Article
Philippe BOGHANIM 3 4 / Louis Philippe GAYRARD 3 4 / Matthieu MINTY 2 3 4 / Julien MAZIERES 1 / Vincent BLASCO-BAQUE 2 3 4
1- Service de pneumologie, Hôpital Larrey, université Paul-Sabatier, CHU Toulouse, France2- INSERM U1048, F-31432 Toulouse, France ; Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires (I2MC), Toulouse, France3- Université Paul-Sabatier III (UPS), Toulouse, France4- Service d'odontologie, CHU Toulouse, France
Résumé
Ces dernières années, le rôle du chirurgien-dentiste a évolué radicalement vers une médecine odontologique globale du patient. Dans cette revue, nous traiterons de son rôle dans la prise en charge des maladies générales comme le diabète, et de leurs complications orales. Nous présenterons les recommandations de l'AFFSAPS sur les actes de parodontologie et l'utilisation des antibiotiques. En particulier, nous verrons l'interrelation des pathologies générales avec la maladie parodontale, et plus précisément avec le microbiote oral. Les détails de ces relations sont décrits dans l'article de la même revue intitulé « Relations intimes entre microbiote oral et santé générale de la recherche à la clinique ». Nous traiterons ici de la spécificité de la prise en charge des patients atteints de diabète, de polyarthrite rhumatoïde et des pathologies cardiovasculaires. Les changements du microbiote oral/buccal sont impliqués dans plusieurs pathologies systémiques et induisent une particularité de notre métier vis à vis de ces pathologies. Premièrement, des analyses de la composition du microbiote oral permettent d'apprécier la gravité et l'état d'évolution des pathologies systémiques. Deuxièmement, on voit aisément comment l'implication du chirurgien-dentiste dans l'hygiène buccale d'un patient peut influencer sa santé générale.
Nous proposons donc de donner quelques conseils pratiques sur le travail actuel du chirurgien-dentiste dans l'évaluation, le soin et le conseil des patients. Nous mettrons en avant le traitement des maladies parodontales, ainsi que le rôle de la vitamine D en odontologie. Ainsi, nous verrons que le chirurgien-dentiste est devenu un acteur principal dans la prise en charge globale, et que son rôle est de plus en plus médical, au-delà de la cavité buccale.
In the last decade, the role of the dentist have radically evolved towards a global dentistry of the patient. In this review, we will discuss its role in the management of general diseases such as diabetes and their oral complications. We will present the recommendations of AFFSAPS, on the acts of periodontology and the use of antibiotics. In particular, we will see the interrelation of general pathologies with periodontal disease, and more particularly with the oral microbiota. The details of these relationships are described in the article of the same journal entitled ``Intimate Relationships Between Oral Microbiota and General Health of Research at the Clinic''. We will deal here with the specificity of the management of patients with diabetes, rheumatoid arthritis and cardiovascular pathologies. Changes in the oral microbiota are involved in several systemic pathologies and induce a specificity of our profession to your of these pathologies. Firstly, analyzes of the composition of the oral microbiota make it possible to assess the severity and state of evolution of systemic pathologies. Secondly, it is easy to see how the involvement of the dentist in a patient's oral hygiene can influence his general health.
We therefore propose to give some practical advice on the current work of the dentist in the evaluation, care and counseling of patients. We will highlight the treatment of periodontal diseases and the role of vitamin D in dentistry. Thus, we will see that the dentist has become a major player in the overall care and that its role is more and more medical beyond the oral cavity.
Nous l'avons montré, les corrélations établies entre la santé générale et le microbiote buccal sont aujourd'hui de plus en plus identifiées (Monsarrat et al., 2016). L'interrelation de pathologies systémiques et de la dysbiose buccale est maintenant admise. Par conséquent, le chirurgien-dentiste a sa place au cœur de la prise en charge médicale du patient, de par les soins buccaux qu'il prodigue, les conséquences positives sur la santé générale, et enfin de par le dépistage de pathologies à l'occasion de la consultation.
La dysbiose buccale, évidemment, évolue vers la perte d'attache parodontale et probablement vers la perte des dents. Les conséquences sur la santé générale, moins souvent mises en avant, sont peut-être plus délétères. L'utilisation quotidienne du microscope à contraste de phase dans la prise en charge parodontale montre que le seul examen clinique ne suffit pas à l'identification de la dysbiose ou de l'eubiose. Parfois, la prise en charge parodontale associée à l'amélioration du contrôle de plaque peut donner l'illusion d'une stabilisation.
