Article
Laura LECHIEN 1 / Riad MOUSSALLI 2 / Bouchra SOJOD 3 / Sophie-Myriam DRIDI 4 / Fani ANAGNOSTOU 5
1- Ancienne Interne Médecine Bucco-Dentaire, Praticien attaché Département Parodontologie, Service Odontologie Hôpital Pitié-Salpêtrière, Exercice Privé, Dunkerque2- CES Parodontologie, Université Descartes – Paris V, DU Parodontologie et Implantologie, Université Paris VI, Praticien attaché Département Parodontologie, Service Odontologie Hôpital Pitié-Salpêtrière, Exercice Privé, Paris3- CES Parodontologie, Université Denis Diderot – Paris 7, Master Parodontologie, Université Denis Diderot – Paris 7, Assistante Universitaire Département Parodontologie, Service Odontologie Hôpital Pitié-Salpêtrière, Exercice Privé, Paris4- Doctorat d'Université, Maitre des conférences des Universités – Praticien Hospitalier, UFR Odontologie Université de Nice Sophia Antipolis, Service Odontologie Département de Parodontologie5- Doctorat d'Université, HDR, Professeur des Universités, UFR D'Odontologie Université Denis Diderot – Paris 7, Praticien Hospitalier, Département Parodontologie, Service Odontologie Hôpital Pitié-Salpêtrière
Résumé
Les hypertrophies gingivales généralisées ont diverses étiologies : génétique, hormonale, nutritionnelle, hémopathique, systémique, médicamenteuse. Pour ces dernières, les classes de molécules incriminées sont les anticonvulsivants (phénytoïne), les immunosuppresseurs (ciclosporine A) et les inhibiteurs calciques (nifédipine, amlodipine, diltiazem). Tous ces médicaments modifient le gradient intracellulaire du calcium bien que les mécanismes impliqués ne soient pas identiques. L'étiopathogénie de ces accroissements gingivaux est complexe, multifactorielle et non complètement élucidée. Ils se manifestent en présence d'une inflammation parodontale et le contrôle strict de la plaque dentaire est nécessaire pour les prévenir et les traiter. Le but de cet article est de décrire les aspects cliniques et histologiques des hypertrophies gingivales médicamenteuses, les mécanismes étiopathogéniques impliqués, la démarche aboutissant au diagnostic différentiel et leur prise en charge thérapeutique.
Gingival enlargements have various etiologies: genetic, hormonal, nutritional, hemopathic, systemic, drug. For the latter, the classes of incriminated molecules are anticonvulsants (phenytoin), immunosuppressants (cyclosporine A) and calcium channel blockers (nifedipine, amlodipine, diltiazem). All these drugs modify the intracellular calcium gradient but the mechanisms involved are not similar. The etiopathogenesis of these gingival enlargements is complex, multifactorial and not fully understood. They occur in the presence of periodontal inflammation and meticulous self-administered oral hygiene is necessary to prevent and treat them. The purpose of this article is to review the clinical, histological features and the pathophysiological mechanisms involved in drug-induced gingival overgrowth, as well as the differential diagnosis and their management.
Les hypertrophies gingivales sont un effet secondaire de la prise de certains médicaments ; principalement des antiépileptiques, des immunosuppresseurs et des inhibiteurs calciques. Dans cet article, le terme « hypertrophie » désigne l'augmentation des tissus sans l'associer aux mécanismes étiopathogéniques impliqués (œdème, augmentation de la taille ou multiplication cellulaire, formation des constituants de la matrice extracellulaire). Le terme « accroissement gingival » est aussi proposé. Les anglo-saxons qualifient ce phénomène de « DIGO », acronyme de Drug-Induced Gingival Overgrowth.
Les hypertrophies gingivales sont localisées en regard d'une ou plusieurs dents ou généralisées. Les hypertrophies gingivales localisées peuvent répondre à plusieurs diagnostics tels que l'épulis, l'abcès parodontal, le botryomycome, le granulome périphérique à cellules géantes ou le fibrome ossifiant périphérique. Quant aux hypertrophies gingivales généralisées, elles prennent des aspects cliniques multiples de type fibreux, inflammatoire ou vasculaire. L'étiologie est variable : génétique, hormonale, nutritionnelle, hémopathique, systémique ou médicamenteuse. Les anticonvulsivants, les immunosuppresseurs et les inhibiteurs calciques sont les trois classes de médicaments incriminées dans les hypertrophies gingivales. Ces médicaments sont fréquemment prescrits, parfois de façon concomitante, dans le cadre de pathologies de plus en plus répandues au vu du vieillissement de la population. Le but de cet article est de décrire les aspects cliniques et histologiques des hypertrophies gingivales médicamenteuses, les mécanismes étiopathogéniques impliqués, la démarche aboutissant au diagnostic différentiel et leur prise en charge thérapeutique.
