Article
Serge ARMAND1 / Antoine SANCIER2 / Thierry ROUACH3 / Jérôme BOUZATS4
1- PU-PH, responsable D.U Implantologie, faculté d'odontologie de Toulouse2- Ancien interne des Hôpitaux de Toulouse
Exercice privé limité à la parodontie et l'implantologie, Toulouse3- Exercice privé limité à la parodontie et l'implantologie, Paris
Président du PEERS France4- Exercice privé limité à la parodontie et l'implantologie, Biarritz
Résumé
Le système d'attache gingivale autour d'une dent, comme l'adhérence muqueuse autour d'un implant, a pour fonction d'assurer un espace transitionnel entre une zone aseptique intra-osseuse et septique intrabuccale. Malgré de nombreux points communs, ces deux systèmes de jonction présentent de nombreuses différences liées à leur origine constitutionnelle et à la répartition spécifique de leurs constituants histologiques. Si cette structure tissulaire supracrestale, dénommée précédemment « espace biologique », s'établit autour de la dent au cours de son éruption, l'espace biologique péri-implantaire s'établit par un processus cicatriciel. Il est donc fondamental pour le clinicien de comprendre la genèse des tissus autour des implants. La connaissance des processus cicatriciels guide non seulement son geste chirurgical, mais aussi les protocoles prothétiques et la maintenance, qui ont une influence majeure sur la stabilité de l'espace biologique péri-implantaire.
The gingival attachment system around a tooth, or mucosal junction around an implant, has the function of ensuring a transitional space between an aseptic intraosseous and septic intraoral area. Despite many similarities, these two junction systems have many differences related to their constitutional origin and the specific distribution of their histological constituents. If this supracrestal tissue structure, classically named biological width, is established during the teeth eruption, the peri-implant biological width is established by a healing process. It is therefore fundamental for the clinician to understand the knowledge of the cicatricial processes of the peri-implant tissues should guide his surgical procedure but also the prosthetic and maintenance protocols that can influence more or less negatively the stability of this peri-implant biological space.
L'espace biologique peut être assimilé à une zone de transition tissulaire séparant le sommet de la crête osseuse du fond du sulcus, destinée à assurer l'herméticité des structures anatomiques sous-gingivales vis-à-vis du milieu buccal (Berglundh et al., 1991). Cette structure tissulaire supracrestale est formée de deux tissus, un tissu conjonctif et un tissu épithélial. Cet espace qui fut dans un premier temps étudié et décrit autour de la dent naturelle à partir d'observations topographiques en deux dimensions (2D) (Sicher, 1959 ; Gargiulo, 1961) est en fait à considérer dans ses trois dimensions si l'on veut en comprendre parfaitement l'organisation physiologique et structurelle.
Sur dent naturelle, l'espace biologique est constitutif, c'est-à-dire qu'il se forme au cours de l'éruption de la dent. Par contre, autour de l'implant, cette zone de transition serait le résultat d'un processus de cicatrisation des tissus mous au-dessus de la crête osseuse (Berglundh et al., 2007 ; Tomasi et al., 2014). Une différence d'organisation histologique par rapport à l'espace biologique dentaire apparaîtrait, avec davantage de collagène (85 % contre 60 %), moins de fibroblastes (3 % contre 15 %), et moins d'unités vasculaires (3 % contre 5 %).
Cette différence originelle essentielle explique l'évolution des protocoles utilisés en implantologie dans le but d'orienter la formation durable de cet espace et d'assurer ainsi la stabilité tissulaire autour des implants.
Sur dent comme sur implant, la répartition tridimensionelle et la nature des tissus environnants (muqueuse bordante, muqueuse masticatoire, présence de bride ou frein) influent sur la pérennité de l'espace biologique (Lindhe et Lang, 2015).
Sicher (1959) fut le premier à en étudier la morphologie : il observe deux tissus (épithélium et tissu conjonctif) réalisant l'attache supra-osseuse de la dent.
Gargiulo et al. (1961) mesurent sur un cadavre l'espace biologique sur dents naturelles. La mesure de cette attache épithélio-conjonctive est en moyenne de 2,04 mm avec 0,97 mm d'épithelium jonctionnel et 1,07 mm d'attache conjonctive.
