Les cahiers de prothèse n° 120 du 01/12/2002

 

Implantologie

Paul Mariani *   Grégory Stephan **  


*Professeur des universités,
praticien hospitalier
**Assistant des universités,
praticien hospitalier
Faculté d'odontologie de Marseille
27, boulevard Jean-Moulin
13385 Marseille Cedex 5

Résumé

Les thérapeutiques utilisant les implants comme moyens de rétention complémentaires de prothèses adjointes totales ou comme moyens d'ancrage exclusifs de prothèses implanto-portées font désormais partie des données acquises de la science odontologique. Le protocole thérapeutique qui aboutit à la réalisation de ces prothèses est parfois complexe. Nous avons voulu le décomposer en différentes phases qui permettent de donner à chacun des éléments qui concourent au succès thérapeutique toute son importance. La phase de décision est faite d'écoute, d'examens les plus complets possibles, d'informations données aux patients. La phase de préparation est plus technique. Elle implique la validation d'un réel projet thérapeutique, la réalisation d'un guide radiologique qui permet de vérifier la cohérence entre les objectifs thérapeutiques et les protocoles chirurgicaux. La phase de gestation est plus ou moins longue en fonction des conditions chirurgicales. Elle implique la gestion des prothèses provisoires. Enfin, la phase de réalisation prothétique doit être structurée pour être la plus efficace possible.

Summary

Implants and total edentulism : what therapeutic protocol?

The therapeutics which uses implants as means of complementary retention of joint full dentures or as means of exclusive anchorage of implant-supported prostheses are now part of the data which have been acquired in odontological science. The therapeutic protocol which gives way to the realization of these prostheses is sometimes complex. We wanted to break it down into different phases, hence underlining each element which contributes to the therapeutic protocol. The decision phase comprehends listening, the most complete tests, and information given to the patients. The preparation phase is more technical. It implies the validation of a real therapeutic project, the realization of a radiological guide which enables to check the coherence between the therapeutic aims and the surgical protocols. The gestation phase is more or less long according to the surgical conditions. It implies the management of provisional prostheses. Finally the phase of prosthetic realization must be structured to be as efficient as possible.

Key words

denture, implant-supported prosthesis, therapeutic protocol

L'approche thérapeutique en présence d'un édentement total uni-ou bimaxillaire a considérablement évolué depuis les succès immédiats et à long terme enregistrés par l'utilisation des racines artificielles implantées dans les maxillaires. Les problèmes d'instabilité et de rétention représentent une immense majorité des doléances prothétiques chez les porteurs de prothèse totale. Le succès des implants, utilisés comme moyen de rétention complémentaires, se traduit par un taux de satisfaction très élevé et par le changement de vie qu'apporte ce type de traitement [1].

On peut désormais parler de trois solutions thérapeutiques en présence d'un édentement total :

- la prothèse amovible conventionnelle, réservée aux périodes d'attente (prothèse immédiate) ou aux contre-indications chirurgicales et techniques diverses des solutions utilisant des implants ;

- la prothèse totale à complément de rétention par barre ou par boules qui est considérée par beaucoup d'auteurs comme le minimum thérapeutique en prothèse gériatrique à la mandibule [2] ;

- la prothèse fixée sur implants qui devrait être la norme thérapeutique, particulièrement à la mandibule.

L'option implantaire peut être retenue dès lors que le bénéfice à long terme pour le patient est supérieur à toute autre thérapeutique. Plusieurs phases conduisent à la réhabilitation prothétique. Chacune a son importance et ne doit pas être négligée.

Décision

La décision repose sur l'écoute du patient, l'analyse des conditions générales et locales propres à chaque individu, auxquelles il ne faut pas oublier d'associer les conditions psychologiques. La synthèse de tous les paramètres recueillis au cours de l'anamnèse et de l'examen clinique doit déboucher sur un pronostic. Les contre-indications peuvent être absolues et sans appel, ou relatives [3]. Dans ce dernier cas, la décision implantaire est plus difficile et l'expérience du praticien prend alors toute son importance. Cette décision ne peut réellement être acquise que lorsque l'information du patient est complète et comprise. Le praticien doit pour cela exposer les différentes propositions thérapeutiques chiffrées avec leurs avantages et inconvénients. La décision finale revient au patient.

