle seule modifier la forme des arcades dentaires et leur agencement. Elle corrige aisément des malpositions unitaires ou des dysmorphoses plus étendues concernant l'os alvéolaire dans les 3 plans de l'espace; ces compensations dento-alvéolaires doivent respecter les déterminants antérieurs et postérieurs de l'occlusion.
Cas clinique n° 1
Cette patiente présentait une occlusion inversée de la 22. Six mois de traitement ont permis de replacer cette dent en normocclusion en préservant son intégrité ainsi que celle des dents adjacentes (fig. 1 et 2).
Cas clinique n° 2
Le remplacement prothétique d'une dent incluse requiert dans un premier temps son avulsion, fréquemment délabrante pour le parodonte et nécessitant une greffe osseuse, puis, dans un deuxième temps, la préparation des dents piliers pour réaliser un bridge. Lorsque la position de cette dent incluse par rapport aux structures anatomiques environnantes est favorable, elle peut être tractée et mise en place sur l'arcade et ce quel que soit l'âge du patient. Après avoir ménagé un espace suffisant en redressant les dents adjacentes, elle est mobilisée par un dispositif orthodontique pour rejoindre progressivement la place qui lui est réservée sur l'arcade. Ce déplacement n'est possible qu'en présence d'un desmodonte intact. En effet, en cas d'ankylose, l'ensemble de l'arcade [2, 3] qui sert d'ancrage à la traction sera déformé et la mise en place de la dent incluse sera abandonnée.
Cette patiente âgée de 23 ans a consulté pour une mobilité soudaine de la canine temporaire maxillaire gauche qu'elle pensait définitive (fig. 3). La 23 incluse a été remise en place sur l'arcade évitant ainsi l'indication d'un traitement prothétique (fig. 4).
Les espaces liés à des agénésies ou à des avulsions peuvent être fermés en respectant les principes généraux de l'occlusion. Les compensations ainsi obtenues doivent rétablir non seulement des rapports fonctionnels, mais également esthétiques. Pour un patient ayant perdu une première molaire définitive et présentant une deuxième et une troisième molaire, il peut être judicieux de mésialer ces dernières pour combler l'espace vacant.
En cas d'agénésie des incisives latérales maxillaires, un examen attentif de la forme des dents, de l'environnement parodontal et de la fonction occlusale est nécessaire pour juger de l'opportunité de fermer ces diastèmes en mésialant les dents des secteurs postérieurs [4].
Une large part des traitements d'orthodontie chez l'adulte est consacrée à la préparation des arcades dentaires à la pose de prothèses. Cette préparation permet à la fois d'améliorer les conditions de leur réalisation, qu'elles soient amovibles, fixées ou implantaires, mais aussi de réduire leur étendue en respectant au mieux la denture des patients. Une préparation orthodontique parfois simple et rapide peut éviter des extractions et permettre de retrouver des conditions anatomiques bien plus favorables pour la reconstruction de l'occlusion.
Quand la fermeture des diastèmes n'est pas indiquée, une solution prothétique doit être envisagée. La solution implantaire est de plus en plus retenue ; elle nécessite cependant un espace suffisamment large ainsi que la présence d'os [5]. L'orthodontie peut recréer cet espace et permettre ainsi la mise en place d'un tel artifice [6].
Cette patiente âgée de 24 ans présente une agénésie de la 12, des diastèmes interincisifs et une distoversion de la 11 (fig. 5a). La réouverture de l'espace de la 12 a permis la mise en place d'un implant (fig. 5b et 5c) et une réhabilitation esthétique (fig. 6).
Cependant, quand la forme d'arcade, le volume des dents et, par conséquent, l'espace laissé par l'agénésie sont réduits, un dispositif tel qu'un pont avec attelle collée peut être proposé. Un léger surplomb incisif antéro-postérieur doit être ménagé pour garantir la pérennité de ce type de prothèse intégrée à un environnement occlusal équilibré.
Cette patiente présente une agénésie des 12 et 22 et une mésioposition des 13 et 23. Un espace a été ménagé pour réaliser un bridge collé céramo-métallique remplaçant les 2 incisives latérales (fig. 7, 8, 9, 10, 11 et 12).
Chez l'adulte, le praticien prothésiste se trouve souvent confronté à une occlusion figée résultant d'une suite d'événements l'ayant progressivement dégradée. La réhabilitation d'une telle occlusion est souvent délicate, nécessitant fréquemment des traitements endodontiques pour pallier l'inclinaison défavorable des axes dentaires, voire des avulsions. L'orthodontie peut, dans ces cas, par un réaménagement occlusal, améliorer les conditions de réalisation prothétique, mais également réduire la portée de ces éléments [7].
