Article
Olivier FROMENTIN 1 / Frédéric CHAMIEH 2
1- PU-PH, Co-Directeur DUCICP DUCPIP
UFR d'Odontologie Université Paris VII Denis Diderot
Pôle d'Odontologie Hôpital Rothschild (AP-HP), Paris2- DUCPIP, DUAPIC, EFP, Orléans
Résumé
En prothèse supra-implantaire fixée, les excès ou résidus de ciment laissés en place après scellement sont fréquemment rapportés comme un facteur de risque des péri-implantites. Le but de cet article est de discuter les bases scientifiques et cliniques de cette affirmation.
In cement retained implant restorations, cement excess or remnants are frequently reported as a risk factor for peri iplantitis. The goal of this article is to discuss scientific and clinical basis of this statement.
« Le scellement en prothèse supra-implantaire entraîne un risque important de péri-implantite et donc il faut privilégier les réalisations prothétiques transvissées... ».
À l'appui de cette affirmation communément reprise, il est classique de convoquer l'article de Wilson paru en 2009 (Wilson, 2009) dans le Journal of Periodontology. Brièvement, sur une période de 5 années, l'auteur a recruté 39 patients porteurs d'implants présentant des péri-implantites et il a sélectionné 42 sites atteints ainsi que 20 sites contrôles sains chez les mêmes patients. Les sites atteints étaient caractérisés par une perte osseuse péri-implantaire importante et par une inflammation tissulaire attestée par un saignement au sondage. Il a examiné l'environnement péri-implantaire à l'aide d'un endoscope et a rapporté la présence d'excès de ciment de scellement dans environ 80 % des sites atteints (34 sur 42) tandis que les sites contrôles sains s'avéraient exempts de tout excès de matériau d'assemblage implanto-prothétique.
De plus, le retrait minutieux de ces excès au niveau des sites atteints a amené la disparition, à 1 mois postopératoire, des signes de l'inflammation tissulaire dans environ 75 % des cas traités (25 sur 33). L'auteur a conclu sur l'association positive entre présence d'excès de ciment et signes cliniques de la péri-implantite ainsi que sur l'intérêt d'indiquer la réalisation de prothèses transvissées lors de situation sous-gingivale du joint implanto-prothétique.
Depuis maintenant près de 10 ans, nombreux sont ceux qui utilisent cette publication pour étayer de manière incontestable la thèse de la causalité entre péri-implantite et utilisation d'un ciment de scellement ainsi que le risque entraîné par la réalisation de prothèses supra-implantaires scellées. Cette affirmation et la conclusion apparemment logique qui en découle méritent pourtant d'être discutées en fonction des connaissances scientifiques avérées actuelles.
Le but de cet article est de préciser les bases conceptuelles et cliniques sur lesquelles repose la liaison qui existerait entre ciment de scellement, prothèse supra-implantaire scellée et péri-implantite.
Afin de bien cerner la question de ce qui pourrait être retenu contre l'utilisation d'un matériau d'assemblage en prothèse scellée supra-implantaire, il faut préciser succinctement le sens des termes de risque et de facteur de risque dans le lien de causalité entre agent d'assemblage et péri-implantite.
Pour Burt (Burt, 2001), un risque est une probabilité qu'un événement particulier se produise suite à une exposition particulière. En médecine, ceci peut se comprendre comme la probabilité que le hasard, l'aléa, entraîne un événement indésirable, par exemple l'apparition d'une pathologie ou le constat d'un échec thérapeutique.
Pertinente pour les pathologies infectieuses aiguës où la liaison de causalité directe peut être imputée à un agent unique identifiable, il apparaît que cette notion s'avère plus complexe s'agissant de pathologies chroniques nécessairement multifactorielles.
C'est pourquoi la notion de facteur de risque a été proposée comme étant une caractéristique qui contribuerait à l'apparition de cet événement indésirable dans le cadre d'un réseau ou d'une chaîne causale.