Écoute du patient

La thérapeutique ne peut être efficace et appréciée par le patient que si elle correspond à une réelle demande de sa part [4]. Il est essentiel de ne pas aller au-delà des attentes du patient, mais de l'aider à formuler lesdites attentes [5]. Pour cela, il importe de ne pas oublier le rôle du schéma, de la photo ou du dessin. Les capacités de compréhension des patients âgés peuvent être altérées ; il est essentiel de s'assurer de la bonne compréhension et de la bonne mémorisation des explications fournies. Pour cela, un document écrit remis au patient est un excellent moyen.

L'expérience montre [6] que les demandes du patient peuvent être classées en trois rubriques :

- souci fonctionnel : instabilité des anciennes prothèses entraînant des douleurs, des difficultés masticatoires, des difficultés d'ordre phonétique ;

- souci financier, lié souvent aux moyens financiers réduits, mais également à l'évaluation de la durée de vie des éventuelles réalisations, ou au souhait de ne pas altérer le patrimoine chez les personnes très âgées ;

- souci esthétique, présent principalement chez les plus jeunes. Le praticien ne doit surtout pas laisser penser au patient que la réalisation des prothèses fixes sur implants lui fera retrouver « ses dents de vingt ans ».

Cette écoute du patient doit être suffisamment « fine » pour permettre progressivement, éventuellement à l'aide de quelques questions ouvertes, de commencer à évaluer son profil psychologique.

Examen du patient

Il est bien entendu très classique et a été largement décrit. Mais, chez le patient totalement édenté, certains paramètres ont une importance particulière.

Examen exobuccal

L'examen exobuccal est particulier puisqu'il relève à la fois du diagnostic et du pronostic : symétries et asymétries bien entendu, mais aussi pertes de dimension verticale, positions des lèvres, possibilités de remodelage des tissus mous par les prothèses, évaluation initiale des possibilités de réhabilitation de l'ensemble bucco-facial.

Ouverture buccale

L'ouverture buccale est un des éléments à prendre particulièrement en compte dès que l'on envisage une thérapeutique à base d'implants, particulièrement dans les secteurs postérieurs, en présence d'une arcade antagoniste dentée. Rappelons que l'ensemble tête de contre-angle/foret de 7/15 mm a une longueur de 36 mm.

Examen endobuccal

L'examen endobuccal est classique, mais des points particuliers sont à mettre en exergue. Cet examen est avantageusement accompagné par un bilan radiologique panoramique.

• Dents résiduelles

Des obstacles tels que dents incluses, débris radiculaires ou plaques d'ostéosynthèse contrarient considérablement l'hypothèse implantaire. En présence d'une arcade antagoniste partiellement ou totalement dentée, la réhabilitation prothétique du maxillaire édenté doit s'inscrire dans le cadre global. Ainsi, les égressions, les versions, les perturbations du plan d'occlusion, les pertes de dents sont soigneusement répertoriées et analysées pour ne pas reproduire sur la prothèse implanto-portée les pathologies existant au niveau du maxillaire antagoniste.

• Tissus mous

Une analyse des pathologies tissulaires éventuellement présentes doit être envisagée, particulièrement au niveau de l'émergence des implants. La situation de la jonction gencive kératinisée/muqueuse alvéolaire doit être étudiée soigneusement pour éviter une émergence implantaire dans la zone muqueuse.

• Relations intermaxillaires

Elles influencent de manière décisive le choix du type de prothèse. À titre d'exemple, une classe III d'angle très prononcée est beaucoup plus facile à traiter au moyen d'une prothèse à complément de rétention que par une prothèse transvissée à extensions distales. Le transfert des moulages sur articulateur ainsi que le montage des dents artificielles sont souvent indispensables pour finaliser le projet prothétique.

Conditions générales de santé

Le praticien doit considérer l'acte implantaire comme un acte chirurgical à part entière et non comme la simple pose d'une racine artificielle dans un maxillaire. C'est pourquoi il est important de considérer le patient dans son ensemble. Celui-ci est soumis à un interrogatoire médical intéressant les systèmes cardiovasculaire, nerveux, endocrinien, sanguin, respiratoire, rénal, les antécédents cancéreux, l'hygiène de vie… Le questionnaire doit être signé et daté par le patient. En cas de doute, un courrier doit être adressé au médecin traitant. Il convient de distinguer les contre-indications absolues et les contre-indications relatives. Les patients totalement édentés étant souvent âgés, il faut être d'autant plus attentif.

