IMAGERIE
Jean-François MATERN* Matthieu Schmittbuhl**
*Médecin radiologue
**Ancien interne et assistant des Hôpitaux
***Ancien chef de clinique des Universités
****Exercice privé,
Bischwiller
*****DMD, M Sc, PhD
******Professeur titulaire de radiologie
Faculté de médecine dentaire
Université de Montréal
*******Chef du Département de Stomatologie,
Centre hospitalier de l’Université de Montréal
(CHUM)
La tomographie volumique à faisceau conique (CBCT, Cone Beam Computed Tomography) connaît, depuis quelques années, un succès grandissant notamment en imagerie dentaire et maxillo-faciale. Des performances exceptionnelles en termes de résolution ainsi que des niveaux d’exposition très largement inférieurs à ceux du scanner médical ont fait de la technique CBCT une modalité de choix pour l’exploration des structures dento-maxillaires, contribuant à en élargir encore le spectre des indications cliniques.
Le CBCT permet de réaliser des explorations volumiques sur la base d’une acquisition tomographique associant la rotation synchrone d’une source radiogène à celle d’un capteur plan matriciel. Les images sont ensuite reconstruites par rétroprojection filtrée, procédé algorithmique qu’utilisent de très nombreuses modalités d’imagerie en coupe.
La taille des capteurs plans conditionne celle des champs d’exploration. Une distinction est généralement faite entre petits et grands champs, les petits champs correspondants à des cylindres virtuels de dimensions inférieures à 8 cm de diamètre par 8 cm de hauteur (8 × 8 cm). Les appareils grand champ permettent d’atteindre des dimensions de 18 × 16 cm voire davantage, soit un volume céphalique quasiment complet (fig. 1).
En termes de résolution spatiale, les performances du CBCT sont bien supérieures à celles du scanner médical et contribuent largement à l’engouement pour cette modalité d’imagerie (fig. 2 et 3). Des niveaux de résolution inférieurs à 150 µm sont courants, certains dispositifs permettant de descendre en dessous de la barre des 100 µm, voire, pour certains systèmes, d’atteindre les 50 µm et moins (fig. 4). Toutefois, ces résolutions très élevées sont actuellement réservées à de petits volumes d’acquisition afin de ne pas trop allonger les temps de calcul pendant la phase de reconstruction.
La résolution en contraste constitue cependant une limite majeure de l’imagerie CBCT. Cette modalité est en effet réservée à l’exploration des tissus calcifiés, c’est-à-dire aux structures dentaires et osseuses. Si un très bon contraste existe entre les cavités aériques, par exemple les sinus maxillaires, et les structures osseuses de voisinage, il n’en va absolument pas de même pour les parties molles. De multiples problématiques participent à cette limitation, notamment la géométrie du faisceau, sa poly-chromaticité, l’abondance du rayonnement diffusé ainsi que les phénomènes de durcissement de faisceau. Tous ces éléments sont autant de contraintes en termes d’imagerie quantitative que le CBCT, contrairement au scanner médical, n’a pour l’instant pas réussi à surmonter.
Concernant les doses d’exposition, l’avantage revient indiscutablement au CBCT. De nombreuses données de la littérature scientifique confirment que cette modalité reste une approche base-dose par rapport au scanner médical (tableau 1). Toutefois, le choix des constantes d’acquisition (kVp, mAs), du champ de vue et de la résolution influencent significativement les niveaux d’exposition [1] et nécessitent donc d’adapter impérativement les protocoles en fonction des nécessités cliniques de l’examen.
Les solutions de visualisation proposées par les constructeurs ont, elles aussi, largement évolué. Si les transferts DICOM (digital imaging and communications in medecine) vers des consoles qui leur sont réservées sont maintenant possibles, la plupart des solutions de visualisation (viewer) proposent en routine les spécificités non seulement de l’imagerie sectionnelle (mode multiplanaire, reconstruction curviligne, rendus volumiques) mais aussi celles de l’imagerie dento-maxillaire (reconstructions panoramiques et radiales). De nombreuses solutions de planification implantaire, chirurgicale et orthodontique sont également disponibles.
L’imagerie CBCT est toujours une approche de seconde intention après l’examen panoramique et/ou les clichés de radiographie intra-orale. Cette modalité est principalement indiquée dans les situations suivantes.
Les dents de sagesse ou encore les canines sont le plus souvent concernées (fig. 5). L’exploration CBCT est particulièrement recommandée notamment en cas de proximité avec les dents voisines ou avec un obstacle anatomique (canal mandibulaire, sinus maxillaire, fosse infratemporale, canal grand palatin), devant une suspicion de résorption radiculaire, d’ankylose (fig. 6) ou encore face à un obstacle d’éruption (odontome, dent surnuméraire).