Trois familles de médicaments induisent des hypertrophies gingivales : les anticonvulsivants indiqués dans la prise en charge de l'épilepsie, la ciclosporine A prescrite en prévention du rejet d'organes greffés mais aussi dans un grand nombre de maladies auto-immunes (maladie de Behçet, polyarthrite rhumatoïde, psoriasis, lupus érythémateux, pemphigus, pemphigoïde bulleuse, sclérose en plaques, lichen plan érosif, maladie de Crohn, sarcoïdose...) (Moffitt et al., 2013) et les inhibiteurs calciques administrés dans le traitement de l'hypertension artérielle, de l'angine de poitrine et des troubles du rythme cardiaque. La prévalence des hypertrophies gingivales varie considérablement d'une étude à l'autre et ceci pour les trois classes de médicaments incriminées ; les données étant répertoriées dans le tableau 1 (Jorgensen, 1997 ; Dongari-Batzoglou et al., 2004 ; Doufexi et al., 2005 ; Moffitt et al., 2013). La grande disparité des valeurs observée peut s'expliquer par l'hétérogénéité des variables relevées (population étudiée, nombre de patients inclus, durée de l'observation, médications concomitantes, indices gingivaux relevés) et souligne la nécessité de mise en place d'études prospectives à haut niveau de preuve.
L'étiopathogénie des hypertrophies gingivales médicamenteuses est complexe, multifactorielle et non complètement élucidée. De plus, la majorité des études sont des rapports de cas ou séries de cas ne permettant pas de définir avec exactitude les facteurs de risque impliqués. Les indicateurs de risque sont nombreux et mal caractérisés (fig. 1) (Seymour et al., 2000). L'état inflammatoire du parodonte est considéré comme le principal facteur de risque. L'association entre hypertrophie gingivale, présence de plaque dentaire et inflammation gingivale est d'autant plus forte. La posologie de la molécule administrée entre aussi en ligne de compte avec la notion de dose seuil pour initier l'accroissement gingival ; le tableau clinique est d'autant plus sévère que la dose prescrite est élevée. La prescription concomitante de médications amplifie l'hypertrophie gingivale. Fréquemment, les patients greffés sous ciclosporine A se voient prescrire des inhibiteurs calciques afin de contrôler l'hypertension artérielle engendrée par l'immunosuppression (Petti et al., 2013).
De plus, il semble exister une prédisposition génétique ; tous les patients prenant un ou plusieurs de ces médicaments ne sont pas atteints d'hypertrophie gingivale. Il a été décrit qu'un polymorphisme génétique du cytochrome P450 et/ou du gène HLA pourrait prédisposer les sujets à l'hypertrophie en présence des médicaments incriminés (Margiotta et al., 1996 ; Thomason et al., 1996 ; Cebeci et al., 1996).
Le sexe figure aussi parmi les facteurs de risque ; les hommes étant davantage concernés par cet effet indésirable. Ceci s'expliquerait par le métabolisme des androgènes et un taux élevé de testostérone retrouvé dans les tissus (Ellis et al., 1999).
Enfin, la variation d'âge médian des populations étudiées reflète la population cible des médicaments : la phénytoïne principalement prescrite chez les jeunes épileptiques, les inhibiteurs calciques à un âge moyen ou avancé et la ciclosporine A à tous les âges (Hassell et Hefti, 1991). En somme, les données actuelles ne permettent pas d'identifier la susceptibilité à développer une hypertrophie gingivale.
La littérature rapporte un délai d'apparition de l'hypertrophie gingivale de 1 à 3 mois après l'introduction du traitement (Dongari et al., 1993). Le processus s'initie par des gonflements papillaires pouvant augmenter de volume et aboutir à la coalescence, il en résulte un aspect nodulaire (fig. 2 et 3). La gencive est non inflammatoire, ferme et fibreuse mais une non observance des règles d'hygiène buccodentaire conduit à l'inflammation de la gencive qui devient œdématiée, érythémateuse avec saignement possible. L'hypertrophie se restreint à la gencive attachée des secteurs dentés et implantaires. En aucun cas, elle n'intéresse un secteur édenté.