• Contre-indications absolues

- cardiopathies à haut risque oslérien (prothèses valvulaires aortiques ou mitrales, cardiopathies congénitales cyanogènes et non cyanogènes, antécédents d'endocardites) et cardiopathies à risque oslérien (valvulopathies aortiques ou mitrales, cardiopathies congénitales non cyanogènes, cardio-myopathie obstructive).

Chez les patients à risque, la mise en place d'implants est déconseillée et l'avis écrit du cardiologue est indispensable ;

- pathologies systémiques incontrôlées (diabète, insuffisance rénale, cancer, sida, hépatites…) ;

- troubles psychologiques sévères (handicap psychomoteur, épilepsie…) ;

- dépendances (alcool, drogue…) ;

- âge du patient (la croissance doit être terminée).

• Contre-indications relatives

Elles regroupent les autres pathologies ne représentant pas une contre-indication absolue. Le risque encouru est à évaluer en fonction des conditions locales propres à chaque individu. Ce risque doit être expliqué au patient et assumé de manière bilatérale par le patient et le praticien. Le risque en termes d'échec implantaire a parfaitement été décrit par Renouard. Pour une même contre-indication, ce risque augmente proportionnellement en présence de conditions osseuses défavorables (quantité et qualité) [7]. Des examens complémentaires biologiques ou cardiologiques peuvent être nécessaires avant toute décision thérapeutique.

Information du patient

Avant de prendre une décision thérapeutique éclairée par nos soins, le patient devra recevoir une information préalable qui soit à la fois claire et précise sans être ni dissuasive pour certains traitements ou particulièrement persuasive pour d'autres. Ainsi, seront abordés successivement les objectifs du traitement, les différentes solutions prothétiques, les conditions financières, le plan de traitement.

Objectifs de traitement

Ils sont de fait rarement exprimés : rétablir la dimension verticale, le plan d'occlusion, le support des joues, des lèvres, la phonation, l'efficacité masticatoire, l'esthétique… Cela ne consiste pas à dire d'emblée : « Je prévois 5 implants de 3,75 mm de diamètre et de 13 mm de long… » (Attention à ne pas confondre avec les moyens de traitement!)

Différentes solutions prothétiques

La réhabilitation prothétique du patient totalement édenté peut être réalisée au moyen de quatre solutions techniques :

- prothèse amovible conventionnelle ;

- prothèse à complément de rétention implantaire ;

- prothèse implanto-portée de type « Brånemark » ;

- prothèse implanto-portée de type classique.

Ces solutions sont très différentes et méritent d'être soigneusement détaillées au patient si possible avec le support d'une iconographie.

Conditions financières

Pour éclairer la prise de décision, une évaluation financière des coûts de chacune des solutions doit être réalisée. Ce n'est que plus tard que le praticien fera signer un devis détaillé en double exemplaire daté et signé. Les conditions de règlement des honoraires sont propres à chaque praticien, mais il est souhaitable de prévoir un échéancier précis avec règlement préalable d'une partie des honoraires.

Plan de traitement

Une ébauche du plan de traitement est rédigée, permettant au patient de décider en fonction de ses occupations et de sa disponibilité. Un plan de traitement beaucoup plus précis sera établi après la décision thérapeutique finale.

La décision thérapeutique implantaire dépend de la prise en compte de tous ces paramètres. Une décision favorable sous-entend l'acceptation du plan de traitement et sa compréhension par le patient.

Préparation

Elle a pour objectif de concrétiser, aussi bien pour le patient que pour le praticien, le résultat souhaité quant à la position des futures dents prothétiques, leur dimension, leur forme, leur couleur. Une fois ces paramètres validés, il faut établir la cohérence possible entre les objectifs prothétiques et les possibilités des techniques implantaires. Ainsi, quatre étapes jalonnent cette phase : validation du projet prothétique, réalisation du guide radiologique, validation de la cohérence entre les objectifs prothétiques et les possibilités implantaires au moyen de radiographies, concrétisation de cette cohérence par des guides chirurgicaux.

