Occlusodontie
Maître de conférences,
praticien hospitalier
UFR d'odontologie de Paris-VII - Unité de Prothèse -
Service d'odontologie de l'Hôtel-Dieu
5, rue Garancière - 75008 Paris
La construction d'une prothèse adjointe complète (PAC) bimaxillaire réclame l'utilisation d'un articulateur. Deux grandes conceptions intellectuelles sont présentes et s'opposent. D'une part, celle qui considère que les mouvements mandibulaires associés à l'utilisation d'une PAC s'inscrivent dans une moyenne géométrique et fonctionnelle et, d'autre part, celle qui privilégie l'analyse précise, anatomique de ces mêmes mouvements. Cette étude montre que les trajectoires des patients édentés présentent des caractéristiques très spécifiques qui ont une incidence sur l'occlusion bilatéralement équilibrée.
Depuis de nombreuses années, l'étude des déplacements mandibulaires et, en particulier, des trajectoires condyliennes a fait l'objet de multiples recherches. L'évolution des techniques et des matériaux a permis de mieux appréhender cette composante. Grâce à l'Axiographie électronique de SAM, les trajectoires condyliennes de 60 patients édentés ont été enregistrées. L'analyse statistique des différentes caractéristiques et des données des mouvements de propulsion et d'ouverture met en évidence une différence d'angulation entre le mouvement de propulsion et le mouvement d'ouverture ainsi qu'un aplatissement de la courbe de propulsion et, plus rarement, de la courbe d'ouverture dans le premier millimètre. Le praticien devra tenir compte de ces résultats lors de l'élaboration de la prothèse.
Previous research on condylar movements has focused on the inclination and the shape of the sagittal condylar path. Different techniques were used to evaluate these features. This study used electronic axiography to evaluate the amplitude and path-ways of the condyles in a group of 60 complete edentulous subjects. Records of protrusive and opening movements were obtained two months after all post insertion adjusments were made following denture insertion. The occlusal vertical dimension was maintained by a central bearing point when a protrusive mandibular movement was recorded. During an opening movement, the mandibular-record base is fixed on the mucosa by means of an Almore clamp. The data of 120 opening and protrusive movements were statistically analyzed. This study revealed that the amplitude of condylar movement to other dentate patients of similar age. However, the vertical dimension of occlusion influences the angle of condylar displacement. During the first millimeter of straight protrusive movement, a flattening of the condylar inclination was observed. Occlusal modification may be indicated for patients with an acute occlusal sense or who exhibit parafunctional habits. This modification could be incorporated into either altering the cuspal morphology of anatomic posterior denture teeth or making custom condylar dental articulator elements when a bilaterally-balanced occlusal scheme is used to treat these edentulous patients with complete denture.
Depuis Campion, Gysi, Christensen, Hanau et plus récemment Posselt, l'analyse et la détermination des caractéristiques des déplacements condyliens dans le plan sagittal ont fait l'objet de nombreuses recherches [1-5]. Celles-ci ont été conduites avec des techniques multiples, variées, telles que la photographie, les cires de morsures, les enregistrements fonctionnels, les enregistrements graphiques et la radiographie [6-9]. Cependant, toutes ces techniques présentaient des insuffisances et des limites à la fois de précisions et d'analyse. Le développement de nouveaux moyens d'investigations fondés sur l'informatique comme le pantographe électronique, le syrognathographe et son développement par Bioresearch, le système Cadiax, l'Axiotron® ont pallié de manière plus ou moins complète les insuffisances techniques préalablement soulignées [10-12]. Cependant, il convient de remarquer que le débat reste ouvert sur la valeur de ces techniques, valeur dont le rôle diagnostique est contesté par certains auteurs, mais dont l'apport sur la cinématique condylienne ou mandibulaire demeure accepté [13-15].
À l'aide de l'axiographie électronique (Axiotron SAM®), cette étude a pour objectif d'évaluer les différentes caractéristiques des déplacements condyliens dans le plan sagittal chez les patients édentés totaux. Les caractéristiques étudiées sont la longueur, l'inclinaison et la forme du déplacement lors des mouvements de propulsion et d'ouverture maximale ainsi que leurs éventuelles incidences sur la morphologie occlusale des dents postérieures.
Les déplacements condyliens sont analysés à l'aide de l'Axiotron® sur des patients qui ont accepté de participer à cette étude.
L'ensemble se compose d'un arc maxillaire, d'un arc mandibulaire (Axiographe®) et de capteurs électroniques reliés à un ordinateur portable (Axiotron®).
• L'arc maxillaire posé antérieurement au niveau du nasion, placé distalement dans la région supra-auriculaire, est fixé à l'aide d'une bande élastique sur le crâne. Les deux bras latéraux portent dans la région para-auriculaire deux tables à numériser (fig. 1).
