Prothèse amovible complète (ou totale)
Sabine Loty * Christine Loty ** Olivier Hüe ***
*
Assistante hospitalo-universitaire
Département de prothèse
**
Attachée de consultation
Département de prothèse
***
Maître de conférences -
Praticien hospitalier
Département de prothèse
Faculté de chirurgie dentaire
5, rue Garancière - 75008 Paris
Le rôle de la salive dans la rétention des bases des prothèses adjointes complètes est aujourd'hui incontestable. Sa présence en quantité et qualité (viscosité) participe à la rétention par la création d'un ménisque périphérique. Le handicap des édentés totaux est singulièrement augmenté par l'hyposialie, voire l'asialie. De multiples substituts salivaires ont été proposés sans vraiment apporter une solution confortable pour les patients. Cependant, une amélioration peut exister dans la recherche judicieuse d'une solution adaptée au cas particulier.
En présence d'altérations du flux salivaire caractérisées par une diminution ou une absence totale de salive chez des patients édentés partiels ou totaux, le traitement par stimulation du parenchyme salivaire n'est parfois pas suffisant. L'emploi de substituts salivaires représente alors une thérapeutique indispensable afin de compenser le manque de flux salivaire et restaurer au mieux les propriétés protectrices de la salive. L'utilisation de tels substituts, en diminuant la sécheresse buccale, devrait permettre lors du traitement prothétique de limiter des doléances telles que blessures, manque de rétention prothétique ou contamination bactérienne.
When the salivary flux is altered owing to a decrease or a total lack of saliva in partially or totally-edentulous patients, the treatment by stimulation of the salivary parenchyme is not always sufficient. The use of salivary substitutes represents an essential therapeutic to make up for the lack of salivary flux and to restore as best as possible the saliva's protective properties. Those polymers, glycoproteines or mucines-based artificial salivas come generally in sprays or mouthwashes and can, in some cases, be used in removable prostheses reservoirs systems. The use of such substitutes during the prosthetic treatment should by decreasing the buccal dryness contribute to limit ailments such as injuries, lack of prosthetic retention or bacterian contamination and hence improve the patient's condition.
Lors de l'examen clinique des patients présentant une édentation partielle ou totale, l'attention du praticien doit se porter, entre autres éléments, sur les éventuelles altérations du flux salivaire. En effet, de nombreuses doléances immédiates (blessures, manque de rétention) et certaines doléances tardives (contamination bactérienne et augmentation du risque carieux sur les dents restantes) ont pour origine la sécheresse buccale. La présence du fluide salivaire est, en réalité, indispensable à l'adhésion prothétique mais aussi à l'hydratation des muqueuses et à leur protection antibactérienne.
La salive est un liquide physiologique sécrété par trois paires de glandes salivaires principales (parotides, sublinguales et sous-mandibulaires) (fig. 1) et par des glandes mineures (labiales, buccales, linguales et palatines) (fig. 2) [1]. Ces différentes sécrétions sont suivant les glandes soit séreuses, soit muqueuses, soit mixtes séro-muqueuses (tabl. I).
Le rythme circadien régit bien évidemment le flux salivaire qui présente des périodes de stimulation et de repos. Le volume total de salive émis par 24 heures chez un patient sain est d'environ 500 à 600 ml, la moitié étant sécrétée au cours des périodes de repos et le reste au cours de la mastication. La sécrétion salivaire dépend également de l'état de vigilance du patient puisque seulement 8 à 10 ml de salive sont sécrétés lors du sommeil quotidien. La salive de repos, relativement visqueuse, est sécrétée essentiellement par les glandes sous-mandibulaires, mais également sublinguales et accessoires, tandis que la sécrétion parotidienne, de consistance aqueuse, se retrouve surtout au niveau de la salive stimulée.
La salive se compose de 99,5 % d'eau et de 0,5 % d'éléments organiques et inorganiques. Ceux-ci ont un rôle de lubrification, de protection de la muqueuse buccale et du système dento-parodontal contre la déshydratation et les agressions mécaniques, chimiques et bactériennes.
Les cations principaux sont : Na+, K+, Mg++, Ca+, Ca++ et l'une de leurs caractéristiques est d'interagir avec les charges négatives des bactéries. Les anions sont essentiellement les ions phosphates sous forme de phosphates de calcium ou sous forme libre ionisée PO4 -, les ions fluor et sur tout les bicarbonates sous forme de HCO3 - et H2CO3 qui interviennent au niveau du pouvoir tampon de la salive.
