Occlusodontie
Thierry Delcambre * François Graux ** Bruno Picart *** Pierre-Hubert Dupas ****
*
Assistant hospitalo-universitaire
**
Maître de conférences,
praticien hospitalier
***
Maître de conférences,
praticien hospitalier
****
Professeur d'université,
praticien hospitalier
Laboratoire de Physiologie mandibulaire appliquée.
Faculté d'odontologie - Place de Verdun - 59000 Lille
Les applications cliniques de la recherche fondamentale n'apparaissent pas toujours au premier chef. Actuellement, le traitement des dysfonctions de l'articulation temporo-mandibulaire (ATM) se traduit par la mise en place entre les arcades dentaires de plaques dites de libération occlusale, associée ou non à des thérapeutiques complémentaires. Or, les traitements des désordres articulaires et, principalement, les repositionnements condyliens mandibulaires se sont appuyés jusque-là sur des raisonnements établis par récurrence et rares ont été les analyses mécaniques musculaires permettant de faire autrement.
Actuellement, le traitement des dysfonctions de l'articulation temporo-mandibulaire (ATM) se traduit par la mise en place entre les arcades dentaires de plaques dites de libération occlusale associée ou non à des thérapeutiques complémentaires. Or, les traitements des désordres articulaires, principalement, les repositionnements condyliens mandibulaires, se sont appuyés jusque-là sur des raisonnements établis par récurrence et rares ont été les analyses mécaniques musculaires permettant de faire autrement. Les muscles ptérygoïdiens latéraux (pterygoidei lateralis), de par leurs insertions distales proches de l'axe de rotation condylien mandibulaire, jouent un rôle essentiel dans la qualité de ces mouvements condyliens. Après avoir exposé quelques notions de biomécanique générale nécessaires à la bonne compréhension de l'étude qui suit, une analyse biomécanique des deux chefs, supérieur et inférieur, du muscle ptérygoïdien latéral au sein de la biomécanique masticatrice sera proposée. Cette analyse s'effectuera tout d'abord en fonction de la hauteur des insertions musculaires disco-condyliennes par rapport à l'axe de rotation articulaire, puis dans les mouvements d'ouverture et de fermeture buccales. Enfin, après avoir confronté ces hypothèses biomécaniques aux valeurs anatomiques, histologiques et pathologiques actuelles, ces hypothèses seront superposées à l'analyse d'un cas traité de dysfonctionnement de l'ATM afin d'expliquer les modifications musculaires biomécaniques entraînées par ce type de repositionnement condylien mandibulaire.
Fundamental biomechanics is the application of the laws of the mechanics to the human system. This is the study of forces, movements, stability's conditions, osseous levers, and muscles action. However, even though biomechanics has been able to rule many specialities, it has experienced difficulties in imposing its principles upon temporo-mandibular articulations (TMA). Original because they are hung, complex because of their tripodale layout, TMA will have to respond to a dental system which will alter after some time and eventually result in a collapse of the vertical dimension of the face's inferior part. Even though the whole masticatory muscles system participates in this adaptation, the upper and lower lateral pterygoid muscles, owing to their distal insertions in close relation with the TMA central articulation, seem to be essential to the « dynamic centering » of the mandibular condyle in the glenoide cavity. After having reminded the main principles of biomechanics and applied them to TMA, in particular to the masticatory muscles, the biomechanical study of the upper and lower lateral pterygoid muscles was carried out on a sagittal level in relation to the mandibular condylar rotation center's height in the buccal opening and closing movements. This vectorial analysis permits through the resulting study of the components to free the preferential action of a muscle in its very function (a muscle's efficiency varies during the segments' mobilization) according to the segment to be mobilized in relation to the set point, and according to the arm-lever length. Thus, the vectorial analysis of the upper and lower lateral pterygoid muscles highlights the components' direction change according to the mandibular condylar rotation center's height, hence resulting in pressure changes in the temporal condyle. The biomechanical analysis of the upper and lower lateral pterygoid muscles is pursued when those are submitted to a vertical dimension's loss of the face's inferior level and when the mandibular condyle hence makes an exacerbate rotation. Those biomechanical hypotheses were used for the analysis of a treated mandibular condylian positioning case carried out during the treatment of a dysfunctional TMA. The vectorial analysis, when it is conducted this way, permits to appreciate the components' direction changes and to highlight the action modifications of the upper and lower lateral pterygoid muscles. This becomes essentially concrete thanks to a direction change of the intercondylian pressures and an articulation training easing the disjoint of the glenoide cavity's mandibular condyle by a phenomenon of disjoint of the articular surfaces.