Vacek et al. (1994) confirment et précisent les valeurs des différents éléments constituant l'espace biologique :
– profondeur du sulcus = 1,34 +/– 0,84 mm ;
– longueur de l'attache épithéliale = 1,14 +/– 0,49 mm ;
– longueur de l'attache conjonctive = 0,77 +/– 0,32 mm.
Seules l'attache épithéliale et l'attache conjonctive font partie de l'espace biologique, il est incompressible et mesure donc environ 2 mm.
L'espace biologique a pour fonction d'isoler l'os alvéolaire du milieu buccal et de le protéger de toute effraction par des facteurs biologiques ou mécaniques susceptibles d'entraîner une destruction du système de jonction péridentaire ou péri-implantaire.
Malgré de nombreuses ressemblances avec les tissus parodontaux, les tissus péri-implantaires formant l'espace biologique se différencient en certains points (Lindhe et Berglundh, 1998).
Sur dent naturelle, l'espace biologique s'évalue dans un plan vertical ; il s'appréhende en mesurant la distance entre la crête osseuse et le fond du sulcus. L'espace biologique implantaire, quant à lui, doit s'apprécier de façon tridimensionnelle.
D'un point de vue clinique, il a été montré dans des études animales (Ericsson et Lindhe, 1993 ; Gray et al., 2005) que le sondage (pression de 0,5 N) est en moyenne 0,7 mm plus profond au niveau du sulcus péri- implantaire. La pointe de la sonde dépasserait apicalement la jonction épithéliale en direction de la crête osseuse, cela expliquant l'augmentation de la profondeur de sondage. Des études menées chez l'homme confirment également ces résultats (Quyrinen et al., 1991 ; Mombelli et al., 1997), et évoquent l'hypothèse que la finesse de l'attache épithéliale apicale, constituée seulement de quelques cellules, serait à l'origine d'une fragilité constitutionnelle. Cette faible résistance tissulaire offrirait une moindre résistance à la pression de sondage et laisserait passer la sonde dans la zone d'adhérence conjonctive sous-jacente (tableau 1).
La différence entre les études de Weber et al. (1996) et d'Abrahamsson et al. (1999), au-delà du fait d'utiliser une technique en 1 ou 2 temps chirurgicaux, réside essentiellement sur le type d'implant choisi (implant non enfoui en une seule pièce, dit « tissue level » avec interface transmuqueuse et endo-osseuse contiguë, ou implant enfoui dit « bone level » avec interface transmuqueuse et endo-osseuse non contiguë)
Le système d'attache épithéliale péri-implantaire est très proche de celui décrit pour l'attache épithéliale de la dent. Il est formé d'une couche de cellules non kératinisées, s'amincissant au fur à mesure qu'elle s'apicalise (Bauman et al., 1993). Ces cellules ont la capacité d'adhérer aux biomatériaux inertes tels que le titane ou les céramiques polycristallines (comme l'oxyde de zirconium), par l'intermédiaire d'hémidesmosomes et d'une lame basale (Stelfik et al., 1993 ; Kahawara et al., 1998 ; Schupbach et Glauser, 2007). Cependant, il existe une étude contradictoire réalisée par Shioya et al. (2009), stipulant que l'organisation tissulaire de l'adhérence ne présente ni lame basale ni hémidesmosome, mais une rangée de cellules fibroblastiques alignées le long de la surface en titane entourée de fibres de collagène parallèles à la surface de l'implant. La nature et le comportement de l'adhérence épithéliale sur la partie transgingivale sont considérés aujourd'hui comme un des points-clés pour la compréhension et le maintien de l'intégration des reconstructions implantaires. Ces éléments ouvrent donc la voie à de nouvelles recherches, notamment sur la rugosité des matériaux ainsi que leur énergie libre de surface (Rigolin et al., 2017), qui permettraient une fixation directe de la cellule sur le matériau (Directly Attached Cell). Ces données restent encore mal connues même si des études corroborent le fait que l'augmentation de la mouillabilité (plus grande énergie de surface du matériau) influence positivement l'adhérence des fibroblastes et leur prolifération (Bacakova et al., 2011).