Validation du projet prothétique

Il est essentiel de concrétiser le projet prothétique par le montage des dents artificielles sur des moulages montés sur un articulateur. Ainsi, sont pris en compte tous les paramètres inclus dans les objectifs de traitement. Le patient et le praticien valident chacun de ces objectifs et ont à disposition la position, la dimension, la forme et la couleur des dents artificielles. Une fois validé, ce document est conservé pour être utilisé lors de la construction des prothèses (fig. 1).

Réalisation d'un guide radiologique

À partir de ce montage validé, un guide d'imagerie peut être réalisé de plusieurs manières.

Résine transparente

Dans ce cas, on procède par isomoulage et duplication du montage ou d'une prothèse préalablement réalisée ou existante et donnant satisfaction sur les plans esthétique, fonctionnel et occlusal (fig. 2). Des repères radio-opaques (billes métalliques, gutta percha, sulfate de baryum) sont disposés aux endroits où l'on souhaite positionner les implants (fig. 3). Ces repères apparaîtront nettement sur les radiographies (fig. 4). Cette méthode est indiquée lorsque, du fait de la résorption, les implants sont à distance des dents : prothèses de type Brånemark ou à complément de rétention.

Résine radio-opaque

La réplique des montages ou des prothèses peut être réalisée partiellement en résine radio-opaque (fig. 5). Dans ce cas, l'intégralité de la dent apparaît sur les radiographies. Ce type de reproduction est indiqué lorsque l'on souhaite réaliser une prothèse de type classique, c'est-à-dire avec des dents qui émergent de la gencive dans le prolongement des implants.

Validation de la cohérence entre les objectifs prothétiques et les possibilités implantaires

Porté par le patient lors de l'examen radiologique, le guide d'imagerie donne des indications sur la position, les dimensions et l'axe des implants en fonction des particularités anatomiques. Ainsi, il permet de s'assurer de la cohérence des objectifs prothétiques par rapport aux possibilités anatomiques et chirurgicales.

Une éventuelle incohérence sera expliquée au patient. Elle peut modifier le projet thérapeutique :

- soit le projet prothétique est modifié en fonction des possibilités implantaires : telle dent doit être déplacée (fig. 6) ou plus sévèrement une prothèse à complément de rétention est seule possible…

- soit des thérapeutiques complémentaires seront instaurées, comme des greffes ou des comblements.

Concrétisation de cette cohérence par des guides chirurgicaux

L'interprétation des radiographies, repères en place, débouche sur la transformation du guide radiologique en guide chirurgical. Chez le patient totalement édenté, le repositionnement du guide chirurgical après réclinaison du lambeau est assez aléatoire, particulièrement à la mandibule. L'objectif est donc, quelle que soit l'option thérapeutique (prothèse complète à complément de rétention ou prothèse implanto-portée), de marquer le milieu interincisif. Avant incision, le guide chirurgical, préalablement décontaminé, est placé en bouche. Le praticien marque ce milieu sur la crête osseuse à l'aide d'une fraise-boule stérile (différente de celle du kit de forage) en passant à travers la fibro-muqueuse (fig. 7). Le positionnement des sites de forage se fait ensuite grâce à des mesures millimétrées par rapport à ce référentiel.

Au maxillaire, la modification du guide radiologique en guide chirurgical se fait par création d'échancrures vestibulaires. Ainsi, une fois en bouche, le positionnement du guide, grâce à l'appui palatin, permet de réaliser un trajet d'incision, le guide pouvant être ainsi utilisé pendant toute l'intervention (fig. 8).

Gestation

Cette phase débute et se termine par un acte chirurgical. Deux protocoles sont actuellement validés : le protocole dit « classique » et le protocole de mise en fonction immédiate.

Protocole « classique »

Le protocole classique consiste, après la chirurgie initiale de mise en place des implants, à réouvrir et connecter les piliers de cicatrisation sur les implants après une période de temporisation dont la durée varie en fonction des conditions osseuses locales. Ce protocole en 2 temps, décrit par Brånemark et défendu pendant longtemps, était un des paramètres garant de l'ostéointégration implantaire.

Dans le protocole classique de mise en fonction différée des implants, la phase de gestation est plus longue et se découpe en plusieurs périodes.

