Article
Mithridade DAVARPANAH 1 / Serge SZMUKLER-MONCLER 2 / Philippe RAJZBAUM 3 / Keyvan DAVARPANAH 4
1- Docteur en médecine
Groupe de recherche de l'EID2- Docteur en chirurgie dentaire
Docteur en science des matériaux
Groupe de recherche de l'EID3- Docteur en chirurgie dentaire
Docteur en science odontologique
Groupe de recherche de l'EID4- Docteur en chirurgie dentaire
Groupe de recherche de l'EID
RÉSUMÉ
Cet article traite de la mise en place d'implants posés suivant le protocole non conventionnel que nous avons publié en 2009. Des sites rendus édentés suite à la présence de dents incluses ont été traités à l'aide d'implants placés au travers de ces dents incluses. Couvrant une période de 14 ans, 58 implants ont été insérés chez 41 patients à l'aide de ce protocole, principalement à travers des canines incluses. Cinq échecs ont eu lieu chez 4 patients.
Le but de cet article est de rendre compte de l'expérience acquise au cours de cette longue période. L'analyse des échecs nous met en position de mieux définir les indications et les contre-indications de ce protocole particulier. Le concept de l'intégration minérale, que nous avons introduit en 2012, permet de rendre compte biologiquement du succès de ce protocole non conventionnel. Tous les échecs ont été précédés d'une inflammation et tous ont pu être attribués à un problème chirurgical spécifique plutôt qu'à une réaction délétère à l'interface dent-implant.
Ce protocole peu conventionnel ne fait pas encore partie de la médecine fondée sur la preuve (evidence-based medicine). Avant que la profession puisse le considérer comme un protocole à mettre en œuvre de manière routinière, il est nécessaire de documenter un nombre plus important de cas sur une période plus longue que celle que nous présentons. Néanmoins, ce protocole particulier ouvre des possibilités de traitement inattendues. Il suggère également qu'il est encore possible de remettre en question le bien-fondé d'un paradigme solidement ancré en implantologie dentaire.
This paper is dealing with an unconventional implant placement protocol that we first published in 2009. Sites rendered edentulous because of the presence of impacted teeth were treated with implants placed through those impacted teeth. Over a 14-year span, 58 implants in 41 patients have been inserted through impacted teeth, mostly canines; 5 implants failed in 4 patients.
The aim of the present paper is therefore to report on the experience we gained over this extended period of time. Through failure analysis, the indications and contra-indications of this protocol are discussed. The concept of mineral integration, a concept we coined in 2012, is strengthened as the way to explain the success of this unconventional protocol. All failed implants were related to a previous inflammation. Failures could be attributed to a specific surgical issue rather than to a deleterious reaction at the tooth-implant interface.
This protocol is not part of the evidence-based medicine. Before this protocol can be implemented on a routine basis more implants and longer follow-ups are required. However, it opens intriguing treatment possibilities; it also suggests that there is still room for a paradigm-shift of a well-anchored paradigm in dental implantology.
La conférence de Toronto qui a eu lieu en 1982 peut être considérée comme le moment du lancement de l'implantologie moderne. Cette nouvelle discipline de l'odontologie souffle donc, en cette année 2017, sa 35e bougie. Depuis l'introduction du concept de l'ostéo-intégration et de ses recommandations rigides de l'origine (Brånemark et al., 1977 ; Adell et al., 1981), les praticiens pratiquant l'implantologie ont été les témoins de la transformation des concepts et des protocoles qui ont évolué à un rythme soutenu. Des règles qui semblaient inaltérables ont été remises en question (Szmukler-Moncler et al., 2000), puis sont tombées dans l'oubli. Les concepts qui les sous-tendaient ont volé en éclats. Les générations de praticiens récemment formés en ignorent même l'existence. Seuls les implantologistes en exercice au début des années 1990 s'en souviennent car ils ont dû s'y soumettre dans leur pratique clinique. Ceux-ci peuvent mesurer tout le chemin parcouru par la discipline qui, dans l'intervalle, s'est établie avec l'autorité de ses nombreux magazines et son nombre d'articles en croissance constante. Aujourd'hui, l'implantologie accompagnée de la chirurgie pré-implantaire peut venir en aide à des patients qui, auparavant, se voyaient exclus du bénéfice de la restauration implanto-portée. Après tant de nouveautés, il est légitime de se demander si l'implantologie moderne n'a pas épuisé tout son réservoir d'innovations.