Moon et al. (1999), dans une analyse histomorphométrique, examinent la composition du tissu conjonctif péri-implantaire et décomposent cette attache conjonctive en :
– 80,61 % de fibres collagèniques ;
– 12,98 % de fibroblastes ;
– 3,42 % de vaisseaux sanguins ;
– 3 % de tissus résiduels.
Une des principales différences entre les attaches conjonctives péri-dentaire et péri-implantaire se situe dans la présence des fibres et leurs situations géographiques tridimensionnelles. Sur une dent, les fibres de collagène dento-gingivales, appelées « fibres de Sharpey », sont insérées dans le cément et l'os ; ces fibres sont à la fois dento-gingivales, circulaires, transeptales et semi-circulaires, et garantissent une certaine stabilité des tissus vis-à-vis des contraintes fonctionnelles en servant de barrière à la migration épithéliale et en s'opposant à la pénétration bactérienne intratissulaire. L'implant ne possédant ni desmodonte ni cément, l'orientation des fibres se fait de façon parallèle et circulaire par rapport à l'axe de la partie transgingivale implantaire, ce qui diminue considérablement le soutien des tissus mous qui l'entourent (Chavrier et al., 1994). La résistance mécanique s'en trouve donc amoindrie. Cependant, certaines études (Glauser et al., 2005 ; Nevins et al., 2008), même si elles confirment ces résultats, mettent en évidence qu'il peut exister certaines fibres orientées plus fonctionnellement et plus ou moins perpendiculaires à la surface, à la condition que les piliers aient été préalablement modifiés par traitement à l'oxyde de titane ou au laser.
Dans un contexte sain, il apparaîtrait donc un contact direct entre les fibres conjonctives et le matériau de surface implantaire (Buser et al., 1992). Cependant, si on considère que, sur une racine dentaire, le tissu conjonctif n'est jamais en contact direct avec la racine dentaire mais via le desmodonte (ou un épithelium long de jonction), il est possible, dans certaines situations pathologiques péri-implantaires, qu'il n'y ait plus de contact direct entre le conjonctif et la surface transgingivale implantaire, mais une simple interposition d'une très mince couche de cellules épithéliales par phénomène d'apicalisation de l'attache. Ainsi, le tissu conjonctif présent au contact du matériau au cours des premières semaines de cicatrisation en serait éloigné par une interposition épithéliale dans certaines conditions. Nous verrons plus loin que le vissage et dévissage répété des suprastructures aboutit à terme à une absence de saignement lors de leurs déposes successives, corroborant le fait que seul l'épithélium est alors en contact avec la pièce transgingivale par phénomène d'apicalisation. On peut parler d'une apicalisation traumatique du système de jonction, mais ce phénomène d'apicalisation peut également exister dans un contexte inflammatoire et/ou infectieux.
Contrairement à la dent qui présente un réseau anastomotique riche (plexus vasculaire ligamentaire et périosté), l'absence de desmodonte autour d'un implant limite la vascularisation aux vaisseaux périostés et corticaux. Selon Berglundh (1994), le réseau vasculaire est faible à proximité de l'implant et plus dense sur les parois latérales à proximité du périoste. On retrouve de fines boucles capillaires dans la muqueuse péri-implantaire correspondant à des branches terminales des vaisseaux suprapériostés. Dans leur étude, Moon et al. (1999) distinguent deux zones différenciables histologiquement :
– une zone conjonctive en contact direct avec la surface du matériau, ou « inner zone », d'une épaisseur de 40 microns environ. Cette zone se caractérise par une absence totale de vaisseaux et une abondance de fibroblastes entre de minces fibres de collagène ;
– une seconde zone plus profonde, latéralement et à distance de la surface du matériau, ou « outer zone », contenant proportionnellement moins de fibroblastes mais davantage de fibres épaisses de collagène et davantage de capillaires.
L'espace biologique péri-implantaire a été étudié sur le chien beagle au début des années 1990 par les équipes suédoises. De nombreuses similitudes sont observées entre les tissus mous parodontaux et péri-implantaires ; cependant, on peut relever certaines différences anatomiques et histologiques.
