Article
Pierre KELLER 1 2 3 4 5 / Pierre-Olivier SAGE 1 4 5
1- Chirurgien-dentiste2- Spécialiste en chirurgie orale3- Unité de chirurgie buccale-implantologie, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, Strasbourg4- Cabinet de chirurgie buccale, Strasbourg5- Clinique de chirurgie orale, Kehl, Allemagne
RÉSUMÉ
Contexte : La greffe osseuse verticale postérieure à la mandibule est l'une des procédures d'augmentation osseuse les plus compliquées. La technique décrite qui semble la plus reproductive utilise de l'os autogène en bloc et de l'os particulaire.
Objectif : L'objectif de cette étude est de proposer une technique simplifiée pour stabiliser l'os particulaire du côté lingual à l'aide d'une membrane collagène, dans le cas d'importantes augmentations osseuses postérieures mandibulaires.
Matériels et méthodes : 10 patients (15 sites), présentant un édentement postérieur mandibulaire et un volume osseux ne permettant pas le placement d'implants, ont été traités dans cette étude. Un cone beam (CBCT) a été réalisé pour quantifier le déficit osseux. Tous les sites sélectionnés présentent un défaut osseux vertical sévère (supérieur à 5 mm), une crête fine et une hauteur résiduelle au-dessus du canal mandibulaire inférieure à 6 mm. Pour simplifier l'accès au site receveur, la technique du tunnel n'a pas été retenue. Un bloc osseux est prélevé au niveau de la ligne oblique externe à l'aide de la MicroSaw®. Comme décrit par Khoury et al., le bloc osseux est séparé en 2 lamelles. Après la stabilisation du bloc occlusal avec des vis d'ostéosynthèse MicroScrew®, une membrane collagène lentement résorbable (collagène type I, Symbios Collagen Membrane SR®, Dentsply Sirona) est placée du côté lingual de la greffe. Elle permet d'éviter la fuite de l'os particulaire malgré l'ouverture du périoste lingual. L'os particulaire est alors foulé contre la membrane, puis la reconstruction 3D est refermée avec un bloc vestibulaire stabilisé avec des vis d'ostéosynthèse MicroScrew®. Le défaut osseux est mesuré pendant l'intervention à l'aide d'une sonde parodontale. Lors de la mise en place des implants, 4 mois après la greffe osseuse, la régénération osseuse est évaluée cliniquement et par un CBCT pré-implantaire. Les complications sont enregistrées. Les patients sont suivis pour contrôle clinique et radiologique après la restauration prothétique.
Résultats : 39 implants ont été placés chez 10 patients sur 15 sites (Xive® S) Il n'y a pas eu de complications associées à ce traitement. Les mesures cliniques et radiographiques ont mis en évidence un gain osseux vertical de 6,4 mm en moyenne. Cliniquement, tous les patients traités avec cette technique présentaient une hauteur suffisante pour le placement d'implants 4 mois après la greffe osseuse. Le CBCT pré-implantaire à 4 mois n'a montré aucune invagination du côté lingual de la crête. Tous les implants sont ostéo-intégrés avec un suivi moyen de 27 mois. Un implant a présenté une perte crestale de 1,2 mm à 24 mois. Le taux de survie implantaire est de 100 % et le taux de succès de 97,5 % (selon les critères d'Albrektsson : absence de douleur, sensation d'un corps étranger, paresthésie, mobilité et remodelage osseux crestal supérieur à 1 mm après un an).
Conclusion : Le maintien de l'os particulaire par la membrane linguale autorise un tracé d'incision crestal et facilite la procédure d'augmentation. La bonne stabilité de la greffe après la période de cicatrisation et le taux de survie implantaire montre le potentiel de cette technique pour le traitement de défauts osseux verticaux postérieurs mandibulaires de plus de 5 mm.
Background: Vertical bone graft in posterior mandible is described as a challenging procedure. The most reproducible technic is described with autogenous bone blocks and particles.