De tous les concepts de l'implantologie, l'ostéo-intégration demeure, sans conteste, le plus déterminant. Contrairement à ce qui était accepté dans les années 1970 et 1980 avec la fibro-intégration (Weiss, 1988), il avance que la pérennité de l'implant dentaire ne peut être assurée que par une interface os/implant sans interposition fibreuse. Ce concept sous-entend de manière implicite que seul le tissu osseux peut venir au contact de la surface implantaire, à l'exclusion de tout autre tissu d'origine dentaire (Gray et Vernino, 2004).
Les indications du traitement implantaire se sont élargies depuis son application première à l'édenté total (Brånemark et al., 1977). Une de ces indications est le traitement de l'édentement causé par la présence d'une dent incluse, le plus fréquemment la canine maxillaire. Le traitement conventionnel de cette situation clinique est orthodontique ; cependant, lorsque le patient refuse cette approche ou qu'elle n'est pas applicable, la solution de remplacement est soit prothétique, sous la forme d'un bridge collé, soit chirurgicale et implantaire. Le protocole chirurgical consiste en premier chef à procéder à l'extraction de la canine incluse qui se trouve sur le trajet implantaire puis à poser l'implant dans le volume osseux reconstruit. La canine est souvent volumineuse et son extraction peut conduire à l'effondrement de la table vestibulaire en regard (Davarpanah et al., 2012, 2017). Dans ce cas, pour préserver le capital osseux, une greffe osseuse, en général ramique, est nécessaire. Le traitement devient alors long et invasif. Les patients adultes désirant restaurer leur édentement unitaire cherchent alors une autre option de traitement, plus rapide et efficace.
Pour traiter ce type d'indication de manière non invasive et en une seule séance, notre équipe a proposé, en 2009, un protocole non conventionnel (Davarpanah et Szmukler-Moncler, 2009). Il n'écarte pas la possibilité de faire venir au contact de la surface implantaire des tissus autres qu'osseux, tels que le ligament alvéolo-dentaire, la dentine, le cément ou la pulpe. La nouvelle approche consiste à poser un implant dans sa position prothétiquement requise, en faisant abstraction de la présence de la canine incluse, c'est-à-dire qu'il est posé même si son trajet intercepte celle-ci. La démarche est maintenue même si elle génère des interfaces biologiques autres que l'interface os/implant.
Si une interface de tissu néoformé autre qu'osseux existe entre la surface implantaire et les autres tissus dentaires que sont le cément et la dentine, on ne peut plus parler d'ostéo-intégration proprement dite. C'est la raison pour laquelle, en s'appuyant sur des indications histologiques, nous avons élargi le concept d'ostéo-intégration aux tissus minéralisés dentaires autres que le tissu osseux et nous avons qualifié d'intégration minérale cette nouvelle réalité (Szmukler-Moncler et al., 2012).
La première publication de notre groupe sur l'implant trans-corono-radiculaire faisait état de 3 cas avec un recul maximum de 4 ans (Davarpanah et Szmukler-Moncler, 2009). D'autres cas isolés ont été publiés par la suite (Davarpanah et al., 2012, 2013, 2017 ; Szmukler-Moncler et al., 2014) et, en 2015, la totalité de notre recul clinique portant sur un suivi d'au moins 1 an a été présentée (Davarpanah et al., 2015). Il couvrait alors 10 patients ayant reçu 15 implants trans-corono-radiculaires dont le suivi s'étalait entre 1 et 8 ans (tableau 1). Au moment de la rédaction de cet article, aucun échec n'avait été à déplorer. Dans l'intervalle, le nombre de patients ayant accepté ce traitement non conventionnel a augmenté et quelques échecs sont survenus.