Si la technicité a permis d'élaborer des outils de diagnostic et de traitements de plus en plus performants dans les dysfonctionnements de l'articulation temporo-mandibulaire (ATM), il n'en reste pas moins vrai que ceux-ci ont souvent été réalisés sans que personne ait une réelle connaissance de la mécanique de fonctionnement de cette articulation. L'étude du mouvement n'est pas une discipline nouvelle puisqu'Aristote s'y était déjà intéressé chez l'animal. Celle-ci s'élabore sur deux grands thèmes : la mécanique et l'anatomie fonctionnelle [1].
Toutefois, cette discipline étant peu ou pas enseignée en odontologie, la littérature ne relate que peu de travaux intéressant la biomécanique de l'articulation temporo-mandibulaire [2-5]. De plus, l'acquisition de nouvelles données anatomiques [6], électromyographiques [7-12] ont parfois détruit les hypothèses précédemment établies. Ainsi, les théories biomécaniques antérieures aux travaux de McNamara [13, 14] sur Macaca mulatta, qui ont permis de distinguer des activités différentes, voire opposées des deux chefs du muscle ptérygoïdien latéral, sont devenues obsolètes.
Après avoir rappelé quelques grandes notions de biomécanique générale, une analyse biomécanique sagittale des muscles masticateurs sera proposée en insistant plus particulièrement sur l'étude des deux chefs du muscle ptérygoïdien latéral (pterygoidei lateralis) dans les mouvements d'ouverture et de fermeture à partir d'un axe charnière, mouvements associés ou non à une perte de dimension verticale. Cette analyse sera alors superposée et comparée à un cas traité de repositionnement condylien mandibulaire.
Dans le but de rendre plus compréhensibles les différents principes de décomposition des forces, le muscle bracchial sera pris comme exemple. Son analyse biomécanique relativement simple mettra en évidence certaines propriétés mécaniques et actions préférentielles dépendantes des conditions de travail du muscle.
L'action musculaire est représentée par un vecteur force (fig. 1) [15] qui se définit par :
- une direction (d) : celle-ci sera en fait la droite qui unit les deux points d'insertion musculaire ;
- un point d'application (A ou B) : il s'agit des points d'insertion musculaire ;
- un sens (il définit l'action musculaire) : il s'agit, dans ce cas, soit d'une flexion de A sur B soit d'une flexion de B sur A ;
- une intensité : elle permet de transcrire à l'aide d'une échelle centimétrique une force étalonnée en kilo-force.
En fait, les segments corporels liés entre eux par des articulations pivotent autour d'un point fixe sous l'action de la pesanteur ou de forces musculaires. Ces forces peuvent être décomposées en deux composantes :
- une composante axiale, Fa : c'est la composante statique, centripète, coaptatrice. Elle passe par le point d'application de la force et le centre de rotation. Elle sert à coapter les surfaces articulaires ;
- une composante tangentielle, Ft : c'est la composante dynamique, centrifuge. Elle passe par le point d'application de la force et la perpendiculaire à Fa. Elle est responsable de l'action (fig. 2).
L'analyse biomécanique individuelle de chaque muscle masticateur reste tout à fait possible. Celle-ci se trouve résumée à la figure 3 et montre que, si toutes les forces rotationnelles représentées par les composantes tangentielles (Ft) permettent les mouvements que l'on attribue classiquement aux muscles masticateurs, les forces dites coaptatrices, représentées par les composantes axiales (Fa), se trouvent toutes dirigées vers le haut et/ou vers l'arrière de la cavité glénoïde, excepté les fibres du muscle temporal antérieur insérées au sommet de l'apophyse coronoïde et l'ensemble des fibres des muscles ptérygoïdiens latéraux supérieur et inférieur.
Or, il s'avère que, en fonction des études histologique, anatomique, physiologique [16-18] et radiographique, seul le versant antérieur de l'éminence ellipsoïde que forment le condyle mandibulaire (processus condylaris), le versant postérieur du condyle temporal et le condyle temporal (tuberculum articularis), lui-même, soit capable de supporter des pressions par disque articulaire (discus articularis) interposé (fig. 4). En fait, seules les parties condyliennes mandibulaire et temporale pré-citées sont recouvertes de cartilage. Le versant postérieur du condyle mandibulaire et la partie antérieure de la cavité glénoïde (en avant de la scissure de Glaser) sont des portions intra-articulaires mais non recouvertes de cartilage.
