Article
Matthieu MINTY 2 3 4 / Philippe BOFGHANIM 3 4 / Louis Philippe GAYRARD 3 4 / Julien MAZIERES 1 / Vincent BLASCO-BAQUE 2 3 4
1- Service de pneumologie, Hôpital Larrey, université Paul-Sabatier, CHU Toulouse, France2- INSERM U1048, F-31432 Toulouse, France ; Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires (I2MC), F-31432 Toulouse, France3- Université Paul-Sabatier III (UPS), F-31432 Toulouse, France4- CHU Toulouse, Service d'odontologie, Toulouse, France
Résumé
Notre conception du rapport de l'homme avec les microbes a radicalement changé avec les avancées scientifiques. La vieille idée d'un combat perpétuel entre l'homme et les microbes, mené avec des régimes d'antibiotiques, a petit à petit donné lieu à une vision où l'homme vit en symbiose avec des milliards de microbes (bactériens, protistes, microchampignons...) ; c'est-à-dire dans une interrelation indispensable et bénéfique pour les deux. En effet, la vie s'accompagne d'une communauté microbienne nommée le « microbiote », et l'ensemble de ses gènes le « microbiome » et de nos cellules de l'organisme. De nombreux organes humains, comme la bouche, l'intestin ou les poumons, possèdent un microbiote complexe, qui varie avec l'âge et des événements de la vie, et qui est différent de ceux des autres organes. Ces microbiotes jouent des rôles locaux et systémiques dans l'homéostasie de l'individu et dans l'évolution de diverses pathologies. Dans cette revue, nous décrirons les dernières avancées sur le rôle des microbiotes dans les pathologies systémiques comme le diabète, la polyarthrite rhumatoïde et les pathologies cardiovasculaires. En particulier, nous verrons l'interrelation, qualifiée d'« interactionnelle », de ces pathologies générales avec la maladie parodontale, et plus spécifiquement avec le microbiote oral. Par exemple, la maladie parodontale associée à une translocation de Porphyromonas gingivalis dans l'organisme génère un état inflammatoire chronique propice au développement du diabète et de la polyarthrite rhumatoïde. Nous aborderons dans une seconde revue le rôle médical du chirurgien-dentiste dans la prise en charge de ses pathologies systémiques.
Our conception of the relationship of man with microbes has changed dramatically with scientific advances. The old idea of a perpetual fight between man and microbes, led by antibiotic regimes, has gradually given rise to a vision in which man lives in symbiosis with billions of microbes (bacterial, protist, micro-fungus...) in an interrelation which is essential and beneficial for both. Indeed, life is accompanied by a microbial community called the ``microbiota'', and all of its genes the ``microbiome''. Many human organs such as the mouth, intestine or lungs have a complex microbiota that varies with age and life events, and is different from other organs. These microbiota play local and systemic roles in the homeostasis of the individual and in the evolution of various pathologies. In this review, we will describe the latest advances in the role of microbiota in systemic diseases such as diabetes, rheumatoid arthritis and cardiovascular diseases. In particular, we will see the interrelation described as interactional, of these general pathologies with periodontal disease, and more particularly with the oral microbiota. For example, periodontal disease associated with a translocation of Porphyromonas gingivalis into the circulation that generates a chronic inflammatory condition conducive to the development of diabetes and rheumatoid arthritis. We will discuss in a second review the medical role of the dentist in the management of his systemic pathologies.
On peut considérer aujourd'hui que les humains sont des « superorganismes », c'est-à-dire un organisme constitué de plusieurs individus travaillant ensemble afin d'exister. Ce concept, développé par W. Morton Wheeler (1917), montre que des animaux coexistent non pour un but individuel, mais dans un but collectif appelé « symbiose », c'est-à-dire un échange permanent et bénéfique. Ce terme de « superorganisme » était réservé à l'organisation d'insectes vivants en collectivité, comme les abeilles ou les fourmis. Pour l'homme, une nuance importante existe : notre organisme est occupé de cellules très différentes, humaines et microbiennes, ces dernières constituant les microbiotes.