• L'arc mandibulaire se compose d'un bras sagittal et de deux bras latéraux ajustables qui permettent au praticien de localiser l'axe charnière réel. Après la localisation de celui-ci, les capteurs électroniques sont fixés à l'extrémité des bras latéraux mandibulaires. Ceux-ci, en glissant sur les tables à numériser, captent les différents déplacements de l'axe transverse bicondylien (fig. 2).
• Les informations sont adressées à un ordinateur (Epson HX20) qui les recueille et les traite. Une table traçante (Epson Hi 80) imprime, d'une part, les tracés des déplacements condyliens dans les trois sens de l'espace et, d'autre part, les valeurs angulaires de ces mêmes déplacements condyliens (fig. 3).
L'étude porte sur 60 patients présentant une édentation bimaxillaire, 34 femmes et 26 hommes âgés de 58 à 74 ans avec une moyenne de 69 ans, ne présentant, à l'examen clinique par palpation, aucune symptomatologie articulaire ou musculaire. Sur chacun de ces patients une nouvelle restauration prothétique est réalisée. Puis, après deux mois de port et la conduite des différentes phases de l'insertion prothétique (corrections occlusales, adaptations ponctuelles de l'intrados), les déplacements condyliens lors des mouvements de propulsion et d'ouverture sont enregistrés.
Ceci impose la préparation, au préalable, des maquettes d'enregistrement. Pour cela, après coulée des socles de montage, les prothèses du patient sont remontées, à l'aide d'un arc facial et d'une cire d'occlusion, sur un articulateur (Sam II), la tige incisive conservant la dimension verticale d'occlusion des prothèses. Les bases en résine autopolymérisable sont élaborées sur les socles, puis stabilisées avec un oxyde de zinc (SS-White). Dans un deuxième temps, les deux composants du point d'appui central sont solidarisés :
- le stylet est fixé au centre de gravité de la maquette mandibulaire [16] ;
- la plaque d'enregistrement maxillaire est orientée, puis fixée sur l'extrados au niveau de la voûte palatine, en accord avec la formule de Boucher, de manière à respecter les déterminants antérieurs et postérieurs de l'occlusion, réglés selon des valeurs suivantes : pente condylienne 40° - guide incisif 0° [17].
La tige incisive maintenant la dimension verticale de l'articulateur, la plaque d'enregistrement est positionnée sur l'extrados de la maquette avec de la cire molle type Periphery-wax, la pointe du stylet entrant en contact avec la plaque. Lors du mouvement de propulsion, le stylet s'appuie sur la plaque maxillaire et l'oriente en fonction des réglages de l'articulateur (fig. 4a et 4b). La plaque maxillaire est ensuite bloquée avec de la résine autopolymérisable.
L'utilisation de ce dispositif et de cette technique permet d'enregistrer les déplacements mandibulaires à la dimension verticale du patient à la fois en relation centrée et lors des mouvements excentrés. En effet, si la plaque est parallèle au plan occlusal, lors du mouvement de propulsion, la dimension verticale d'occlusion diminue.
L'ensemble du dispositif est ensuite mis en place :
- la maquette mandibulaire est bloquée sur la surface d'appui de la mandibule à l'aide d'un clamp d'Almore. Pour permettre une fixation aussi rigide que possible et prévenir toute manifestation douloureuse lors des enregistrements, l'intrados de la maquette mandibulaire est enduit d'une crème anesthésiante (Xylo-contact®) (fig. 5) ;
- l'arc maxillaire sur le massif crânien ;
- l'arc mandibulaire sur la fixation du clamp d'Almore ;
- l'axe charnière réel est ensuite localisé, le plan axio-orbitaire déterminé, les capteurs et les tables à numériser mis en place sur les bras latéraux mandibulaire et maxillaire.
Le patient est ensuite entraîné à effectuer de nombreux mouvements de propulsion en maintenant le contact entre la plaque et le stylet.
Enfin, trois mouvements de propulsion, l'extrémité du point d'appui central en contact et trois mouvements d'ouverture ample sont successivement enregistrés. L'ordinateur traite les informations captées au niveau des tables à numériser et les adresse à la table traçante sous forme de courbes et de valeurs numériques. Dans les trois séries d'enregistrement, la série analysée est celle dont le déplacement antérieur est le mieux orienté dans le plan sagittal. L'ensemble des valeurs angulaires obtenues est ensuite traité à l'aide du logiciel statistique Gb Stat®.
Les résultats découlent de l'analyse des valeurs numériques des soixante trajectoires des côtés droit et gauche, valeurs choisies selon les critères préalablement définis soit au total cent-vingt mouvements d'ouverture et cent-vingt mouvements de propulsion.
