Article
Riad Moussalli1* Manon Vallee2** Laura Lechien3*** Geneviève Herve4**** Fani Anagnostou5*****
*1- CES parodontologie, université Descartes-Paris V
DU parodontologie et implantologie, université Paris VI
Praticien attaché au département parodontologie
Service odontologie hôpital Pitié-Salpêtrière
Exercice privé, Paris
**2- Master oarodontologie, université Denis Diderot-Paris 7
Service odontologie hôpital Pitié-Salpêtrière
Exercice privé, Paris
***3- Ancienne interne médecine bucco-dentaire
Praticien attaché département parodontologie
Service odontologie hôpital Pitié-Salpêtrière
Exercice privé, Dunkerque
****4- Praticien hospitalier
Service d'anatomie et cytologie pathologique 1, hôpital Pitié-Salpêtrière
*****5- Doctorat d'université
HDR
Professeur des universités
UFR d'odontologie université Denis Diderot-Paris 7
Praticien hospitalier département parodontologie
Service odontologie hôpital Pitié-Salpêtrière
Résumé
La fibromatose gingivale héréditaire (GINGF, ORPHA 2024, MIM 135300), FGH, est une pathologie rare, non induite par la plaque, héréditaire ou idiopathique. Elle est caractérisée par un accroissement gingival bénin, progressif, fibreux et non inflammatoire. Son expression clinique est très hétérogène. La FGH est associée à une accumulation excessive de protéines de la matrice extracellulaire (collagène de type I) mais les mécanismes moléculaires impliqués dans ce processus ne sont pas complètement compris. Le diagnostic de FGH repose sur les antécédents familiaux, l'examen clinique et anatomopathologique. Le traitement chirurgical améliore l'esthétique, la fonction masticatoire et facilite le contrôle de la plaque dentaire mais la récidive de l'accroissement gingival est fréquente. L'objectif de cet article est de faire le point sur les données de la littérature sur le plan des aspects cliniques et pathophysiologiques, et de présenter la prise en charge de cette pathologie.
Non-syndromic gingival fibromatosis (GF) is a benign, rare, non plaque-induced disease. It may be hereditary or idiopathic. It is characterized by a progressive, fibrous and non-inflammatory, enlargement of the keratinized gingiva causing functional, esthetic and psychological implications. Its clinical expression is highly heterogeneous, Clinical manifestations of FGH are associated with excessive accumulation of extracellular matrix proteins, including type I collagen, but the mechanisms involved in this process are not fully understood. The diagnosis of FGH is based on the patient's family and personal medical histories as well as on clinical and histopathological features. Surgical treatment improves the patient's aesthetics and masticatory function impairement and periodontal condition but recurrence of gingival enlargement is frequent and unpredictable. The objective of this article is to review the clinical aspects, pathophysiological mechanisms and the management of this disease.
L'accroissement gingival est une caractéristique de certaines maladies gingivales (Dridi et al., 2013). Il est dû à une augmentation du volume (hypertrophie) ou du nombre (hyperplasie) de cellules ou de ces deux processus. En effet, ces termes font référence à une analyse histologique et aux mécanismes étiopathogéniques impliqués dans l'accroissement gingival (œdème, multiplication cellulaire, formation des constituants de la matrice extracellulaire).
L'accroissement gingival peut être localisé ou généralisé. Il peut être causé par diverses étiologies (Agrawal, 2015). Il est associé fréquemment à une inflammation induite par la plaque dentaire, avec ou sans facteurs locaux aggravants. Des accroissements gingivaux sont aussi associés à la prise de certains médicaments tels que la phénytoïne, la cyclosporine, ou la nifédipine (Heasman et Hughes, 2014). Mais d'autres facteurs comme des modifications endocriniennes (hormones sexuelles), des troubles hématologiques, des maladies systémiques, ou encore plus rarement la malnutrition, peuvent générer aussi des accroissements gingivaux.
Un accroissement gingival peut également être lié à des troubles d'origine génétique. Il s'agit d'un accroissement fibreux, non inflammatoire, qui peut être héréditaire, syndromique ou non, ou idiopathique (Gawron et al., 2016). La fibromatose gingivale héréditaire non syndromique (GINGF, ORPHA 2024, MIM 135300), FGH, est une maladie gingivale rare. Selon Orphanet, sa prévalence est inconnue et, selon Coletta et Graner (2006), sa fréquence est estimée à 1 cas pour 750 000. Cette pathologie, transmise selon le mode autosomique dominant ou récessif, reste peu décrite encore de nos jours. L'objectif de cet article est de faire le point sur les données de la littérature et de présenter les aspects cliniques ainsi que la prise en charge de cette maladie gingivale particulière.
