Occlusodontie
François Descamp * Bruno Picart ** François Graux *** Pierre-Hubert Dupas ****
*Ancien assistant chargé de cours
**Maître de conférences,
praticien hospitalier
***Maître de conférences,
praticien hospitalier
****Professeur des universités,
praticien hospitalier
Faculté d'odontologie
1, place de Verdun
59000 Lille
Face à un cas clinique complexe, l'odontologiste peut soit se fier à son expérience et le traiter d'emblée, soit mettre en œuvre une analyse occlusale sur articulateur qui lui permet une approche dans tous les plans de l'espace et d'élaborer le projet prothétique. Ce protocole présente l'avantage de permettre au praticien d'informer le patient de ce qu'il est possible de réaliser et d'organiser les séquences successives de traitement préprothétique et prothétique. Les différentes situations, qu'elles soient fixées, amovibles, mixtes sur dents naturelles et/ou sur implants, sont envisagées en l'absence ou en présence de troubles musculaires ou articulaires, succédant alors à un traitement orthopédique par gouttière occlusale.
Facing a complex clinical case, the odontologist can either trust his own experience and treat it, or implement an occlusal analysis on articulator which allows him an approach in all the space surfaces and enables him to elaborate a prosthetic project. This protocol has the advantage of allowing the practitioner to inform the patient on what is possible to realise and to organise the successive sequences of the periprosthetic and prosthetic treatment. The different situations, whether they are removable, fixed or mixed on natural teeth and/or on implants are considered in the absence or presence of muscular or articular troubles following then an orthopedic treatment by occlusal splint.
L'expérience clinique est un bien pratiquement intransmissible. Elle est faite de succès et surtout d'échecs accumulés au fil du temps. Dans les cas cliniques complexes, s'appuyer sur cette expérience professionnelle est souvent un leurre. En effet, le praticien averti, sécurisé par de longues et anciennes habitudes techniques, peut soit réussir par chance, soit se fourvoyer dans un protocole standard qui ne répond pas toujours à celui dont le patient devrait bénéficier. Il est donc indispensable de se détacher avec objectivité et conscience des arcades dentaires du patient pour répondre à ses aspirations esthétiques et fonctionnelles. En effet, la routine tue la réflexion et la réflexion routinière tue l'analyse objective. Autant celle-ci peut paraître superflue dans les cas cliniques qualifiés de simples, autant elle est indispensable dans les cas cliniques complexes.
L'apparente simplicité clinique peut, d'ailleurs, cacher la complexité technique. C'est pourquoi une démarche rationnelle se révèle indispensable. À partir de la demande du patient et de ses motivations, un grand nombre d'informations est à rassembler pour conduire à une réflexion concernant le cas clinique dans sa globalité. Apparaissent alors des facteurs de décision pour atteindre l'objectif thérapeutique défini. Les moyens, le plus souvent pluridisciplinaires, sont alors mis en place pour s'inscrire dans la chronologie des étapes de réalisation.
L'analyse occlusale et le projet prothétique réalisés sur articulateur s'inscrivent dans cette collecte d'informations pour favoriser la réflexion du ou des praticiens impliqués, préciser la décision thérapeutique et contribuer à l'information du patient et à la compréhension de son propre cas. Les moulages des arcades dentaires montés sur articulateur, dépourvus d'individualité, perdent ainsi leur identité, pour permettre une réflexion objective sans laquelle aucune solution thérapeutique ne pourrait voir le jour [1, 2].
Le but de cet article est d'aborder successivement ces deux volets de la démarche conduisant au plan de traitement : analyse occlusale et simulation de la construction prothétique sur articulateur.
Dans le cadre d'une restauration de la fonction et de l'esthétique, l'analyse occlusale a pour but d'évaluer la situation dento-parodontale et les contraintes biomécaniques. Elle met en œuvre l'observation clinique et l'étude raisonnée sur articulateur.
L'entretien et le coup d'œil clinique forgé par l'expérience du praticien permettent d'apprécier les demandes du patient et ses capacités à accepter ou non un projet, puis un traitement prothétique. Ils donnent une idée de la motivation réelle ou potentielle du patient, et du degré de difficulté de la réalisation prothétique. Ainsi, après une anamnèse orientée vers les desiderata du patient, l'observation clinique des arcades dentaires est un bon révélateur du passé pathologique et du pronostic prothétique. L'analyse rapide de la situation dentaire et parodontale est donc un excellent indicateur de la personnalité du patient. Pour le praticien, celle-ci peut alors constituer un des paramètres dans le choix prothétique pour décider, par exemple, de ne pas prendre de risques inutiles en choisissant la solution la plus adaptée aux habitudes et au mental du patient [3].