En réalité, l'examen clinique seul, basé sur l'absence d'inflammation et la fermeture des poches, peut masquer en réalité une dysbiose légère qui sera le lit de la résilience de la flore pathogène et donc entraînera la rechute.
– Lors du recueil des informations médicales, par l'évaluation de l'état de santé générale du patient. Les facteurs de risque doivent être abordés, dont ceux liés à la grossesse (et le risque d'accouchements prématurés lors de dysbiose buccale (Vergnes et Sixou, 2007)), et enfin le contexte médical familial ;
– par le risque d'une contamination générale liée au microbiote buccal ;
– par l'aspect bidirectionnel de pathologie générale et dentaire.
Nous aborderons le rôle du chirurgien-dentiste à travers plusieurs thèmes : le diabète, les risques cardiovasculaires et le rôle de la vitamine D, et enfin le diagnostic précoce d'une dysbiose buccale, l'utilisation de probiotiques et l'antibiothérapie.
Selon l'Organisation mondiale de la santé, le nombre de personnes atteintes de diabète est passé de 108 millions en 1980 à 422 millions en 2014. La susceptibilité à la parodontite est environ trois fois plus élevée chez les personnes atteintes de diabète. La relation bidirectionnelle entre le diabète et la parodontite est maintenant prouvée : le diabète augmente le risque de parodontite, et l'inflammation parodontale affecte négativement le contrôle glycémique (Baishideng, 2015).
Preshaw et al. confirment qu'une relation « à double sens » a été établie entre la parodontite et le diabète sucré. La gestion mutuelle des deux conditions est nécessaire. La thérapie parodontale peut contribuer au contrôle glycémique (Gurav, 2016). En effet, de nombreuses études indiquent que le traitement parodontal diminue le taux d'hémoglobine glyquée de 0,3 à 0,7 %. L'absence de réponse au traitement de la parodontite peut évoquer un diabète non équilibré, c'est-à-dire une HbA1c > 7 %. Les patients diabétiques non équilibrés deviennent des patients à risque vis-à-vis des infections et doivent bénéficier d'antibiothérapie pour des gestes invasifs.
De ce fait, la valeur de l'hémoglobine glyquée est une indication essentielle pour la prise en charge par le chirurgien-dentiste. Elle doit se situer en dessous de 7 %, ce qui indique que l'ensemble des glycémies, sur les trois derniers mois, est en moyenne de 1,54 g/l pour les patients équilibrés. L'apparition de la maladie parodontale peut être un des premiers signes cliniques de développement du diabète. Au cours de l'anamnèse, le rôle du chirurgien-dentiste sera donc d'identifier les patients malades ou à risque. D'après la Fédération française des diabétiques, un délai de 5 à 10 ans s'écoule entre les premières hyperglycémies et le diagnostic. Le chirurgien-dentiste aura donc un rôle de dépistage lors de la collecte des informations médicales, et une attention particulière sera portée aux facteurs de risque suivants :
Pour le diabète de type 1 : sujet jeune ; soif intense ; urine abondante ; amaigrissement.
Pour le diabète de type 2 : patients de ≥ 40 ans ; hérédité ; surpoids, sédentarité.
Une des portes d'entrée bactérienne dans l'organisme est le parodonte inflammatoire. La raison de l'inflammation du parodonte est un déséquilibre du microbiote buccal en faveur des bactéries Gram-négatives. Un parodonte enflammé est une plaie d'une surface de 200 cm2. Le parodonte, et en particulier l'espace biologique, constituent, lorsqu'ils sont sains, une barrière étanche entre le milieu extérieur et le milieu intérieur.
Le chirurgien-dentiste est concerné par les précautions liées aux soins dentaires et à la contamination possible par le microbiote buccal pendant les soins ; l'endocardite en fait partie. On dénombre 1500 cas d'endocardite par an en France, avec 20 % de mortalité, et c'est une pathologie dont les protocoles de prévention sont connus. La pénétration endovasculaire du microbiote buccal, à l'occasion de gestes simples (détartrage) ou plus invasifs (chirurgie) chez un patient à risque, peut infecter une ou plusieurs valves cardiaques.
Les patients sont généralement identifiés lors de la première consultation et sont déjà pris en charge par un cardiologue. Ils doivent être détenteurs d'un carnet de suivi qui indique la chronologie de leurs soins. On doit y faire figurer les soins réalisés et informer le patient qu'en cas de fièvre ou de symptômes dans le mois suivant le geste dentaire, il doit consulter son cardiologue. Les actes invasifs doivent être précédés d'une antibioprophylaxie, comme indiqué dans le tableau 1.