À propos du disque articulaire, Yung et al. 16 écrivent : « Essentiellement composées de fibres de collagène orientées sagittalement dans la zone centrale amincie et croisées perpendiculairement dans les deux bourrelets, ces zones exclusivement fibreuses, non vascularisées et non innervées chez l'adulte, sont tout à fait adaptées à supporter des contraintes mécaniques de pression et de friction. »
Voici donc un débat contradictoire qui veut que l'essentiel des forces entraînées par les composantes axiales soit dirigé vers des zones incapables de supporter des contraintes mécaniques. Toutefois, l'analyse biomécanique précédente des muscles masticateurs montre trois groupes musculaires capables de coapter les surfaces articulaires entre elles (surfaces aptes à supporter des pressions) : certaines fibres antérieures du muscle temporal et les muscles ptérygoïdiens latéraux supérieur et inférieur (fig. 3).
Cependant, la décomposition vectorielle des forces des fibres musculaires temporales antérieures montre une disproportion très importante entre les deux composantes (Ft >> Fa) (fig. 5). Celle-ci permet d'affirmer que le rôle principal de ces fibres est d'élever la mandibule et non d'entraîner le condyle mandibulaire vers l'avant pour coapter les surfaces articulaires condylienne et temporale contrairement aux muscles ptérygoïdiens latéraux supérieur et inférieur dont la décomposition vectorielle montre une action préférentielle de coaptation/ décoaptation des surfaces articulaires entre elles (Fa >> Ft) (fig. 6a et 6b).
Seuls les muscles ptérygoïdiens latéraux semblent capables de contrarier l'action de ces composantes non rotationnelles dirigées vers le haut et/ou l'arrière de la cavité glénoïde produites par la plupart des muscles masticateurs et de permettre le placage du condyle mandibulaire sur le versant postérieur du condyle temporal. Toutefois, si la biomécanique permet de mettre en évidence certaines actions insoupçonnées qu'un muscle peut présenter dans certaines conditions, elle permet également de montrer qu'un muscle peut présenter une action préférentielle en fonction de la hauteur de son insertion par rapport à l'axe de rotation sur lequel il agit.
L'anatomie descriptive et l'imagerie médicale de l'ATM ont dénombré une multitude d'insertions musculaires sur le complexe disco-condylien et, si on ne leur a pas toujours associé une quelconque fonction, ces études ont eu le mérite de montrer combien ce complexe disco-condylien pouvait être sollicité au cours des mouvements mandibulaires. McNamara [13] a montré, par ses enregistrements électromyographiques, que les deux chefs du muscle ptérygoïdien latéral avaient des activités différentes lors des mouvements de fermeture et d'ouverture buccales.
D'autres études électromyographiques plus récentes mettent en évidence l'activité du chef supérieur dans les mouvements de fermeture buccale et celle du chef inférieur dans les mouvements d'ouverture buccale [11, 12, 19]. La schématisation vectorielle de ces deux muscles montre une convergence de leur résultante en arrière de leur insertion disco-condylienne pour le chef supérieur et condylienne pour le chef inférieur offrant des rapports très étroits avec le centre de rotation condylien mandibulaire. Il est clair que ces deux muscles jouent un rôle direct dans le contrôle mécanique du mouvement de l'ATM (fig. 7). Quand l'ouverture buccale n'excède pas 2 cm, il existe une rotation pure au début du mouvement [20-22]. Cette rotation s'effectue autour d'un axe charnière qui, d'après Orthlieb et Soumeire [23] : « ne saurait être extracondylien ».
La proximité des insertions des muscles ptérygoïdiens latéraux du centre de rotation condylien mandibulaire mérite que l'on s'intéresse à la décomposition de leur force musculaire respective en fonction d'une hauteur hypothétique de l'axe charnière (fig. 8, 9, 10 et 11). Pour résumer, ces différentes hauteurs rotationnelles peuvent être schématisées par la figure 6a et 6b.