Aim: The aim of this study is to propose a simplified approach to stabilize the particulate bone graft particles on the lingual side of the 3D bone augmentation in posterior mandibular using a slow resorbable membrane.
Materials and methods: 10 patients were treated within this study (15 sites) with posterior mandibular edentulous ridges and insufficient bone to allow implant placement. Cone Beam CT (CBCT) were performed to measure the bone defect. All sites presented severe vertical defect (more than 5 mm), thin crest, and a residual bone height over the mandibular nerve less than 6 mm. To simplify the grafting site access, the tunnel technique is not used. A bone block was harvested from the retromolar area with the MicroSaw®.. The bone block was bisected along to obtain two bone laminae following the technique as proposed by Khoury et al. After the stabilization of the occlusal block with MicroScrew®, a slow resorbable membrane (collagen type I, Symbios Collagen Membrane SR®, Dentsply Sirona) was placed on lingual side. This avoids the movement of the bone graft particles in this side. At the end, the buccal block closed the 3D reconstruction, stabilized by screws. Defects were measured during the grafting procedures with a calibrated periodontal probe. At implant placement, 4 months after the grafting procedures, bone regeneration was evaluated. Complications were recorded. Cone beam computed tomography (CBCT) was performed to quantify the end result. A follow up is performed with a radiological and clinical exam after prosthodontic restauration.
Results: 39 implants were placed in 10 patients with 15 sites (Xive® S). No complications were associated with this treatment. Clinical measurements of the vertical defects revealed an average of 6,4 mm. Clinically all treated ridges were sufficient in height for subsequent implant placement 4 months after bone grafting. On CBCT, there is no invagination of the particulate bone graft on the lingual side. All implants have survived, with an average follow up period of 27 months. One implant shows a crestal bone loss of 1,2 mm at 24 months. The implant survival rate is 100 % and the implants success rate is 97,5 % (using Abkrektsson criteria: . absence of pain, foreign body sensation, dysesthesia, mobility, or peri-implant radiolucency through- out the follow-up period).
Conclusion: The particulate bone stability on the lingual side with the slow resorbable membrane allow a crestal incision and facilitate the bone graft procedure. The good graft stability after healing period and implant survival show the potential of this technique for the treatment of severe vertical posterior mandibular defect more than 5 mm.
En cas de défauts osseux importants, la proximité du nerf alvéolaire inférieur dans la région mandibulaire postérieure limite la possibilité de mettre en place des implants. La greffe osseuse verticale postérieure à la mandibule reste techniquement compliquée. Compte tenu de sa capacité de cicatrisation et de sa prédictibilité, l'os autogène reste le « gold standard » pour la reconstruction de grands défauts alvéolaires (Jensen et Terheyden, 2009 ; Khoury et al., 2007). La technique la plus reproductible est décrite par Khoury et al. sous forme de reconstruction en 3D avec des blocs osseux et de l'os particulaire (2007). Une fermeture muqueuse sans tension est essentielle pour promouvoir la cicatrisation osseuse. En cas d'incision crestale, cette fermeture passive est obtenue par la préparation du lambeau lingual. L'ouverture du périoste lingual risque de provoquer l'échappement de l'os particulaire. La mise en place d'une membrane lentement résorbable a pour objectif d'éviter ce phénomène.
Dix patients ont été inclus dans cette étude. Les patients ont été pleinement informés de la procédure chirurgicale ainsi que des alternatives de traitement. Un consentement éclairé précisant les particularités du protocole chirurgical a été signé par l'ensemble des patients inclus dans l'étude. Une radiographie panoramique (OPT) et un cone beam (CBCT) ont été réalisés afin d'évaluer le défaut osseux. Tous les patients présentent un édentement postérieur mandibulaire associé à une forte résorption osseuse. Ils nécessitent une greffe osseuse verticale de plus de 5 mm dans l'objectif de pouvoir placer des implants (fig. 1). Chez les patients sélectionnés, des implants courts ne peuvent être placés en raison de la hauteur insuffisante d'os résiduel au-dessus du nerf alvéolaire inférieur (moyenne de 4,5 mm). Les patients inclus dans l'étude ont au moins 21 ans, présentent un bon état de santé général, sont non fumeurs, et ne sont pas atteints de parodontites non traitées.