Les patients à risque sont catégorisés en groupes à risque élevé (prothèse valvulaire, vardiopathie congénitale cyanogène, matériel prothétique implanté chirurgicalement ou par voie percutanée, antécédent d'endocardite infectieuse) ou à risque moins élevé (valvulopathie, rétrécissement aortique, prolapsus de la valve mitrale, bicuspidie aortique, cardiopathie congénitale non cyanogène, cardiomyopathie hypertrophique obstructive). La classification des patients selon leur risque cardiaque entraîne une prise en charge spécifique selon le tableau AFSSAPS (tableau 2).
Chez les patients à risque, un enseignement rigoureux des techniques de contrôle de plaque est nécessaire (brossettes interdentaires, brossage précis des dents et des gencives). L'usage de pâte de Keyes, trois fois par semaine, et de poudre de Torrens, quotidiennement, est conseillé (6 doses de bicarbonate et 1 dose de sel de cuisine). Ces patients doivent être soignés lors d'actes groupés. Les séances de soins doivent être espacées de 10 jours.
D'après l'OMS, en 2008, 7,3 millions de personnes sont mortes prématurément à la suite d'une cardiopathie ischémique et 6,2 millions des suites d'un AVC. L'athérosclérose est une maladie inflammatoire chronique contribuant à la formation d'une plaque d'athérome dans les vaisseaux. De la formation à la rupture de la plaque d'athérome, des marqueurs de l'inflammation sont présents sur la lésion. La protéine CRP est un des marqueurs de l'inflammation et un marqueur établi du risque cardiovasculaire et d'AVC, à pondérer avec d'autres examens (Danesh et al., 2004).
La parodontite peut augmenter le taux de CRP et donc modifier le caractère prédictif du dosage. Une méta-analyse de 22 études prospectives a montré qu'une élévation de la CRP au-delà de 2 mg/l était associée à un risque d'événements cardiovasculaires multiplié par 1,58 (Amar et al., 2005).
Ces lésions réversibles de l'intima, générées par les plaques d'athérosclérose, s'accompagnent de réactions inflammatoires in situ.
Les bactéries pathogènes circulantes vont avoir plusieurs niveaux d'actions :
– action directe des bactéries circulantes qui colonisent les sites vasculaires atteints (Reyes et al., 2013) ;
– action indirecte, au travers de protéases bactériennes, avec effet à distance de l'inflammation parodontale ;
– dans les cas de parodontite, on observe une élévation de l'inflammation systémique, objectivée par les marqueurs de l'inflammation (CRP, VS). Comme toutes les maladies inflammatoires chroniques, elle accroît la sévérité de l'inflammation systémique, qui aggrave la lésion vasculaire et s'oppose à la cicatrisation de celle-ci.
Les patients qui ont un terrain cardio-vasculaire sont sujets aux parodontites, et inversement. Tonetti et al. ont montré en 2013 (Tonetti et al., 2013) l'augmentation du risque de présenter une hypertension artérielle (HTA), un problème coronarien ou de l'athérosclérose en cas de parodontite. La bactérie Porphyromonas gingivalis, présente dans les poches parodontales, augmente les risques de cardiopathie et d'AVC. Les maladies cardio-vasculaires et notamment l'athérosclérose sont donc concernées par la dysbiose buccale.
Le rôle du chirurgien-dentiste sera d'identifier les patients malades ou à facteurs de risque.
Dans les informations médicales, une attention particulière sera portée aux facteurs de risque tels que l'âge (+ de 40 ans), associé ou non à une hypercholestérolémie, au diabète et à des antécédents familiaux cardiovasculaires, autant de critères qui sont des signaux d'alerte, sans oublier le tabagisme.
De plus, si le patient présente des douleurs à la poitrine, des migraines, des douleurs aux mollets à l'effort (athérosclérose), des douleurs abdominales (anévrisme de l'aorte abdominale), une dyspnée ou une lipothymie (pathologie valvulaire aortique), le chirurgien-dentiste orientera dans le doute le patient vers une consultation cardiologique.
