Article
Mathieu DE NUTTE* Élisabeth BEHAEGHE** Charlotte FAVRIL*** Simone CORTELLINI**** Wim TEUGHELS***** Marc QUIRYNEN******
*Département des sciences de la santé bucco-dentaire
KU Leuven & Odontologie (parodontologie)
Hôpitaux universitaires Louvain
Louvain, Belgique
Résumé
Objectif. Examiner la relation entre le tabagisme et la péri-implantite.
Matériel et méthodes. Une revue de littérature a été menée avec Pubmed en utilisant différentes combinaisons de termes.
Résultats. Les données des études prospectives incluses suggèrent que les personnes qui fument avant ou après l'implantation pourraient subir un risque plus élevé que les non-fumeurs d'environ 3,5 à 35 % d'échecs implantaires. Par ailleurs, on trouve une perte osseuse marginale de 0,1 à 1,4 mm chez les fumeurs. L'incidence de la péri-implantite variait entre 11,4 et 41,6 % chez les fumeurs, soit une augmentation de 8,2 à 37,9 % par rapport aux non-fumeurs/anciens fumeurs.
Conclusion. Les implants chez les fumeurs ont un taux plus élevé d'échec précoce, une incidence plus élevée de perte osseuse marginale et sont plus enclins à développer des péri-implantites par rapport aux implants placés chez les non-fumeurs/anciens fumeurs.
Aim. To examine the relationship between smoking and peri-implantitis.
Material & methods. A literature search was conducted in Pubmed using Medical Subject Heading search terms and free text terms in different combinations.
Results. The data of the included prospective studies suggest that individuals who smoke before or after implantation, might suffer a higher risk of approximately 3.5 to 35% more dental implant failure, as compared with non-smokers. Moreover, 0.1 to 1.4 mm more marginal bone loss was found in smokers. The incidence of peri-implantitis varied between 11.4 and 41.6% in smokers, being 8.2 to 37.9% higher than reported for non-smokers/former smokers.
Conclusion. Implants in smokers have a higher early failure rate, higher incidence of marginal bone loss and are more prone to develop peri-implantitis compared to implants placed in non-smokers/former smokers.
Le tabagisme a un énorme impact sur la santé bucco-dentaire et est clairement associé à la parodontite, à la perte de dent, à la perte d'attache, à la perte osseuse verticale, à l'alvéolite et au retard de cicatrisation après la chirurgie (Johnson et Bain, 2000 ; Kornman et Robertson, 2000 ; Scabbia et al., 2001 ; Millar et Locker, 2007 ; Sham et al., 2003 ; Baljoon et al., 2004 ; Warnakulasuriya et al., 2010). En outre, la muqueuse peut être déshydratée par des températures intra-orales élevées et il peut y avoir des changements de pH, des altérations de la réponse immunitaire ou une résistance diminuée aux infections fongiques ou virales, une réduction de l'apport sanguin local (Sham et al., 2003).
Le tabagisme compromet divers aspects de la réponse innée et acquise de l'hôte (Palmer et al., 2005 ; Ryder, 2007), y compris les altérations de la fonction des neutrophiles, la production d'anticorps, les activités de fibroblastes, les facteurs vasculaires et la production de médiateurs inflammatoires. Les fumeurs présentent également des taux élevés de globules blancs et de granulocytes dans leur circulation systémique (Smith et al., 2003) mais l'influence de la cigarette sur les leucocytes polymorphonucléaires dans le sillon gingival n'est pas claire. La viabilité des leucocytes polymorphonucléaires (Güntsch et al., 2006) et leurs fonctions (par exemple, la phagocytose) (Güntsch et al., 2006), la génération de superoxyde et de peroxyde d'hydrogène (Ryder, 2007), l'expression de l'intégrine (Ryder, 2007) et la production d'inhibiteurs de protéase (Persson et al., 2001) peuvent être modifiées par la cigarette à travers divers composants du tabac.
Le tabagisme stimule également les activités les plus destructrices des leucocytes polymorphonucléaires. Les fumeurs présentent par exemple une diminution des immunoglobulines G sériques (Graswinckel et al., 2004) à A. actinomycetemcomitans (Apatzidou et al., 2005) par rapport aux non-fumeurs. Certaines études ont même démontré que la fumée de tabac inhibait la prolifération et/ou la fonction des cellules B et T (Sopori et al., 1998).