Afin de classifier l'importance des responsabilités des différents facteurs de risques, il a été détaillé un lexique parfois confus qui distingue des facteurs de risque vrais (classiques ou établis), de ceux qualifiés de marqueurs ou indicateurs de risque (ou facteurs putatifs) et enfin de facteurs prédisposants. Pour résumer simplement, plus le facteur est proche du déclenchement de l'événement indésirable dans la chaîne causale, plus la force de la liaison est forte, plus celui-ci a une action directe et essentielle sur le déclenchement et la sévérité de l'événement indésirable.
Inversement, certains facteurs ne sont pas la cause de cet événement mais au mieux « la cause de la cause » dans cette chaîne avec donc un effet contributif indirect sur l'événement en question. C'est le cas des indicateurs de risque et plus encore de l'ensemble des facteurs dits prédisposants (Bouchard et al., 2017).
Ainsi pour Genco (Genco, 1996), un facteur de risque serait une caractéristique environnementale, comportementale ou biologique qui, si elle est présente directement, augmenterait la probabilité de l'apparition d'un événement indésirable. Si ce facteur de risque est absent ou éliminé, cette probabilité serait réduite mais son élimination ne conduirait pas systématiquement à la guérison complète en cas de pathologie. Par ailleurs, ce facteur de risque interviendrait dans le cadre d'une chaîne causale. Enfin, et c'est essentiel, on ne peut évoquer l'existence d'un facteur de risque que si un état sain est attesté avant l'exposition entraînant cet événement indésirable. Parmi les différents critères de causalité définis par Hill en 1965 (Hill, 1965), il apparaît que la relation temporelle (l'exposition au risque devant précéder l'apparition de l'effet) est considérée encore actuellement comme le critère majeur, nécessaire à l'établissement de la causalité.
Ainsi, sur le plan méthodologique, il semble clair que les études prospectives de cohortes ou les essais cliniques randomisés et contrôlés permettent d'établir avec validité cette liaison et contribuent significativement à évaluer la force de celle-ci (Tomasi et Derks, 2012).
Les études rétrospectives ou transversales, quant à elles, ne permettent que d'envisager la possibilité de cette liaison et, en ce sens, ne peuvent contribuer qu'à évoquer l'existence d'un facteur prédisposant ou d'un indicateur potentiel de ce risque.
À la lumière de cette terminologie, qu'en est-il du rôle des excès de ciment de scellement dans le déclenchement ou le développement des péri-implantites ?
Si l'on utilise la méthode classique de recherche de la littérature scientifique sur le sujet, celle-ci doit faire ressortir des éléments indiscutables de cette liaison ciment-péri-implantite et donc une perte osseuse majorée, comme énoncée au début de cet article.
Les mots clés associés « dental implants », « cement » et « bone loss » ou « risk factor » entrés dans le moteur de recherche de la base de données PubMed, en filtrant uniquement les revues systématiques de la littérature et les méta-analyses sur les 10 dernières années, permettent de retrouver 41 et 15 publications respectivement. Après lecture des résumés puis du texte des articles jugés pertinents, seulement 7 publications ont été retenues afin d'obtenir les éléments de réponse à la problématique posée.
Trois revues systématiques associées chacune à une méta-analyse concernent la liaison entre perte osseuse et prothèse scellée versus transvissée et quatre s'intéressent au facteur de risque que représenterait le ciment.
Afin d'éclairer le débat, les données essentielles des articles retenus dans cette revue narrative seront présentées succinctement de manière chronologique.
De l'étude de De Brandão et al., parue en 2013 dans le Journal of Clinical Periodontology (De Brandão et al., 2013), on retiendra que, sur 1217 publications initialement sélectionnées dans la recherche bibliographique effectuée jusqu'en 2012, seulement 9 ont fait l'objet de cette analyse après application des critères d'inclusion-exclusion. Les résultats quantitatifs compilés ont montré une perte osseuse moyenne de 0,53 mm (IC 95% : 0,31-0,76) pour la prothèse scellée et 0,89 mm (IC 95% : 0,45-1,33) pour la prothèse transvissée. Les auteurs ont conclu qu'il n'existait pas de preuve scientifique attestant d'une perte osseuse supérieure en rapport avec la réalisation de prothèse scellée par rapport à un assemblage implanto-prothétique transvissé.