L'ensemble des deux arcades est touché avec une prédilection pour les secteurs vestibulaires et antérieurs. L'augmentation tissulaire réduit progressivement la hauteur des couronnes cliniques jusqu'à les recouvrir totalement dans certains cas. Asymptomatique, l'hypertrophie gingivale est néanmoins inesthétique et peut gêner la mastication, l'élocution, l'occlusion lorsque son volume est très important. Ce phénomène peut être associé au tableau clinique d'une parodontite de sévérité variable. Un contrôle de plaque défectueux dans un contexte de susceptibilité à la maladie parodontale peut être à l'origine d'une parodontite chronique. Les hypertrophies gingivales induites par les anticonvulsivants sont fibreuses, celles induites par la ciclosporine A sont plutôt inflammatoires, alors que celles provoquées par les inhibiteurs calciques cumulent les caractéristiques des deux états (Uzel et al., 2001).
D'un signe clinique d'une cause locale à celui d'une pathologie systémique en passant par un signe clinique inaugural de processus tumoral malin, l'hypertrophie gingivale peut avoir de multiples étiologies (fig. 4), qu'il faut avoir à l'esprit afin de prendre en charge le patient de façon appropriée et rapide. Le diagnostic se pose à la suite d'un interrogatoire rigoureux (antécédents médicaux et dentaires, symptômes et signes généraux associés, date et circonstances d'apparition) et d'un examen clinique minutieux (localisation et aspect des lésions). Une biopsie s'avère nécessaire dans certains cas. Plusieurs étiologies peuvent générer une expression clinique comparable à celle de l'hypertrophie d'origine médicamenteuse (Agrawal, 2015 ; Gawron et al., 2016). Parmi elles figurent :
– étiologie bucco-dentaire liée à la plaque dentaire (aspect inflammatoire) ou à un traitement d'orthopédie dento-faciale (aspect fibreux) ;
– désordre hémopathique (leucémie) ;
– modifications hormonales (grossesse, puberté) ;
– fibromatoses d'origine génétique (héréditaire associée ou non à un syndrome, idiopathique) ;
– carence vitaminique (scorbut) ;
– affections systémiques (maladie de Crohn, granulomatose de Wegener (Hanisch et al., 2016), sarcoïdose).
Histologiquement, les hypertrophies gingivales induites par les différents médicaments se caractérisent par (i) un épithélium malpighien parakératinisé et acanthosique d'épaisseur variable avec des crêtes épithéliales qui s'introduisent profondément dans le chorion et par (ii) une augmentation du volume du tissu conjonctif (Marshall et Bartold, 1998 ; Heasman et Hughes, 2014) (fig. 5). Le tissu conjonctif est constitué de nombreux faisceaux de fibres de collagène de disposition irrégulière et de nombreux fibroblastes. Une surproduction de matrice extracellulaire dans le tissu conjonctif gingival et une accumulation de collagène de type 1 sont rapportées systématiquement. Le chorion est très vascularisé avec un infiltrat inflammatoire plus ou moins important en particulier des plasmocytes et des lymphocytes B, des lymphocytes T et des monocytes en plus faible quantité. L'aspect histologique des lésions semble varier selon le médicament causal ; les hypertrophies gingivales induites par la phénytoïne sont fibreuses, celles induites par la ciclosporine A sont plutôt inflammatoires et celles induites par les inhibiteurs calciques cumulent les caractéristiques des deux états (Trackman et Kantarci, 2015).
Les hypertrophies induites par des médicaments sont observées exclusivement au niveau de la gencive (Sume et al., 2010). Leur pathogénèse implique principalement une modification des processus physiologiques régulant le renouvellement du tissu conjonctif des tissus parodontaux (Trackman et Kantarci, 2015). Les trois classes de médicaments incriminées dans cette pathologie ont la caractéristique commune d'avoir un effet sur le gradient de calcium et agissent principalement sur les fibroblastes gingivaux, principaux acteurs dans l'homéostasie du tissu conjonctif (fig. 6). Néanmoins, les mécanismes précis par lesquels ces médicaments aux pharmacocinétiques diverses donnant un tableau clinique relativement similaire sont encore non élucidés.