Lors de l'entretien avec le patient, il est aisé de s'apercevoir de l'éventuelle diminution de la hauteur de l'étage inférieur de la face. Le faciès du type « Popeye », la perlèche à la commissure des lèvres sont les premiers signes du déficit de la dimension verticale d'occlusion. Celui-ci sera déterminé plus précisément lors de l'analyse préprothétique proprement dite [4] (fig.1).
L'examen des arcades dentaires permet au praticien de noter l'importance de la plaque bactérienne et du tartre, les atteintes parodontales telles que inflammations ou récessions gingivales, la qualité extrinsèque et intrinsèque des dents, les surfaces d'abrasion et l'étendue d'éventuel(s) édentement(s). Le patient serre ensuite les dents en intercuspidie maximale. Il met ainsi en évidence la stabilité du guidage et du centrage de sa mandibule vers cette position. L'importance des contacts et du recouvrement incisivo-canin est appréciée. La propulsion et les diductions permettent de noter les différentes modalités de guidage de la mandibule : guidage antérieur efficace ou non, secteurs d'arcade impliqués en latéralité. Cette observation est déterminante dans le choix de la programmation ou non de l'articulateur. À ce stade de l'analyse, la nature du bilan d'imagerie est définie et l'éventualité d'un traitement orthodontique peut être envisagée.
Cette première étape donne au praticien une première approche du cas clinique. Celle-ci est plus une sensation réfléchie qu'une véritable analyse. C'est une première impression clinique qui guide le praticien dans des choix prothétiques qui nécessitent ensuite une réflexion plus approfondie, comportant dans un premier temps l'analyse occlusale sur articulateur et complétée dans un second temps par une réflexion pouvant faire appel à toutes les disciplines odontologiques [5].
L'articulateur est un outil indispensable et incontournable pour l'analyse occlusale. En effet, il permet de différer dans le temps l'étude de l'occlusion du patient. Cette analyse a posteriori sans la présence du patient se fait en toute objectivité. Le praticien réalisant cette étude au calme, seul ou en groupe, peut se concentrer davantage sur son travail. L'articulateur est conçu pour permettre l'étude des arcades et des contacts dentaires dans toutes les situations et les différents plans de l'espace. D'autant que l'absence de la langue et des joues autorise la visualisation de la cinématique mandibulaire du patient, sans contrainte [6]. Enfin, l'articulateur peut être manipulé tout le temps de l'analyse occlusale et rester indéfiniment dans une position définie au préalable par le praticien. Cet avantage n'est pas mince, le patient ayant rarement cette capacité d'adaptation aux différentes situations de la mandibule.
Quel que soit le type d'articulateur, le moulage maxillaire doit être situé par rapport à un plan de référence, le plus souvent le plan axio-orbitaire. Pour ce faire, l'arc facial est préférable à la table de montage (fig. 2 et 3). En effet, celui-ci est le seul qui situe véritablement, avec exactitude, dans l'espace le moulage maxillaire, autorisant ainsi une simulation de la valeur angulaire des pentes incisives et canines. Celle-ci, guidant l'articulateur dans sa cinématique, a une influence conséquente sur la valeur angulaire des pentes cuspidiennes propulsive, travaillante et non travaillante. Après enregistrement et transfert à l'aide de l'arc facial, le moulage maxillaire en plâtre est agrégé à la plaque de montage de la branche supérieure de l'articulateur à l'aide du plâtre Snow White® (Kerr) (fig. 4).
En fonction de l'importance de la reconstruction prothétique, le rapport des contacts dentaires peut être réalisé soit en position de relation centrée, soit en intercuspidie maximale, soit en position thérapeutique. La question soulevée est de savoir si l'analyse occlusale sur articulateur est véritablement justifiée en position d'intercuspidie maximale habituelle, plutôt indiquée lors de la confection des prothèses de petite amplitude, fixées ou amovibles partielles, intégrées au schéma occlusal existant, sans modification de la dimension verticale d'occlusion.