Notre intestin possède le microbiote le plus important de l'organisme et lui confère un rôle essentiel dans le maintien de la santé générale. De plus, l'intestin présente le deuxième système nerveux (système nerveux entérique) de l'organisme en nombre de neurones, lui conférant l'appellation de « deuxième cerveau ». Une grande partie des informations du système nerveux entérique sont en très étroite relation avec le microbiote digestif. L'influence de notre microbiote intestinal sur le système nerveux central et certaines maladies psychiatriques est maintenant démontrée. Des recherches s'orientent sur le rôle du microbiote intestinal dans l'autisme (Landman et Quévrain, 2016 ; Fond et al., 2016). Certaines bactéries influencent notre état de stress : Bifidobacterium longum ou Lactobacillus helveticus ont une influence positive sur les douleurs abdominales induites par le stress et normalisent ainsi les effets du stress sur notre cerveau (Ait-Belgnaoui et al., 2018). D'autres études sont moins favorables à ces théories mais mettent en avant le rôle combiné de la vitamine D et du microbiote sur les effets du stress (Romijn et al., 2017). Ces observations posent la question de l'évolution de notre conception de l'individu vers une idée plus duale de l'organisme entre le soi (nos cellules) et le non-soi (nos microbiotes) essentiel pour le maintien de la santé. Comme la cavité buccale est le début du tractus digestif et qu'elle abrite le deuxième microbiote de notre organisme, nous proposons d'analyser sa composition et son rôle dans la santé générale. Nous verrons le rôle du chirurgien-dentiste dans une autre revue exclusivement dédiée à cela.
On parle de « microbiote » pour désigner l'ensemble des espèces microbiennes (bactéries, microchampignons, protistes, virus) présentes dans un environnement défini d'un hôte (animal ou végétal), et de « microbiome » quand il s'agit de l'ensemble des gènes présents dans ce microbiote (Cossart, 2016). Au niveau des bactéries, une étude récente (Sender et al., 2016) évalue le microbiote total d'un individu à environ 39 000 milliards d'éléments, et celui des cellules du corps humain moyen à environ 30 000 milliards. Chaque humain abriterait 400 à 500 espèces différentes de bactéries et autres micro-organismes (fig. 1).
Le terme microbiome a été introduit en 2001 par le généticien et microbiologiste américain Joshua Lederberg (Lederberg et McCray, 2001) pour intégrer la notion d'une communauté écologique comprenant symbiotes, commensaux et pathogènes partageant l'espace corporel humain, afin de souligner leurs fonctions de déterminants de la santé et de la maladie. Le terme microbiome fait référence au mot « génome », qui désigne l'ensemble du matériel génétique d'une espèce, codé dans son acide désoxyribonucléique (ADN).
La cavité buccale héberge le deuxième plus important des microbiotes de l'organisme (Lif Holgerson et al., 2015). Avec plus de 400 à 500 différentes espèces identifiées chez l'adulte (Romani et al., 2015), son acquisition se fait dès les premières minutes de vie, au contact des microbiotes issus de la peau, du vagin et de la bouche de la mère. Les premières bactéries à coloniser la bouche sont des bactéries anaérobies facultatives des genres Streptococcus et Actinomyces, venant du contact avec les microbiotes de la mère. Des bactéries anaérobies strictes comme le genre Veillonella et le phylum Fusobacterium (Al-Shehri et al., 2016) colonisent dans un deuxième temps la cavité orale. Sa composition varie en fonction des événements de vie : la diversification alimentaire, les changements hormonaux (puberté et période menstruelle), la prise de médicaments, notamment les antibiotiques, et l'âge. Le microbiote oral va subir également un remaniement majeur lors de l'éruption des dents définitives. La mise en place des dents permet la création d'un nouvel habitacle pour les bactéries et permet l'existence du microbiote parodontal. Ce microbiote est particulier car il associe des bactéries planctoniques et des bactéries en biofilm comprises dans une matrice d'exopolysaccharides. Il permet ainsi la colonisation par les bactéries Gram-négatives anaérobies strictes, comme des bâtonnets ou des bacilles comme les genres Fusobacterium, Porphyromonas ou Prevotella (fig. 1). De plus, le microbiote oral exerce de nombreux effets bénéfiques pour l'hôte en contribuant notamment à la protection contre les pathogènes purs, mais également au développement et à l'éducation du système immunitaire local et systémique. Ces fonctions sont possibles grâce à un équilibre qualitatif et quantitatif entre les différentes bactéries au sein du microbiote appelé « eubiose », compatible avec la bonne santé. En revanche, la rupture d'équilibre au sein du microbiote, appelée « dysbiose », est un des facteurs prédisposant aux pathologies locales comme la carie ou la parodontite, et peut également influencer les pathologies générales.