La phénytoïne est un anticonvulsivant qui module des canaux sodiques et calciques voltage-dépendants et inhibe le flux de calcium à travers les membranes des neurones. Elle est impliquée dans l'apparition des hypertrophies gingivales par de multiples et complexes mécanismes au niveau cellulaire et moléculaire (Arya et Gulati, 2012 ; Heasman et Hughes, 2014). Au niveau des fibroblastes, la phénytoïne diminue le flux de calcium. Cela entraîne une moindre absorption d'acide folique et une baisse de production de collagénases actives, il en résulte une accumulation de collagène dans la matrice extracellulaire (Brown et Arany, 2015). La phénytoïne modifie aussi la composition de la matrice extracellulaire via ses effets sur l'expression des métallo-protéinases et des protéinases lysosomales (les cathepsines), principales enzymes dans la dégradation des différents constituants de la matrice. En réponse à la phénytoïne, leur activité altérée peut compromettre la dégradation intracellulaire de procollagène naissant et augmenter la quantité de la matrice. Par conséquent, les hypertrophies gingivales induites par la phénytoïne peuvent également être considérées comme une conséquence d'une dysfonction lysosomale acquise.
La phénytoïne augmente aussi le taux d'expression de TGF β-1 (transforming growth factor β-1) et CTGF/CCN2 (connective tissue growth factor). Leurs taux sont significativement plus élevés en comparaison à ceux induits par la ciclosporine A et les inhibiteurs calciques. TGF β-1 agit sur les fibroblastes et augmente la production de la plupart des constituants matriciels, notamment le collagène de type I. De plus, il stimule leur prolifération, inhibe la synthèse des collagénases et augmente la synthèse des inhibiteurs des métallo-protéinases (TIMPs). CTGF/CCN2 semblent relayer une partie des effets pro-fibrosants du TGF β-1.
La phénytoïne régule aussi à la hausse la production des interleukines 1 (IL-1α et IL-1β) et du facteur de nécrose tumorale (TNF-α) qui induisent une production élevée de prostaglandine E2 (PGE2) par les fibroblastes gingivaux. D'autres interleukines (IL-6 et IL-8), importantes pour le recrutement et l'activation des cellules inflammatoires, sont également présentes dans les hypertrophies induites par la phénytoïne. Par conséquent, ce médicament peut avoir un rôle important dans l'établissement d'une interaction complexe entre les médiateurs de l'inflammation et les cellules du tissu conjonctif parodontal.
La ciclosporine A induit une hypertrophie gingivale d'aspect plus inflammatoire. Cela peut s'expliquer par l'exagération de la réponse immunitaire innée mais aussi par ses effets sur la production du collagène « anti-fibrotiques » (Trackman et Kantarci, 2015). La ciclosporine A augmente l'expression de CD54 et la production d'interleukines IL-6 et IL-8 induites via les ligands de TLR (Suzuki et al., 2009). La ciclosporine A induit aussi la production de TGF β-1 qui stimule la libération de IL-6 dans les fibroblastes gingivaux (Chae et al., 2006). Ces étapes se font sous la dépendance de voies de signalisation intracellulaire MAPKs (p38 et ERK) et PI3Kinase qui jouent un rôle important dans la régulation de la prolifération, de la survie, de la différenciation et de la migration cellulaire.
Les inhibiteurs calciques agissent selon un mode similaire à celui de la phénytoïne. Ils inhibent l'influx d'ions calcium dans la cellule, ce qui réduit l'absorption de l'acide folique et limite par la suite la production d'une collagénase active. La dégradation du collagène en est réduite, une accumulation en résulte. D'autres voies sont également impliquées dans l'hypertrophie gingivale induite par les inhibiteurs calciques : une surproduction accrue de glycosaminoglycanes a été rapportée. La nifédipine renforce aussi la voie de la signalisation de TGF β-1, ce qui conduit à une augmentation de l'expression de la périostine. Cette protéine, comme CTGF/CCN2, contribue à la fibrose (Kim et al., 2013).
L'interleukine-1β, cytokine pro-inflammatoire affectant l'accumulation de collagène dans la matrice extracellulaire par stimulation de la production de collagénase par les fibroblastes adopte un tout autre comportement lorsqu'elle est associée à la nifédipine. Une étude in vitro a rapporté leur effet de synergie dans la synthèse du collagène par les fibroblastes en soulignant le rôle du biofilm bactérien dans la production de cytokines, l'état inflammatoire et l'hypertrophie gingivale (Johnson et al., 2000).