La vitamine D est identifiée depuis plusieurs années comme étant un acteur majeur dans le domaine odontologique. En premier lieu, nous savons qu'elle est engagée dans le métabolisme osseux et la réparation cellulaire (Choukroun et al., 2014), notamment en implantologie avec la nécessité d'une cicatrisation et d'un remodelage osseux performants. En second lieu, l'interrelation entre cette prohormone stéroïdienne et la santé générale est maintenant établie.
Les deux formes de la vitamine D sont la vitamine D3 (cholécalciférol), d'origine animale, et la vitamine D2 (ergocalciférol), regroupées sous le nom de calciférol. De nombreuses études apportent les preuves du rôle cardio-protecteur de la vitamine D. Des études observationnelles montrent une association entre une carence en vitamine D et un diabète de type 2 (Courbebaisse et Cormier, 2014). Une étude récente montre un lien intéressant entre microbiote intestinal et vitamine D. Des pathogènes intracellulaires pourraient diminuer les défenses immunitaires en perturbant le récepteur nucléaire de la vitamine D (VDR), ce dysfonctionnement faisant le lit d'autres pathogènes. Ainsi, des maladies auto-immunes considérées comme héréditaires seraient davantage liées à la dysbiose du microbiote et à son caractère familial. Un mimétisme moléculaire, entre hôte et agent pathogène, entraînerait un dysfonctionnement lié à des interactions avec les protéines d'origine humaine. Des anticorps pourraient être générés, provoquant une pathologie dite auto-immune (Kuo et al., 2015). Il apparaît donc judicieux selon le GRIO de diagnostiquer les carences en vitamine D (tableau 3).
Le dosage de la vitamine D est parfois indiqué et doit être prescrit en l'absence de suppléance hivernale dans des zones géographiques situées entre les deux 40e parallèles nord et sud. La totalité de la France est concernée, le 40e parallèle nord traversant l'Europe en passant à l'ouest par le Portugal. Une étude française tirée de la cohorte Suvimax a montré que les deux tiers des femmes d'âge moyen avaient un taux inférieur à 30 ng/mL, et que 14 % des sujets présentaient un taux inférieur ou égal à 30 nmol/L (12 ng/mL), ce qui représente la limite inférieure.
– Tous les patients de plus de 65 ans qui ne sont pas suppléés ;
– les patients présentant des maladies métaboliques ou chroniques, et qui présentent une parodontite, associée ou non à une maladie métabolique ;
– les patients en échec biologique aux traitements odontologiques ;
– les patients sur lesquels on doit réaliser un traitement qui implique la cicatrisation osseuse (chirurgie implantaire, chirurgie avancée) (Benham et al., 2011).
Demander le dosage de 25-(OH)-vitamine D dans le sérum/plasma (bien stipuler « NR », le dosage est à la charge du patient depuis septembre 2014, et son coût aujourd'hui en France est d'environ 15 €).
En cas de problème rénal, hépatique ou thyroïdien, adresser le patient au spécialiste concerné. Dans les autres cas, préférer la vitamine D3 (Uvédose) pour 3 prescriptions espacées pendant l'hiver.
20 à 50 % de la population française est atteinte de parodontite. D'après Per Gjermo, après 50 ans, la majorité de la population a été confrontée à la parodontite et 15 à 20 % des gens présentent une maladie sévère.
L'observation du parodonte, le sondage, l'examen radiologique, l'examen de la flore au microscope à contraste de phase et les sondes PCR sont les différents moyens dont on dispose pour apprécier la santé parodontale et l'équilibre du microbiote buccal appelé « eubiose ».
L'importance de l'atteinte parodontale est évaluée par ces examens cliniques et paracliniques. Le premier signe clinique est l'inflammation des papilles, qui est confirmée par l'examen au microscope à contraste de phase (MCP) au travers d'une mobilité bactérienne. Le MCP est un moyen efficace et direct, utilisable au moment même de la consultation. Le chirurgien-dentiste peut observer des bactéries planctoniques ou sessiles prélevées à la sonde parodontale dans les poches ou dans le sillon gingival. Il est à noter que cet examen ne révèle qu'une partie de la flore présente, l'état frais (sans préparation) de la plaque bactérienne. C'est un outil de diagnostic et de suivi du traitement mais il est aussi pédagogique pour le patient. Il faut néanmoins prévenir le patient de ce qu'il va voir. La présence d'une flore Gram-négative peut être impressionnante par sa mobilité. En fin de traitement, sa disparition est très valorisante pour le patient, après l'apprentissage difficile et l'application des techniques de contrôle de plaque. Donc, en fonction de la nature de la contamination, on peut observer des bactéries et des parasites. La partie visible de la flore Gram-négative, spirochètes et bâtonnets mobiles (van Winkelhoff, 2003), est toujours visible en cas de contamination. La quantité de polynucléaires signe le degré de l'inflammation. Dans les phases plus avancées, on voit systématiquement des amibes, plus ou moins nombreuses, et parfois des trichomonas.