Le microbiote bronchique est l'écosystème microbien complexe qui colonise la surface des muqueuses bronchiques. Il est dépendant de l'environnement de l'hôte, de son système immunitaire, de son génotype, de son mode de vie et de la présence transitoire de certains germes.
Jusqu'à récemment, les voies aériennes inférieures étaient considérées comme stériles mais l'utilisation des techniques de séquençage moléculaire à haut débit a permis de mettre en évidence l'existence d'une flore polymicrobienne, bactérienne, virale ou fongique, constituant le microbiote pulmonaire (Milam et al., 2010).
Ce microbiote se distingue de celui du tube digestif du fait de la présence de mucus, d'un gradient de température entre l'air ambiant et les alvéoles, et d'un environnement riche en oxygène. Il en résulte que le microbiote pulmonaire est plus dynamique, plus transitoire, et moins riche que la flore digestive. Les micro-organismes proviennent de l'air, de l'inhalation de certains éléments des voies respiratoires supérieures et d'une diffusion le long de la muqueuse respiratoire. C'est surtout l'oropharynx qui contribue au microbiote pulmonaire, alors que la flore nasale semble avoir un rôle très mineur. L'élimination des germes est assurée par les mouvements ciliaires, la toux et les défenses immunitaires de l'hôte. Chez le sujet sain, les conditions ne sont pas favorables à une reproduction bactérienne locale, mais ce n'est plus vrai en cas de pathologie pulmonaire aiguë ou chronique. À côté du classique Pseudomonas aeruginosa, d'autres espèces ou genres (Streptococcus, Prevotella, Veillonella, Rothia, Actinomyces, Gemella, Granulicatella, Fusobacterium, Neisseria, Atopobium, etc.) ont été identifiés comme étant importants dans la constitution du microbiote pulmonaire au cours de son évolution entre l'enfance et l'âge adulte.
Le microbiote pulmonaire est actuellement un domaine de recherche en pleine émergence, avec de nombreuses études centrées sur la comparaison entre les communautés bactériennes pulmonaires de sujets sains et celles de patients atteints de maladies pulmonaires chroniques comme l'asthme, la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), la mucoviscidose, la fibrose pulmonaire idiopathique, le cancer pulmonaire, ou ayant subi une greffe de poumon. De manière intéressante, il a été montré que le microbiote des voies respiratoires inférieures est proche, chez les sujets sains, du microbiote oropharyngé. Cela devrait permettre, par une analyse de la flore buccale, d'avoir une estimation du microbiote bronchique.
Les connaissances sur le microbiome pulmonaire et le rôle qu'il joue dans la pathogenèse des maladies pulmonaires chroniques devraient nous permettre d'améliorer la prise en charge des malades et d'élaborer de nouvelles stratégies thérapeutiques, basées en particulier sur la prévention de certaines complications.