Les patients sont prémédiqués avec de l'amoxicilline (2 × 1 g par jour pendant 10 jours), de la prednisolone (1 mg/kg par jour pendant 3 jours), du paracétamol (1 g 30 mn avant l'intervention, puis en cas de douleurs). Aucun des patients traités ne présente d'allergies médicamenteuses.
L'ensemble des interventions ont été réalisées sous sédation consciente intraveineuse (midazolam). L'anesthésie locale est infiltrée en vestibulaire et linguale (Alphacaïne® SP, Dentsply Sirona). L'anesthésie locorégionale est évitée afin de prévenir le chirurgien en cas de proximité du nerf alvéolaire inférieur.
Une incision crestale a été utilisée sur 12 sites. Cette incision offre une excellente visibilité au défaut et permet une bonne accessibilité. La fermeture est réalisée par le repositionnement et la suture hermétique des lambeaux (Khoury et Happe, 2000). La préparation au décolleur du périoste lingual permet de gagner en laxité (fig. 2). Le décolleur est préféré au bistouri dans l'ouverture périostée linguale pour éviter toute lésion vasculo-nerveuse du plancher buccal. L'instrument dissèque le plan périosté depuis l'insertion du muscle mylo-hyoïdien en direction crestale. Le risque principal d'une reconstruction osseuse verticale est l'exposition. Les défauts osseux verticaux de plus de 5 mm, associés à un manque important de gencive kératinisée, indiquent l'utilisation de tracés alternatifs. Lorsque la hauteur de tissu kératinisé est inférieure à 2 mm, un tunnel latéral (aussi décrit comme « tunnel modifié ») a été réalisé sur 3 sites. Cette incision offre une bonne visibilité pour la chirurgie et une bonne fermeture du lambeau avec une suture en deux plans. Le tunnel latéral consiste à décaler l'incision à distance de la zone greffée. Une incision en épaisseur partielle est réalisée en supramusculaire dans le fond du vestibule. Au niveau de la jonction muco-gingivale, il s'en suit une préparation en épaisseur totale en direction apicale et linguale pour visualiser le défaut osseux. Comme pour une incision crestale, la désinsertion linguale se fait avec le décolleur pour ne pas risquer de léser les structures anatomiques.
Le greffon est prélevé selon un protocole défini, sous irrigation continue avec une solution saline stérile. Les ostéotomies verticales sont réalisées dans le volume de la ligne oblique externe (fig. 3). L'ostéotomie horizontale rejoint les deux ostéotomies verticales en apical. Des perforations corticales occluso-crestales d'environ 2/3 mm de profondeur sont réalisées entre les deux ostéotomies verticales. Ces perforations sont reliées à l'aide du ciseau à os afin de créer une tension permettant de luxer le bloc.
Le concept biologique de greffe est appliqué en dédoublant le bloc cortical rétromolaire avec la MicroSaw® (Dentsply Sirona) (Khoury et al., 2007). Chaque bloc est encore affiné avec une rappe à os (Safescraper®, Meta) pour obtenir des particules d'os riches en ostéoblastes et ostéocytes de qualité (Zaffe et D'Avenia, 2007). Les blocs d'os corticaux obtenus sont utilisés pour donner sa forme à la greffe, et les petites particules osseuses forment le corps de la greffe (fig. 4). Les blocs corticaux affinés jouent alors le rôle d'une membrane biologique.
Le site receveur n'a pas été perforé, excepté sur deux sites où l'os paraissait très cortical et hypovascularisé. Ces perforations sont faites avec un forêt drill de 1 mm. Les blocs osseux sont adaptés avec les disques diamantés de la MicroSaw®. (Dentply Sirona).