Ce sont principalement les protéines et glycoprotéines de la salive, mais également des glucides et des lipides. Les glycoprotéines salivaires les plus importantes sont constituées par les mucines [2, 3]. Précipitables par le calcium et de haut poids moléculaire, elles donnent cet aspect visqueux à la salive. La partie saccharidique des mucines comporte des acides sialiques chargés négativement intervenant dans les interactions avec certains ions salivaires, certaines bactéries et dans les phénomènes d'adsorption des mucines. La salive comporte également beaucoup d'autres protéines telles que des protéines riches en proline avec une forte affinité pour le calcium, les cystatines, les stathérines, les histatines, des enzymes (amylases, lysosyme, peroxydases) et des immuno-globulines telles que les IgA sécrétoires. Tous ces éléments montrent la grande complexité de la salive et expliquent ses potentialités multifonctionnelles au niveau de la cavité buccale (fig. 3) [4].
À cette composition purement salivaire, il faut ajouter la flore bactérienne, les résidus alimentaires, les cellules épithéliales desquamées et le fluide gingival. La composition salivaire, le volume salivaire et le pH varient également suivant le type de glande (tabl. II) [5], avec un flux salivaire non négligeable au niveau des glandes accessoires palatines, glandes qui sont d'une grande importance pour la rétention des prothèses complètes maxillaires [6].
Le débit salivaire normal après stimulation est de 1 à 1,5 ml/min. Avec l'âge, surtout chez les femmes, le volume de sécrétion salivaire des glandes salivaires majeures et mineures diminue [6, 7]. Lorsque ce débit passe en dessous de 0,7 ml/min, cela laisse soupçonner une altération de la sécrétion salivaire.
Les altérations de la sécrétion salivaire ou xérostomies peuvent être quantitatives, se traduisant alors par une diminution du débit salivaire, ou qualitatives. Les altérations quantitatives sont d'une gravité plus ou moins importante, allant de l'hyposialie (diminution de la sécrétion salivaire) à l'asialie (absence totale de sécrétion salivaire). Les xérostomies peuvent être transitoires, permanentes, chroniques et plus ou moins importantes.
Les xérostomies transitoires sont liées au tabagisme ou aux effets secondaires de traitements médicamenteux qui font appel aux neuroleptiques, anxiolytiques, diurétiques, analgésiques, antihistaminiques, anti-parkinsoniens. Par ailleurs, des patients traités par de l'acide rétinoïque ou ses dérivés, lors de lichen plan, également de leucoplasies ou d'autres pathologies précancéreuses, voient leur muqueuse orale se modifier et leur viscosité salivaire diminuer [8].
Les xérostomies peuvent également être permanentes après ablation chirurgicale ou lorsqu'il y a une atteinte organique irréversible des tissus glandulaires chez les patients ayant subi une radiothérapie de la sphère oro-faciale ou chez des patients âgés dont les glandes salivaires présentent une sénescence avec perte de fonction irréversible.
Enfin, une xérostomie chronique est visible lors du syndrome de Gougerot-Sjögren, maladie métabolique auto-immune caractérisée par une infiltration lymphocytaire des glandes salivaires qui associe également un déficit de sécrétion des glandes lacrymales (xérophtalmie) et qui atteint plus particulièrement les femmes âgées de 40 à 70 ans [9-11]. La diminution du flux salivaire est associée également à des modifications biochimiques avec en particulier une augmentation des cystatines, de l'albumine et des IgA sécrétoires [12].
Les troubles de la sécrétion salivaire sont à rechercher lors d'un examen clinique général et local approfondi, en évaluant plus particulièrement le débit salivaire et les conséquences cliniques nombreuses, tant au niveau dentaire qu'au niveau muqueux, d'une diminution ou disparition des sécrétions salivaires (sécheresse buccale, caries, candidose…) (tabl. III).
Il existe des méthodes de mesure de la sécrétion salivaire qui permettent d'évaluer de façon plus précise l'importance de l'asialie salivaire au niveau quantitatif et de pouvoir comparer cette asialie aux sentiments de sécheresse buccale. Ces méthodes de mesure utilisent en général le phénomène de friction mécanique sur les muqueuses par la mastication d'un chewing-gum [13, 14] et la mesure du débit de la salive stimulée en une minute. Un autre moyen plus simple consiste à observer la stimulation salivaire en plaçant des cristaux d'acide citrique sur la langue [5]. Mais le test le plus simple consiste à poser un morceau de sucre (taille 4) sur la langue : le temps qu'il met à fondre sans mastication doit être inférieur à trois minutes chez un patient sain. D'autres tests permettent d'apprécier la salive de façon qualitative, le plus facile étant d'apprécier la qualité de la viscosité d'un fil salivaire entre deux doigts.
En fonction de l'étiologie de la xérostomie, le traitement ne sera pas le même, mais devra toujours être associé à une thérapeutique préventive rigoureuse en raison de la perte des propriétés protectrices de la salive.