La relation bidirectionnelle entre la maladie et le diabète :
Le diabète est une maladie chronique générale caractérisée par une hyperglycémie (taux de sucre dans le sang trop élevé). En France, le nombre de diabétiques est d'environ 2,9 millions de personnes, soit environ 4,4 % de la population, avec une prévision de 9 % pour 2030. Le patient diabétique est affecté par de nombreuses complications, comme les maladies cardio-vasculaires, néphropathies, neuropathies, rétinopathies, le pied diabétique et les infections buccales (Boillot et al., 2015). La maladie parodontale est même considérée comme la sixième complication du diabète. Selon les études, la prévalence de la maladie parodontale varie de 20 % à 50 % dans la population générale, alors qu'elle est de 60 % chez les patients diabétiques. En effet, les maladies parodontales sont plus fréquentes et plus sévères chez les personnes diabétiques. Au cours du diabète, il existe une modification profonde des microbiotes buccaux et notamment parodontaux appelée « dysbiose ». Les dernières études proposent l'implication de cette dysbiose buccale dans le développement et l'aggravation du diabète. Au cours des maladies parodontales, les bactéries Gram-négatives, comme Prevotella intermedia (Pi), Fusobacterium nucleatum, (Fn) et Porphyromonas gingivalis (Pg), augmentent au sein du biofilm parodontal, signant la dysbiose pathologique (Milam et al., 2010). Par exemple, Prevotella intermedia (Pi) induit la maladie parodontale, et sa quantité dans le tissu parodontal est plus importante chez le patient diabétique comparé au patient non-diabétique. Au cours des chirurgies de l'obésité visant à réduire la masse graisseuse, il a été mis en évidence la présence d'ADN de Pi dans le tissu adipeux de ces patients. Le rôle de Pi dans le tissu adipeux reste encore méconnu, mais on suppose un rôle pro-inflammatoire de cette bactérie, entraînant une prolifération des adipocytes facilitant le développement de l'obésité et du diabète.
De plus, Porphyromonas gingivalis (Pg), une autre bactérie issue du microbiote parodontal, est associée à des maladies chroniques systémiques, comme les maladies cardio-métaboliques. Au cours de la maladie parodontale, il existe une translocation de ces bactéries parodontales dans l'organisme, générant un état inflammatoire chronique systémique propice au développement du diabète. En fait, Pg est présent dans les tissus sensibles à l'insuline comme le foie, le muscle et le tissu adipeux, et induit une inflammation qui impacte le diabète (Sivan et al., 2015). En effet, il existe une activation du système immunitaire délétère par la maladie parodontale. Une étude récente montre que la colonisation par des bactéries parodontales comme Pg, Pi et Fn induit une maladie parodontale et augmente le nombre d'anticorps anti-Porphyromonas gingivalis, alors que le diabète diminue le nombre d'anticorps anti-Porphyromonas gingivalis chez les souris colonisées. En outre, la maladie parodontale aggrave l'insulino-résistance chez les souris rendues diabétiques par le régime gras. Ces résultats soulignent le fait que l'altération du microbiote parodontal au cours de la maladie parodontale est un des facteurs de risque du développement du diabète, via un déficit immunitaire lié aux désordres métaboliques face aux bactéries parodontales. Ainsi, plusieurs arguments de la littérature suggèrent une relation forte entre maladies métaboliques et parodontite. La dysbiose du microbiote parodontal dans les maladies parodontales contribue à l'incidence du diabète, mais également à ses complications (Lee et Weinblatt, 2001). En effet, une étude suédoise récente a mis en évidence le fait que la quantité de certaines bactéries parodontales dans la bouche, comme Prevotella et Fusobacterium, était associée à l'augmentation du cholestérol circulant et des lipoprotéines de transport comme les LDL. Ces paramètres altérés sont appelés « dyslipidémie » et sont un facteur de risque du développement des plaques d'athérome dans les vaisseaux sanguins. De nombreuses études ont par ailleurs révélé la présence de bactéries buccales dans les plaques d'athérome, qui augmentent le risque de rupture de ces plaques. Ainsi, ces bactéries favorisent l'augmentation de la dyslipidémie et donc le risque d'accident cardio-vasculaire.
Une étude très récente montre en outre une association entre maladie parodontale et asthme. Les patients avec parodontite présentent des asthmes plus sévères et suggèrent un rôle délétère de l'infection buccale sur la gravité de l'asthme. Des études de causalité doivent être menées pour identifier la nature de ce lien, mais on peut supposer une interrelation entre le microbiote buccal et le microbiote bronchique dans le développement des pathologies générales (Soledade-Marques et al., 2018).
Le microbiote bronchique est modifié dans de nombreuses pathologies sans que l'on sache exactement si ces perturbations sont la cause directe de ces pathologies ou simplement le témoin de modifications locales et immunitaires.