Un premier bloc est fixé en occlusal avec 2 vis d'ostéosynthèse MicroScrew® (Stoma). Il donne la forme et la hauteur à la nouvelle crête. Une membrane collagène lentement résorbable (Symbios Collagen Membrane SR®, Dentsply Sirona) est placée en position linguale (fig. 4). Cette dernière est simplement glissée sous le lambeau lingual. La tension du lambeau suffit à l'appliquer contre l'os résiduel. L'os particulaire est foulé sous le bloc occlusal contre la membrane linguale pour éviter qu'il ne glisse dans le lambeau lingual (fig. 5). La deuxième fine lamelle d'os cortical est fixée en vestibulaire pour fermer la reconstruction 3D avec 2 vis d'ostéosynthèse MicroScrew® (Stoma) (fig. 6). Les interstices sont comblés avec de l'os particulaire. La membrane est fixée sur 13 sites avec une vis d'ostéosynthèse (fig. 7) et est suturée dans 2 cas au lambeau vestibulaire. En cas d'incision crestale, la plaie est fermée sans tension avec un fil monofilament résorbable 5/0. Les sutures sont réalisées par une alternance de point matelassiers et de points simples (fig. 8). En cas de tunnel latéral, la suture du plan musculaire permet d'obtenir une bonne étanchéité de la plaie. Enfin, la suture du plan muqueux largement à distance de la greffe limite le risque d'exposition en cas d'absence de gencive kératinisée.
Immédiatement après la chirurgie, les patients appliquent une poche de glace sur la zone traitée (15 mn par heure toutes les heures les deux premiers jours). Il est recommandé aux patients de commencer le bain de bouche à la chlorhexidine 0,12 % 48 heures après l'intervention. Les patients ont été suivis en contrôle à 2, 4, 8 et 12 semaines après l'intervention afin de vérifier la cicatrisation. Ils ne sont pas autorisés à porter leur prothèse amovible mandibulaire pendant le temps de la cicatrisation osseuse.
Après 4 mois, 39 implants (Xive® S, Dentsply Sirona) d'au moins 8 mm de longueur sont insérés après le retrait des vis d'ostéosynthèse. Un CBCT est réalisé en pré-implantaire pour évaluer le gain osseux (fig. 9). Cette mise en place est associée dans 66 % des cas (10 sites sur 15) à une plastie de Kazanjian. À son origine, la plastie vestibulaire de Kazanjian a été décrite comme une mesure préprothétique pour approfondir le vestibule (Kazanjian, 1924). Cette technique a été ensuite adaptée à l'implantologie afin d'obtenir une bande large de gencive attachée. La première incision en épaisseur partielle est réalisée dans le fond du vestibule. Le plan muqueux est disséqué en direction de la jonction muco-gingivale. Les muscles sont séparés du périoste vestibulaire. En crestal, le décollement en épaisseur totale du lambeau permet l'insertion des implants (fig. 10 et 11). Le plan profond est fermé par suture du périoste vestibulaire au périoste lingual. Enfin, le lambeau muqueux vestibulaire est suturé au périoste en position apicale (fig. 12). Les muscles sont ainsi refoulés dans le fond du vestibule et cicatrisent en seconde intention (fig. 13). La plastie vestibulaire de Kazanjian est préférée à la plastie d'Edlan-Mejchar. En effet, la couche de périoste vestibulaire protège l'os et limite la résorption osseuse (Fröschl et Kerscher, 1997).
Les mesures initiales de l'épaisseur de la crête osseuse sont réalisées sur le CBCT et cliniquement avec une sonde parodontale calibrée (fig. 9 et 10). L'épaisseur post-greffe est mesurée sur le CBCT pré-implantaire et cliniquement avec une sonde parodontale lors de l'implantation.
Le défaut vertical est évalué lors de la greffe osseuse à l'aide d'une sonde parodontale, de la zone la plus basse du défaut, jusqu'à une ligne reliant les pics osseux adjacents au défaut. Le gain vertical est quantifié sur le CBCT pré-implantaire (fig. 9). Le patient a une radiographie panoramique de contrôle après la restauration prothétique, puis à 6 mois, 12 mois et une fois par an dans son suivi (fig. 14).