Le but de cet article est de présenter la technique de l'implantation trans-corono-radiculaire à l'aide d'un cas récent, ainsi que notre recul clinique et nos échecs, et de discuter le bien-fondé de cette approche qui ne fait pas encore partie de la médecine fondée sur la preuve (evidence based medicine).
L'indication par excellence de l'implant trans-corono-radiculaire concerne la situation d'une dent incluse, canine ou prémolaire, qui se présente à quelques millimètres en dessous de la crête alvéolaire (Davarpanah et Szmukler-Moncler, 2009 ; Davarpanah et al., 2017). Dans d'autres cas, la dent ankylosée, plus ou moins angulée, est immédiatement sous-crestale, elle apparaît lorsqu'un lambeau est soulevé (Davarpanah et al., 2013). Dans ce cas, la technique est plus complexe, il faut abraser généreusement le tissu coronaire sur tout le pourtour de l'alvéole jusqu'au moins au niveau crestal, voire davantage.
Le but de la technique est de s'écarter le moins possible du protocole d'implantation standard. La seule différence résiderait dans la séquence de forage : elle serait susceptible de nécessiter au préalable, lorsqu'un contact avec la partie coronaire de la dent est prévu, le passage d'une fraise en carbure de tungstène montée sur turbine. Lorsque l'implant vient au contact de la partie radiculaire de la dent incluse, le passage du foret en carbure de tungstène est aussi conseillé, il n'est cependant pas indispensable. La sensation est alors celle de forer dans un os très dense. Après ce premier passage, le forage se poursuit de manière conventionnelle en passant successivement tous les forets du système implantaire utilisé.
La descente de l'implant dans sa logette doit être menée avec une main plus déterminée que de coutume pour conserver l'orientation désirée de l'implant. En effet, l'implant aura tendance à dévier de sa course prévue et à emprunter le chemin de moindre résistance. De plus, il faudra veiller à progresser lentement dans la logette de manière à éviter toute fracture ou fissure de la dent incluse.
Le cas suivant illustre la technique lorsque la dent incluse n'affleure pas la crête alvéolaire. Il s'agit d'une patiente qui désire restaurer l'édentement de son incisive centrale maxillaire gauche. Elle se présente avec une couronne collée de manière provisoire aux dents adjacentes alors que la canine de lait qui se trouve sur l'arcade est légèrement mobile (fig. 1). L'examen radiographique révèle la présence de la canine définitive, elle est horizontale, incluse en une position médiane (fig. 2). Les coupes transversales montrent la rhyzalyse radiculaire avancée de l'incisive latérale. Le traitement orthodontique est difficile et la patiente le refuse. Une solution implantaire doit être trouvée.
Le protocole proposé consiste à déposer la couronne provisoire collée puis à extraire l'incisive latérale ainsi que la canine de lait qui sont mobiles. La restauration prothétique passera par 2 implants en position 21 et 23 destinés à soutenir un bridge de 3 éléments. L'implant en position 21 viendra partiellement au contact de la partie la plus coronaire de la dent sur son côté distal. L'implant en position 23 traversera la chambre pulpaire de la racine de la canine incluse. Le contact de la surface implantaire avec le tissu osseux aura lieu sur 3 à 4 mm de hauteur.
Après l'extraction des 2 dents (fig. 3), un lambeau est élevé et un foret en carbure de tungstène est passé au travers de la logette afin d'ouvrir un premier chenal au contact de la couronne dentaire (fig. 4). Puis, la séquence de forage classique est poursuivie jusqu'au passage du foret final (fig. 5). Cette séquence est répétée à l'identique pour l'implant en position 23. Deux implants V3 (MIS) de 3,9 × 13 mm de diamètre sont posés (fig. 6). Le lambeau est suturé et une radiographie de contrôle est prise. Elle montre les 2 implants au contact de la canine incluse, alors que l'implant le plus distal a pénétré la chambre pulpaire (fig. 7).
Une période d'intégration de 6 mois est prescrite avant de procéder aux étapes menant à la réalisation de la prothèse implanto-portée provisoire. La dépose des sutures a lieu 1 semaine après la chirurgie, comme à l'accoutumée. Aucune douleur postopératoire spécifique n'est rapportée, à l'instar de tous les autres patients traités jusque-là. Au contrôle de 3 mois, les implants sont cliniquement stables, la cicatrisation des tissus mous est satisfaisante (fig. 8) et elle se poursuit sans incident.