La mesure de la longueur du déplacement antérieur du condyle correspond à la projection du déplacement sur le plan de référence axio-orbitaire (fig. 6). La longueur moyenne du mouvement de propulsion est de 7,9 mm et de 9,6 mm en ouverture (tabl. I).
En propulsion, dans le premier millimètre, la moyenne des pentes condyliennes est relativement faible (32° 2), elle augmente au deuxième millimètre (40° 4) et elle se stabilise à 44° 8 à 5 mm. Par contre, lors du mouvement d'ouverture, l'inclinaison de la trajectoire est plus accentuée, respectivement de 50° 8 à 1 mm, et de 50° 7 à 2 mm (tabl. II).
Entre 5 et 6 mm, les trajectoires de propulsion et d'ouverture tendent à se rapprocher, les angles s'établissant en propulsion à 44° 8 et en ouverture à 46° 3. Enfin, les trajectoires en propulsion et en ouverture du côté gauche et du côté droit sont similaires.
Dans cet échantillonnage de patients édentés, les trajectoires condyliennes présentent trois formes : une trajectoire à concavité supérieure, une trajectoire sinusoïdale, avec une très légère convexité au début de la trajectoire suivie d'un mouvement curviligne à concavité supérieure, une forme à concavité inférieure. Elles se répartissent comme suit : 49 convexes, 61 sinusoïdales et 10 concaves (tabl. III).
Durant le mouvement de propulsion, la moyenne des déplacements condyliens est relativement comparable à celle obtenue par Agerberg et Osterberg, soit 8 mm, ou par Obwegesser et Farmand ou encore par Goodson et Johansen, soit 10 mm (patients dentés) [18-20]. De même, Piehslinger et al. enregistrent une amplitude de 9,8 mm chez les femmes et 10,9 mm chez les hommes [21]. Cependant, l'ensemble de ces résultats diffère de ceux obtenus par Serfaty et Nemcovsky, 6,05 mm de longueur [22].
L'amplitude des déplacements condyliens dans le plan sagittal n'est pas différente de celle d'un patient denté qu'il soit jeune ou âgé. La petite divergence entre nos valeurs et les résultats présentés, en dehors de ceux proposés par Serfaty, est très vraisemblablement due aux différences de méthode de mesure d'enregistrement, car ces auteurs mesurent les déplacements mandibulaires au niveau incisif et non au niveau condylien. En effet, l'amplitude des déplacements incisifs dépend de nombreux facteurs tels que l'âge et le sexe [23].
Dans le premier millimètre de la protrusion, les angulations des pentes condyliennes sont très différentes de celles mesurées chez des patients dentés, Slavicek (53°), Lundeen (51° 3) et Wirth (49° 4) [24, 25]. Cependant, à 5 mm, les valeurs obtenues se rapprochent de celles déterminées par Lauritzen (44° 5), Slavicek (47° 3), mais elles demeurent éloignées des valeurs obtenues par Lundeen (40°), Posselt (40°), Isaacson (35° 6) et Aull 37° 7 [26-29].
Par ailleurs, comme pour Lundeen et Wirth, il n'existe aucune différence significative entre les valeurs obtenues entre le côté droit et le côté gauche. Cette constatation s'applique à la fois aux mouvements de propulsion et d'ouverture.
Les différences entre l'angulation du mouvement de propulsion et d'ouverture sont importantes. Cette constatation met en évidence l'influence de la dimension verticale d'occlusion sur le comportement statique et dynamique de l'unité ménisco-condylienne. Ceci doit conduire les praticiens à déterminer les relations intermaxillaires (relation centrée, enregistrement des déplacements condyliens) à la bonne dimension verticale. Ce fait est très certainement dû aux modifications morphologiques des structures articulaires, en particulier par aplatissement du versant antéro-supérieur du processus condylien, comme l'ont montré les études de Blackwood, Gerber et Steinhardt, Mongini, Solberg et al. [30-33].
La majorité des déplacements en propulsion est du type sinusoïdal. Ces résultats diffèrent largement des courbes obtenues par Hanau [34], Gysi, Isaacson, Slavicek, Wirth. Cependant, nos constatations sont très proches de celles émises par Piehslinger et al. dont les résultats mettent en évidence différents types de formes (67 % de trajectoire concave mais 27 % avec un aspect sinusoïdal) et de Merlini et Palla (75 % des patients présentent une courbe à concavité supérieure et 8 % un trajet sinusoïdal) [35].