Les complications ont été notées, telles qu'une exposition osseuse, une infection, une perte de sensibilité partielle ou totale.
Les paramètres décrits par Albrektsson permettant d'établir le taux de survie implantaire sont l'absence de douleurs, de sensation de corps étranger, de paresthésie, de mobilité, ou une perte osseuse radiologique (Albrektsson et al., 1986). Un an après la mise en fonction de l'implant, nous pouvons parler de succès implantaire lorsque le remodelage osseux crestal est inférieur à 1 mm. Si l'implant est en fonction mais ne répond pas aux critères de succès, il est comptabilisé dans le taux de survie.
Toutes les données ont été notées et analysées dans le logiciel Microsoft Excel (tableau 1).
Quinze greffes osseuses verticales sont réalisées chez 10 patients (7 femmes, 3 hommes) âgés en moyenne de 60,7 ans (tableau 1). L'os a été prélevé dans 100 % des cas au niveau de la ligne oblique externe. Un substitut osseux d'origine bovine (Bio-Oss® S-0,25 mg, Gestlich) a été utilisé sur un site pour augmenter le volume d'os particulaire dans la greffe. Tous les patients sont non fumeurs et non allergiques à la pénicilline. Aucune complication engageant le pronostic de la greffe n'a été observée (pas d'exposition osseuse, pas d'infection). Un œdème post-opératoire est décrit par la plupart des patients (9/10) et est visible 6 à 10 jours. Un patient a décrit une modification de la sensibilité de la lèvre inférieure suite à la greffe. Cette paresthésie a disparu 3 mois après l'intervention.
Le gain vertical est en moyenne de 6,4 mm (tableau 1). Sur tous les CBCT, il n'y a pas d'invagination muqueuse en lingual. Cliniquement, tous les sites traités ont offert une hauteur osseuse suffisante pour la mise en place de 39 implants d'au moins 8 mm de longueur (Xive® S, Dentsply Sirona). Le suivi moyen est de 27 mois, et aucun patient n'est sorti du suivi. Un patient a montré une perte péri-implantaire de 1,2 mm sur un implant à 24 mois. Le taux de survie cumulé des implants est de 100 %, le taux de succès cumulé est de 97,5 %.
Le concept biologique de greffe osseuse décrit par Khoury et al. (2007) est basé sur la création d'un coffrage par les blocs osseux pour y placer de l'os particulaire. Ce concept permet une meilleure régénération par rapport à l'utilisation de blocs corticaux en onlay. Une étude clinique décrivant les résultats de 132 patients traités par une telle reconstruction en 3D entre les années 1995 et 2000 a montré un taux de complications réduit (Khoury et al., 2004). Au total, deux complications ont été observées : une exposition de la greffe et une régénération incomplète avec migration de tissu conjonctif dans la zone greffée. Une bonne cicatrisation de la plaie muqueuse et osseuse a pu être observée chez tous les autres patients et a permis d'insérer 237 implants. À l'aide de cette technique, la moyenne du gain osseux obtenu est de 7,2 mm. Ce faible taux de complications est lié à une bonne gestion des tissus mous et à l'utilisation de la technique du tunnel.
La bonne vascularisation du lambeau maintenue par la technique du tunnel diminue le risque de nécrose des tissus mous et donc d'exposition du greffon osseux. La technique du tunnel a été décrite pour la première fois dans le cadre d'une chirurgie préprothétique (Rothstein et al., 1984) et a été développée dans le but de protéger les greffes osseuses autogènes (Khoury, 1987). Une seule incision verticale est effectuée en mésiale du défaut. Grâce à cette forme de tente, l'incision périostée n'est pas nécessaire. Dans une étude clinique réalisée entre 1996 et 2004, 521 patients ont été traités par la technique du tunnel. Durant la phase de guérison, uniquement 5 patients ont présenté une nécrose partielle du lambeau avec exposition de l'os greffé. Le faible taux d'expositions permet de valider l'utilisation de ce type d'incision lors des procédures d'augmentation osseuse verticale (Ponte et Khoury, 2004). Ce tracé d'incision, ne lésant pas le périoste lingual, permet de stabiliser l'os particulaire lingual. Cette technique est difficile à mettre en œuvre du fait de sa visibilité limitée.