Période initiale de cicatrisation

D'une durée de 10 jours, elle suit immédiatement la chirurgie initiale. Elle se caractérise par la suppression de toute prothèse amovible, ce qui peut poser des problèmes assez pénibles aux patients. Dans le cas d'une mise en place d'implants au niveau d'un maxillaire chez un patient totalement édenté (bimaxillaire), la prothèse antagoniste doit aussi être retirée, particulièrement durant le sommeil.

Période d'ostéointégration

Durée : de 3 à 6 mois selon la densité osseuse et les conditions chirurgicales. Une prothèse amovible transitoire est mise en bouche. Pour diminuer la sollicitation mécanique des implants par les prothèses au niveau de la zone implantée, la procédure suivante s'impose :

- évider largement et en profondeur la base résine en regard des zones implantées (fig. 9) ;

- rebaser l'intrados prothétique avec une résine à prise retardée d'une épaisseur suffisante. Cette résine aura une durée de vie de 3 à 4 semaines (fig. 10) ;

- remplacement de la résine à prise retardée par un silicone de rebasage d'une durée de vie supérieure (fig.11).

Période de seconde chirurgie

La mise en place des piliers de cicatrisation (fig. 12) implique la modification par meulage de l'intrados prothétique en regard des piliers et un nouveau rebasage de l'intrados à l'aide d'une résine à prise retardée.

Période de réalisation prothétique

Une éventuelle prothèse transitoire peut être réalisée sur des piliers provisoires pendant la réalisation prothétique (fig. 13).

Protocole de mise en fonction « immédiate »

Récemment, l'équipe suédoise est revenue en arrière avec le système Brånemark Novum® (Nobel Biocare). Un essai clinique a été publié sur la mise en charge immédiate de 3 implants symphysaires, sur lesquels est connectée, le jour même, une prothèse fixe réalisée à partir d'une armature préfabriquée [8]. Opposé au concept initial de l'École suédoise, le concept de la mise en charge immédiate a pour intérêt la diminution des délais d'appareillage, la disparition du second temps chirurgical et, par conséquent, la réduction des coûts. De plus en plus de publications sont apparues depuis 1995 sur la mise en charge immédiate [9]. Les travaux de Ledermann [10] et Graber et Besimo [11] ont établi que le fait de relier 3 ou 4 implants par une barre réduit significativement les macro-mouvements et permet le déroulement d'une cicatrisation normale à l'interface os/implant. L'étude de Randow et al. [12] a montré que la connexion immédiate d'une prothèse fixée à 5 implants, placés entre les foramen mentonniers, donnait les mêmes résultats que ceux obtenus par le groupe contrôle.

Notons qu'avant les travaux de Brånemark, la mise en fonction immédiate était la règle et se traduisait par un taux d'échecs élevé ; il est vrai que les implants utilisés étaient différents des implants actuels.

De plus, la rapidité de réalisation implique l'utilisation d'armatures préfabriquées qui ne sont pas toujours à même de répondre à tous les critères d'intégration physiofonctionnels et esthétiques d'une prothèse totale.

Réalisation

De nombreux paramètres ont été gérés pendant la phase de préparation. En ce qui concerne la phase de réalisation prothétique, plusieurs étapes se succèdent.

Piliers prothétiques

Choisis de manière à être juxtagingivaux ou légèrement sus-gingivaux si la prothèse est de type Brånemark classique, ils remplacent les piliers de cicatrisation. Le serrage doit s'effectuer à l'aide d'une clef dynamométrique ou du moteur, pour obtenir la valeur désirée du couple de serrage (20 Ncm pour le pilier MultiUnit de Nobel Biocare) (fig. 14). Ces piliers sont systématiquement protégés par des « capuchons de cicatrisation vissés » (fig.15).

Empreintes

L'empreinte en implantologie constitue une étape essentielle en raison de la particularité de l'interface quasi rigide os/implant. L'absence de mobilité nécessite une adaptation passive des armatures pour éviter les contraintes à l'origine de complications (dévissage, fractures, ostéolyse, douleurs…) [13-15]. De nombreux travaux ont montré que la pérennité de la reconstruction dépendait entre autres de l'adaptation passive de l'armature [16]. D'autres paramètres influencent également la précision de l'adaptation (technique de fonderie, mise en place des transferts, repositionnement et serrage des répliques d'implants…). Le passage par une empreinte primaire, la réalisation de porte-empreintes individuels et une empreinte secondaire sont obligatoires.