Un large éventail de lésions peut intéresser les structures osseuses mandibulaires et maxillaires. Ces lésions seront révélées par l’examen clinique ou encore fortuitement à partir d’un bilan radiologique panoramique ou intra-oral. L’examen CBCT permet alors de préciser leur extension et leurs limites, d’en apprécier le contenu et d’en évaluer les effets sur les structures de voisinage (soufflure des corticales, expansion osseuse, apposition périostée, déplacement dentaire, résorption radiculaire, refoulement du canal mandibulaire notamment). Parmi ces lésions, certaines sont plus fréquentes que d’autres.
• Détection de lésions péri-apicales (fig. 7 et 8) et de leurs complications notamment osseuses (ostéites, ostéomyélites) et dentaires (résorption apicale).
• Analyse des complications sinusiennes d’origine dentaire (communication alvéolo-sinusale, sinusite d’origine dentaire) (fig. 7).
• Exploration de kystes radiculo-dentaires, latéro-radiculaires ou résiduels (fig. 9).
• Kyste dentigère, entité la plus fréquente parmi les kystes de développement d’origine dentaire. Il est le plus souvent associé aux troisièmes molaires ou encore aux canines supérieures (fig. 10).
• Kératokyste odontogène, lésion localement agressive, associée ou non à une dent incluse et le plus souvent localisée dans le secteur mandibulaire postérieur (fig. 11). L’exploration CBCT trouve toute sa place non seulement dans le bilan diagnostique initial mais aussi dans le suivi étant donné la probabilité élevée de récidive (de 10 à 30 %).
• Kyste latéral parodontal à distinguer du kyste latéro-radiculaire dont l’étiologie est inflammatoire.
Le kyste du canal incisif est le plus commun des kystes non odontogènes. Si cette entité pose peu de problèmes diagnostiques, le CBCT permettra toutefois d’en apprécier l’extension palatine ainsi que l’éventuelle soufflure du plancher des fosses nasales.
Le kyste traumatique, souvent de découverte radiographique fortuite chez les patients jeunes (10-20 ans) est parfois associé à des lésions cémento-osseuses ou fibro-osseuses. Son contour festonné caractéristique et l’expansion osseuse qu’il peut provoquer seront particulièrement bien visualisés par les coupes CBCT (fig. 12).
• Dysplasies cémento-osseuses, qu’elles soient péri-apicales (fig. 13), focales ou encore floride (fig. 14). L’exploration CBCT fournit des informations pertinentes sur la multiplicité des lésions, leur contenu et leur extension. Les éventuelles dégénérescences kystiques seront également détectées (fig. 15).
• Dysplasie fibreuse dans sa forme monostotique ou polyostotique. L’aspect à imagerie CBCT est souvent pathognomonique avec sa texture en verre dépoli, l’expansion osseuse associée et l’amincissement caractéristique des corticales (fig. 16).
• Granulome central à cellules géantes souvent asymptomatique, découvert sur une radiographie de routine et de localisation mandibulaire (en avant des premières molaires). L’exploration CBCT renseigne particulièrement sur l’existence de fines cloisons conférant à la lésion un aspect multiloculaire (fig. 17). D’autres localisations sont éventuellement à rechercher et un contexte d’hyperparathyroïdie est alors à suspecter.
• Lésions bénignes odontogènes ou non odontogènes. Le CBCT trouve toute sa place pour l’exploration de ces lésions. Il apporte des informations diagnostiques essentielles notamment concernant les limites, le contenu et l’environnement lésionnel (fig. 18). Cette modalité permettra également d’assurer un suivi à la recherche d’une éventuelle récidive.
• Lésions malignes de type carcinome ou encore sarcome. Si l’imagerie CBCT peut contribuer à mettre en évidence une atteinte osseuse, notamment dans un contexte de carcinome épidermoïde de la cavité buccale, le bilan d’extension repose avant tout sur le binôme scanner/IRM.
• Détection des complications péri-apicales. Dans un contexte clinique non spécifique, en l’absence de symptômes associés à une dent traitée ou non traitée endodontiquement et sans évidence de pathologies péri-apicales visibles radiographiquement ou encore en cas de superposition de structures osseuses avec les apex dentaires, un examen CBCT est recommandé pour évaluer le contexte péri-apical (fig. 19 à 20) [1,2].
• Morphologie radiculaire complexe et analyse de la configuration canalaire. La mise en évidence d’une racine supplémentaire ou encore l’évaluation d’une courbure ou d’une dilacération radiculaire peut nécessiter une exploration CBCT. Le recours à la très haute résolution se justifie pour apprécier les anomalies de configuration canalaire, rechercher des canaux supplémentaires, voire des canaux accessoires (fig. 21 et 22).
• Complications peropératoires ou postopératoires. L’identification et la localisation de perforations (fig. 23), la mise en évidence de calcifications canalaires, les dépassements d’obturation endodontique ou encore le repérage d’instruments fracturés (fig. 24) bénéficient des performances du CBCT en haute résolution.
• Fractures et fêlures radiculaires. Grâce aux reconstructions multiplanaires, l’imagerie CBCT peut apporter des réponses là où la radiologie conventionnelle reste peu contributive (fig. 25). La localisation des traits de fracture, la finesse d’une fêlure et les complications osseuses associées sont autant d’éléments que le CBCT est susceptible de révéler.