Tout d'abord, l'épithélium jonctionnel autour des implants est issu de la cicatrisation de l'épithélium buccal, tandis que l'épithélium jonctionnel autour des dents provient de l'épithélium réduit de l'émail (Schroeder et Listgarten, 1971). Cependant, même si les structures semblent morphologiquement similaires quelques semaines après la mise en place de l'implant (Schroeder et al., 1981), il serait utopique de penser que cet espace biologique d'origine cicatricielle n'évolue pas dans le temps ; nous pensons devoir distinguer 3 phases dans cette évolution :
– sa création ;
– sa modification éventuelle lors de l'élaboration prothétique ;
– sa stabilité ou son instabilité lors des phases de maintenance.
Berglundh et al. (1991) ont montré que la muqueuse péri-implantaire forme une barrière tissulaire autour du système implantaire dans sa partie transmuqueuse. Cette partie transgingivale peut être constituée par le col implantaire (implant dit « tissue level » à interface transmuqueuse et endo-osseuse contiguë), ou par la vis de cicatrisation, ou encore par le pilier prothétique (implant dit « bone level » à interface transmuqueuse et endo-osseuse non contiguë). Cette barrière est censée assurer une fonction d'étanchéité dans les trois dimensions de l'espace, par adhérence de surface sur le matériau concerné.
Comme pour une dent, cette suprastructure tissulaire supracrestale s'étend du fond du sulcus au sommet de la crête osseuse et se compose d'un épithélium de jonction défini par la distance parodonte marginal/limite jonction épithéliale (Pm/Je), et d'une zone d'adhérence conjonctive définie par la distance jonction épithéliale/os péri-implantaire (Je/Oi) (fig. 1). La répartition au sein de l'espace biologique entre l'épithélium jonctionnel et la zone d'adhérence conjonctive de l'implant s'établit tout au long de la cicatrisation de la muqueuse autour de la partie transgingivale de l'implant (fig. 2 et 3).
Quelques années plus tard, Berglundh et Lindhe (1996) montrent que l'espace biologique implantaire s'établit sur une hauteur d'environ 3 mm selon une répartition en faveur de la hauteur épithéliale : 2 mm contre 1,3 mm de hauteur du tissu conjonctif. Ces valeurs moyennes sont retenues pour les reconstructions implanto-prothétiques émergentes au sein d'une muqueuse masticatoire kératinisée. En effet, l'émergence d'une restauration implanto-prothétique au sein d'une muqueuse bordante (non kératinisée) est à l'origine d'un remaniement tissulaire différent de cet espace cicatriciel, et donc d'une herméticité moins bonne, occasionnant davantage de rétention de plaque et de récessions tissulaires (Roccuzzo et al., 2016).
Par ailleurs, la résistance moindre de la zone d'adhérence conjonctive péri-implantaire représente un danger potentiel en termes de pronostic, puisqu'une rupture de cette interface implant/tissu peut se produire en raison d'un manque de stabilité des tissus mous péri-implantaires, induisant inexorablement une migration apicale de l'attache épithéliale qui s'accompagne dès lors d'une récession tissulaire suivie d'une résorption osseuse (fig. 4). Cela milite donc en faveur d'une épaisseur de gencive attachée kératinisée d'au moins 3 mm autour des implants, qu'elle soit native ou reconstruite, afin d'assurer une stabilité de la muqueuse autour de l'implant.
En 2007, Berglundh et al. étudient l'évolution de la cicatrisation autour d'implants en titane chez le chien sur des implants à interface transmuqueuse et endo-osseuse non contiguë (de type « bone level »).
Contrairement aux dents, dont le développement s'effectue en synergie avec le parodonte lors de l'éruption, les implants sont des racines artificielles ankylosées placées dans un environnement tissulaire préexistant. Selon Berglundh, le processus cicatriciel de quelques semaines organisant l'espace biologique se déroule chronologiquement comme suit :
J 0 = un coagulum occupe l'espace entre l'implant et la muqueuse ;
J 4 = infiltrat plasmo-lymphocytaire et réseau de fibrine dense autour de l'implant : adhérence primitive autour de la surface de l'implant ;
J 7 = disparition du réseau de fibrine dans la zone la plus apicale et maintien du réseau de fibrine en superficie. La zone apicale présente une densité de fibres de collagène et de fibroblastes ;
J 14 = adhérence de la muqueuse péri-implantaire à la surface implantaire via un tissu conjonctif. On peut observer les premiers signes de la prolifération de l'épithélium de jonction ;
J 30 = formation complète de l'épithélium de jonction avec apicalisation aux dépens du tissu conjonctif et au profit de l'épithélium de jonction ;
J 42 = maturation du tissu conjonctif avec densification du réseau de fibres ; faible population cellulaire, turn over faible, potentiel cicatriciel limité.