Le lien entre le microbiote pulmonaire et la mucoviscidose a particulièrement été étudié. Dans cette pathologie génétique, les voies respiratoires des patients représentent un environnement favorable pour la colonisation bactérienne. Les techniques de séquençage à haut débit portant sur l'ADN ribosomique 16S des bactéries ont permis d'avoir une vue plus globale de la communauté bactérienne pulmonaire et de son évolution. Il existe une corrélation nette entre la diversité du microbiote pulmonaire et l'état de la fonction pulmonaire des patients.
La BPCO (broncho-pneumopathie chronique obstructive) est une maladie respiratoire chronique définie par une obstruction permanente et progressive des voies aériennes. La colonisation bactérienne est un facteur important contribuant à la progression de la BPCO et à la survenue des exacerbations infectieuses. Les analyses microbiologiques réalisées chez les patients atteints de BPCO ont mis en évidence une grande diversité bactérienne, même si le noyau principal comprenait les genres Prevotella, Sphingomonas, Pseudomonas, Acinetobacter, Fusobacterium, Megasphaera, Veillonella, Staphylococcus et Streptococcus. Le microbiote est modifié chez ces patients par l'antibiothérapie et la corticothérapie.
De manière peut être plus inattendue, le lien entre microbiote pulmonaire et asthme a été objectivé. La pathologie asthmatique est l'exemple même de l'interaction entre l'hôte, un pathogène et l'environnement. Un lien a été clairement démontré entre microbiote environnemental, sensibilisation/atopie et asthme. Deux importantes études transversales et multidisciplinaires portant sur de larges cohortes d'enfants (Markus et al., 2011) ont en effet permis de démontrer le lien entre l'environnement (milieu rural versus milieu urbain), la contamination bactérienne et fongique, et le risque de développer une atopie ou un asthme. Aujourd'hui, de nombreuses données tendent à montrer que plus le microbiote environnemental est diversifié, plus les patients sont protégés contre le risque asthmatique. Les enfants asthmatiques semblent également présenter un microbiote bactérien différent de celui des enfants sains, avec une majorité de Proteobacteria (Haemophilus, Neisseria) et de Staphylococcus chez les jeunes asthmatiques, alors que les bactéroïdètes, firmicutes et/ou acinétobactéries sont plus souvent retrouvées chez les enfants sains.
Le lien entre microbiote et cancer est un sujet d'actualité majeur, Routy et al. (2018) suggèrent que la dysbiose causée par des antibiotiques répétés pourrait augmenter la fréquence de certains cancers, en détournant l'immuno-surveillance. Les éléments du microbiote peuvent également être responsables du développement carcinologique (Papillomavirus et le cancer du col, Helicobacter pylori et le cancer de l'estomac, etc.).
La colonisation bronchique dans une population de patients atteints de cancer du poumon a été décrite (Laroumagne et al., 2013). Sur 210 échantillons analysés, des agents pathogènes potentiels ont été trouvés chez 48,1 % des patients, et étaient significativement associés à une plus mauvaise survie.
Parmi les éléments récents les plus marquants, on peut noter l'impact potentiel du microbiote digestif sur la réponse aux nouveaux traitements anti-tumoraux, qui inhibent les points de contrôle du cycle immunitaire. Une étude sur les modèles de souris a mis en évidence que le cyclophosphamide (chimiothérapie) modifie la composition du microbiote intestinal et induit une translocation d'espèces bactériennes Gram-positives dans les organes lymphoïdes secondaires. Les souris Germ-Free (exemptes de germes), ou ayant reçu des antibiotiques contre les bactéries Gram-positives, ont montré une résistance au cyclophosphamide. Cela suggère que le microbiote aide à façonner la réponse immunitaire anticancéreuse (Viaud et al., 2013). Sivan et al. (2015) ont comparé la croissance cellulaire de mélanomes de souris installées dans deux communautés bactériennes distinctes après immunothérapie par anti-PDL1. L'un des deux groupes a généré des tumeurs plus agressives que l'autre. L'alimentation par Bifidobacterium a permis de restaurer la réponse anti-cancéreuse. L'équipe de Zitvogel a décrit des faits comparables : l'efficacité d'un anti-CTLA-4 était négligeable chez les souris sans germes ou traitées par antibiotiques (Vétizou et al., 2015). Leur colonisation par des espèces de bactéroïdes (B. thetaiotaomicron ou B. fragilis) a amélioré la réponse à l'anti-CTLA4.