En revanche, quand la reconstruction prothétique est conséquente et qu'il n'y a pas de pathologie des articulations temporo-mandibulaires, le montage sur articulateur se fait en position de relation centrée. Quand le patient est denté, une feuille de cire Moyco aménagée ramollie dans une eau à 52 °C permet, par son indentation, l'enregistrement de la position de relation centrée [7-11] (fig.5 et 6). Quand le patient est partiellement édenté, elle s'enregistre, soit comme précédemment si la configuration des contacts occlusaux le permet, soit en utilisant des maquettes d'occlusion matérialisant les dents manquantes. La dimension verticale de l'articulateur, maintenue par la tige incisive, est majorée de 2 à 4 mm pour compenser l'épaisseur du matériau d'enregistrement.
Le moulage mandibulaire en plâtre positionné dans les indentations du support d'enregistrement est maintenu jusqu'au durcissement du plâtre Snow White® qui permet son montage sur la branche inférieure de l'articulateur (fig. 7).
Quel que soit le type de relation occlusale choisie, il est nécessaire de maintenir fermement les moulages en plâtre et l'articulateur en contrôlant le contact de la tige incisive sur sa table. Cette position gardée jusqu'au durcissement du plâtre Snow White® compense l'expansion de celui-ci et garantit la réussite du montage.
Si le guidage antérieur est faible, voire inefficace, la programmation des déterminants postérieurs de l'articulateur s'impose. Celle-ci intéresse les déplacements propulsifs et non travaillants. La pente condylienne, l'angle de Bennett ou le déplacement latéral sont enregistrés et programmés [12]. Pour le déplacement non travaillant, le praticien a le choix entre la programmation de l'angle de Bennett (dans ce cas, l'articulateur semi-adaptable employé est dit de première génération) ou du déplacement latéral immédiat (l'articulateur semi-adaptable employé est dit de seconde génération) [5, 6].
Pour l'articulateur Quick Master® de la firme FAG qui est le plus utilisé en France, le praticien a le choix, en fonction de la valeur numérique indiquée sur le tambour du micromètre du Quick Axis®, entre des ailes de Bennett interchangeables rectilignes de 10°, 15°, 20° (première génération) ou curvilignes C1, C2, C3, représentant respectivement 0,5, 1 et 1,5 mm de déplacement latéral (seconde génération) (fig. 8 et 9). Ce choix est déterminé par l'âge du patient. Si celui-ci est jeune, les ailes rectilignes sont préférables, s'il est âgé, le choix s'oriente vers les ailes curvilignes. En effet, les personnes âgées présentent un déplacement latéral immédiat, lié au vieillissement ligamentaire qui ne joue plus son rôle de maintien des articulations temporo-mandibulaires [13-15].
Quand ce protocole est terminé, l'analyse occlusale peut commencer en exploitant les données de l'articulateur, confrontées au contexte clinique et complétées par l'ensemble des résultats des multiples investigations : bilan dento-parodontal, photographique, bilans radiographiques… Le bilan dentaire renseigne sur la valeur et les possibilités d'exploitation des tissus durs des dents. Le bilan parodontal permet d'évaluer la valeur de la dent sur l'arcade grâce, notamment, à la connaissance des rapports couronne/racine(s). Le bilan des bases osseuses dans les différents plans (grâce aux examens TDM) laisse entrevoir la possibilité du recours à la pose d'implants. L'examen clinique a permis de déceler d'éventuelles atteintes musculo-articulaires et des parafonctions. Ces dernières peuvent être objectivées sur l'articulateur (trajets d'abrasion) ainsi que toutes anomalies de l'occlusion. Les dimensions verticales d'occlusion en OIM et en occlusion de relation centrée ayant déjà fait l'objet d'une investigation clinique préalable.
Cette réflexion préprothétique intéresse toutes les disciplines odontologiques. Le praticien qui a recueilli un maximum d'informations peut désormais jouer un véritable rôle d'architecte et mettre tout en œuvre pour que la construction soit réalisée de façon conventionnelle sans pour autant mettre en place un traitement lourd. Il est nécessaire quelquefois de se contenter d'un bon compromis plutôt que de réaliser une prothèse trop académique [16]. À ce stade, l'analyse occlusale préprothétique confirme cliniquement ce qui a été préalablement constaté sur l'articulateur.