La fibromatose gingivale héréditaire (FGH) appelée également « gencive éléphantiasique » ou « hyperplasie gingivale héréditaire » (Gawron et al., 2016) est une pathologie classée comme une maladie gingivale non induite par la plaque et associée à un trouble génétique. Elle est caractérisée par un accroissement gingival bénin, lent, progressif, asymptomatique, fibreux et non inflammatoire. Elle affecte la gencive marginale et attachée ainsi que la papille interdentaire, mais ne se propage pas au-delà de la jonction muco-gingivale (Baptista, 2002). Cliniquement, la gencive garde une couleur rose plus ou moins foncée et une consistance ferme ; elle n'est ni hémorragique ni douloureuse. L'accroissement gingival forme alors des « bourrelets » à surface lisse ou granitée et de consistance ferme. La surface de ces bourrelets peut également être nodulaire ou en forme de « galets » (fig. 1). L'expression clinique de la FGH est très hétérogène, avec un aspect clinique de localisation, de sévérité et d'apparition variables. L'accroissement gingival peut être généralisé ou localisé à une seule région du maxillaire ou de la mandibule. Typiquement, il touche les tubérosités maxillaires ou la région antérieure de la mandibule (fig. 2 et 3). Dans les cas sévères, la gencive peut recouvrir presque totalement les surfaces dentaires et déformer le palais.
La FGH apparaît souvent au cours de l'éruption des dents permanentes, parfois des dents temporaires, ou plus rarement dès la naissance (Bozzo et al., 2000, Doufexi et al., 2005). Cette variabilité clinique a été décrite aussi chez des individus d'une même famille (Nibali et al., 2013). La FGH peut aussi être plus prononcée au cours de l'adolescence, suggérant une influence des hormones sexuelles. Or, bien qu'il soit établi que les stéroïdes sexuels peuvent influencer la fonctionnalité des cellules des tissus parodontaux, les mécanismes sous-jacents de leurs effets ne sont pas connus. L'étendue de l'accroissement gingival peut être évaluée d'après la classification simplifiée de l'Index d'Aas (1963) :
– degré 0 : absence de signe d'hypertrophie gingivale ;
– degré I : hypertrophie limitée à la papille interdentaire ;
– degré II : l'augmentation de volume gingival implique les papilles et la gencive marginale ;
– degré III : la gencive hypertrophique recouvre des 2/3 à la totalité des couronnes cliniques.
La FGH peut induire des troubles fonctionnels tels que des troubles de la mastication et de la phonation, avec des conséquences psychologiques et esthétiques (fig. 4) (Poulopoulos et al., 2011). Elle est souvent à l'origine d'une persistance des dents temporaires, de retards d'éruptions des dents permanentes, de malpositions dentaires, de diastèmes et de lèvres proéminentes. Le recouvrement de la dent rend difficile le contrôle de la plaque dentaire, favorisant l'apparition des maladies parodontales et/ou des caries (Millet et al., 2012).
Pour établir le diagnostic de FGH, il est nécessaire de confronter les caractéristiques cliniques aux circonstances d'apparition et à l'histoire de la maladie. En particulier, il est important de distinguer les formes héréditaires ou idiopathiques par l'analyse du caractère familial : existe-t-il d'autres membres de la famille atteints ? La FGH est souvent un trouble isolé. Elle peut être associée à l'hypertrichose, avec ou sans retard mental. Dans certains cas, ce retard peut être associé à un syndrome qu'il conviendra alors d'écarter (tableau 1) (Poulopoulos et al., 2011).
Le diagnostic différentiel doit aussi porter sur les accroissements gingivaux liés à la plaque, avec ou sans facteurs locaux, qui sont cliniquement plus inflammatoires et hémorragiques. Mais également sur les accroissements gingivaux avec ou sans facteurs systémiques, comme les troubles endocriniens (hormones sexuelles), les maladies systémiques, les hémopathies ou encore les accroissements gingivaux modifiés par des traitements médicamenteux (Agrawal, 2015) qui sont généralement moins fibreux et plus inflammatoires (Liebert et Borghetti, 2000).
L'analyse anatomopathologique des biopsies de la FGH montre un épithélium bien structuré avec des crêtes épithéliales allongées et minces qui s'étendent dans le tissu conjonctif (fig. 5). Toutefois, les caractéristiques de l'épithélium de la FGH sont similaires à ceux de la gencive normale. Le tissu conjonctif se caractérise quant à lui par la présence d'un riche réseau collagénique. Les faisceaux de collagène sont denses et orientés dans diverses directions, contrairement à la gencive normale (Häkkinen et Csiszar, 2007). En outre, il semble y avoir relativement peu de fibroblastes et de vaisseaux sanguins.