L'espace biologique s'accroît durant le processus. Il passe de 2,5 mm dans les premières semaines à 3,5 mm les semaines suivantes. L'attache épithéliale s'étend apicalement au cours de la cicatrisation et varie de 0,5 mm à 2,1 mm, au détriment du tissu conjonctif au terme de sa formation (fig. 5).
Une étude sur l'homme conduite par Tomasi et al. (2014) montre des résultats similaires avec un accroissement apical de l'attache épithéliale au détriment de la zone d'adhérence conjonctive sous-jacente, au cours du processus cicatriciel. Au terme de 12 semaines de cicatrisation, l'attache épitheliale se stabilise autour de 2 mm et la zone d'adhérence conjonctive autour de 1 mm.
Dans sa revue de littérature, Schwartz (2014) estime qu'il est difficile de conclure de manière définitive sur l'impact que peut avoir la position (crestale ou sous-crestale) de l'interface col implantaire/pilier sur la stabilité osseuse péri-implantaire et l'organisation structurelle de l'espace biologique. Les treize publications retenues présentent en effet des protocoles encore trop hétérogènes. Pour autant, la position juxta- ou supracrestal du col implantaire semble être privilégiée, à défaut de davantage de preuves scientifiques. Cela est remis en cause par une étude récente de Saleh et al. (2018), indiquant que la position sous-crestale des implants à interface transmuqueuse et endo-osseuse non contiguë (type « bone level ») était plus favorable biologiquement qu'un positionnement supracrestal. Les résultats de cette même étude indiquent que la surface rugueuse des implants à interface transmuqueuse et endo-osseuse contiguë (type « tissue level ») doit être positionnée en juxta-crestale.
On comprend désormais que l'organisation structurelle tridimensionnelle va évoluer au cours du processus cicatriciel initial post-chirurgical ; mais il est probable qu'elle évolue également au cours d'un processus cicatriciel secondaire, suite aux différentes phases de la réalisation prothétique (dépose de la vis de cicatrisation, vissage/dévissage du transfert d'empreinte, solidarisation de la prothèse...).
Les études de Rompen (2012) et d'Iglhaut et al. (2013) tendent à montrer que le facteur « vissages et dévissages répétés » des pièces prothétiques serait également à prendre en compte sur les implants de type « bone level » à interface transmuqueuse et endo-osseuse non contiguë. Ces manœuvres successives occasionneraient à chaque fois un néoprocessus cicatriciel en faveur d'un allongement de l'épithélium et au détriment de la préservation de la zone d'adhérence conjonctive.
Selon Becker et al. (2012), l'utilisation de connectique à interface pilier/col implantaire rétrécie (dite « platform-switching ») n'améliorerait pas la stabilité de cet espace au cours des processus d'élaboration prothétique. Il constate également une augmentation de la distance Pm/Je au cours des phases de vissage et dévissage répétées.
Ces modifications et altérations de l'espace biologique au cours du processus prothétique sont confirmées par une étude de Wheelis et al. (2018).
Au cours des phases de temporisation et de vissage/dévissage des piliers de cicatrisation, il existe des variations électrochimiques liées à l'oxydation dans le temps en fonction de l'alliage utilisé ; ces vis présentent en outre de nombreuses traces de débris biologiques. Ces deux paramètres sont susceptibles d'engendrer un nouveau processus cicatriciel au moment de la « remise » en place des vis ou des piliers. L'utilisation de pilier de cicatrisation en matériaux Peek permet d'éliminer le facteur d'altération électrochimique de surface mais pas la présence de débris épithéliaux lors des phases de vissage et dévissage.