L'examen clinique à la sonde parodontale permettra d'envisager l'importance de la perte d'attache.
L'examen radiologique et la présence de septa corticalisés donne des indications sur l'importance de l'atteinte parodontale. En cas de gingivite, en présence d'une flore mobile, si les septa sont corticalisés, on peut tendre vers une contamination récente ou une bonne tolérance de l'hôte.
Exemple clinique : Une jeune patiente de 22 ans consulte pour compenser un problème d'agénésie multiple. Elle est ASA1. Elle porte des mainteneurs d'espace qui ont permis d'attendre la fin de la croissance et sa maturité parodontale pour bénéficier d'un traitement implantaire.
Lors de l'examen clinique, on note une légère inflammation des pointes des papilles et un contrôle de plaque insuffisant. À l'interrogatoire, la patiente indique une absence de saignement au brossage. En réalité, la patiente évite de brosser ses gencives pour ne pas les faire saigner (fig. 1).
Le sondage parodontal est normal.
L'examen radiologique panoramique de dépistage montre une absence de perte osseuse, et la présence de septa corticalisés renseigne sur la bonne santé de l'os alvéolaire (fig. 2).
L'examen de la flore au MCP nous renseigne sur la présence des bactéries Gram-, d'éventuels parasites, et de PNN qui renseignent sur la réponse inflammatoire (fig. 3 et 4).
Le contexte clinique et l'observation de l'état frais de la plaque sont très divergents. La flore observable n'a pas provoqué de perte osseuse. On sait par contre qu'elle est organisée et donc résiliente, et ne peut pas être traitée avec seulement quelques conseils techniques de brossage et un bain de bouche.
Il faut désorganiser le biofilm pour atteindre les bactéries pathogènes. La patiente devra suivre plusieurs séances d'enseignement de techniques d'hygiène, de manœuvre de désorganisation du biofilm et de contrôle au MCP pour valider l'eubiose.
Le traitement de la gingivite sera terminé quand l'équilibre de la flore sera maintenu.
La première partie du traitement consiste à délivrer au patient des informations concernant sa maladie : la contamination bactérienne, sa susceptibilité personnelle, la constitution du biofilm et l'importance de la désorganisation de celui-ci pour la réussite du traitement et le déroulement des phases du traitement. Le concept l'« empowerment » (autonomisation) permet au patient, auquel on a délivré les bonnes informations, de devenir acteur de son traitement. L'observance du traitement en est ainsi augmentée (Aujoulat et al., 2007).
La flore bactérienne buccale organisée est résiliente. Pour atteindre les bactéries pathogènes, il faut désorganiser le biofilm, et le travail domestique du patient est essentiel dans la réussite du traitement. Son engagement est décisif.
Différentes techniques sont à notre disposition :
– l'enseignement des techniques de contrôle de plaque de manière répétée, lors de séances multiples d'éducation, où le praticien et son équipe réalisent des démonstrations reproduites par le patient ;
– l'utilisation d'aéropoliseur ;
– les surfaçages ultrasoniques.
Ainsi, les bactéries seront exposées aux thérapeutiques physico-chimiques (poudre de Torrens, eau oxygénée). La prescription d'antibiotiques est faite une fois l'acquisition d'un contrôle de plaque performant. L'antibiothérapie en présence d'une flore résiliente et sans désorganisation est sinon vouée à la rechute. « Le microbiote peut se reconstituer dans les jours qui suivent la fin d'un traitement antibiotique. », comme l'expliquent Fond et al. (2016).
– élimination du tartre sous-gingival une fois la phase inflammatoire résolue. En effet, l'attache épithélio-conjonctive restaurée permet l'instrumentation de la poche ou du sillon gingivo-dentaire. Dans le cas d'une d'inflammation persistante, le surfaçage favorise d'une part une perte d'attache supplémentaire, et d'autre part la percolation bactérienne, donc une bactériémie ;
– la pratique de chirurgie parodontale ou mucco-gingivale le cas échéant (tableau 4).
