Prothèse amovible partielle
Gérard Derrien * Vincent Jardel **
*
Professeur des universités
praticien hospitalier
**
Maître de conférences des universités
praticien hospitalier
Unité de formation et de recherche en odontologie
22, avenue Camille-Desmoulins
29285 Brest Cedex
Le rôle d'une prothèse amovible partielle est de restaurer la fonction masticatrice, de préserver ou de rétablir l'esthétique et la phonation en remplaçant les dents manquantes tout en protégeant les structures ostéo-muqueuses et les dents résiduelles. Lorsque l'on évoque le rétablissement de la fonction occlusale, le praticien pense plus facilement à la prothèse fixée ou à la prothèse composite. Dans certaines situations cliniques, en présence de désordres occlusaux importants, il arrive que pour des raisons pécuniaires, seule une PAP avec un châssis métallique puisse être réalisée. Le but de cet article est de montrer comment maîtriser le rétablissement de la fonction occlusale par la seule prothèse amovible partielle. Trois cas cliniques illustrent de façon non exhaustive les possibilités offertes par les PAP à châssis métallique.
The aim of a removable partial denture is to restore the masticatory function, to preserve or restore aethetics and phonation by replacing missing teeth while protecting the residual ridge. When one evokes the restoring of the occlusal function, the practitioner thinks generally to the fixed prosthesis or to the composite prosthesis. In certain clinical situations, in the presence of important occlusal disorders and for financial reasons, only a removable partial denture with a metal base can be realised. The purpose of this article is to show how to master the restoring of the occlusal function thanks to a removable partial denture only. Three clinical cases illustrate in a non exhaustive way the possibilities offered by the removable partial denture with metal base.
Le rôle d'une prothèse amovible partielle (PAP) [1-2] est de restaurer la fonction masticatrice, de préserver ou rétablir l'esthétique et la phonation en remplaçant les dents manquantes tout en protégeant les structures ostéo-muqueuses et les dents résiduelles. Traditionnellement, les définitions que l'on trouve concernant la PAP à châssis métallique font référence au remplacement des dents manquantes et à la protection du parodonte. Le rétablissement de la fonction occlusale n'est abordé que de façon incomplète.
La stratégie prothétique doit être déterminée principalement par les rapports occlusaux [3-5]. C'est pourquoi la conception d'une prothèse amovible partielle (PAP) à châssis métallique doit s'intégrer à un schéma occluso-fonctionnel défini par le praticien, lors de l'élaboration du plan de traitement [6].
Le but de cet article est de montrer comment contrôler et maîtriser le rétablissement de la fonction occlusale par la seule prothèse amovible partielle lorsque, notamment, la réalisation d'éléments fixés associés (prothèse composite) se révèle impossible. Après un rappel des données occlusales à prendre en compte lors de l'observation clinique, les différentes phases de laboratoire et notamment le stade de la réalisation de la maquette en cire du châssis métallique sur articulateur sont abordées, en prenant trois cas cliniques comme base de description.
Les deux positions maxillo-mandibulaires de référence communément admises sont la relation centrée (RC) et l'occlusion d'intercuspidie maximale (OIM). La première position, articulaire (RC), est une position physiologique, fonctionnelle et reproductible. Elle doit être le point de départ de toute reconstruction prothétique impliquant les principaux déterminants de l'occlusion.
La seconde, l'OIM, est une position de référence exclusivement dentaire utilisable lorsque la dimension verticale est correcte et que les fonctions de centrage et de calage mandibulaire ne sont pas perturbées.
Lors des mouvements dynamiques en diduction et en propulsion, les dents antérieures mandibulaires glissent sur les dents antérieures maxillaires pour provoquer une désocclusion des dents cuspidées : c'est le guidage antérieur dont la physiologie est caractérisée par les relations entre dents antérieures maxillaires et mandibulaires, dans les plans sagittal et vertical.
On parle de « surplomb sagittal » pour définir la distance qui sépare le bord des incisives maxillaires et la face vestibulaire des incisives mandibulaires, lorsque les arcades dentaires sont en position d'intercuspidie maximale (fig. 1). Une grande distance signifie, dans les conditions normales d'occlusion, une désocclusion progressive et peu importante (fig. 2). Une distance réduite traduit un guidage antérieur vertical et donc une forte désocclusion immédiate (fig. 3).
Ce surplomb sagittal est influencé par l'anatomie des dents ou par leur position sur l'arcade, parfois par les deux simultanément.