La patiente sera contrôlée 6 mois après l'intervention chirurgicale. En l'absence de symptômes clinique ou radiographique et après vérification de la stabilité implantaire, les étapes prothétiques seront entamées.
Notre recul clinique sur ce protocole non conventionnel porte à présent sur 58 implants posés chez 41 patients, il inclut les implants posés au contact d'odontomes. La première patiente ayant bénéficié de ce protocole a été implantée en 2003, il y a donc plus de 14 ans.
Selon la nécessité du traitement, les implants sont posés indifféremment au contact de la partie coronaire ou radiculaire des dents incluses. Selon la pertinence, les dents incluses peuvent recevoir 1 ou 2 implants, voire 3 implants dans un cas d'une prémolaire mandibulaire horizontale (Davarpanah et Szmukler-Moncler, 2009).
Aucun effort n'est fait pour éviter l'effraction de la chambre pulpaire lors du forage. Son franchissement, lorsqu'il est constaté, n'est accompagné par aucun symptôme douloureux postopératoire spécifique.
La pose d'un implant au contact d'une dent incluse peut avoir lieu dans le cadre d'un protocole d'une chirurgie en un ou deux temps, voire d'une mise en charge immédiate (Davarpanah et al., 2015).
Au cours des années, l'indication initiale de limiter ce protocole à des situations où la dent incluse se trouvait à au moins 4 mm de la crête alvéolaire (Davarpanah et Szmukler-Moncler, 2009) a progressé pour venir à la rencontre des patients ; des cas où la dent incluse affleurait la crête alvéolaire ont également été traités avec succès (Davarpanah et al., 2013).
Ce protocole n'avait subi aucun échec lorsque nous avons publié le rapport clinique portant sur 10 patients et 15 implants avec un suivi de 1 à 8 ans. Une seule complication postopératoire, sous la forme d'une infection au bout de 2 semaines, avait été rapportée (Davarpanah et al., 2015).
Depuis, sur 58 implants posés chez 41 patients, 5 échecs ont eu lieu. L'étude rétrospective de ces échecs montre un schéma identique pour tous les implants déposés. Tous les échecs ont présenté un accident infectieux durant la phase de cicatrisation qui semblait avoir été traité avec succès par antibiothérapie. Par ailleurs, ils avaient tous présenté une fissure lors de la pose implantaire. Les incidents infectieux sont intervenus au plus tôt 15 jours après l'implantation (Davarpanah et al., 2015) et au plus tard 7 mois après la pose de l'implant.
L'analyse rétrospective de chaque échec trouve une explication. La canine incluse de la première patiente était juxta-crestale, 2 implants ont été posés en position 12 et 13 (Davarpanah et al., 2015). Les distances interimplantaires étaient trop faibles, un seul implant avec une extension aurait suffi pour restaurer cet édentement. De plus, un pan de tissu dentaire se trouvait entre les 2 implants, il aurait dû être abrasé. Un autre patient qui se trouvait ultérieurement dans une situation identique a été traité de la sorte avec succès.
La canine incluse de la deuxième patiente était aussi juxta-crestale. La dent convenablement abrasée jusqu'au niveau de la crête s'est fêlée lors de la pose de l'implant. Ce pan de tissu dentaire s'est mobilisé au cours du temps et a provoqué l'incident infectieux.
La canine de la troisième patiente a été implantée sans soulever de lambeau au travers de l'alvéole de la dent de lait extraite. Une perforation vestibulaire, observée lors de la dépose de l'implant, a été à l'origine de l'incident infectieux qui a conduit à la dépose de l'implant. La canine maxillaire droite incluse de la dernière patiente était juxta-crestale. Des brackets, impuissants à tracter la dent sur l'arcade, étaient encore collés sur sa face vestibulaire lors de la pose de l'implant. Le site était donc infecté lors de la pose de l'implant.
Deux cas d'échec sont ci-après présentés en détail.