Ce patient âgé de 64 ans présente une occlusion totalement perturbée (fig. 13) et, en particulier, une distoversion de la 21 (fig. 14). La mise en place d'un appareil orthodontique amovible peu volumineux (fig. 14) a rapidement corrigé la version des dents (fig. 15) et a permis une reconstruction prothétique dans de bonnes conditions (fig. 16).
Dans les cas de dents versées, les conditions requises pour la rétention prothétique ne sont plus réunies. Le redressement de telles dents permet une nouvelle répartition des forces occlusales lors de la mastication et améliore la longévité de ces restaurations prothétiques. Ce traitement orthodontique peut également réduire l'étendue de l'artifice prothétique en répartissant au mieux les piliers supports de prothèse.
Ce patient adulte, âgé de 43 ans, présente une perte des 16, 34, 36, 37, 45 et 46 ainsi qu'une mésioversion des molaires (fig. 17). Malgré la présence d'autres dysmorphoses (supraclusion, malpositions incisives), seul le redressement de la 38 a pu être entrepris (fig. 18). Le traitement orthodontique a permis de réduire la longueur du bridge et de préparer la 38 en la maintenant pulpée.
Les malpositions des dents d'une arcade se traduisent également par d'autres malpositions à l'arcade antagoniste. Par exemple, la perte d'une dent entraîne une migration des dents adjacentes, mais également l'égression de la dent antagoniste. Lors de la réhabilitation prothétique, la couronne clinique de cette dent égressée doit être réduite pour rétablir des courbes fonctionnelles harmonieuses. L'orthodontie, en nivelant l'arcade antagoniste, évite une préparation prothétique et préserve l'intégrité de cette dent. Les courbes de compensation et les relations interarcades sont corrigées et améliorent les conditions de réalisation de la prothèse.
L'orthodontie, par le redressement des dents dans les 3 plans de l'espace, améliore la rétention et l'insertion des artifices prothétiques tout en réduisant la perte de tissus dentaires [8, 9].
Si l'orthodontie peut rendre de grands services lors de la réhabilitation occlusale, elle présente également des limites liées à la psychologie des patients, mais également aux conditions typologiques, squelettiques et fonctionnelles. Pour repousser ces limites anatomiques, on peut faire appel, en sus des disciplines odontologiques, à la chirurgie orthognathique. Les corrections ainsi obtenues, individualisées pour chaque patient, sont optimales, préservent au mieux l'organe dentaire et améliorent le pronostic à long terme.
Le patient étant pris en charge par plusieurs intervenants, il est important à la fois pour des facteurs humains, mais aussi pour la réussite globale du traitement, qu'il ait une vue d'ensemble de son plan de traitement. Il doit prendre conscience des limites thérapeutiques imposées à chacun, mais aussi de la nécessaire complémentarité des différentes disciplines conduisant à l'amélioration de sa réhabilitation occlusale et de son bien-être esthétique et fonctionnel.
Une réelle communication entre les différents intervenants permet une excellente coordination garante du succès final du traitement. L'envoi de courriers semble un minimum, l'utilisation d'Internet (envoi des photos de moulages intra-et extra-orales et des radiographies) est également séduisante pour ceux qui n'ont pas la possibilité de rencontrer facilement leur confrère (temps compté ou éloignement géographique…).
Depuis longtemps, le praticien traitant encourageait ce patient à consulter un orthodontiste pour traiter une malocclusion de classe II division 2 d'Angle avec une perte importante de dimension verticale. Des soins répétés sur les incisives maxillaires se sont soldés par la réalisation de reconstitutions prothétiques à l'âge de 18ans. La solution d'une compensation prothétique aux axes défavorables des incisives a été choisie, car, à cet âge, le patient ne souhaitait pas avoir recours à un appareil d'orthodontie pour redresser ces dents.