On parle de « recouvrement » dont la valeur moyenne [10, 12], conditionnée par l'anatomie et la situation des dents, est selon les classes d'Angle de : 1 à 2 mm pour les classes III, 4 à 5 mm pour les classes I et peut dépasser 6 mm pour les classes II-2.
Le recouvrement et le surplomb conditionnent le guidage antérieur qui doit être efficace et suffisant, pour permettre la désocclusion des dents postérieures en empêchant toutes interférences et guider la mandibule lors de son retour vers la position d'intercuspidie maximale (PIM) [7, 13, 14]. Le recouvrement est jugé excessif lorsque les dents antéro-inférieures entrent en contact près du collet gingival ou même directement sur la gencive palatine. À l'inverse, une béance incisive avec une absence de contact dentaire ne peut provoquer aucun guidage. La situation fonctionnelle dans ces cas est critique, confiée aux seuls déterminants postérieurs.
La création ou la correction d'un guidage antérieur inadapté est souvent évoquée lors d'une réhabilitation occluso-fonctionnelle. Elle met en œuvre, le plus souvent, des constructions fixées, amovibles ou mixtes en fonction des plans de traitement retenus.
Elle détermine la hauteur de l'étage inférieur de la face. Elle est matérialisée par la distance séparant deux points cutanés du visage lorsque les dents maxillaires et mandibulaires sont en OIM. Une valeur « correcte » est garante d'une efficacité musculaire optimale et du confort du patient. Il n'y a pas de données scientifiques permettant de déterminer avec précision cette distance. Seules les données phonétiques et esthétiques permettent une approche clinique satisfaisante. L'expérience montre que les patients ont des potentiels d'adaptation aux modifications plus ou moins importants [15].
Cette valeur peut être réduite par une usure anormale des dents, consécutive à des phénomènes de bruxisme ou par la perte des dents postérieures. La dimension verticale de repos ou position d'équilibre posturale est caractérisée par une position de la mandibule lorsqu'il n'y a pas de contacts dentaires et que le patient se tient debout [13, 16]. Elle peut être modifiée par la position de la tête ou par une pathologie neuromusculaire.
Entre les deux hauteurs précitées se situe l'espace libre d'inocclusion (ELI) [2, 14, 17, 18]. Il est courant de lui attribuer une valeur moyenne de 2 à 3 mm au niveau des prémolaires et de moduler cette estimation en fonction de l'âge, du type constitutionnel et du rapport des bases osseuses.
Le vieillissement accroît la laxité ligamentaire et diminue la tonicité musculaire. Un port de tête « jeune » augmente l'ELI ; en revanche, si le patient est très voûté avec la tête inclinée vers l'avant, l'ELI diminue.
L'ELI chez un patient de type carbonique est inférieur à celui que l'on observe chez un phosphorique alors que le patient de type fluorique est caractérisé par un ELI plus important.
En présence d'une classe I d'Angle, l'ELI a une valeur moyenne de 3 mm. Il est réduit chez les prognathes (1 à 2 mm). En revanche, l'ELI est important chez les rétrognathes, chez qui il peut atteindre 8 à 10 mm.
Il apparaît donc que l'ELI et le recouvrement incisif sont liés selon les classes squelettiques (tabl. I).
Lors d'une réhabilitation de la fonction occlusale avec des prothèses amovibles partielles, la nécessité et la possibilité d'une augmentation de la DVO sont deux questions qui se posent souvent. Le rétablissement thérapeutique de la DVO pour être « bien toléré » doit laisser un ELI suffisant, ce qui doit se traduire par une absence de contact dentaire durant la phonation (espace phonétique de Sylverman) et une fonction masticatrice non perturbée [9, 19, 20]. À la lumière de ce qui est énoncé précédemment, les conclusions suivantes peuvent être tirées en ce qui concerne les possibilités et les nécessités de modifications.
• La DVR varie peu et ne peut être modifiée directement. En revanche, il est possible d'agir sur la DVO.
• Les possibilités de réévaluation de la DVO sont plus évidentes lorsque l'ELI est élevé. En effet, l'expérience clinique montre que les 8 mm d'ELI, que l'on retrouve dans les rapports osseux de classe 2 d'Angle peuvent être ramenés à 3 mm en modifiant l'anatomie dentaire sans que la fonction et le confort du patient en soient altérés.