La nicotine est la composante la plus largement étudiée du tabac pour son effet sur diverses populations cellulaires dans le parodonte. Dans le fluide du sillon gingival des fumeurs, les concentrations de nicotine sont près de 300 fois celles du plasma (20 ng/ml) (Ryder et al., 1998). Il est judicieux de supposer que les propriétés vasoconstrictives de la nicotine altèrent sensiblement le flux sanguin gingival. Le sang gingival et le flux du fluide gingival augmentent dès 3 à 5 jours après l'arrêt du tabagisme (Morozumi et al., 2004). Cette constatation ainsi que l'augmentation de saignement au sondage après l'arrêt du tabac (Nair et al., 2003) confirment que le tabagisme chronique diminue la vascularisation gingivale. La nicotine peut également se lier à la surface de la racine et ainsi modifier l'attachement et la prolifération des fibroblastes in vitro (Tanur et al., 2000 ; Gamal et Bayomy, 2002). Tipton et Dabbous ont également démontré une réduction de la production de collagène ainsi qu'une augmentation de l'activité de la collagénase dans des cultures de fibroblastes exposées à la nicotine (Tipton et Dabbous, 1995). En outre, la fumée de cigarette a un impact négatif sur la cicatrisation osseuse chez l'animal (Carvalho et al., 2006 ; César-Neto et al., 2006). Tous ces facteurs peuvent contribuer à l'augmentation de la destruction des tissus et à une diminution de la cicatrisation chez les fumeurs. Les études comparant la flore microbienne sous-gingivale chez les fumeurs et les non-fumeurs ont donné des résultats contradictoires (Socransky et Haffajee, 2005), en partie en raison des variations des techniques d'échantillonnage et de la présentation des données. Donc, le tabagisme crée un environnement qui favorise la colonisation des agents pathogènes dans les sites peu profonds et pourrait aider à expliquer l'initiation/progression de la maladie (Haffajee et Socransky, 2001 ; Eggert et al., 2001).
La relation entre le tabagisme et la péri-implantite/non-intégration est encore controversée car certaines études n'ont pas permis de trouver des différences significatives dans l'incidence des péri-implantites entre les fumeurs et les non-fumeurs (Koldsland et al., 2011 ; Swierkot et al., 2012).
Une revue de la littérature a été menée afin de vérifier cette relation, en considérant uniquement des études prospectives avec des données sur la survie de l'implant pour les fumeurs (S) et les non-fumeurs/anciens fumeurs (NS/FS). Une recherche électronique sans restriction de temps a été effectuée dans la base de données PubMed. Les termes suivants ont été utilisés dans la stratégie de recherche : le tabagisme et le tabac ont été combinés avec « défaillance de l'implant », « survie de l'implant », « péri-implantite », « perte osseuse péri-implantaire » et « perte d'implant » pour les résultats du traitement implantaire.
Vingt et une études cliniques ont satisfait aux critères d'inclusion (tableau 1). Cinq études (De Bruyn et al., 1999 ; Kumar et al., 2002 ; Karoussis et al., 2003 ; Peleg et al., 2006; Romanos et al., 2013) n'ont pas révélé de différences dans le taux d'échec implantaire entre fumeurs et NS/FS. D'après 7 des études restantes (Lindquist et al., 1997 ; Grunder et al., 1999 ; Olson et al., 2000 ; Schwartz-Arad et Dolev, 2000 ; Widmark et al., 2001 ; Levin et al., 2008 ; Tawil et al., 2008), nous n'avons pas pu trouver d'analyse statistique sur ce paramètre, 9 autres études (Bain, 1996 ; Lambert et al., 2000 ; van Steenberghe et al., 2002 ; Hallman et al., 2005 ; Sanna et al., 2007 ; D'haese et al., 2013 ; Degidi et al., 2016 ; Gherlone et al., 2016 ; Cha et al., 2014) ayant rapporté une différence statistiquement significative. Toutes ont rapporté un taux d'échec implantaire plus élevé chez les fumeurs.