Cette analyse biomécanique des fibres musculaires supérieures et inférieures des ptérygoïdiens latéraux en fonction de la hauteur du centre de rotation permet de dégager les enseignements suivants :
• toutes les composantes axiales Fa sont plus importantes que les composantes dynamiques Ft ;
• toutes les composantes axiales Fa sont dirigées en avant et vers le bas, excepté la composante axiale du muscle ptérygoïdien latéral supérieur associée à un centre de rotation bas (dirigée vers le haut) ;
• les composantes dynamiques Ft sont toutes de moindre importance mais elles sont dirigées pour les deux muscles :
- vers le bas pour un centre de rotation bas ;
- vers le haut pour un centre de rotation haut.
Ces constatations permettent d'émettre l'hypothèse suivante : la fonction essentielle de ces deux muscles est de maîtriser la stabilité de l'ATM en assurant une coaptation/décoaptation contrôlée des surfaces articulaires. Par ailleurs, toutes les composantes axiales autorisent un désengrènement des surfaces articulaires par une traction disco-condylienne ou condylienne mandibulaire dirigée vers le bas, excepté quand les fibres musculaires du chef supérieur se trouvent situées au-dessus du centre de rotation. Cette observation prendra toute son importance dans la suite de l'exposé.
Le mouvement de rotation initiale décrit précédemment au niveau de l'étage inférieur de l'articulation temporo-mandibulaire s'accompagne, au fur et à mesure de l'ouverture, d'un mouvement de translation le long du condyle temporal, mouvement dirigé vers le bas et l'avant du complexe disco-condylien mandibulaire. Ce mouvement de translation se réalise dans l'étage disco-temporal de l'articulation [16].
Les variations de hauteur des insertions condyliennes et disco-condyliennes des muscles ptérygoïdiens latéraux méritent que l'on s'intéresse à l'action de ces muscles durant les mouvements d'ouverture et de fermeture buccale. Les études électromyographiques [11-13] ont montré une activité très importante du chef inférieur dans les mouvements d'ouverture, alors que le chef supérieur reste peu actif.
A l'inverse, dans les mouvements de fermeture, le chef supérieur voit son activité augmenter de façon notable, alors que celle du chef inférieur s'efface dès que le complexe disco-condylien mandibulaire regagne la cavité glénoïde.
Les schémas 1, 2, 3 de la figure 11 montrent l'analyse biomécanique du chef inférieur lors de l'ouverture buccale en fonction de la rotation condylienne mandibulaire [2], puis de la rotation et de la translation condylienne mandibulaire [3].
Cette étude montre :
- une composante axiale Fai beaucoup plus importante que la composante tangentielle Fti ;
- une très faible variation des normes des composantes axiales Fai et tangentielles Fti dans la translation condylienne.
Ces constatations permettent d'affirmer que le rôle essentiel du chef inférieur est de décoapter les surfaces articulaires lors des mouvements d'ouverture buccale en faisant glisser le condyle mandibulaire vers le bas et l'avant. La composante tangentielle Fti, chargée de la rotation du condyle afin de replacer le centre de rotation dans l'axe du chef musculaire, peut être considérée comme négligeable par rapport aux actions antagonistes de ces mêmes composantes tangentielles des muscles masticateurs intervenant dans les mouvements d'ouverture.
Les schémas 4, 5, 6 de la figure 12 représentent l'analyse biomécanique du chef supérieur du muscle ptérygoïdien latéral actif lors du retour du complexe disco-condylien dans le cavité glénoïde. Lors de ce mouvement, la composante axiale Fas augmente en intensité (contrairement à la composante tangentielle Fts) et sa norme reste, quelle que soit la position du condyle mandibulaire, supérieure à celle de la composante tangentielle.
Comme le chef inférieur, le rôle principal du chef supérieur est donc d'assurer la décoaptation des surfaces articulaires par glissement du complexe disco-condylien mandibulaire sur le condyle temporal lors du retour du condyle mandibulaire dans la cavité glénoïde. Le chef supérieur du muscle ptérygoïdien latéral assure donc le retour du complexe disco-condylien mandibulaire dans la cavité glénoïde, en le retenant et en contrôlant son cheminement lors de la fermeture buccale sans entraîner de pression au niveau du condyle temporal.
La perte des dents va entraîner inéluctablement une perte de hauteur de l'étage inférieur du visage par l'absence de calage dento-dentaire. Rien n'empêche alors le condyle mandibulaire de poursuivre sa rotation. La décomposition des forces (schéma 7, fig. 13) montre une composante axiale Fa très importante (par rapport à la composante tangentielle Ft) dirigée vers le condyle temporal, entraînant de ce fait des pressions beaucoup plus importantes à ce niveau.