Néanmoins, le fait que la majorité des patients traités par inhibiteurs calciques ne développe pas d'hypertrophie gingivale suggère une prédisposition génétique qui peut être liée au polymorphisme de l'human lymphocyte antigen (HLA) ou encore à des gènes du cytochrome P450 hépatique. Ces derniers présentent un polymorphisme considérable entraînant une variation interindividuelle de l'activité enzymatique. En effet, cette variation du métabolisme du médicament incriminé peut influencer les concentrations sériques et tissulaires des inhibiteurs calciques donc leur réponse gingivale (Livada et Shiloah, 2014). Actuellement, il y a un manque de marqueurs cliniques pour identifier la susceptibilité aux hypertrophies gingivales et les patients à risque.
Les trois familles de médicaments induisant des hypertrophies gingivales ont la caractéristique d'agir sur le gradient intracellulaire du calcium (Brown et Arany, 2015). La phénytoïne est connue pour agir comme un antagoniste de canaux calciques inhibant ainsi le flux cellulaire d'ions calcium. La ciclosporine A empêche la libération de calcium des réserves intracellulaires y compris des réticulums endoplasmique et mitochondrial. Les inhibiteurs calciques bloquent l'influx d'ions calcium dans les cellules réduisant leur consommation d'oxygène.
Le diagnostic d'hypertrophie gingivale d'origine médicamenteuse avéré, un traitement parodontal est instauré pour réduire l'inflammation gingivale, rétablir un environnement facilitant le contrôle de plaque et pallier l'aspect inesthétique des bourrelets gingivaux. Quel que soit le médicament en cause, cet accroissement tissulaire est un obstacle à l'accès au brossage des surfaces dentaires. Il en découle une accumulation de plaque dentaire et un état inflammatoire permanent. La prise en charge thérapeutique inclut :
– une thérapeutique initiale non chirurgicale ;
– un traitement chirurgical en cas d'indication ;
– une thérapeutique parodontale de soutien.
La thérapeutique parodontale initiale débute par l'enseignement des méthodes d'hygiène bucco-dentaire : matériel adéquat (brosse à dents souple 15/100e, fil dentaire, brossettes interdentaires) et brossage selon la technique modifiée de Bass (Mavrogiannis et al., 2006). S'ensuit un détartrage supra-gingival puis sous-gingival au niveau des fausses poches parodontales ou pseudo-poches associé à des irrigations à la povidone iodée ; une prescription de bains de bouche à la base de chlorhexidine 0,12 % ou 0,20 % complète la thérapeutique. Le nombre de séances et leur durée sont à l'appréciation du thérapeute en fonction du nombre et de la sévérité des sites atteints, ainsi que de la compliance et de l'état physique, psychique du patient. Si une perte d'attache est objectivée cliniquement par sondage parodontal et confirmée radiographiquement par une alvéolyse sur le bilan long cône, une parodontite est associée à l'hypertrophie gingivale (fig. 7). Des détartrages/surfaçages associés à l'irrigation des poches parodontales à la povidone iodée sont effectués une fois le bon contrôle de plaque obtenu (l'indice de plaque ≤ 20 %). À noter qu'une antibioprophylaxie (2 g d'amoxicilline ou 600 mg de clindamycine si allergie aux pénicillines) est à mettre en place une heure avant les interventions chez les patients sous immunosuppresseurs (Affsaps, 2011).