La comparaison s'établit entre l'observation statique et dynamique des arcades dentaires perçues sur l'articulateur et la clinique. Ce complément indispensable permet de reprendre l'analyse occlusale sur l'articulateur pour la finaliser. Le choix des dents, qu'elles soient piliers de bridge ou supports de crochets, intéressées par la future prothèse est confirmé ou non.
La manipulation mandibulaire en relation centrée ou en position thérapeutique permet d'authentifier les prématurités occlusales préalablement mises en évidence sur l'articulateur. Le guidage antérieur est également contrôlé et comparé entre la clinique et l'articulateur. Le patient exécute des mouvements de propulsion et de diduction. Les éventuelles interférences propulsives, travaillantes et non travaillantes perçues en clinique sont confrontées à celles de l'articulateur. Si le guidage est inefficace, voire absent, la décision d'entreprendre un traitement orthodontique est envisagée. Enfin, en fonction de l'état dentaire et parodontal les courbes occlusales sont redéfinies.
Si l'articulateur reflète la situation clinique, l'analyse occlusale préprothétique sur articulateur peut être entreprise. Quand le choix s'est porté sur la reconstruction de l'intercuspidie maximale en relation centrée ou en position thérapeutique, les interférences occlusales sont corrigées sur le plâtre. Un papier coloré entoilé est placé entre les deux arcades dentaires montées sur l'articulateur. Le « tap tap » met en évidence les contacts dentaires à équilibrer. La sculpture des faces occlusales est réalisée à l'aide d'un bistouri. Ces modifications sont ensuite matérialisées à l'aide d'un trait de crayon pour permettre au praticien de suivre plus facilement la chronologie de l'équilibration jusqu'à l'obtention de contacts ponctuels et simultanés sur toute l'étendue des arcades dentaires en plâtre (fig. 10, 11a, 11b, 12a et 12b).
Sachant que la prise en charge de la propulsion doit se faire sur le maximum de dents antérieures et être la plus sagittale possible, la correction des prématurités propulsives antérieures est entreprise sur le plâtre pour obtenir le résultat escompté. Un papier coloré de couleur différente facilite la correction qui suit le même protocole que précédemment. Les diductions sont guidées soit par la canine, soit par le groupe travaillant. Si la canine joue son rôle protecteur, aucune modification n'est apportée. S'il s'agit d'une protection de groupe, tous les versants cuspidiens travaillants de la canine à la première molaire doivent prendre en charge la latéralité travaillante. Une seule dent, autre que la canine, guidant le mouvement est considérée comme une interférence travaillante. Si son ajustage n'autorise pas la prise en charge latérale de la canine ou du groupe, il est nécessaire d'étendre cette équilibration latérale à plusieurs dents pour respecter le concept occluso-prothétique choisi. De même les interférences non travaillantes sont supprimées (fig. 13, 14, 15, 16 et 17).
Si le patient présente une protection antérieure faible, les cuspides des dents postérieures passent au plus près les unes des autres. Les interférences propulsives, latérales travaillantes ou non travaillantes, peuvent être évitées en diminuant la valeur de programmation de la pente condylienne et en augmentant la valeur du déplacement latéral. Ce choix délibéré minimisera la profondeur cuspidienne en aplanissant les tables occlusales.
Pour obtenir une courbe occlusale correcte dans les grandes reconstructions prothétiques, la courbe de Spee est déterminée à l'aide de la technique du drapeau monté sur la branche supérieure de l'articulateur. Un arc de cercle de 10,4 cm est tracé à partir de l'angle cuspidien distal de la canine mandibulaire, un autre à partir du centre de rotation condylien. À leur intersection, cette même amplitude trace la courbe de Spee sur les dents mandibulaires en plâtre. Il est quelquefois nécessaire de déplacer la pointe du compas sur un des arcs de cercle quand le dessin de la courbe n'est pas cliniquement acceptable [6, 17] (fig.18, 19 et 20).
L'analyse occlusale préprothétique ne se caractérise pas seulement par la sculpture soustractive des dents en plâtre [18, 19]. La maquette de cire prospective est toujours nécessaire pour disposer les contacts occlusaux en intercuspidie maximale dans la position thérapeutique choisie et matérialiser les futures prothèses fixées. Pour simplifier le protocole en prothèse amovible partielle, les zones édentées sont compensées par des dents artificielles du commerce pour réaliser un montage directeur [20]. En prothèse composite, les deux solutions peuvent être retenues. Cette analyse occlusale préprothétique, différée dans le temps, aide la compréhension du patient qui devient lui-même le spectateur objectif de son propre cas clinique. Si celui-ci donne son accord, le projet occluso-prothétique peut maintenant être élaboré sur articulateur [9, 21].