L'apparition de douleurs péricrâniennes dans la région temporale et la prise régulière d'antibiotiques pour soulager l'affection parodontale apparue suite au contact répété des incisives mandibulaires avec la muqueuse palatine l'ont décidé à prendre un avis concernant sa malocclusion. L'importance de la dysmorphose s'est aggravée avec le temps et est désormais telle que son cas relève, comme son praticien l'avait présagé, d'un traitement pluridisciplinaire (fig. 19, 20 et 21). L'arcade mandibulaire s'est enclavée dans l'arcade maxillaire (fig. 22), donnant naissance à une dysfonction temporo-mandibulaire se traduisant par :
- des douleurs articulaires (condyles mandibulaires en position rétruse dans les cavités glénoïdes) ;
- des douleurs musculaires (influence de la perte de dimension verticale sur les muscles élévateurs de la mandibule chez un patient présentant une forte tonicité musculaire) ;
- une usure marquée des incisives mandibulaires par contact prématuré du bord incisif avec les reconstitutions prothétiques des incisives maxillaires ;
- une atteinte parodontale par dénudation de la face palatine des racines des incisives maxillaires.
Le pronostic, sans l'intervention globale de plusieurs praticiens, est très réservé et le patient se rend compte désormais que son état occlusal va empirer avec le temps. Après avoir décrit l'importance du rôle de l'orthodontie dans la préservation tissulaire, les différentes étapes du traitement de ce patient et les résultats harmonieux obtenus tant aux niveaux articulaire et occlusal, qu'aux niveaux osseux et parodontal seront abordés successivement.
Dans un premier temps, après consultation d'un occlusodontiste, une gouttière de surélévation postérieure a été posée à l'arcade mandibulaire pour soulager les ATM et les muscles élévateurs de la mandibule. L'avis d'un chirurgien, le Dr Négrier, a été demandé et le plan de traitement retenu a été le suivant :
- préparation orthodontique des arcades dentaires avec décompensation alvéolaire des axes dentaires ;
- chirurgie orthognathique : ostéotomie de Lefort I et ostéotomie sagittale de la mandibule associée à une génioplastie ;
- finition orthodontique postchirurgicale ;
- phase de contention à l'aide de prothèses provisoires ;
- pose de prothèses définitives.
L'équilibre occlusal est désormais stable (fig. 23, 24, 25 et 26). Pour des raisons d'ordre pécuniaire, le patient préfère attendre avant de refaire les couronnes des incisives maxillaires. Il est satisfait du traitement, car son visage conserve des proportions harmonieuses alors qu'une transformation importante dans le sens vertical a été réalisée sans changer l'esthétique de la face.
Les photographies et les radiographies ont été réalisées 2 ans après l'intervention chirurgicale.
Les traitements orthodontiques chez l'adulte avant reconstruction prothétique allongent automatiquement la durée globale de la réhabilitation. La motivation du patient doit être appréciée avec soin et les objectifs de traitement éventuellement réévalués si la durée globale semble trop longue. Le plan de traitement doit également tenir compte de l'état parodontal du patient, de son hygiène et de l'anatomie radiculaire des dents déplacées pour limiter d'éventuelles actions iatrogènes (mylolyses, résorption radiculaire ou perte osseuse).
Le pronostic, s'il est réservé, oriente le praticien vers un plan de traitement approprié, quitte à s'abstenir si les risques thérapeutiques semblent supérieurs aux bénéfices escomptés.
Sur ce patient de 17 ans en cours de traitement d'ODF, la 43, malgré une situation favorable (fig. 27), n'évolue pas. La mise sous traction de cette dent associée à une erreur bio-mécanique a conduit à l'ingression et à la version des dents voisines. Le diagnostic d'ankylose est évident (fig. 28).
L'orthopédie dento-faciale comme l'ensemble des disciplines odontologiques a bénéficié de progrès techniques majeurs au cours des 20 dernières années. La grande diversité des appareils proposés, leur discrétion ainsi que l'amélioration des qualités métallo-techniques des fils utilisés ont concouru au développement des traitements pour adultes. Elle participe au même titre que la prothèse ou la parodontie au rétablissement d'un équilibre physiologique occlusal en préservant au mieux les tissus dentaires et parodontaux. Dans ce but, l'amélioration des techniques diagnostiques permet de préciser et d'individualiser au cas par cas les objectifs de traitement. Lorsque le pronostic est réservé, des compromis ne ruinant pas les possibilités thérapeutiques futures doivent être envisagés pour conserver et protéger, autant que faire se peut, l'équilibre fonctionnel existant. L'essentiel de la réussite du traitement repose sur une explication claire des difficultés auxquelles devra faire face le patient avec ou sans traitement et sur la mise en œuvre d'un traitement pluridisciplinaire où chaque intervenant voit ses possibilités thérapeutiques potentialisées par l'aide des autres disciplines.