L'incision crestale ou le tunnel latéral augmente la visibilité et facilite la procédure d'augmentation à la mandibule. Cependant, ces tracés d'incisions sont associés à l'ouverture du périoste lingual. Les particules d'os ne sont donc pas stabilisées par le périoste comme sous un tunnel. Une membrane lentement résorbable comme décrit ci-dessus joue alors le rôle de barrière linguale.
La membrane de collagène pourrait influencer le processus de cicatrisation de la greffe osseuse. Dongieux a réalisé une étude sur 4 chiens pour évaluer cet impact (Dongieux et al., 1998). Il a effectué 6 greffes en onlay sur chacun des chiens. Sur chaque côté, 3 greffes ont été réalisées : la première recouverte d'une membrane collagène, la deuxième d'une membrane e-PTFE et la troisième non recouverte. Les membranes en collagène résorbables, se dégradant en 6-8 semaines après leur mise en place, ont montré des propriétés hémostatiques et chimiotactiques. La structure fibrillaire des membranes collagènes aide donc l'agrégation plaquettaire, accélérant la formation du caillot sanguin (Chen et al., 1995). Il conclut qu'il n'y a pas de différence significative au terme de la cicatrisation sur le volume osseux et sur les résultats histologiques entre les 3 groupes.
Au vu de ces données, il peut être intéressant de connaître quelles techniques sont décrites dans la littérature pour les greffes verticales postérieures mandibulaires de plus de 5 mm (à l'exception de la technique de Khoury déjà décrite ci-dessus) :
• l'os allogénique en bloc (Nissan et al., 2011) ;
• les membranes e-PTFE (Urban et al., 2009) ;
• les Ti-Mesh (Roccuzzo et al., 2007, 2004) ;
• la distraction ostéogénique (Chiapasco et al., 2004b).
L'utilisation de bloc d'os allogénique (allogenic bone block, ABB) pourrait être une alternative à l'os autogène. Cependant, l'étude de Draenert démontre que l'os allogénique en bloc ne peut être utilisé pour les greffes osseuses verticales (Draenert et al., 2016). En effet, il décrit une perte osseuse verticale moyenne supérieure à 30 % de la longueur des implants. Cette étude a été interrompue après seulement 6 cas en raison du nombre important d'échecs (5 sur 6 soit 83 %). Trois types de résultats non satisfaisants sont observés. Type 1 : perte précoce complète de l'os greffé après 3 à 8 semaines (n = 2). Type 2 : diminution précoce de la gencive attachée, sans exposition de la greffe, avec perte osseuse ou péri-implantite après la mise en charge prothétique, 6 à 8 mois après la greffe (n = 2). Type 3 : pas de complications pendant la cicatrisation osseuse, mais péri-implantite après la mise en charge prothétique, après 6 mois (n = 1). Un taux de complication élevé est décrit dans différentes études avec des blocs d'os allogénique (Chaushu et al., 2010 ; Nissan et al., 2011 ; Schlee et Rothamel, 2013).
Les auteurs s'accordent à dire que les greffes verticales de plus de 4 mm doivent être constituées d'au moins 50 % d'os autogène particulaire (Simion et al., 2001 ; Urban et al., 2009). Les techniques de stabilisation diffèrent selon les auteurs. Urban décrit une technique pour les greffes osseuses verticales avec des membranes e-PTFE (Urban et al., 2009). L'os autogène est prélevé à la mandibule, broyé dans un moulin à os et appliqué sur le défaut. La greffe est alors immobilisée et recouverte avec une membrane e-PTFE, stabilisée avec des pins en titane. Urban décrit dans cette étude un taux de complication de 2,78 %. Ce taux est plus élevé que celui de notre étude. Il reste cependant significativement moins important que celui décrit par d'autres auteurs (Simion et al., 2007, 1998 ; Tinti et Parma-Benfenati, 1998). Ces études rapportent un taux d'expositions des membranes ou d'infections allant de 12,5 % à 18,4 %.