Ce projet dépend surtout du nombre de dents à restaurer, de l'importance et de la situation de l'édentement. Il suit toujours le même protocole : mise en état de la cavité buccale, montage sur articulateur programmé ou non dans la position thérapeutique choisie, analyse occlusale pour respecter les concepts occluso-prothétiques, cire de diagnostic, confection des prothèses transitoires fixées par isomoulage à l'aide de clés en silicone fabriquées à partir de cette cire ou confection de prothèses amovibles partielles transitoires, puis confection des prothèses d'usage.
La quantité des dents à restaurer conditionne le choix de la position thérapeutique et de la mécanique occlusale servant à l'élaboration prothétique. La restauration de 3 à 4 dents s'effectue, en intercuspidie maximale, sur occluseur, sans analyse occlusale sur articulateur. Lorsque celle-ci est plus importante et que la situation des dents à reconstruire est telle qu'elle crée une nouvelle intercuspidie maximale instable ou potentiellement pathogène, le montage sur articulateur se réalise en relation centrée. Les déterminants condyliens sont programmés si le guidage antérieur est inefficace. L'analyse occlusale permet d'ajuster l'intercuspidie maximale en relation centrée des dents non intéressées par la prothèse, cela à condition que la dimension verticale d'occlusion ne soit pas perturbée (fig. 21 et 22).
Si les prothèses unitaires intéressent les dents antérieures maxillaires en contact avec leurs antagonistes, le montage préalable en intercuspidie maximale des moulages maxillaire et mandibulaire sur articulateur s'impose. Ceci permet l'enregistrement du guidage antérieur par la confection d'une table incisive en résine chémo-polymérisable (fig. 23). Si le délabrement des couronnes dentaires est d'une telle importance que le guidage antérieur est à reconstituer, les déterminants postérieurs de l'articulateur sont programmés. Leurs valeurs sont majorées de 10° pour obtenir l'angulation de la table incisive, si celle-ci est située sur la branche supérieure de l'articulateur (fig. 24) ou de 15° si elle est solidaire de la branche inférieure de l'articulateur [22]. Ces réglages sont évidemment réalisés dans le but de satisfaire aux exigences de la cinématique mandibulaire exempte d'interférences propulsives antérieures et postérieures et d'interférences travaillantes et non travaillantes.
Le choix de la protection canine ou de groupe dépend de la situation initiale ou de la résistance biomécanique des dents travaillantes intéressées [23-27].
Le choix se porte dans ce cas sur la prothèse fixée sur implants ou dents naturelles, secondairement sur la prothèse amovible partielle. Le protocole d'élaboration prothétique rejoint le précédent, à ceci près que, s'il s'agit de prothèse sur implant unitaire ou de prothèse amovible, l'emploi de l'occluseur est suffisant. S'il s'agit de prothèse fixée sous forme de bridge, intéressant donc non seulement la zone édentée, mais aussi les piliers dentaires, l'articulateur semi-adaptable est utilisé avec des moulages montés en intercuspidie maximale. Cet articulateur n'est pas programmé si les déterminants antérieurs jouent leur rôle de protection (fig. 25, 26 et 27).
Si la reconstitution prothétique est antérieure, la table incisive est orientée comme précédemment. Les prothèses temporaires sont exécutées selon cette orientation. Le test temporel de l'adaptation du patient permet ensuite de prendre les empreintes de ces prothèses provisoires, de les monter sur articulateur et d'enregistrer l'enveloppe des mouvements de la table incisive en résine chémopolymérisable. Celle-ci est donc en harmonie avec les déterminants condyliens et est le reflet mécanique de la table incisive préalablement programmée [28].
L'importance de l'étendue de l'édentement conditionne le choix de la prothèse. Celle-ci peut être amovible, sur implants ou fixée sur dents naturelles. Dans les 2 premiers cas, elles peuvent être réalisées en intercuspidie maximale se référant aux dents non intéressées par la prothèse. En revanche, la prothèse fixée sous forme de bridge traditionnel, quand la portée le permet, conditionne la préparation de dents piliers proximales. Cela accentue le nombre de dents à mettre en occlusion et, par conséquent, impose souvent la reconstruction de l'intercuspidie maximale en relation centrée. Quand les dents piliers sont préparées, l'enregistrement des rapports occlusaux est plus délicat. Dans les cas d'édentements de grande étendue, une attention particulière est réservée au maintien de la dimension verticale d'occlusion. Quand les prothèses sont postérieures, le contact des dents antérieures est souvent un bon point de repère. Le protocole d'utilisation de la cinématique de l'articulateur répond aux mêmes principes que précédemment (fig. 28, 29, 30 et 31).
