Anatomie des dents humaines permanentes - Cahiers de Prothèse n° 125 du 01/03/2004
 

Les cahiers de prothèse n° 125 du 01/03/2004

 

LES CAHIERS D'ANATOMIE

Georges Papathanassiou   

Docteur en chirurgie dentaire -
Lauréat de l'Académie nationale de chirurgie dentaire
Ancien assistant HU, responsable de l'enseignement de l'anatomie dentaire à la Faculté d'odontologie de Reims

3d, rue des 16-et-22e-Dragons - 51100 Reims

Résumé

Cet article consacré à l'anatomie des canines mandibulaires comporte deux aspects : l'un destiné à l'étude des formes et des dimensions de dents « types » avec un guide de dessin, l'autre consacré à la présentation de variantes anatomiques de ces mêmes dents et des difficultés potentielles que chacune d'elles peut entraîner dans la pratique clinique.

Summary

Anatomy of permanent human teeth : mandibular canines

This paper deals with the anatomy of mandibular canines under two aspects : the first one studies shapes and dimensions of typical teeth with a drawing guide, the second one sets out the different anatomical variations encountered and their clinical relevance.

Key words

dental anatomy, mandibular canine

La canine mandibulaire permanente est très différente de la canine maxillaire. Elle possède certaines particularités morphologiques concernant autant sa couronne que sa racine.

C'est une dent monoradiculée, unicuspidée. Elle peut être biradiculée ou bifide. Elle est diphysaire 1 et succède à la canine mandibulaire temporaire.

Elle est située distalement par rapport aux incisives dans une zone très importante, à l'union des secteurs antérieur et postérieur, qui correspond à la bosse canine mandibulaire.

La canine mandibulaire débute sa e calcification vers les 4e et 5e mois. La formation de la couronne intervient entre 6 et 7 ans et son apparition sur l'arcade vers 9 à 10 ans. La calcification complète de la racine est effective entre 12 et 14 ans.

Sa couronne est la plus haute de toutes les couronnes maxillaires et mandibulaires. Elle a généralement la forme caractéristique d'une pyramide.

Sa face vestibulaire est très inclinée de bas en haut et de dehors en dedans ; elle est convexe dans son ensemble avec un maximum au niveau cervical. Sa face linguale, comparée à sa face vestibulaire, est sensiblement de même hauteur. Sa largeur est légèrement plus réduite surtout au niveau du cingulum. Le relief des éléments anatomiques est à peine marqué. L'atrophie du cingulum est fréquente, tendant même à disparaître.

Les faces proximales sont triangulaires à base cervicale et sommet occlusal. Étant donné la dissymétrie de la couronne, ses faces proximales sont de forme différente :

- la face distale se présente avec un bord surplombant une surface triangulaire cervicale ;

- la face mésiale se présente comme une large surface triangulaire plane : c'est une caractéristique essentielle.

Le bord libre de la couronne est nettement différencié. Il présente un sommet déporté mésialement et un versant mésial court et légèrement oblique. Le versant distal est plus long et très oblique, orienté lingualement. Très souvent, le bord libre adopte la forme d'une lame de couteau.

La couronne très aplatie à mi-hauteur dans le sens vestibulo-lingual a une angulation linguale de 36 à 41° pour les variantes anatomiques présentées.

La racine conique en vue vestibulaire est très aplatie dans le sens mésio-distal.

Dans ses deux tiers cervical et moyen, ses contours mésial et distal sont pratiquement parallèles et se rejoignent brusquement à l'extrémité pour former l'apex.

En vue proximale, à mi-hauteur de la racine, on remarque un renflement ; le diamètre vestibulo-lingual est supérieur à celui de la zone cervicale. C'est une des caractéristiques à noter.

Cette particularité est plus accentuée sur la canine bifide. Dans une coupe transversale au niveau cervical, la racine adopte une forme ovalaire.

N.B. Pour les canines bifides, la racine linguale peut être indifféremment d'une longueur inférieure, supérieure ou égale à celle de la racine vestibulaire. Elle est toujours légèrement plus étroite que la vestibulaire.

Le tronc cervical 2 a une hauteur variable.

Dans certains cas, quand la bifurcation des racines est bien distincte, la hauteur du tronc cervical correspond en général à la moitié de la hauteur des racines.

Souvent, on distingue une petite crête (lamelle) triangulaire cémento-dentinaire transversale, située près de la furcation, qui réunit les racines vestibulaire et linguale.

Ces racines se trouvent en général dans le même plan vertical. Très rarement, leurs apex se croisent dans le sens mésio-distal.

C'est pour cette raison que cette dent mérite un examen minutieux : il est notamment conseillé de réaliser d'emblée, avant tout traitement, au moins deux incidences radiographiques différentes pour toutes les canines mandibulaires.

N.B. La fréquence de la bifidité est évaluée à 6,5 % (Le Huche).

D'autres éléments anatomiques nombreux et complexes sont présents sur les faces proximales. Par exemple :

- des dépressions longitudinales sous forme de sillons ou de surfaces convexes plus étendues ;

- des crêtes cémento-dentinaires situées surtout dans la région cervicale ;

- une inflexion fréquente de l'apex dans toutes les directions.

Cavité pulpaire

Elle est caractéristique, en forme de fer de lance tant en vue vestibulaire qu'en vue proximale. Elle est très étroite dans le sens mésio-distal et très large dans le sens vestibulo-lingual.