Les données suggèrent que les personnes qui fument avant ou après l'implantation pourraient subir un risque plus élevé d'environ 3,5 à 35 % pour l'échec implantaire par rapport aux non-fumeurs. C'est surtout le cas lorsque la mise en place de l'implant a été combinée avec des procédures régénératives. Cette observation est également en accord avec plusieurs revues systématiques (Grunder et al., 2000 ; Hinode et al. 2006 ; Strietzel et al., 2007 ; Chen et al. 2013 ; Sgolastra et al., 2015) (tableau 1).
Seules quelques-unes de ces études ont examiné le niveau de l'os marginal et toutes ont clairement rapporté une perte osseuse péri-implantaire majorée chez les fumeurs. Lindquist et al. ont rapporté une perte osseuse majorée de 0,6 mm chez les fumeurs par rapport aux NS/FS (Lindquist et al., 1997). Levin et al. ont trouvé une perte osseuse majorée de 0,3 mm chez les fumeurs (Levin et al., 2008). Les deux résultats étaient statistiquement significatifs. D'autres auteurs ont trouvé une perte osseuse chez les fumeurs, majorée de 0,1 à 0,2 mm (Romanos et al., 2013 ; D'haese et al., 2013 ; Degidi et al., 2016 ; Gherlone, 2016). Ces résultats n'étaient pas significatifs. L'étude de Sanna et al. a révélé la plus grande différence. En moyenne, 1,4 mm de perte osseuse supplémentaire chez les fumeurs par rapport aux NS/FS, mais aucune analyse statistique n'a été effectuée sur ces données (Sanna et al., 2007).
Neuf études prospectives (tableau 2) ont rapporté des données sur l'incidence de péri-implantite chez S et NS/FS. Seulement 3 de ces 9 études ont montré une incidence statistiquement significative plus élevée de péri-implantite chez les fumeurs par rapport aux NS/FS (Roos-Jansåker et al., 2006 ; Swierkot et al., 2012 ; Gherlone et al., 2016). Cinq études (Karoussis et al., 2003 ; Dvorak et al., 2011 ; Costa et al., 2012 ; Casado et al., 2013 ; Marrone et al., 2013) n'ont pas permis de trouver une différence statistiquement significative et une étude (Stoker et al., 2012) n'a rapporté que les données sans analyse statistique. Seulement 1 étude sur 9 a montré une incidence plus élevée de péri-implantite chez NS/FS, mais ce n'était pas statistiquement significatif (Casado et al., 2013). Roos-Jansaker et al. ont rapporté 12,7 % de plus de péri-implantites chez les fumeurs. Dans cette étude, 15,5 % des implants placés chez des fumeurs présentaient une péri-implantite contre 2,8 % chez les NS/FS (Roos-Jansaker et al., 2006). Gherlone et al. ont rapporté des péri-implantites sur 41,6 % des implants placés chez des fumeurs contre à 3,7 % chez les NS/FS (Gherlone et al., 2016).
Aucune différence statistiquement significative entre non fumeurs et anciens fumeurs n'a été observée dans les complications (Levin et al., 2004), ce qui indique que le risque de complications peut être réduit lorsque les patients cessent de fumer. Les patients qui ont temporairement cessé de fumer (par exemple au moins 1 semaine avant et au moins 2 mois après la chirurgie implantaire) ont déjà réduit les effets néfastes du tabagisme sur la survie de l'implant (Bain et Moy, 1993). Mais la fenêtre de temps exacte nécessaire après l'arrêt du tabagisme pour obtenir une amélioration significative de la survie des implants n'a pas été suffisamment étudiée (Baig et Rajan, 2007). De nombreux protocoles de cessation tabagique ont été proposés pour améliorer les résultats chirurgicaux chez les fumeurs (Bain et Moy, 1993 ; Bain, 1996), mais l'effet de l'arrêt du tabagisme à court terme sur la cicatrisation des tissus et des plaies ou d'autres complications de la chirurgie générale est encore controversé (Sorensen et al., 2003 ; Levin et Schwartz-Arad, 2005).