La flore buccale est transmissible entre parents et enfants (Asikainen et Chen, 1999) ou entre adultes (Bouchard et al., 2017). Le partage de petite cuillère, de bouteille d'eau, de sandwichs, l'eau du robinet dans certains pays émergeants, les échanges de fluides buccaux sont des sources de contamination. Les patients contaminés devront être informés à la fois de :
– leur susceptibilité ;
– de la possible contagion de leur environnement proche ;
– des sources de re-contamination.
Le développement des parodontites est donc associé à la présence de bactéries Gram-négatives et à la maturation de la plaque bactérienne, cibles des probiotiques.
Kõll et al. (2008) ont montré que les souches de L. plantarum, de Lactobacillus paracasei, de Lactobacillus salivarius et de Lactobacillus rhamnosus exprimaient à la fois une activité antimicrobienne élevée contre les Gram-négatives et une tolérance élevée au stress environnemental. L'article montre des résultats favorables à l'utilisation des lactobacilles oraux et préconise leur utilisation en tant que probiotiques pour la santé bucco-dentaire et le traitement des parodontites.
Hedberg et Asikainen (2006) ont quant à eux montré dans une étude in vitro que les deux souches de Lactobacillus reuteri ont fortement inhibé ou supprimé la croissance des bactéries associées à la parodontite. L'activité inhibitrice de L. Reuteri PTA 5289 était systématiquement supérieure à celle de L. Reuteri ATCC 55730. Les résultats suggèrent que l'activité d'inhibition des lactobacilles testés était liée à la reutérine.
La prescription du probiotique (Lactobacillus reutéri Prodentis®, PérioBalance® de Gum) pourrait être une indication dans la prise en charge des parodontites.
Aux États-Unis, l'antibiorésistance est classée au 10e rang des priorités de santé publique.
D'après Le CDC (Centers for Disease Control and Prevention), l'antibiothérapie chez l'enfant est erronée, mal adaptée ou injustifiée dans 70 à 80 % des cas. La même étude faite en Suède révèle un chiffre de 60 %.
L'Afssaps donne des recommandations quant à la prescription d'antibiotiques en parodontologie. Elle réserve l'antibiothérapie aux cas suivants, pour les patients de la population générale :
– parodontite agressive localisée ou généralisée ;
– situations d'échec au traitement ;
– maladie parodontale nécrosante,
À mettre en perspective avec un diabète non diagnostiqué.
En médecine bucco-dentaire, les antibiotiques sont réservés à des situations peu fréquentes. L'utilisation d'antibiotique ne peut ni pallier l'insuffisance d'hygiène orale, ni se substituer aux règles universelles d'hygiène et d'asepsie inhérentes à toute pratique de soins.
La prise d'antibiotique dans le cadre d'une cure de plusieurs jours perturbe la flore intestinale, qui ne peut plus jouer son rôle dans l'équilibre du microbiote (Quévrain et Seksik, 2013). La flore intestinale peut présenter une dysbiose, les places laissées libres par les bactéries éliminées par l'antibiothérapie étant prises par des bactéries pathogènes.
Clostridium difficile est impliqué dans environ 10 % des diarrhées liées à la prise de métronidazole. C'est l'antibiotique de choix largement prescrit dans le traitement de la parodontite, du fait de son activité sur la flore anaérobie.
Le chirurgien-dentiste peut envisager la prescription de probiotiques destinés à protéger la flore digestive et à améliorer la résilience de la flore saprophyte lors des traitements d'antibiotiques. Il a été montré que la prise 2 fois/jour de L. casei, L. bulgaricus et S. thermophilus peut prévenir la diarrhée liée à l'antibiothérapie, et notamment celle causée par le Clostridium difficile. À noter que le traitement de probiotique doit se prolonger 7 jours après la fin de la cure antibiotique (D'Souza et al., 2002).
Le rôle du chirurgien-dentiste va plus loin que les soins odontologiques. La santé parodontale va au-delà de l'aspect clinique du parodonte, ou de l'absence de poche ou de leur fermeture. L'identification objective de l'eubiose au moyen du MCP ou des sondes PCR est probablement une avancée notable dans la résolution des différentes pathologies parodontales et dans l'engagement de la santé buccale dans la santé générale.
Ainsi, en eubiose, les bactéries sont nos alliées. Les comportements individuels, ou même du point de vue de santé publique, doivent en tenir compte. L'alimentation doit respecter cet équilibre. En médecine, l'antibiothérapie doit être justifiée et les probiotiques privilégiés afin de respecter ceux qui nous protègent.