L'association d'os autogène avec une titanium mesh pour les greffes verticales d'au moins 4 mm a également été décrite (Roccuzzo et al., 2007, 2004). Il utilise les titanium mesh pour stabiliser et protéger la greffe, en comparant un groupe test avec une titanium mesh à un groupe contrôle avec uniquement de l'os autogène en bloc. Sur les sites tests, une exposition de la titanium mesh est décrite chez 4 patients sur 12. Dans un de ces 4 cas, une fermeture spontanée a eu lieu. Dans les autres, la déhiscence des tissus mous a augmenté et la titanium mesh a dû être enlevée prématurément. À la réouverture, la greffe était bien incorporée à l'os natif dans les 12 cas. Dans le groupe contrôle, une résorption importante est observée (> 50 %) dans 2 cas. Au niveau des sites test (Ti-Mesh) une résorption moyenne de 13,5 % de la greffe est observée contre 34,5 % au niveau des sites contrôles. Dans cette étude, les blocs osseux ne sont pas affinés et sont directement fixés en onlay sur le site receveur. La nature extrêmement corticale des blocs osseux peut expliquer cette résorption.
La distraction ostéogénique (DO) est une autre méthode utilisée pour corriger les défauts osseux verticaux. Elle a été décrite par différents auteurs (Block et al., 1996 ; Chin et Toth, 1996 ; Jensen et al., 2002 ; Chiapasco et al., 2004a). Dans son étude, Chiapasco compare 2 groupes. Le groupe 1 (11 patients) est traité par régénération osseuse guidée avec membrane e-PTFE armature titane et os particulaire prélevé au niveau du ramus ou du menton. Le groupe 2 (10 patients) est traité par une distraction ostéogénique (DO) avec un dispositif de distraction intraoral (Chiapasco et al., 2004a). Une distraction de 1 mm par jour (0,5 mm toutes les 12 heures) est réalisée. Le distracteur est maintenu en place pendant 3 mois pour obtenir la maturation du nouveau caillot sanguin entre l'os basal et le fragment distracté. Après cette période de cicatrisation, le distracteur est enlevé et les implants peuvent être mis en place. Une exposition précoce de la membrane est décrite chez 3 patients du groupe 1. La régénération osseuse était partiellement compromise, et la membrane a été immédiatement retirée. Les implants ont quand même pu être posés. Dans le groupe 2, une inclinaison progressive du fragment distracté en direction lingual a été observée chez 2 patients (20 %). Cependant, il n'y a pas eu de signes pathologiques ou de symptômes tels qu'une paresthésie, des douleurs, etc. Dans ce groupe, le taux de survie cumulé des implants est de 100 % (comme dans le groupe 1). Le taux de succès cumulé du groupe 2 est de 94 % contre 68 % dans le groupe 1. Cette étude démontre que le taux de succès cumulé des implants placés dans une zone traitée par régénération osseuse guidée est significativement plus bas que celui obtenu dans de l'os natif (Adell et al., 1981 ; Albrektsson et al., 1986 ; Buser et al., 1997 ; Leonhardt et al., 2002 ; Lindquist et al., 1996). Il semble démontrer que la DO offre un meilleur maintien de l'os néoformé, et permet d'obtenir un taux de succès cumulé des implants similaire à celui obtenu dans de l'os natif (Adell et al., 1981 ; Albrektsson et al., 1986 ; Buser et al., 1997 ; Leonhardt et al., 2002 ; Lindquist et al., 1996). D'après cette étude, la DO semble être une bonne alternative pour le traitement des défauts osseux verticaux. Cependant, le concept de distraction utilisé dans cette étude ne permet que la correction d'un défaut vertical non associé à un défaut horizontal. La DO est difficile à mettre en œuvre pour des petits défauts en raison du faible espace disponible et de l'encombrement du distracteur. De plus, un contrôle très strict doit être fait avec le patient pour éviter une inclinaison du fragment distracté.