Toutefois, le poli des surfaces articulaires et la présence du liquide synovial permettent de très faibles frottements entre les surfaces articulaires (inférieurs à celui d'un patin sur la glace) [15]. La résistance R s'oppose à Fa.cosα et rien n'empêche le complexe disco-condylien de glisser vers le bas et vers l'avant, suivant Fa.sinα (schéma 8, fig. 13).
Toutefois, si cette composante axiale Fa vient à passer la perpendiculaire au plan tangent à la courbe de la cavité glénoïde, cette composante axiale entraîne alors en tout point une pression maximale sur le condyle temporal, puisqu'elle s'équilibrera, à chaque instant, sur un plan tangent à la surface de la cavité glénoïde (comme le patineur se tient debout en équilibre perpendiculairement à la surface de la glace) (schémas 9 et 10, fig. 13).
Pour conforter ces hypothèses, il a été emprunté à Diaz [24] deux radiographies montrant le mouvement condylien mandibulaire, créé par le repositionnement de ce dernier après que des meulages occlusaux dentaires intempestifs ont entraîné une perte de calage postérieur occlusal (fig. 14 et 15). Le repositionnement condylien mandibulaire décrit et réalisé par Diaz [24] permet de supprimer la composante axiale Fas du muscle ptérygoïdien latéral supérieur, dirigée vers le haut et l'avant, et de la remplacer par une composante axiale Fas, dirigée vers le bas et l'avant.
L'importance de la position des insertions distales des chefs supérieurs et inférieurs des muscles ptérygoïdiens latéraux par rapport au centre de rotation condylien vient d'être établie. Toutefois, il est également très important de garder à l'esprit que, à l'opposé, les insertions antérieures de ces deux muscles sont fixes et équidistantes et doivent le rester durant les séquences analytiques.
De ce fait, durant la translation du condyle mandibulaire, les insertions postérieures et antérieures des deux chefs musculaires se rapprochent (fig. 11 et 12). Cette constatation s'oppose à ce que rapportent Yung et al. 16 : « Pendant la phase de fermeture,… il est à noter que ce chef supérieur est actif, alors qu'il est étiré ; il subit alors un travail musculaire, dit excentrique… ». Seul, un mouvement initial d'ouverture buccale sans mouvement de translation pourrait expliquer ce que citent ces auteurs : la rotation unique du condyle mandibulaire peut, dans ce cas, entraîner un étirement du chef supérieur par un phénomène d'enroulement.
Toutefois, si la rotation condylienne se fait avant la translation dans le mouvement de fermeture buccale, la contraction du chef supérieur va pouvoir entraîner des pressions importantes au niveau du condyle temporal. On peut ainsi extrapoler la suite logique de l'analyse en imaginant que les pressions excessives au niveau de la face postérieure du condyle temporal lors de la rotation sénestre du condyle mandibulaire pourraient chasser le disque vers l'avant comme un noyau de cerise pincé entre deux doigts et favoriser de ce fait une anté-position discale.
Yung et al. 16 affirment également que : « dans tous les mouvements fonctionnels, la coaptation des pièces articulaires est assurée par l'activité ou le tonus des muscles élévateurs masséter et ptérygoïdien médial ». Or, il est difficile d'admettre cet état de fait quand on sait, d'une part, que ces deux muscles sont très peu actifs durant les mouvements d'ouverture buccale [8, 9] et, d'autre part, que, même dans les mouvements de fermeture buccale, leurs analyses biomécaniques, individuelles, superposables montrent des composantes axiales dirigées vers le haut et l'arrière de la cavité glénoïde, région inapte à supporter les pressions. Seuls les muscles ptérygoïdiens latéraux peuvent se combiner à l'action de ces muscles pour permettre la transmission de la résultante des pressions vers le condyle temporal, pressions articulaires représentées par les composantes axiales.