Le traitement des hyposialies, lorsque les glandes salivaires sont encore fonctionnelles, est à visée stimulatrice sécrétoire du parenchyme salivaire. En présence d'hyposialies légères, il est préconisé une stimulation par la mastication d'aliments durs, de chewing-gums sans sucre associant également une stimulation gustative. Certains auteurs préconisent l'utilisation d'agents permettant d'humidifier la cavité buccale : eau, thé, solutions salines ou contenant de l'acide citrique [10]. Dans le cas d'hyposialies plus graves, un traitement médicamenteux, destiné à stimuler les glandes de façon à augmenter le débit salivaire, pourra être préconisé (sialogogues, teinture de Jaborandi diluée au 1/5, pilocarpine, Sulfarlem S25). Un système de stimulation électrique par pile salivaire (Salive +) avait été mis au point il y a quelques années, mais n'est actuellement plus commercialisé. Enfin, dans le cas des xérostomies consécutives au syndrome de Sjögren, il a été récemment montré qu'un traitement par acupuncture pouvait stimuler le débit salivaire [15, 16].
Cependant, dans les cas de pathologies d'origine fonctionnelle avec atteinte irréversible des tissus glandulaires ou si les traitements par voie stimulatrice médicamenteuse sont inefficaces, il devient alors nécessaire de passer par des traitements locaux palliatifs tels que l'utilisation de substituts salivaires ou salives artificielles.
Ce type de traitement doit être adapté à la gravité de l'asialie, mais également à l'âge du patient, à sa coopération et à une bonne hygiène bucco-dentaire. La propriété physique la plus importante de la salive est la lubrification des surfaces muqueuses et dentaires. Pour compenser le manque de salive, les substituts salivaires doivent avoir la propriété de s'attacher et d'être retenus au maximum sur la muqueuse en formant un biofilm. Ils doivent être bien entendu biocompatibles, restaurer au mieux les propriétés salivaires et réduire le maximum de symptômes cliniques des xérostomies, en particulier la sensation de sécheresse buccale.
Ce sont les hyposialies ou asialies consécutives à :
- la sénescence ;
- un syndrome de Gougerot-Sjögren ;
- l'ablation de glandes salivaires ;
- une radiothérapie de la sphère oro-faciale ;
- un traitement médicamenteux (anti-dépresseurs…).
La plus simple salive artificielle peut être constituée par une solution contenant du bicarbonate de sodium et/ou du chlorure de sodium, mais le choix d'une telle formule nécessite une très fréquente application du fait de sa faible durée en bouche. Certains praticiens préfèrent utiliser de la glycérine diluée dans de l'eau ou mélangée à de la gélatine pour avoir une solution plus visqueuse [10]. Kusler et Rambur [17] observent même des résultats favorables chez des patients ayant subi une radiothérapie et traitant leur sécheresse buccale avec un peu de beurre, de margarine ou d'huile végétale en application trois fois par jour.
En fait, les salives artificielles sont généralement plus complexes et tentent de se rapprocher de la salive naturelle. Elles sont à pH neutre et contiennent donc des ions, une substance visqueuse, un édulcorant, un conservateur et bien entendu de l'eau. Différents types de salives artificielles existent et peuvent se distinguer au niveau de leur composition par le type de substance visqueuse utilisée (tabl. IV). Le mode d'utilisation de ces substituts est très varié : bains de bouche, pulvérisations endo-buccales, préparations, pastilles, prothèse réservoir ou glandes salivaires artificielles.
Ce sont les substituts les plus courants. Suivant les substituts salivaires, différents polymères sont utilisés :
- éthylhydroxyéthyl cellulose ;
- hydroxyéthyl cellulose hydrophobe ;
- sodium carboxyméthyl cellulose ;
- acide polyacrylique ;
- éther cellulose N substitué quaternaire ;
- chitosan lactate.
Deux salives artificielles à base de polymères sont actuellement commercialisées en France : Artisial® (Jouveinal, France) et Syaline® spray (Fresenius AG, Allemagne). Ces salives artificielles se présentent sous forme de pulvérisations et contiennent de la carboxyméthyl cellulose. Le tableau V présente leur composition générale. L'inconvénient de ces produits est leur faible durée d'efficacité d'environ 30 minutes, nécessitant de nombreuses applications et donc l'utilisation d'une quantité relativement importante d'environ 40 ml de substitut par 24 heures [18].
Olsson et al. [19] ont réalisé une étude sur des substituts salivaires (bains de bouche) contenant des polymères avec ou sans surfactant et portant sur leur effet de lubrification sur la muqueuse orale. L'adjonction au polymère d'un surfactant est censée augmenter la viscosité du substitut. Ils ont montré que, en fait, il n'y avait pas de différence significative entre ces polymères, car le complexe polymère-ion surfactant en bouche est probablement affecté par la présence d'électrolytes et modifié dans certains cas par de petites quantités de salive. Ainsi, ils n'observent aucun effet supérieur d'un substitut salivaire par rapport à un autre.