Selon Hermann et al. (2001), il existerait une meilleure stabilité de la répartition dimensionnelle entre l'attache épithéliale et la zone d'adhérence conjonctive sous-jacente sur des implants dits « tissue level » (à interface transmuqueuse et endo-osseuse contiguë), comparativement à celle obtenue sur des implants dits « bone level » (à interface transmuqueuse et endo-osseuse non contiguë), que ce soit avec ou sans mise en charge prothétique. Même si la dimension de l'espace biologique reste comparable entre les deux types d'implants, les implants à interface transmuqueuse et endo-osseuse non contiguë (« bone level ») voient en effet cette répartition varier au profit de l'épithélium par rapport au tissu conjonctif. Ce phénomène est attribué à la présence d'un micro-espace de non-contiguïté (micro-gap) qui serait source de micromouvements entre l'implant et la pièce transgingivale, ainsi que d'une perte d'étanchéité dans le système d'adhérence des tissus mous péri-implantaire. Ces résultats semblent être confirmés par Todescan et al. (2002) qui établissent que plus l'implant est placé en profondeur dans l'os, plus l'attache épithéliale est longue.
En revanche, selon l'étude de Bakaeen et al. (2009), la mise en charge immédiate des implants à interface transmuqueuse et endo-osseuse contiguë (« tissue level ») n'influencerait ni la dimension ni la répartition topographique de l'espace biologique, qui reste comparable aux résultats obtenus par Hermann et al. (2001).
Au-delà de ces paramètres, essentiellement basés sur le processus cicatriciel à l'origine de la constitution de l'espace biologique, on constate que la santé des tissus péri-implantaires est directement liée à la stabilité de cet espace.
Certaines études (Broggini et al., 2003 ; Broggini et al., 2006) montrent que, dans les premières étapes de cicatrisation, un infiltrat inflammatoire plus important autour des implants à interface transmuqueuse et endo-osseuse non contiguë (type « bone level ») est retrouvé à la jonction implant/pilier implantaire, avec une accumulation importante de neutrophiles et monocytes. Ces mêmes cellules sont retrouvées en quantité significativement plus réduite autour des implants à interface transmuqueuse et endo-osseuse contiguë (type « tissue level »). Il est donc probable qu'à chaque nouveau processus cicatriciel engendré par les phases de connexion/déconnexion de pilier, un infiltrat inflammatoire se reconstitue autour de la zone cicatricielle et modifie défavorablement les conditions tissulaires locales. Ces résultats ont orienté les cliniciens vers la mise en place d'un pilier transmuqueux le jour de la pose de l'implant, qui ne sera plus mobilisé par la suite afin d'éviter de léser et de désorganiser la jonction muqueuse péri-implantaire au cours des phases prothétiques, la prothèse venant se fixer ensuite sur ce pilier transmuqueux et non plus au niveau de la connectique implantaire juxta-osseuse (Iglhaut et al., 2014). Une revue de littérature récente (Santos et al., 2018) montre des différences significatives en termes de remaniement tissulaire osseux et muqueux en faveur de ce protocole avec pilier transmuqueux par rapport aux protocoles standards.
Sur le secteur antérieur, les exigences esthétiques imposent l'aménagement des tissus mous pour définir le profil d'émergence prothétique. Cet aménagement nécessite une modification progressive des formes de contour de la prothèse provisoire et donc des déposes répétées. Le clinicien est donc partagé entre l'impératif de « non-dépose » et l'intérêt de modélisation des tissus mous. Dans les cas de péri-implantites, on assiste à une modification histologique de cet espace, avec également une migration apicale de l'épithélium du fait d'une rupture de l'adhésion de l'attache conjonctive sur la partie transgingivale du système implanto-prothétique (fig. 6).
Comme l'espace biologique péri-dentaire, l'espace biologique péri-implantaire protège l'os sous-jacent, il joue le rôle de barrière vis-à-vis du milieu buccal, constituant une zone de transition entre un milieu septique et un milieu aseptique.
L'espace biologique doit assurer l'étanchéité péri-implantaire par une barrière muqueuse cicatricielle à plus faible potentiel de réparation (absence de fibres conjonctives de Sharpey, absence de vascularisation desmodontale, moindre densité cellulaire et vasculaire). La pérennité de l'ostéo-intégration de l'implant dépend donc de son intégration implanto-prothétique avec les tissus mous (épithélium et conjonctif) et de la stabilité de l'espace biologique. Le terme de muco-intégration doit désormais être présent à l'esprit de chaque praticien car sa recherche est la clé de la pérennité.