Le tissu conjonctif sous épithélial peut aussi présenter des infiltrats inflammatoires chroniques dus à l'accumulation de la plaque dentaire au niveau du sillon gingivo-dentaire.
L'analyse par microscopie électronique de l'ultrastructure du tissu conjonctif gingival révèle des fibrilles de collagène avec des anomalies structurelles, comprenant des variations de diamètre, et la présence de fibres oxytalanes (Sakamoto et al., 2002). Ces observations permettent de considérer la FGH comme une maladie génétique héréditaire du tissu conjonctif, à différencier des accroissements gingivaux d'origine non génétique comme de ceux d'origine médicamenteuse. L'hypothèse avancée par Araujo et al. (2003) pour expliquer les modifications fibreuses serait que l'inflammation rendrait les cellules plus permissives aux petits peptides comme les facteurs de croissance, ce qui stimulerait la prolifération cellulaire et les modifications hyperplasiques. Néanmoins, ces caractéristiques histologiques ne sont pas spécifiques et le diagnostic définitif de fibromatose gingivale héréditaire doit être fondé sur les antécédents familiaux et l'examen clinique (Kelekis-Cholakis, 2002).
Sur le plan génétique, la FGH non syndromique se transmet en général selon le mode autosomique dominant avec une pénétrance incomplète et une expressivité variable (Gawron et al., 2016). La transmission autosomique récessive a également été rapportée mais reste peu décrite. Lorsque l'histoire familiale ne dévoile aucune preuve de transmission génétique, la FGH est déclarée idiopathique, même si elle peut être causée par une nouvelle mutation. Certaines études ont identifié la présence de trois loci génétiquement distincts en rapport avec la forme isolée de la FGH (Coletta et Graner, 2006). Les loci sont localisés sur le chromosome 2 : 2p21-p22 (GINGF), 2p22.3-23,3 (GINGF3), 83-85 et sur le chromosome 5 : 5ql3-q22 (G1NGF2) (Gawron et al., 2016). Actuellement, seule une mutation intéressant le gène Son Of Sevenless (SOS1) est identifiée, bien que des études complémentaires soient nécessaires pour confirmer le lien avec la FGH (Shi et al., 2011). Des mutations sur d'autres gènes ont été aussi rapportées (Ma et al., 2014, Bayram et al., 2017), ce qui montre bien que les différentes formes de FGH ne sont pas identiques génétiquement.
Néanmoins, malgré cette hétérogénéité génétique, les caractéristiques histologiques de la FGH sont similaires. Cela suggère que les différentes mutations affectent probablement les mêmes voies de signalisation impliquées dans la pathogénèse de cette affection. Les manifestations cliniques de la FGH sont associées à une accumulation excessive de protéines de la matrice extracellulaire, notamment du collagène de type I, mais les mécanismes moléculaires qui déclenchent ce processus pathologique ne sont pas complètement compris (Häkkinen et Csiszar, 2007, Gawron et al., 2016). Des études in vitro ont montré que la prolifération des fibroblastes provenant de patients atteints de FGH en culture est plus importante. De plus, la production du collagène de type I et le taux d'ARNm de la protéine HSP47 par ces cellules sont également élevés (Colleta et Graner, 2006). En effet, la protéine HSP47 se lie au procollagène pour empêcher l'assemblage prématuré des chaînes de procollagène. Cette protéine participe en outre à la translocation et à la sécrétion de procollagène de type I dans l'espace extracellulaire. Par ailleurs, des modifications de l'expression de métalloprotéases (MMPs), semblent être aussi impliquées dans la pathogenèse de la FGH. Plusieurs études ont montré une diminution significative de l'expression et de l'activité des MMP-1 et MMP-2 des fibroblastes de patients atteints de FGH par rapport à ceux des sujets sains.
Certains auteurs ont souligné aussi le rôle du TGF- Þ 1 dans la pathogénèse de la FGH (Coletta et Graner, 2006). Ce facteur de croissance, via un mode autocrine et paracrine, stimulerait la prolifération des fibroblastes, la production de collagène et de fibronectine, et réduirait la synthèse et l'activité des MMPs qui dégradent la matrice extracellulaire. De plus, il semblerait que le TGF-Þ1 ait la capacité d'induire la transdifférenciation des myofibroblastes. Ces cellules sont présentes de façon transitoire durant la cicatrisation des plaies, où elles jouent un rôle essentiel dans la contraction de la plaie et la restauration du tissu conjonctif. Toutefois, elles sont persistantes dans les lésions fibrotiques, et conduisent à une accumulation excessive de collagène. Des myofibroblastes ont été identifiés dans certains cas de FGH, avec des niveaux élevés de TGF-Þ1. Le TGF-Þ conduirait alors à l'accumulation de matrice extracellulaire, ce qui se traduit cliniquement par un accroissement gingival. Des études complémentaires sont cependant nécessaires pour confirmer ces résultats et mieux comprendre les mécanismes biologiques impliqués dans la physiopathologie des FGH.