Ces substituts induisent une réduction de la sensation de sécheresse buccale et certaines études montrent que les patients préfèrent l'utilisation de ces substituts à celle de ceux à base de carboxyméthyl cellulose [20, 21]. Ils peuvent se présenter sous forme de pastilles contenant des mucines mucoadhésives [10, 22].
Il existe un substitut salivaire à base d'extrait soluble de graine de lin : Salinum® (Miwana, Suisse) [23] dont les propriétés physiques sont similaires à celles des glycoprotéines des sécrétions salivaires. En effet, les graines de lin contiennent des molécules dites mucine-like (polysaccharides, protéines et glycoprotéines). Se rapprochant des substituts précédents, son utilisation réduit les symptômes de l'hyposalivation. Une étude d'Andersson [18] montre que le Salinum® a une efficacité supérieure à celle des substituts à base de carboxyméthyl cellulose tant au niveau de la durée (environ 1 heure pour le Salinum® et 30 minutes pour la carboxyméthyl cellulose) qu'au niveau de la faible quantité utilisée par application (2 ml, environ sept fois par jour).
Se rapprochant des deux substituts à base de polymères commercialisés cités précédemment, il existe une formule de salive artificielle pouvant être utilisée en bains de bouche et facilement préparable chez un pharmacien (formule du Professeur Paul Mariani, Marseille) :
• humectant buccal : 100 ml ;
• salive artificielle stérile :
- chlorure de potassium : 120 mg ;
- chlorure de magnésium : 5,1 mg ;
- chlorure de calcium : 14,6 mg ;
- phosphate monopotassique:34,2mg ;
- sorbate de potassium : 20 mg ;
- fluorure de sodium : 4,6 mg ;
- tylose C30 (méthylcellulose) : 1 g ;
- eau distillée qsq : 100 ml.
Cette formule par rapport aux deux substituts existant sous forme d'aérosols présente l'avantage d'être fluorée.
Les salives artificielles en bains de bouche ou conditionnées en aérosols sont malheureusement d'une efficacité non soutenue dans le temps. Le système d'une prothèse réservoir permet de prolonger en bouche la présence du substitut salivaire et peut être envisagé chez des patients partiellement ou totalement édentés. C'est une prothèse amovible totale, le plus souvent maxillaire en résine acrylique, comportant une cavité réservoir dans laquelle est insérée, à l'aide d'une seringue, de la salive artificielle dans un orifice situé au niveau de l'intrados prothétique (fig. 4). La partie centrale de l'intrados prothétique est une plaque métallique en chrome-cobalt pouvant être retirée afin de nettoyer le réservoir. Un orifice au niveau de l'extrados de la prothèse permet la libération de la salive en goutte à goutte endobuccale par succion linguale de la prothèse et l'autonomie du réservoir est de 3 à 4 heures pour un volume utile de 8 à 10 ml. L'intérêt d'un tel système repose sur sa simplicité d'utilisation et de nettoyage par le patient, mais l'inconvénient majeur est son encombrement buccal.
Elles correspondent en fait à un système constitué d'un réservoir extracorporel monté sur une pompe foulante et relié à la cavité buccale par l'intermédiaire d'un cathéter sous-cutané [27]. La salive artificielle contenue dans le réservoir se trouve ainsi pulsée de façon mécanique dans la cavité buccale selon un débit précis et réglable par le patient lui-même en fonction de ses besoins. Le temps d'autonomie dépend de l'importance du volume du réservoir et varie de 8 heures (pour un volume de 10 ml) à 4 jours (pour un volume de 100 ml). L'inconvénient d'un tel système tient à son encombrement et à sa complexité, c'est pourquoi il n'est utilisé que dans des cas extrêmes chez des patients atteints de xérostomie post-radique.
Lors d'une atteinte fonctionnelle irréversible du tissu salivaire chez le patient âgé ou après radiothérapie, les substituts salivaires représentent une thérapeutique palliative des xérostomies souvent méconnue des praticiens, mais nécessaire pour améliorer le confort du patient, l'intégrité des muqueuses, des dents restantes et surtout l'intégration prothétique chez les patients édentés. Seuls sont commercialisés en France les substituts salivaires à base de carboxyméthyl cellulose sous forme d'aérosols ou de préparations pharmaceutiques. Leur temps d'efficacité en bouche est éphémère et nécessite de nombreuses applications quotidiennes. L'utilisation de prothèses réservoirs améliore l'efficacité de ces produits, mais n'est envisageable que dans un nombre limité de cas.
C'est pourquoi les recherches actuelles se portent vers l'élaboration de substituts encore plus complexes, se rapprochant davantage de la salive naturelle, tant par la composition que par la structure conformationnelle des composants.