Après la thérapeutique parodontale initiale, la bonne observance du patient quant au contrôle de plaque et la réponse tissulaire sont évaluées (fig. 7). Lors de la réévaluation, les indices parodontaux cliniques sont relevés et comparés à ceux rapportés lors du bilan parodontal. À ce stade, des traitements parodontaux chirurgicaux sont entrepris si des pseudo-poches persistent dans un contexte d'hygiène bucco-dentaire contrôlée (fig. 7). Les objectifs du traitement sont à la fois esthétique et préventif. D'un point de vue esthétique, on vise à obtenir des contours gingivaux harmonieux et à supprimer les bourrelets gingivaux. D'un point de vue préventif, on vise à établir un environnement qui facilite le contrôle de plaque permettant alors de prévenir la survenue d'une gingivite et une éventuelle récidive. En effet, la plaque dentaire potentialise les hypertrophies gingivales induites par les médicaments. Chez les patients immunodéprimés, l'approbation du médecin référent sera requise après évaluation du rapport bénéfices/risques de l'intervention. La gingivectomie est le traitement chirurgical de choix (Camargo et al., 2001). Elle peut être réalisée à l'aide d'un bistouri mais peut également être effectuée par électrochirurgie. La gingivectomie à biseau interne permet l'élimination du tissu de granulation et du tartre sous gingival, en réduisant en même temps le volume des tissus hypertrophiques (fig. 8). De plus, la cicatrisation est de première intention et les douleurs post-opératoires modérées. La gingivectomie à biseau externe est aussi indiquée pour diminuer l'hypertrophie gingivale lorsque celle-ci est de faible étendue (moins de 6 dents) et que la quantité de tissu kératinisé est suffisante (épaisseur de gencive kératinisée postopératoire de 3 mm afin d'éviter l'apparition de défaut muco-gingival) (Camargo et al., 2001). Malgré le fait que cette intervention présente l'avantage d'être rapide et simple, les saignements peropératoires peuvent être importants et le risque hémorragique post-opératoire n'est pas négligeable. Enfin, la cicatrisation de deuxième intention est plus longue et douloureuse. D'ailleurs, l'utilisation du laser peut aussi être une alternative à la technique conventionnelle et présente certains avantages : précision de l'intervention, effet hémostatique, effet stérilisant, douleurs post-opératoires et œdème postopératoire moindres (Barak et Kaplan, 1988). Une évaluation à 6 mois de l'efficacité des techniques chirurgicales énoncées constate moins de récidive avec la technique au laser et une préférence de cette technique par les patients à hauteur de 75 % (Mavrogiannis et al., 2006). Les taux de récidive de la gingivectomie à biseau externe et à biseau interne sont identiques. Les patients n'ont pas de préférence envers une technique particulière. Dans le cas d'une atteinte du parodonte profond, le traitement parodontal chirurgical par lambeaux d'assainissement vise à diminuer la profondeur des poches parodontales et à redonner à l'os alvéolaire un contour favorable à la santé parodontale. Afin de pérenniser les résultats obtenus, un suivi parodontal personnalisé et régulier est à instaurer et ceci indépendamment de la sévérité et de l'étendue de l'accroissement gingival initial.
Les traitements parodontaux non chirurgical et chirurgical permettent de réduire significativement le volume des tissus hypertrophiques mais la récidive est fréquente. Une étude chiffre le taux de récidive à long terme des hypertrophies gingivales médicamenteuses à 34 % (Ilgenli et al., 1999) ; la fréquence des rendez-vous de maintenance parodontale est déterminante dans leur récurrence. Un changement du médicament peut être envisagé par le médecin traitant qui évalue le rapport bénéfices/risques de la modification de prescription. Ainsi, la phénytoïne peut être remplacée par la carbamazépine, l'acide valproïque ou l'éthosuximide (Seymour et al., 1985). La ciclosporine A peut être substituée par le tacrolimus de la famille des macrolides. Une étude préliminaire sur 4 transplantés rénaux illustre ce propos. En somme, ce changement de médication est une alternative fiable, de plus la fonction rénale est maintenue (James et al., 2000). En ce qui concerne les inhibiteurs calciques, les inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine peuvent être une alternative intéressante (Kaur et al., 2010) (Gaur et Agnihotri, 2018).
En conclusion, les mécanismes étiopathogéniques impliqués dans les hypertrophies gingivales induites par des médicaments sont complexes et non complètement élucidés. Les formes cliniques sont variables d'un médicament inducteur à l'autre. Des prédispositions génétiques et la présence des facteurs bactériens locaux expliqueraient ces variabilités. Néanmoins, la prise en charge est similaire quelle que soit la classe de médicaments incriminée. À défaut de pouvoir moduler certains facteurs tels que l'âge, le sexe et la génétique, les atteintes gingivales peuvent être traitées par un traitement parodontal initial couplé à un bon contrôle de plaque et si nécessaire, chirurgical avec des objectifs à la fois esthétiques et préventifs. C'est à ce niveau que le parodontologiste a un rôle primordial afin de rendre service à ces patients dont les doléances sont d'ordre esthétique et/ou fonctionnel. La prise en charge est pluridisciplinaire, le parodontologiste travaillant en concertation avec le médecin référent.