En contrepartie, McHorris, cité par Marguelles-Bonnet et Yung [25], réfute l'hypothèse que : « Le seul muscle ptérygoïdien latéral ne peut s'opposer à l'action des puissants élévateurs, en particulier du temporal ». L'analyse biomécanique précédente permet de s'opposer à cette affirmation. Les composantes tangentielles des muscles élévateurs de la mandibule, responsables du mouvement d'élévation proprement dit, sont beaucoup plus puissantes que leurs composantes axiales responsables de la coaptation des surfaces articulaires. Ces composantes axiales peuvent facilement se faire contrer par les composantes axiales des muscles ptérygoïdiens latéraux, bien plus puissantes, dont l'action de coaptation/décoaptation des surfaces articulaires représente l'action préférentielle. On ne demande pas aux muscles ptérygoïdiens latéraux de s'opposer à l'élévation de la mandibule, mais de s'opposer éventuellement à certaines pressions exercées au niveau de l'articulation par les muscles masticateurs. Leur disposition géométrique par rapport aux muscles masticateurs et leurs insertions distales par rapport à l'articulation temporo-mandibulaire permettent aux muscles ptérygoïdiens latéraux d'agir de manière très spécifique sur le positionnement du complexe disco-condylien mandibulaire au sein de la cavité glénoïde.
Ces constatations déstabilisent aussi les propos de Kohno cités encore par Marguelles-Bonnet et Yung [25] qui rapportent que : « En rétrusion volontaire, l'activité du chef postérieur du temporal est doublée, mais celle du chef antérieur qui pourrait assurer la protection vers l'arrière est inférieure au dixième de son activité en occlusion dynamique ». En effet, pourquoi dans ce mouvement de « rétraction » volontaire, le muscle temporal antérieur viendrait-il contrer ce mouvement que l'on désire, puisqu'il est volontaire ? De plus, même si nous avons vu que le chef antérieur du muscle temporal pouvait présenter une action de coaptation des condyles entre eux, par l'intermédiaire d'une composante axiale dirigée vers l'avant, la disproportion des normes des composantes axiales et tangentielles de ce muscle montre bien que l'action préférentielle du muscle temporal antérieur est d'élever la mandibule et non de contrer un mouvement rétrusif de celle-ci, surtout quand ce mouvement est volontaire.
En revanche, les études électromyographiques des muscles ptérygoïdiens latéraux associés à une perte de dimension verticale [19], (entraînant une bascule et une rotation exacerbée du condyle mandibulaire au sein de la cavité glénoïde) ont montré des activités plus importantes des chefs supérieurs dans les mouvements de fermeture forcée (sans calage dento-dentaire). Ces conclusions permettent d'émettre l'hypothèse que le muscle ptérygoïdien latéral supérieur est bien antagoniste du muscle temporal postérieur puisque, dans ce cas, il retiendrait le complexe disco-condylien entraîné par ces fibres temporales et de conforter les conclusions de Mushimoto et Mitani [26], qui estiment que les « fibres postérieures du temporal agissent comme stabilisateurs de l'articulation ». Les muscles ptérygoïdiens latéraux supérieurs et les fibres postérieures du muscle temporal, par leur action antagoniste, pourraient effectivement avoir une action sur le centrage dynamique du condyle mandibulaire dans la cavité glénoïde…
Si le condyle temporal et le condyle mandibulaire sont aptes à supporter certaines contraintes mécaniques par disque articulaire interposé, il est vrai que ces éléments anatomiques peuvent subir des remaniements histologiques et anatomiques importants, entraînés par la perte des dents et, de ce fait, par la perte de hauteur de l'étage inférieur du visage. Les remodelages de ces régions articulaires décrits par Steinhardt (repris par Lejoyeux [27]) ne peuvent être considérés comme un processus adaptatif. En fait, ils répondent aux lois de Jores qui régissent les remaniements osseux provoqués par des pressions plus ou moins fortes, plus ou moins répétées, entrecoupées d'intervalles plus ou moins longs.
La perte de dimension verticale va entraîner une activité plus importante des muscles ptérygoïdiens latéraux supérieurs dans les mouvements forcés de fermeture buccale entraînant de ce fait des pressions intercondyliennes également plus importantes. S'il existe un déséquilibre entre les actions des muscles temporal postérieur et ptérygoïdien latéral supérieur, actions exacerbées par la perte de calage dento-dentaire, il se produira inéluctablement des modifications structurales osseuses des condyles mandibulaire et temporal.
Les fibres postérieures du muscle temporal et le muscle ptérygoïdien latéral supérieur ont certainement une action très importante sur le centrage dynamique du condyle mandibulaire au sein de la cavité glénoïde, tout au moins dans le sens antéro-postérieur. L'analyse biomécanique des deux autres chefs du muscle temporal devrait apporter des éléments intéressants dans le centrage dynamique vertical du condyle mandibulaire.