Depuis plusieurs années, le rôle de la parodontite et de son microbiote est étudié dans le développement des maladies rhumatoïdes comme la polyarthrite rhumatoïde (PR).
La PR est le plus fréquent des rhumatismes inflammatoires chroniques. La prévalence se situe entre 0,5 et 1,1 % de la population adulte, avec une fréquence 3 fois plus importante chez la femme que chez l'homme. L'âge moyen d'apparition de la maladie est 50 ans mais il existe des cas précoces (15-30 ans) ou plus tardifs, après 70 ans. La PR est une maladie auto-immune chronique, polyfactorielle, caractérisée par une accumulation d'infiltrats inflammatoires dans la membrane synoviale, une inflammation des articulations, des tendons et des structures péri-articulaires (Lee et Weinblatt, 2001).
Son étiologie est de cause inconnue, mais elle est favorisée par de nombreux facteurs, notamment :
– des facteurs génétiques (HLA-DR4) et des antécédents familiaux de PR (Fransen et van Riel, 2009) ;
– des facteurs immunologiques ;
– des facteurs infectieux ;
– le tabagisme.
À défaut de prise en charge précoce, cette maladie conduit à la destruction des tissus osseux et cartilagineux des articulations, mais aussi des ligaments et des tissus mous adjacents, c'est donc une pathologie très invalidante...
Parodontite et PR partagent des facteurs prédictifs de sévérité communs :
– prédisposition génétique : polymorphisme de certains récepteurs ;
– facteurs immunologiques : activation du système de l'inflammation profil Th17 ;
– facteurs bactériens : présence de bactéries dans les synovies ;
– facteurs biologiques : augmentation du taux de médiateurs de l'inflammation dans le sang (CRP...) ;
– manifestations cliniques : atteintes des tissus cartilagineux, ligamentaires et osseux.
En 2000, Mercado et al. (Mercado et Barthold, 2000) remarquent une incidence plus importante des maladies parodontales chez les patients ayant une PR, et que 62,5 % d'entre eux avaient des formes avancées de parodontites. Cette même équipe précise également que plus les signes cliniques de la PR sont marqués, plus la perte osseuse alvéolaire est sévère (Mercado et Barthold, 2001). Il existe donc une interrelation entre ces deux pathologies. PR et parodontite sont deux maladies à caractère physiopathologique inflammatoire, avec des productions importantes de cytokines pro-inflammatoires (Feldmann et al., 1996 ; Miller et al., 2002). On remarque, en particulier, chez les patients porteurs d'une PR et/ou d'une parodontite aiguë, des taux de cytokines augmentés par rapport à des patients sains (Havemose-Poulsen et al., 2006). Cette augmentation concerne particulièrement les cytokines pro-inflammatoires telles que TNF-alpha et les interleukines IL-17, IL-6. On note donc la mise en place d'une réponse immunitaire systémique et locale, à profil Th17. Une étude sur patients porteurs à la fois de PR et de parodontite (Al-Katma et al., 2007) montre que les thérapeutiques parodontales sur 8 semaines améliorent, de façon significative, les paramètres cliniques et biologiques de la PR, en réduisant, en particulier, les taux sanguins des cytokines telles que TNF-alpha et IL-17. De même, les traitements anti-inflammatoires de la PR induisent une diminution de médiateurs de l'inflammation au sein du fluide gingival, comme par exemple l'IL-1 beta (Miranda et al., 2007).
Les hypothèses infectieuses dans le déclenchement ou l'aggravation de la PR sont proposées depuis plusieurs années, mais le rôle exact des pathogènes dans la physiopathologie de la PR reste à préciser.