• Résorptions radiculaires. La mise en évidence de résorptions radiculaires, l’évaluation de la sévérité du processus de résorption interne ou externe, la détection de résorptions cervicales ou encore leur prise en charge et l’évaluation de leur pronostic sont autant de situations cliniques qui nécessitent une analyse détaillée que seule l’imagerie CBCT pourra apporter (fig. 22 et 26).
• Planification chirurgicale. Dans un contexte de chirurgie apicale, l’examen CBCT préopératoire assurera une localisation précise des apex dentaires ainsi qu’une détermination des éventuelles proximités avec les obstacles anatomiques de voisinage.
• Bilan pré-implantaire. L’imagerie CBCT fournit des informations pertinentes en termes de repérage des obstacles anatomiques à la mandibule (canal mandibulaire, foramen mentonnier, canal incisif mandibulaire) (fig. 27) et au maxillaire (sinus maxillaire, plancher des fosses nasales, canal incisif et canal grand palatin) (fig. 28). L’appréciation de la morphologie du processus alvéolaire, l’évaluation des volumes osseux disponibles et l’analyse de la texture osseuse reposent essentiellement sur l’étude des reconstructions radiales [3].
• Bilan pré-greffe. L’analyse CBCT des sites donneurs et receveurs est particulièrement contributive. Concernant le site donneur, l’évaluation de la quantité d’os disponible et les proximités avec les éventuels obstacles anatomiques seront analysées. Pour le site receveur, le défaut osseux pourra être évalué. En cas de relèvement de plancher sinusien, un bilan du sinus est recommandé, notamment pour en apprécier la ventilation et le drainage (fig. 29).
• Planification implantaire. L’imagerie CBCT constitue un prérequis pour la planification implantaire (fig. 27) et tout particulièrement pour la réalisation de guides chirurgicaux modélisés à partir des rendus volumiques des structures maxillaires et mandibulaires.
• Suivi postopératoire. Excepté pour les suivis de greffe osseuse ou de relèvement de plancher sinusien (fig. 30), le CBCT n’est pas indiqué pour apprécier le contexte péri-implantaire en raison des très nombreux artefacts métalliques générés.
• En fonction de l’orientation des traits de la fracture radiculaire ou alvéolaire, la radiologie conventionnelle ne permet pas forcément de les détecter. L’imagerie CBCT complétera utilement le bilan traumatologique, aussi bien sur le plan fracturaire que sur celui d’éventuelles luxations ou déplacements dentaires associés (fig. 31).
• Dans un contexte de traumatisme plus sévère, le bilan d’évaluation repose essentiellement sur le scanner médical afin de détecter non seulement les fractures osseuses mais aussi de possibles complications neurologiques ou hémorragiques.
• Pathologies articulaires dégénératives. Au-delà des remodelages des surfaces articulaires, les performances du CBCT en termes de résolution trouvent un intérêt particulier pour détecter de subtiles manifestations osseuses comme des érosions, des zones d’ostéosclérose sous-chondrale ou encore des néoformations osseuses (fig. 32) [4].
• Dérangements internes de l’articulation temporo-mandibulaire. Si l’imagerie par CBCT permet d’évaluer l’interligne articulaire, la modalité de choix pour le diagnostic des déplacements discaux reste l’IRM.
• Fractures condylaires. Ces fractures s’inscrivent dans un tableau de traumatisme facial et font donc l’objet d’un bilan d’évaluation par scanner. L’exploration par CBCT est généralement une approche de seconde intention, notamment pour l’évaluation de fractures anciennes (fig. 33).
• Dents incluses, et plus particulièrement les canines (fig. 34).
• Dysmorphoses dento-maxillo-faciales complexes. L’analyse de ces dysmorphoses peut profiter d’un bilan céphalométrique 3D que l’imagerie par CBCT grand champ est susceptible de fournir.
• Traitements orthodontiques accélérés par piézocision. La planification de la phase chirurgicale nécessite un bilan par CBCT, notamment pour positionner les futurs tracés de corticotomie en fonction de l’emplacement des racines dentaires et pour éventuellement modéliser des guides chirurgicaux de piézocision.
• Implants d’ancrages orthodontiques. Si une proximité radiculaire ou avec un obstacle anatomique est suspectée, un bilan d’exploration par CBCT est recommandé.
Planification chirurgicale. Ce volet est étroitement lié au bilan orthodontique, notamment pour la caractérisation de dysmorphoses sévères. La modélisation des corrections squelettiques et la confection des gouttières occlusales de repositionnement maxillaire et mandibulaire se font sur la base du rendu volumique CBCT du complexe cranio-facial.
Analyse des voies aériennes supérieures. Dans un contexte d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil, la recherche de constriction des voies aériennes supérieures peut se faire à partir de l’exploration par CBCT grand champ des trois étages pharyngés. L’évaluation de la taille des tonsilles pharyngées et palatines vient compléter l’analyse (fig. 35).