Parmi les facteurs à considérer dans l'établissement du plan de traitement, on peut citer les besoins esthétiques et fonctionnels, mais aussi la survenue de la puberté, car la récidive est principalement observée chez les enfants et les adolescents plutôt que chez les adultes (Bozzo et al., 1994).
Le traitement non chirurgical comprend la mise en place d'un enseignement à l'hygiène bucco-dentaire. Une fois que le patient est coopératif et assure un bon contrôle de plaque, le traitement communément accepté est l'exérèse de l'accroissement gingival par gingivectomie externe ou interne avec débridement par lambeau d'accès (Ramer et al., 1996, Kelekis-Cholakis, 2002, Almiñana-Pastor et al., 2017) (fig. 6 à 11). Cette chirurgie peut être réalisée à l'aide d'un bistouri mais peut également être effectuée par électrochirurgie ou via un laser, ce qui réduit le risque de saignement et la douleur (Mason et Hopper, 1994). L'opération est suivie par des bains de bouche de chlorhéxidine à 0,12 % deux fois par jour pendant 2 semaines (Coletta et Graner, 2006). Cette procédure élimine les fausses poches gingivales, réduit le volume tissulaire et facilite le contrôle de plaque (fig. 12). La restauration des contours physiologiques de la gencive et la maintenance postopératoire sont essentielles pour la réussite du traitement, mais aussi pour minimiser le risque de récidive (Poulopoulos et al., 2011, Tripathi et al., 2015).
Néanmoins, le taux de récidive est fréquent et imprévisible (fig. 13) (Poulopoulos et al., 2011, Gawron et al., 2016). Il est plus souvent observé chez les enfants et les adolescents que chez les adultes. Les facteurs de récidives incriminés sont l'âge d'intervention, la présence de la plaque dentaire et la restauration optimale des contours gingivaux (Coleta et Graner, 2006, Gawron et al., 2016). En effet, dans les zones d'accumulation de plaque, il semblerait que la récidive soit plus rapide. La sévérité de l'accroissement gingival ne semble pas être liée à la présence de la plaque dentaire ou aux dépôts de tartre alors que la restauration de la gencive marginale serait plus déterminante pour prévenir la récidive (Emerson, 1965). Toutefois, l'hygiène bucco-dentaire du patient doit être optimale et combinée à des séances de maintenance fréquentes pour pouvoir intercepter une éventuelle récidive. Elle pourrait se produire de plusieurs mois à plusieurs années après la chirurgie. Quoi qu'il en soit, les avantages locaux et psychologiques, même temporaires, ne doivent pas être sous-estimés et sont à prendre en considération malgré la probabilité de récidive.
La fibromatose gingivale héréditaire est une pathologie rare, diagnostiquée plutôt chez les enfants, et dont le diagnostic doit exclure les associations systémiques décrites. Les répercussions esthétiques et les altérations dentaires associées peuvent considérablement impacter la qualité de vie du patient et induire des troubles fonctionnels, émotionnels et sociaux.
L'altération génétique exacte conduisant à l'accumulation de collagène reste incertaine. D'autres études sont nécessaires pour élucider les mécanismes physiopathologiques impliqués dans cette maladie.
Le parodontiste a un rôle primordial dans la gestion de cette pathologie, tout particulièrement pour établir le diagnostic différentiel et répondre aux doléances du patient, mais également pour assurer un suivi parodontal au long cours.
– le diagnostic de la FGH repose sur l'examen clinique et l'interrogatoire médical et familial du patient ;
– l'examen anatomopathologique de la pièce d'exérèse doit être systématique bien que les caractéristiques histologiques de cette maladie gingivale ne soient pas spécifiques ;
– le traitement chirurgical (gingivectomie à biseau externe/interne selon l'étendue de l'hypertrophie) améliore l'esthétique, limite les troubles fonctionnels et facilite le contrôle de la plaque dentaire ;
– le contrôle de la plaque dentaire doit être optimal et combiné à des séances de maintenance fréquentes pour limiter le risque de récidive.