La première patiente se présente avec sa canine de lait maxillaire droite mobile (fig. 9). L'examen radiologique montre la présence de sa canine définitive en regard de l'incisive latérale (fig. 10). La patiente refuse le traitement orthodontique et le protocole de l'implant trans-corono-radiculaire est proposé. La dent mobile est extraite et la séquence de forage conventionnelle est effectuée au travers de l'alvéole sans lever de lambeau. Le forage fait effraction dans la chambre pulpaire (fig. 11) et l'implant est posé en se conformant à un protocole chirurgical en un temps (fig. 12). La temporisation se fait à l'aide d'un bridge collé provisoire. À une semaine lors du contrôle de la dépose des fils de suture, la patiente ne présente aucun symptôme douloureux. Au bout de 5 semaines, elle se présente avec une fistule vestibulaire (fig. 13) et reçoit un traitement antibiotique qui semble être efficace. Au bout de 7 mois, lors de l'étape de contrôle de l'intégration de l'implant, la fistule est néanmoins présente mais de taille plus limitée qu'avant ; l'implant est aussi mobile. Un lambeau vestibulaire est levé au niveau de la fistule. Il montre que l'implant avait perforé la table vestibulaire lors de la pose sans lambeau. Il est alors déposé (fig. 14) sans extraire la dent incluse (fig. 15). Le défaut osseux est comblé avec des éponges de collagène, le lambeau est suturé et la patiente est mise sous traitement antibiotique. Six mois plus tard, la patiente se présente de nouveau avec une fistule persistante (fig. 16). Un lambeau est de nouveau levé, la dent incluse est extraite (fig. 17) et le défaut est comblé avec des éponges d'hémocollagène. Neuf mois plus tard, un implant est posé avec succès dans le site (fig. 18), une augmentation latérale avec du Bio-Oss (Gestlich) est réalisée en peropératoire. La patiente se trouve actuellement dans la phase de temporisation qui se déroule sans incident (fig. 19).
Le second échec est en rapport avec une dent incluse juxta-crestale (fig. 20 à 22). La canine incluse est ankylosée, elle affleure la crête alvéolaire. L'avulsion de cette dent incluse provoquerait un défaut osseux vertical important, supérieur à 10 mm. Le protocole de l'implant trans-corono-radiculaire est proposé et accepté par la patiente. La cuspide de la canine est abrasée, un foret en carbure de tungstène ouvre un premier chenal au travers de la couronne. Ce geste est suivi de la séquence de forage recommandée par le fabricant. Lors de l'assise de l'implant, la couronne est fêlée, elle ne présente toutefois pas de mobilité tissulaire (fig. 21). Le lambeau est suturé et le protocole de temporisation à l'aide d'un bridge collé provisoire se poursuit sans changement par rapport au projet initial. Au bout de 4 mois, la patiente se présente avec une fistule (fig. 23), elle est traitée par antibiothérapie avec succès. La prothèse provisoire est délivrée après 12 mois de temporisation post-chirurgicale. Suite à une maturation tissulaire de 2 mois, la couronne d'usage est transvissée sur l'implant (fig. 24 et 25). Quatre mois plus tard, soit 23 mois après la pose de l'implant, la patiente signale une mobilité de la canine. La couronne est déposée et un lambeau limité est réalisé, il révèle un pan mobile de tissu dentaire (fig. 26). L'implant ainsi que la dent incluse sont déposés. Une procédure de conservation de crête est effectuée et le bridge collé provisoire de la temporisation est à nouveau mis en place (fig. 27). Avant de recevoir son implant, la patiente doit encore se soumettre à une greffe ramique afin de reconstituer une dimension osseuse compatible avec la mise en place d'un implant (fig. 28 et 29).
Tous les échecs ont fait suite à un épisode infectieux qui s'est déclaré lors de la période de cicatrisation. Ses causes ont pu être identifiées rétrospectivement pour chaque patient. Cette infection est sans doute le résultat d'une fracture ou d'une fissure de la dent incluse qui a lieu lors de la pose de l'implant. Il faut donc procéder à la mise en place de l'implant dans sa logette osseuse rigide lentement, avec beaucoup de précaution et sans exercer de torque élevé.