• La perte des dents postérieures, non remplacées, accompagnée d'une version vers l'avant du groupe incisivo-canin maxillaire, qui provoquent une diminution de la DVO et donc une augmentation de l'ELI. Dans ces situations, la réévaluation de la DVO est impérative. Il faut combler la béance qui en résulte et recréer une fonction antérieure.
• Les situations occlusales traumatiques que l'on observe lorsque les incisives mandibulaires ont un contact proche du collet anatomique de leurs homologues maxillaires. Parfois, le contact peut se situer directement sur la gencive palatine.
Lorsque la réévaluation de la dimension verticale et la reconstruction du guide antérieur sont nécessaires, elles peuvent être envisagées dans le cadre de PAP à châssis métallique, mais avec la même attention que celle qu'on leur porte en prothèse conjointe. Les faces occlusales et palatines sont sculptées selon la technique de la cire ajoutée avec le même souci de précision et de fonctionnalité. Puisque la dimension verticale d'occlusion est réévaluée, il n'y a plus de référence dentaire : le choix de la relation centrée comme position de référence s'impose. Cette réévaluation ne peut être envisagée qu'en présence d'une relation ménisco-disco-temporale stabilisée, non pathologique ni évolutive [13]. Une prothèse provisoire en résine conventionnelle ou comportant une gouttière occlusale permet une approche très intéressante en stabilisant la relation ménisco-disco-temporale et en validant les choix de la nouvelle DVO et du guidage antérieur.
Lorsque des dents naturelles cuspidées antagonistes subsistent, elles ne peuvent rester en inocclusion dans le cadre de la nouvelle DVO. Des prothèses fixées transitoires, puis d'usage, constituent le moyen le plus fiable pour les reconstruire. Si leur indication se révèle impossible, le plus souvent pour des motifs économiques, la PAP est mise à contribution pour participer au calage vertical et aux guidages fonctionnels de la mandibule grâce à une extension occlusale des taquets, et à des modifications morphologiques des barres cingulaires [3-20].
1. Les moulages d'étude sont montés en articulateur. En complément des données cliniques, ils permettent l'analyse du cas, la conception de la forme du châssis métallique ainsi que les modalités d'une reconstruction occluso-fonctionnelle.
2. Le moulage en plâtre, issu d'une empreinte terminale anatomo-fonctionnelle, est préparé selon les méthodes traditionnelles pour réaliser un châssis métallique. Il est dupliqué et coulé en matériau réfractaire.
3. Le moulage en matériau réfractaire ainsi que son antagoniste en plâtre sont montés sur un articulateur semi-adaptable. La position de référence (RC) est enregistrée selon les techniques traditionnelles, adaptées au cas clinique [3, 21, 22].
4. La maquette de fonderie en cire du châssis métallique est réalisée à la dimension verticale thérapeutique selon le schéma fonctionnel déterminé lors du plan de traitement. Lors de cette étape essentielle, la concertation praticien/prothésiste est primordiale, car une fois le châssis métallique coulé, seuls quelques ajustements mineurs des surfaces métalliques sont possibles.
Les trois cas cliniques présentés ci-après illustrent les possibilités thérapeutiques offertes par la PAP.
Les édentements postérieurs bilatéraux maxillaires (Cl. I de Kennedy) représentent les indications les plus fréquentes.
Les prothèses existantes qui étaient « les moins volumineuses possibles » selon les desiderata du patient n'ont pas joué leur rôle de calage postérieur (fig. 4 , 5a et 5b). Cela a provoqué une perte de la DVO et une version des incisives maxillaires. L'occlusion s'effectue sur la muqueuse palatine où les indentations sont visibles (fig. 5a). La réévaluation de la DVO est estimée à 2 mm. Elle situe le bord des incisives mandibulaires à la hauteur du cingulum des incisives maxillaires sur lequel il était supposé être en occlusion avant la version de ces dernières.
Le moulage maxillaire en matériau réfractaire et le moulage mandibulaire sont montés sur l'articulateur en RC. La maquette en cire est réalisée, pour la partie occlusale, selon les mêmes principes que pour la prothèse fixée avec une cire à sculpter. Le châssis est coulé, puis soigneusement poli sans affecter l'anatomie réalisée (fig. 6 , 7 , 8a et 8b , 9a et 9b). La fibro-muqueuse sous la PAP, bien protégée, a parfaitement cicatrisé en quelques jours.