L'aspect sinusoïdal peut s'interpréter selon trois hypothèses :
• erreur de localisation : la mauvaise localisation de l'axe charnière associée à un manque de parallélisme entre les tables à numériser et le plan parasagittal et à un manque de colinéarité entre l'axe transverse et l'axe des capteurs peut-elle expliquer cette anomalie ? Cela semble difficile à admettre, car ces erreurs de mise en place sont aussi présentes lors de l'enregistrement des mouvements d'ouverture et cette sinusoïde n'existe qu'en très faible nombre. De plus, lors du mouvement de propulsion, la composante de rotation est minimisée, voire éliminée, laissant seule la composante de translation qui n'est pas liée à la précision de l'axe charnière et à la colinéarité des dispositifs d'enregistrement ;
• bascule de la tête condylienne liée au pont d'appui central : cette hypothèse a déjà été proposée par Boucher et Jacoby [36] dans l'analyse critique de cette technique. Cependant, Piehslinger et al. n'utilisent pas le point d'appui central, mais mettent cependant en évidence cet aplatissement. Cette constatation tend à réfuter l'hypothèse de Boucher et Jacoby ;
• altération des relations ménisco-condyliennes : l'interprétation des tracés axiographiques telle qu'elle est présentée par Slavicek permet d'émettre l'hypothèse d'une laxité ménisco-condylienne [37, 38]. Cette hypothèse nous semble la plus vraisemblable, traduisant l'influence de l'édentement partiel, puis total sur le comportement de l'unité condylo-discale (fig. 7).
Dans le cas d'une occlusion bilatéralement équilibrée, type montage de Hanau, les caractéristiques de la pente condylienne influencent de façon majeure la morphologie occlusale des dents postérieures. En conséquence, l'aplatissement constaté doit être incorporé au niveau de l'inclinaison des versants cuspidiens grâce aux techniques d'équilibration occlusale.
L'application de la formule de Boucher (formule modifiée) présentée ci-dessous permet d'évaluer l'incidence occlusale de ces déplacements condyliens (fig. 8) :
L (Sin Pc1 - Sin Pc2) x d/D x Pi = dh
1 (Sin 50° - Sin 32°) x 60/110 = 0,13 mm
(Sin : sinus de l'angle cuspidien, d : distance séparant la cuspide de la tige incisive ; D : distance séparant le centre de rotation condylien de la tige incisive ; Pc : pente condylienne ; Pi : pente incisive.)
Les calculs effectués montrent que, lors du premier millimètre, la cuspide de la première molaire devrait être diminuée de 0,13 mm environ. Ces résultats sont comparables à ceux obtenus par Wagner et Rennels qui aboutissent à une différence de 0,16 mm [39]. Doit-on tenir compte de cette différence ?
Si certaines études tendent à montrer que la programmation des boîtiers condyliens n'entraîne aucun bénéfice pour le patient, ceci n'est pas corroboré par d'autres études [40, 41]. Pour notre part, nous pensons que, dans la mesure où la stabilisation des relations intermaxillaires est essentiellement due à un contrôle musculaire comme l'ont décrit Kaplan, puis Pastant [42], et/ou le patient présente d'importantes parafonctions du type bruxisme excentré, la prise en compte des caractéristiques des déplacements condyliens et, en particulier, de l'aplatissement s'impose.
Pour cela, deux méthodes :
- l'une, empirique, consiste, comme l'ont proposé Grasso et Sharry [43], à réduire la pente condylienne sur l'articulateur ou à réaliser une équilibration occlusale terminale directement en bouche comme l'ont décrit Ballard et Cobble [44], Heartwell et Rahn [45], Watt et McGregor [46].
- l'autre, précise : pour les praticiens qui ont une parfaite maîtrise des articulateurs, l'utilisation d'articulateurs dont les boîtiers sont modelables tels le TMJ et plus récemment le Denar Combi est indiquée [47, 48]. Cependant, le praticien devra toujours être conscient des difficultés de la programmation comme l'a parfaitement souligné Klineberg [49].
Cette étude montre que les trajectoires condyliennes des patients édentés présentent des caractéristiques très spécifiques qui ont une incidence sur l'occlusion bilatéralement équilibrée. Ces deux éléments : différence d'angulation et aplatissement entre la propulsion et l'ouverture, imposent au praticien de veiller à respecter les précautions suivantes :
- lors de l'enregistrement de la relation centrée et l'enregistrement graphique des déplacements condyliens, il est impératif de respecter la dimension verticale d'occlusion choisie ;
- l'aplatissement de la trajectoire condylienne dans le premier millimètre doit être pris en compte lors de l'équilibration occlusale soit par individualisation des boîtiers condyliens, soit par un réglage plus adapté des boîtiers condyliens.
(1) Les valeurs angulaires ont été arrondies au 1/10 de degré, précision suffisante.