Empreinte primaire

Elle est réalisée à l'alginate, avec des transferts vissés en place pour obtenir des moulages avec un prépositionnement des piliers implantaires (fig. 16).

Porte-empreinte individuel

Il est réalisé « au plus près » des transferts transvissés qui seront utilisés pour les empreintes secondaires (fig. 17).

Empreinte secondaire

Chez le patient totalement édenté, les polyéthers et le plâtre [17] sont les matériaux de choix en raison de leur grande rigidité et d'une faible déformation permanente (fig. 18). Les techniques pick-up, c'est-à-dire directement sur les implants et non pas sur les piliers, semblent donner, pour la plupart des auteurs, de meilleurs résultats d'autant plus que le nombre d'implants est important.

La réalisation d'une prothèse totale à complément de rétention implantaire nécessite également une parfaite définition des surfaces ostéo-muqueuses. Une technique permettant la réalisation de la barre et base prothétique sur un moulage de travail unique a été décrite [18]. Elle consiste à enregistrer, dans un premier temps, le joint périphérique et le relief crestal à l'aide d'un porte-empreinte individuel et d'un élastomère. Puis, dans un second temps, les transferts sont solidarisés au porte-empreinte, sous pression occlusale, avec du plâtre (fig. 19).

Test de validation de l'empreinte

Le test de la clef en plâtre repose sur l'absence de déformation du plâtre. Une clef en plâtre, réalisée sur le moulage de travail où a été réalisée l'armature, est transposée en bouche et vissée à l'aide d'une clef dynamométrique. La fracture de la poutre en plâtre entre 2 piliers signifie une armature non passive (fig. 20).

Relations intermaxillaires et le concept occlusal

Enregistrements des relations intermaxillaires

Ils permettent le transfert sur un articulateur. Les étapes de réglage des bourrelets et d'enregistrement des rapports intermaxillaires, réalisées classiquement, sont facilitées par la possibilité de visser la maquette d'occlusion (fig. 21). Le montage sur articulateur est indispensable et la réalisation d'une axiographie simplifiée conseillée pour enregistrer les pentes condyliennes et permettre ainsi le montage des dents selon le concept occlusal adapté au type de reconstruction (fig. 22).

Concept occlusal

Choisi en fonction du contexte clinique, du type d'antagoniste et du type de prothèse, le concept occlusal est soigneusement indiqué au prothésiste.

Face à une prothèse totale maxillaire, la prothèse totale mandibulaire réalisée sur 2 implants est réglée selon le concept de l'occlusion intégralement équilibrée (quelle que soit la forme de la barre ou des boules). Sur 3 implants, l'impossibilité de rotation autour de la barre nécessite des contacts antérieurs en relation centrée pour réduire les contraintes sur les implants (les contacts en propulsion et latéralité sont ceux préconisés dans le concept de l'occlusion intégralement équilibrée). Pour une prothèse de type Brånemark, on recherche également des contacts antérieurs en relation centrée. En propulsion, les contacts sont antérieurs et postérieurs en évitant la partie distale au dernier implant afin d'éviter de trop solliciter l'extension distale. Face à une denture naturelle, c'est le concept de la protection mutuelle qui est appliqué. En relation centrée, les contacts sont répartis uniformément avec une intensité moins marquée sur le cantilever. Lors des mouvements d'excursion, on tente d'organiser un guidage antérieur avec absence de contacts postérieurs en propulsion et une fonction de groupe en diduction.

Le transfert des dents prothétiques préalablement choisies est effectué sur cet articulateur et validé au cabinet.

Réalisation et validation des armatures

L'armature est réalisée sur le moulage de travail de manière homothétique par rapport aux dents montées sur cire, à l'aide d'une clé vestibulaire englobant les dents (fig. 23). Elle est essayée et validée en bouche (fig. 24).