Ce cas se caractérise par la présence d'édentements encastrés (fig. 10a, 10b et 10c).
Cette patiente de 55 ans consulte pour le renouvellement de ses deux prothèses amovibles partielles. Elle n'a pas de doléances particulières. Les dents absentes sont 12, 13, 23, 24, 25 au maxillaire et 35, 36, 37, 45, 46, 47 à la mandibule. L'examen des moulages et des radiographies montre un décalage des bases osseuses de type classe II-1 d'Angle avec une proalvéolie supérieure. L'examen clinique fait apparaître, lors de la fermeture en RC, une absence de calage occlusal satisfaisant entre 14, 15 et 43, 44. Il en résulte un proglissement mandibulaire important (2 mm) jusqu'à l'obtention d'un contact incisif situé au niveau du collet anatomique des incisives maxillaires.
Dans ce cas, une réhabilitation prothétique maxillaire fixée nécessiterait un traitement d'ODF pour repositionner les incisives maxillaires restantes. La pose d'implants pourrait être également indiquée.
La motivation de la patiente et ses possibilités pécuniaires ne permettent pas d'envisager ce type de traitement. La prothèse amovible partielle maxillaire avec un châssis métallique doit maintenir une DVO thérapeutique stable, créer un guidage antérieur fonctionnel et protéger les incisives restantes. La réévaluation de la DVO, estimée à 2,5 mm, impose de remodeler les faces occlusales de 14 et de 15 en les recouvrant par le châssis métallique puisque les dents mandibulaires sont correctement situées par rapport au plan d'occlusion. Les faces occlusales de 23, 24, 25 sont également coulées, ainsi toutes les dents mandibulaires restantes sont en contact avec le châssis métallique pour garantir la pérennité des résultats et assurer la stabilité de la prothèse. La situation esthétique n'est pas compromise, car la présence du métal sur les dents antérieures n'est pas visible. Le patient apprécie cette fonctionnalité retrouvée ainsi que l'efficacité masticatoire (fig. 11, 12, 13, 14a, 14b, 15a, 15b, 15c, 16a et 16b).
Dans ce cas, l'objectif est de remplacer les dents manquantes, de protéger les dents résiduelles tout en leur redonnant une fonction (fig. 17a, 17b, 17c, 18a, 18b, 19, 20a, 20b, 21, 22a, 22b, 22c et 22d).
Il s'agit d'un patient de 70 ans dont les dents sont excessivement abrasées par un bruxisme important. Le contexte parodontal est très favorable. Les racines des dents antérieures maxillaires sont courtes et se prêtent mal à une reconstruction par prothèse fixée avec réévaluation de la DVO. Les possibilités pécuniaires du patient sont limitées. Il souhaite conserver ses dents pour garder, voire améliorer son potentiel masticatoire.
La PAP se comporte comme une gouttière occlusale en rétablissant une désocclusion postérieure dans les mouvements de propulsion et de latéralité tout en protégeant les dents restantes. La DVO est réévaluée de 1,5 mm. Cela permet d'interposer une épaisseur de métal suffisante. Le patient a une typologie de prognathe (classe III d'Angle). Les indications avancées au début de cet article montrent que, dans ces circonstances, l'augmentation de la DVO doit être limitée.
Cette prothèse donne au patient l'impression de mastiquer sur ses dents et une grande sensation de confort, mais elle doit être portée en permanence pour éviter toute nouvelle usure dentaire qui entraînerait son inadaptation. La situation esthétique est relativement acceptable, conforme aux desiderata du patient.
Le plan de traitement prothétique en PAP est l'aboutissement d'une observation clinique minutieuse et des possibilités techniques offertes par la prothèse amovible. La concertation entre le prothésiste et le praticien ne doit pas se limiter au seul tracé de l'armature. La recherche du meilleur compromis pour le patient doit être le souci constant du praticien.
Ces situations cliniques variées, mais non exhaustives mettent en évidence les possibilités prothétiques et thérapeutiques offertes par la PAP à châssis métallique.
Dans ces cas, la prothèse assume pleinement ses fonctions, car elle remplace les dents absentes et respecte les structures ostéo-muqueuses. Elle restaure et assume la fonction occlusale en préservant la proprioception desmodontale et en protégeant les dents restantes, notamment celles dont le support parodontal est réduit.
Un contrôle régulier s'impose pour prévenir toute modification des rapports dento-prothétiques et pour assurer la pérennité de la restauration.