L'étendue de l'édentement compromet souvent la pérennité des bridges réalisés traditionnellement. L'implantologie, quand elle est réalisable, est souvent la seule solution permettant d'élaborer des éléments fixés. Pour des raisons occlusales mettant en œuvre l'amortissement des pressions sur les racines dentaires naturelles par rapport à la fixité des racines dentaires artificielles, les bridges uniquement implanto-portés sont préférés aux bridges implanto-dento-portés [29-32].
Dans ce cas, le choix est plus simple : la prothèse est soit uniquement amovible, soit composite, en fonction de l'état coronaire des dents supports de crochets, soit implanto-portée (fig. 32, 33, 34 et 35). Quel que soit le type de prothèse, la confection de l'intercuspidie maximale se fait en relation centrée quand l'édentement est bilatéral. S'il est unilatéral l'occlusion habituelle a la préférence. Dans ce cas, une reconstruction prothétique amovible est plus périlleuse s'il n'y a pas de réciprocité avec un édentement contro-latéral [33-35].
Des maquettes d'occlusion confectionnées au laboratoire de prothèse permettent l'enregistrement des rapports occlusaux. L'enregistrement de la dimension verticale d'occlusion demande autant d'attention que précédemment. La cire ne doit pas être trop molle pour ne pas induire de compression articulaire dans les cas d'antécédents de dysfonctionnement articulaire [36].
Quel que soit le type de prothèse, quand les deux arcades sont édentées, la courbe de Spee est déterminée sur l'articulateur à l'aide de la technique du drapeau. Quand les rapports occlusaux des dents antérieures le permettent, le concept occluso-prothétique choisi est celui de la protection canine ou de groupe pour la prothèse fixée et de l'occlusion intégralement équilibrée pour la prothèse amovible. Un remontage des prothèses sur articulateur assure la simultanéité des contacts occlusaux en relation centrée [37, 38].
Lors de la confection de prothèses fixées supportant une prothèse amovible partielle ou ayant cette dernière en antagonisme, les courbes fonctionnelles sont définies par la prothèse amovible. Pour ce faire, des maquettes matérialisant le plan d'occlusion permettent d'élaborer les éléments fixés dans une situation spatiale correcte. Après le scellement de ceux-ci, la prothèse amovible partielle est élaborée (fig. 36a et 36b).
Quand le projet occlusal prothétique fait suite à un traitement orthopédique par gouttière occlusale, lié à un dysfonctionnement, le protocole d'élaboration prothétique est différent. Le problème occlusal prime sur les éventuels troubles dentaires. Le but majeur étant de retirer la gouttière occlusale, les éventuelles reprises de traitement canalaire ou les problèmes parodontaux sont résolus après la réalisation des prothèses transitoires. Les troubles algo-dysfonctionnels étant exacerbés par le bruxisme, donc par l'excitation des récepteurs parodontaux, la reconstruction prothétique est plus souvent fixée qu'amovible. Que le trouble soit de type musculaire ou articulaire, les protocoles d'analyse occlusale sur articulateur sont identiques. Seule varie la difficulté lorsque le disque est récupérable. Les prothèses sont alors réalisées en antéposition. Ceci demande une certaine dextérité et une certaine expérience professionnelle pour mener à bien toute l'élaboration prothétique [39-44].