La valeur du hiatus pilier/armature dépend du type de reconstruction. En 1985, Klineberg et Murray suggèrent qu'un hiatus de plus de 30 μm sur plus de 10 % de circonférence est inacceptable. Jemt, en 1991, définit le hiatus acceptable comme celui ne causant pas de complications cliniques et suggère qu'un hiatus inférieur à 150 μm est acceptable [19]. Cliniquement, on procède à une série de tests sur modèle et en bouche permettant de valider l'adaptation de l'armature :

- contrôle visuel du joint armature/pilier. Le pouvoir séparateur de l'œil limité permet néanmoins d'éliminer les défauts d'adaptation majeurs. L'acuité visuelle, l'arrière-fond, la lumière, l'angle de vision et l'expérience du praticien sont autant de facteurs qui peuvent induire en erreur l'évaluation du joint [20]. De plus, la capacité à apprécier la valeur de ce hiatus varie d'un praticien à l'autre [21]. La technique associant acuité visuelle et sensation tactile avec une sonde est la méthode la plus couramment utilisée par les praticiens pour évaluer l'adaptation des armatures. Elle dépend de la finesse de la sonde et de l'acuité visuelle de l'opérateur. Cette méthode est donc insuffisante ;

- pression digitale alternative aux extrémités de l'armature. Proposée par Henry [22], il s'agit d'une méthode macroscopique pour mettre en évidence un défaut d'adaptation. Adell et al. ont suggéré que cette méthode était encore améliorée en présence de salive [23] ;

- serrage manuel à une extrémité et observation d'un éventuel soulèvement de l'extrémité opposée. Ce test est une variante du test précédent ;

- test du demi-tour. Décrit par Jemt en 1991 [19], ce test repose sur le fait que la valeur maximale du hiatus acceptable correspond à la moitié de l'intervalle (soit 150 μm) entre 2 spires d'un implant Nobel Biocare (un tour complet correspond à l'intervalle entre 2 spires d'un implant Nobel Biocare, soit 300 μm).

Transfert des dents sur les armatures et mise en bouche

Transfert des dents sur l'armature

La même clé qui a servi à confectionner les armatures sert à repositionner les dents sur ces armatures. La liaison entre les dents et l'armature est réalisée à l'aide d'une résine thermopolymérisée et, par conséquent, après une mise en moufle.

Retour sur articulateur et équilibration

Après polymérisation, les prothèses retrouvent leur place sur l'articulateur par transvissage. Elles seront équilibrées sur l'articulateur en relation centrée, en propulsion et en latéralité droite et gauche (fig. 25).

Mise en bouche

Les prothèses sont transvissées sur les piliers prothétiques à l'aide de vis prothétiques, serrées à la valeur du couple préconisée par le fabricant. Les puits d'accès aux vis sont obturés à l'aide de deux matériaux : au contact de la vis un matériau souple de type « gutta », recouvert d'un matériau composite plus lourd.

Maintenance

Comme dans toute réhabilitation prothétique, et plus particulièrement en présence d'implants dont la durée de vie sera très longue, le problème de la maintenance est posé à court, moyen et long terme. La plupart des auteurs s'accordent pour dire que c'est durant la première année que les besoins en maintenance sont les plus importants [24]. Dans une étude multicentrique sur 5 ans, les attachements ont été remplacés chez 50 % des patients (le plus souvent durant la 1re année) tandis que les cavaliers étaient réactivés dans 62 % des cas et remplacés après fracture chez 33 % des patients [25]. Selon Mericske-Stern et al., plus la barre est courte, plus le risque de perdre les cavaliers est grand [2]. Les problèmes de maintenance concernant les barres ou les attachements sont variables en fonction des auteurs. Mais, il n'existe pas de différence statistique en fonction du nombre d'implants [26].

Nous préconisons la séquence de contrôles suivante : 8 jours, 1 mois, 6 mois, puis tous les ans. À chacun des contrôles, le serrage des vis prothétiques est vérifié, un contrôle radiographique effectué, de même qu'un contrôle de plaque et des dépôts tartriques, la motivation à l'hygiène est soigneusement entretenue. Un problème d'hygiène peut se poser chez les patients très âgés, et l'on doit faire appel dans ces cas-là aux auxiliaires médicaux qui assurent l'hygiène du reste du corps.

Conforme aux données acquises de la science, la réhabilitation des patients totalement édentés à l'aide de prothèses utilisant les implants comme moyen de rétention complémentaire ou comme piliers de prothèses fixées transvissées est relativement simple. Elle donne des résultats d'une très haute qualité, à condition d'être bien programmée et gérée.

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