Dans une revue systématique, Esposito tente de trouver quelle technique est la plus sûre et la plus reproductible pour assurer le meilleur résultat dans les cas de greffes verticales. Il conclut que différentes procédures permettent l'augmentation osseuse verticale, mais qu'aucune n'est plus efficace que les autres. La technique doit surtout être maîtrisée par le praticien pour assurer un bon résultat (Esposito et al., 2006).
Simion a réalisé une étude sur l'évaluation à long terme des implants dentaires mis en place lors de la greffe osseuse verticale, dans laquelle il a séparé les patients en 3 groupes (Simion et al., 2001). Dans le groupe A (6 patients) il a utilisé une membrane e-PTFE seule pour protéger le caillot sanguin, dans le groupe B (11 patients), une membrane e-PTFE associée avec une allogreffe, et dans le groupe C (32 patients), une membrane e-PTFE associée avec de l'os autogène. Le suivi varie de 18 à 69 mois. D'après Simion, la comparaison des trois techniques est impossible en raison du faible nombre de patients dans les groupes A et B. Cependant, dans ces groupes A et B, un gain vertical de 4 mm n'a jamais été observé, alors que dans le groupe C (avec os autogène) il a été possible de recréer une hauteur de plus de 8 mm. Dans cette étude, une seule perte d'implant a été observée lors du second temps chirurgical, et seulement deux implants ont perdu 3,5 mm d'os crestal à 1 an (groupe B). Il conclut, en accord avec ces données, que les résultats sont similaires à ceux des implants placés dans une greffe osseuse latérale ou dans de l'os natif (Adell et al., 1981 ; Jemt et Lekholm, 1993 ; Nevins et Langer, 1993).
Nisand, Picard et Rocchietta ont réalisé une revue systématique pour comparer les implants courts aux implants placés dans une greffe osseuse verticale (Nisand et al., 2015). Les implants étaient qualifiés de courts lorsqu'ils avaient une longueur inférieure ou égale à 8 mm. Cette revue systématique a retenu 4 études. Un total de 163 implants courts a été posé chez 85 patients et 168 implants ont été posés chez 85 patients traités par des greffes osseuses verticales. Tous les implants placés dans le secteur mandibulaire postérieur sont enfouis avec un temps de cicatrisation de 3-4 mois. 7 implants ont échoué dans le groupe « implants courts » et 9 dans le groupe « greffe osseuse ». Il n'y a donc pas de différence significative. En moyenne, 1,23 mm d'os est perdu autour des implants courts, contre 1,51 mm dans le groupe des implants posés dans une greffe verticale. Il n'y a pas non plus de différence significative. Cette revue semble démontrer une survie implantaire et prothétique similaire entre les implants courts et les implants posés dans une greffe verticale. Cependant, la greffe osseuse verticale est associée à un traitement plus long et plus coûteux pour le patient. Dans notre étude, nous rappelons que des implants courts ne peuvent être placés en raison de la hauteur insuffisante d'os résiduel au-dessus du nerf alvéolaire inférieur (moyenne de 4,5 mm).
L'utilisation d'une membrane résorbable en linguale lors d'une reconstruction verticale autorise un tracé d'incision crestal. Le maintien de l'os particulaire par la membrane évite la réalisation d'un tunnel et facilite la procédure d'augmentation. La stabilité osseuse après la période de cicatrisation de la greffe et le taux de succès implantaire montrent le potentiel de cette technique pour le traitement de défauts verticaux postérieurs mandibulaires.
À toute l'équipe PEERS de l'EST, composée de Pierre-Olivier Sage, Jean-Martin Offerle, Fabien Scheid et Julien Raidot, ainsi qu'à Manon Gotusso.