De nombreux micro-organismes sont évoqués dans ces hypothèses, comme les mycoplasmes, les virus (virus Epstein-Barr et CMV ou cytomégalovirus), mais également les bactéries du microbiote parodontal. La présence d'ADN bactérien et de peptidoglycane (constituants de leur paroi) dans les articulations de patients arthritiques a été plusieurs fois rapportée. Parmi les bactéries parodontales, les plus régulièrement détectées sont Prevotella intermedia (Pi)
Porphyromonas gingivalis (Pg), ainsi que Bacteroides forsythensis. On remarque que la prescription, chez des patients atteints de PR, de traitements antibiotiques dirigés contre les bactéries anaérobies buccales montre une amélioration des signes cliniques de la PR. Au sein de ces bactéries parodonto-pathogènes majeures, Porphyromonas gingivalis retient notre attention. En effet, cette bactérie semble être le seul organisme procaryote à posséder une enzyme peptidylarginine-déiminase (PAD). Cette enzyme PAD, produite également par les macrophages et granulocytes présents dans la synoviale enflammée, permet la citrullination de protéines de l'hôte et des protéines bactériennes. Ces peptides citrullinés sont présentés par les macrophages aux lymphocytes, induisant ainsi une production d'anticorps anti-peptides cycliques citrullinés (anti-CCP ou ACPA pour les Anglo-saxons), et une activation de l'inflammation. Pg, usant de son pouvoir de citrulliner des protéines telles que l'arginine, provoque une forte production d'anticorps anti-CCP, entraînant une activation des ostéoclastes et des érosions osseuses.
Le dosage positif de ces anticorps anti-CCP permet de prédire, avec une spécificité supérieure à 95 %, le diagnostic de PR, et ceci de manière précoce dans le développement de la maladie. Les études montrent que le taux d'anticorps anti-Porphyromonas gingivalis (Pg) est corrélé avec le taux d'anticorps anti-CCP, chez les patients poly-arthritiques.
On connaît les complications cardiaques, cutanées, ophtalmiques de la PR, mais celle-ci semble en mesure de majorer la maladie parodontale par augmentation du syndrome inflammatoire.
Cependant, la relation entre PR et parodontite fonctionne dans l'autre sens, car les infections parodontales peuvent être sources d'inflammation, aggravant une maladie telle que la PR, ou même être responsables de bactériémie susceptible de provoquer une perte de tolérance de l'organisme, avec une exacerbation de phénomènes auto-immuns.
« Les microbiotes en tant que chefs d'orchestre de notre immunité et donc de notre santé. »
En 1675, Antoni van Leeuwenhoek, grâce à l'amélioration qu'il apporte à un microscope, met en évidence des êtres de taille si petite que les chercheurs n'avaient pas, jusque-là, pu les visualiser. Ces micro-organismes sont identifiés comme responsables de maladies contagieuses. Trois siècles plus tard, les progrès en matière de séquençage de l'ADN ont permis de montrer la grande diversité des bactéries présentes dans notre microbiote intestinal.
Depuis, la recherche a mis en avant, au-delà de l'aspect pathogène des micro-organismes, les effets positifs de leur présence. Leur participation à la digestion, leur rôle dans la fabrication de vitamines, leur rôle protecteur limitant l'implantation de pathogènes plus virulents, l'éducation de notre immunité sont autant de fonctions nécessaires à notre santé.
Selon Gérard Eberl (Responsable de structure à l'Institut Pasteur), nous avons longtemps vécu en pensant que le système immunitaire était destiné à éliminer des ennemis. Aujourd'hui, la recherche fait évoluer notre pensée et l'immunité apparaît comme un dispositif qui régit l'équilibre des microbiotes et de l'organisme. Ainsi, grâce à notre immunité, microbiotes et organisme vivent en harmonie, et c'est justement une dysbiose ou dysharmonie de ces microbiotes (on étudie ici le microbiote oral) qui serait liée à des pathologies générales, avec une relation bidirectionnelle entre maladie parodontale et maladie auto-immune (polyarthrite rhumatoïde), mais aussi avec des maladies cardio-vasculaires.