Souvent en vue proximale, elle se présente en forme de flamme, et dans le cas de bifidité, elle adopte une forme pyramidale.

On remarque fréquemment la présence d'une cloison dentinaire et de canaux secondaires.

N.B. L'axe du canal radiculaire passe en général par la face vestibulaire près du bord libre de la cuspide, plus rarement par le sommet du bord libre.

Pour les traitements endodontiques, en tenant compte de l'inclinaison linguale de la couronne, il faut étendre la préparation de la cavité d'accès en direction vestibulaire, pour faciliter l'accès direct vers l'apex.

Dans le cas d'inclinaison importante du bord libre, en direction linguale et en présence d'une éventuelle bifidité, il est nécessaire de la compléter par une ouverture vestibulaire.

Comme pour chacun des types de dents décrits, pour aborder l'étude de l'anatomie de cette dent, un guide de dessin est proposé. Il correspond à la description des canines mandibulaires en position buccale, d'un individu de 20 ans environ, indemnes de toute abrasion ou atteinte carieuse. Il s'agit de dents « types » à vocation pédagogique dont les caractéristiques sont issues de l'observation de plusieurs milliers de dents extraites, de moulages et de références à de nombreux auteurs.

Dix variantes sont ensuite proposées pour situer ces dents dans le contexte des diversités morphologiques propres à tous les êtres humains.

Anatomie de la canine mandibulaire droite

Guide de dessin

La planche constituant un guide pour le dessin à l'échelle 2 comprend 5 cadres équilibrés correspondant aux 5 vues de la dent. Chaque cadre est divisé en carrés de 5mm de côté pour constituer des points de repère pour le tracé (fig. 1a).

La même disposition est adoptée pour le dessin de la dent présentée en coupes longitudinales et horizontales, mettant en évidence la morphologie de la cavité pulpaire, de l'émail et du cément (fig. 1b). Les dimensions de la dent sont les suivantes :

- hauteur totale de la dent : 25,8 mm ;

- hauteur de la racine : 14,6 mm ;

- hauteur de la couronne : 11,2 mm ;

- diamètre mésio-distal maximal de la couronne : 7 mm ;

- diamètre vestibulo-lingual maximal de la couronne : 8 mm ;

- diamètre mésio-distal de la racine au collet : 5,3 mm ;

- diamètre vestibulo-lingual de la racine au collet : 7,3 mm ;

- hauteur maximale du collet, face mésiale : 2,5 mm ;

- hauteur maximale du collet, face distale : 1,5 mm.

L'angulation théorique de la dent « type » en position buccale est de 3° en vue mésiale et de 3° en vue vestibulaire (fig. 2).

Les principaux points anatomiques sont répertoriés (fig. 3).

Variantes morphologiques

Parmi le très grand nombre de dents observées et répertoriées, 10 canines mandibulaires ont été sélectionnées pour la fréquence de certains de leurs détails anatomiques (fig. 4).

Leur dessin en position verticale selon les différentes vues vestibulaire, proximales, linguale et occlusale et en coupes longitudinale et horizontale est à comparer avec la dent « type ».

Les cotes principales, à l'échelle 1, mettent en évidence les variantes dimensionnelles (longueur, largeur de la dent, rapport couronne/racine…), la forme et la situation de la cavité pulpaire.

Pour chaque dent, les difficultés cliniques potentielles liées à ses particularités anatomiques sont mentionnées (fig. 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14).

Conclusion

La canine mandibulaire est une dent aussi robuste que la canine maxillaire et morphologiquement proche. Elle ne saurait, cependant, être confondue avec elle, car plus petite et plus aplatie dans le sens mésio-distal.

La réalisation du dessin « type » devient plus difficile que celui de la canine maxillaire ; les éléments anatomiques sont plus nombreux, différents et complexes. La couronne se caractérise par sa hauteur, sa dissymétrie, sa forme pyramidale, sa face linguale presque lisse et de dépouille. Les faces proximales sont très dissemblables avec présence de petits lobes atypiques et de sillons. En occlusion avec l'incisive latérale et la canine maxillaires, elle travaille par son bord cuspidien en direction de son axe. La canine maxillaire reçoit, quant à elle, les impacts par sa face palatine obliquement par rapport à son axe.

Du point de vue clinique, la couronne de cette canine est toujours très favorable pour les divers modes de reconstitution.

La ou les racines présentent divers éléments anatomiques beaucoup plus complexes et dont il faut absolument tenir compte, comme l'aplatissement mésio-distal très marqué au niveau du tronc cervical et la fréquence de la bifidité.

La pulpe : Il faut retenir la forme irrégulière de la cavité pulpaire, la présence éventuelle d'une cloison dentinaire et de canaux secondaires. Les variantes anatomiques présentées mettent en évidence des difficultés cliniques potentielles très diverses, intéressant de nombreuses disciplines odontologiques. Citons à titre d'exemple : la forme et la situation axiale de la cavité pulpaire dans le sens vestibulo-lingual ou la présence d'une seconde racine, non décelables sur une image radiographique. Cela doit inciter à la prudence lors de traitements endodontiques et de la préparation d'un ancrage radiculaire.

(1) Diphysaire : Les dents « diphysaires » sont les incisives canines et prémolaires. Les molaires permanentes sont monophysaires. L'homme est à la fois diphyodonte et monophyodonte.

(2) On appelle tronc cervical la portion de la dent située entre la ligne cervicale et le point de la furcation des racines sur les dents multi-radiculées.

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