Notre expérience montre que, lorsqu'une infection se déclare, il est nécessaire de déposer immédiatement l'implant et d'avulser la dent incluse. L'antibiothérapie prescrite pour sauver la situation semble efficace dans un premier temps mais elle ne fait que différer l'échec qui, irrémédiablement, semble se produire.
Lorsque la dent est juxta-crestale, tout le tissu dentaire doit être abrasé jusqu'au niveau de la crête ou même en deçà. Entre 2 implants, il ne faut pas laisser de tissu dentaire interposé. De plus, tout pan de tissu dentaire mobile ou même fissuré est à extraire.
Les avantages de ce protocole sont les suivants :
– il évite de recourir à une chirurgie invasive destinée à extraire la dent incluse ;
– il évite de devoir greffer les défauts osseux importants laissés par l'extraction de la dent incluse ;
– il maintient l'intégrité de la table vestibulaire et donne un résultat esthétique prévisible ;
– il raccourcit le traitement de ce type d'édentement ;
– il augmente le taux d'acceptation de la thérapie implantaire par ces patients en détresse.
La détresse de ces derniers ne doit pas être négligée car l'autre solution thérapeutique est chirurgicale et peut aboutir à des complications qui rallongent le temps du traitement de cet édentement.
Ce protocole non conventionnel de pose d'implants au contact de tissu autre que du tissu osseux n'est pas conforme au paradigme de l'ostéo-intégration (Gray et Vernino, 2004). C'est probablement la raison pour laquelle, 8 ans après sa publication, aucun autre article similaire n'a été publié dans la littérature internationale. Quelques rares auteurs ont publié quelques cas au niveau national (Missika, 2014 ; Altglass, 2015) et 86 cas ont pu être recensés en 2014 auprès de confrères en France, en Suisse et en Italie (Belinchón Sánchez, 2014).
Pourtant, des données histologiques sont disponibles dans la littérature sur les interfaces autres que l'interface os/implant. Lorsqu'un implant est posé au contact de la dentine ou du cément, une structure biologique néoformée se met en place dans les espaces laissés libres (pour une revue de la littérature, voir Belinchón Sánchez, 2014). La stabilité de l'implant est le résultat non seulement d'un ancrage biomécanique mais aussi d'un ancrage biologique secondaire. C'est ce qui nous a poussé à introduire le concept d'intégration minérale afin de rendre compte de la réalité biologique d'une interface mixte à la surface implantaire, interface os/implant conforme à l'ostéo-intégration et interface néocément/implant non conforme (Szmukler-Moncler et al., 2012). C'est d'ailleurs à ce même principe que répond la technique du socket-shield mise au point par Hürzeler et al. (Hürzeler et al., 2010), ultérieurement documentée histologiquement (Bäumer et al., 2015) et usitée cliniquement (Degorce, 2017). Elle consiste à maintenir une coque de tissu radiculaire dans l'alvéole d'extraction au contact de l'implant qui la restaure.
L'objet de cet article était de décrire la technique de l'implant trans-corono-radiculaire destiné à traiter l'édentement causé par la présence d'une dent incluse absente de l'arcade. En l'absence d'échec, les premiers résultats étaient prometteurs. Cependant, comme pour toute nouvelle technique, des échecs finissent par survenir. L'important est de comprendre leur origine afin de savoir que faire ou ne pas faire afin de les éviter.
Dans l'immédiat, cette technique ne peut certainement pas être reprise par tous les cliniciens pratiquant l'implantologie. Elle nécessite au préalable une documentation clinique portant sur une cohorte plus vaste de patients. Néanmoins, le fait de prendre connaissance du recul clinique ainsi que de l'analyse des échecs permettra aux praticiens aguerris de disposer d'une arme supplémentaire dans leur arsenal pour traiter certains cas qu'ils jugeront exceptionnels.
Ce protocole non conventionnel montre aussi que des concepts acceptés comme « allant de soi », tel celui de l'ostéo-intégration, et qui semblent immuables peuvent encore être remis en question en implantologie. L'intégration minérale annonce peut-être un futur changement de paradigme (Szmukler-Moncler et al., 2012, 2014).