Après le traitement orthopédique, qui varie de 2 mois si la pathologie est musculaire à 4 mois si elle est articulaire, une analyse occlusale sur articulateur est réalisée dans la position thérapeutique. Celle-ci, mémorisée par le patient, est enregistrée à l'aide d'une feuille de cire Moyco perforée. Le protocole analytique ne diffère pas de ce qui a été déjà vu précédemment. En aucun cas, la gouttière occlusale ne doit être utilisée pour ce montage. N'ayant qu'un rôle dans la rééducation musculaire et articulaire, elle ne manifeste pas non plus la future dimension verticale d'occlusion. L'articulateur est donc refermé jusqu'aux premiers contacts. Ceux-ci sont répartis pour obtenir un contact incisif garant de la santé articulaire du patient. Si le problème est articulaire, une attention particulière est accordée au maintien de la dimension verticale d'occlusion pour ne pas provoquer une hyper-rotation condylienne postérieure. La radiographie panoramique, visualisant les dents dépulpées ou anciennement couronnées, guide le praticien dans le choix des dents à reconstituer à l'aide de la cire de diagnostic pour obtenir une intercuspidie maximale dans la position thérapeutique choisie. Le jour du retrait de la gouttière occlusale, les anciennes reconstructions prothétiques sont ôtées, les dents sont préparées et les reconstructions transitoires sont confectionnées par isomoulage. Les éventuelles reprises de traitement canalaire, les reconstitutions de dentisterie et l'aménagement parodontal peuvent désormais être entrepris. Les reconstructions temporaires sont à chaque fois réévaluées. Les prothèses stabilisatrices sont ensuite confectionnées selon le protocole habituel, à savoir : réalisation des prothèses mandibulaires, puis maxillaires [36, 45].
Quand la prothèse amovible est la solution stabilisatrice adoptée, l'analyse occlusale sur articulateur repose sur les mêmes bases que précédemment. Seules les prothèses transitoires sont réalisées directement sur cet articulateur. Elles sont insérées le jour où la gouttière est retirée. Cette pose s'accompagne souvent d'une équilibration occlusale des dents adjacentes. Les prothèses transitoires sont par la suite réévaluées si des aménagements parodontaux sont nécessaires. Puis, les prothèses stabilisatrices sont réalisées selon le protocole conventionnel (fig. 37a, 37b, 38, 39, 40 et 41).
Si les prothèses sont mixtes, la cire de diagnostic intéressant les dents à traiter complète l'analyse occlusale sur articulateur. Le jour du retrait de la gouttière occlusale, la prothèse fixée est réalisée par isomoulage à partir de la cire de diagnostic. La prothèse amovible, préalablement confectionnée au laboratoire de prothèse sur l'articulateur, est insérée. L'ensemble est ensuite équilibré en clinique. Les prothèses stabilisatrices sont également réalisées selon le protocole coutumier.
Dans le cas de prothèses sur implants, la seule différence réside dans le fait qu'il faille entreprendre l'étude préimplantaire pour confectionner le guide radiologique et chirurgical. Pour mener conjointement le traitement orthopédique et l'intégration osseuse implantaire en gagnant du temps, cette étude peut être faite pendant le port de la gouttière occlusale. Ce protocole demande beaucoup d'expérience de la part du praticien qui doit imaginer la future prothèse stabilisatrice pendant la phase orthopédique. Sinon, l'étude préimplantaire est entreprise à la fin du traitement orthopédique.
Pour pérenniser les reconstructions prothétiques, il est prudent de confectionner une gouttière nocturne. En effet, le fait de régler le problème de la mécanique occlusale n'en diminue pas pour autant le stress du patient. La céramique est quelquefois mise à rude épreuve si de telles précautions élémentaires ne sont pas prises [46-50].
Ce travail a pu mettre en évidence qu'une analyse simple, fondée sur le bon sens et la connaissance de la mécanique occlusale, permet de résoudre certains cas cliniques. Ce qui n'est pas toujours le cas quand l'étendue de l'édentement complique la réalisation prothétique. Dans cette dernière éventualité, une analyse occlusale sur articulateur prédéfinissant le projet occlusal prothétique permet non seulement d'étaler l'étude dans le temps, mais aussi d'en discuter au sein d'une équipe pluridisciplinaire et avec le prothésiste de laboratoire.
Cela permet également au patient de comprendre ce qui lui est proposé pour donner son consentement éclairé. Cette étude sur articulateur permet également la réversibilité de l'analyse. En effet, contrairement aux réalisations cliniques, il est possible de recommencer si le praticien a un doute sur son investigation et ses choix. Dans le cas contraire, la clinique abordée d'emblée est comparable à un travail d'architecte qui ne peut pas suivre des plans qui n'existent pas. Le déroulement des différentes phases d'élaboration prothétique ne peut donc pas être suivi. Le praticien, souvent perdu dans sa thérapeutique, hésite, recommence, perd le fil de son travail et la confiance de son patient.