Cette revue indique des taux plus élevés d'échecs implantaires chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs/anciens fumeurs. Ceci est conforme à la méta-analyse de Chrcanovic et al. Ils ont conclu que les implants mis en place chez les fumeurs avaient un taux d'échec plus élevé [ratio de risque (RR) = 2,23 ; IC 95 % : 1,96-2,53], un risque plus élevé d'infections postopératoires (RR = 2,01 ; IC 95 % : 1,09-3,72) et une perte de l'os marginal [différence moyenne (MD) = 0,32 ; IC 95 % : 0,21-0,43] par rapport à ceux mis en place chez les non-fumeurs/anciens fumeurs. Cette méta-analyse comprenait à la fois des essais cliniques randomisés et non randomisés pour obtenir plus de données (significatives), ce qui a contribué au raisonnement clinique (Chrcanovic et al., 2015). En ce qui concerne les données de cette méta-analyse, 6,4 % des implants placés chez les fumeurs ont échoué contre 3,2 % chez les non-fumeurs. Cette méta-analyse a suggéré des effets seulement au maxillaire mais peut-être parce que le nombre d'études est plus limité à la mandibule. D'autres critiques ont suggéré que le tabagisme est un facteur de risque de survie des implants dans les zones d'os trabéculaire lâche. Cette différence significative ne se retrouve pas au niveau de bons sites osseux.
La méta-analyse précitée a montré des taux d'échecs accrus chez les fumeurs indépendamment de la rugosité de la surface de l'implant. Cependant, Chrcanovic et al. ont observé chez les fumeurs un ratio de risque plus élevé pour les implants à surface modérément rugueuse par rapport aux implants moins rugueux chez les fumeurs (Chrcanovic et al., 2015). En revanche, d'autres études ont observé un risque significativement plus élevé pour les implants de surface peu rugueuse (et non pour des surfaces modérément rugueuses).
La méta-analyse de Chrcanovic et al. a rapporté une perte osseuse marginale plus élevée de 0,32 mm (IC 95 % : 0,21-0,43) chez les fumeurs (Chrcanovic et al., 2015). Ceci a été confirmé par une autre revue systématique, signalant à nouveau une différence statistiquement significative de la perte osseuse marginale entre les fumeurs et les non-fumeurs, favorisant les non-fumeurs [différence de moyenne normalisée (SMD) = 0,49 mm ; IC 95 % : 0,07-0,90] (Moraschini et Barboza, 2015).
Dans notre analyse, certaines études n'ont pas révélé de différence statistiquement significative entre les fumeurs et les non-fumeurs. Cela s'explique par le temps de suivi et la quantité d'implants placés. En effet, tous montrent une tendance en faveur des non-fumeurs/anciens fumeurs.
Neuf études ont rapporté l'incidence de la péri-implantite chez les fumeurs et les non-fumeurs/anciens fumeurs. Seules 3 études ont rapporté une différence statistiquement significative dans l'incidence de la péri-implantite entre les fumeurs et les non-fumeurs/anciens fumeurs, alors que d'autres études n'ont pas permis de trouver une différence statistiquement significative. Une méta-analyse récente de Sgolastra et al. a révélé un risque significativement plus élevé de péri-implantite chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs concernant l'analyse par implant, mais non sur une analyse reposant sur le patient (Sgolastra et al., 2015).
Renvert et al. ont également signalé qu'il y avait une certaine controverse sur la relation entre le tabagisme et la péri-implantite (Renvert et al., 2015). Tout cela s'explique par l'hétérogénéité dans les définitions des études. La définition du fumeur variait de 1 cigarette/jour à 10 cigarettes/jour (Gherlone et al., 2016). La définition de la péri-implantite variait considérablement, par exemple des signes d'infection par perte osseuse à PPD > 6 mm et perte osseuse ≥ 3 mm. En outre, des facteurs de confusion, par exemple le contrôle de la plaque, étaient souvent négligés.
Dans les limites de cette revue de littérature, nous pouvons conclure que les implants placés chez les fumeurs ont un taux plus élevé d'échecs précoces, une incidence plus élevée de perte osseuse marginale et sont plus enclins à développer une péri-implantite.