En 2014, la revue systématique de Wittneben et al., portant sur 72 publications sélectionnées sur la période 2000-2012, concluait dans le même sens sur l'absence de différence sur le plan statistique entre les taux de survie et de succès (et donc de résorption osseuse péri-implantaire) entre les deux types de réalisation prothétique, scellée ou transvissée (Wittneben et al., 2014).
La revue systématique associée à une méta-analyse la plus récente est celle de Lemos et al. parue en 2016 dans le Journal of Prosthetic Dentistry (Lemos et al., 2016). Sur la période 1995-2015, les auteurs n'ont retrouvé que 6 études permettant une analyse quantitative quant à la différence de résorption osseuse entre prothèse scellée et transvissée. Les auteurs ont rapporté en conclusion que la perte osseuse serait, sur le plan statistique, significativement plus limitée avec la prothèse scellée qu'avec la prothèse transvissée (en moyenne - 0,19 mm ; IC 95% CI : - 0,37 à - 0,01)). Ils ont ajouté néanmoins que cette différence statistique n'aurait pas de pertinence clinique.
De cette sélection de la littérature récente, il apparaît clairement qu'il n'est pas fondé d'impliquer directement l'assemblage prothétique par scellement dans la perte osseuse, signe clinique pathognomonique de la péri-implantite.
Des 4 revues systématiques récentes de la littérature retenues sur le sujet, il est possible de retenir les éléments suivants.
Renvert et Polyzois, en 2015, ont analysé 15 publications retenues sur 3135 sélectionnées en première intention sur l'ensemble de la littérature scientifique jusqu'en 2014 portant sur les indicateurs de risque associés à la mucosite péri-implantaire (Renvert et Polyzois, 2015). Ils ont conclu que la plaque dentaire et la cigarette représenteraient des indicateurs de risque à fort niveau de preuve. Le diabète, le genre ou les caractéristiques génétiques ainsi que l'état de surface des piliers prothétiques ou l'absence de gencive kératinisée seraient des indicateurs de risque à faible niveau de preuve. En se fondant sur une seule publication rétrospective (Linkevicius et al., 2013b), les auteurs ont rapporté que les excès de ciment pourraient représenter un indicateur de risque de la mucosite mais avec également un faible niveau de preuve.
Pour Pesce et al. en 2015, seule 2 études ont pu être retenues pour discuter de l'existence d'un facteur de risque d'origine prothétique, en l'occurrence l'existence d'excès de ciment, dans l'apparition ou le développement d'une péri-implantite (Pesce et al., 2015). Les deux publications rétrospectives retenues ont été celles de Wilson en 2009 (Wilson, 2009) et de Linkevicius et al. en 2013 (Linkevicius et al., 2013b). Ils ont conclu sur la pauvreté de la littérature scientifique sur le sujet, sur le haut risque de biais représenté par les quelques études retenues et sur le fait que les excès de ciment pourraient être associés à la mucosite, stade initial de la péri-implantite, particulièrement pour les patients ayant eu des antécédents de parodontite.
La revue récente de Quaranta et al., en 2017, a analysé les données de 6 publications dont 4 étudiaient la même population (Quaranta et al., 2017 ; Korsch et al., 2014 et 2015a,b,c). Les 2 autres concernaient les articles évoqués dans la revue précédente de Pesce et al. (Pesce et al., 2015 ; Wilson, 2009 ; Linkevicius et al., 2013b). Les auteurs ont conclu, dans une logique similaire à celle évoquée précédemment, que les excès de ciment seraient fortement associés à la mucosite qui serait, elle, un indicateur de risque pour la perte osseuse et donc pour la péri-implantite.
La revue systématique la plus récente et probablement la plus pertinente sur le sujet est celle de Staubli et al. publiée dans la revue Journal of Clinical Oral Implant Research (Staubli et al., 2016). Entre 1999 et 2016, les auteurs ont retenu 26 publications, 10 études prospectives, 8 rétrospectives et 8 rapports de cas cliniques. L'analyse effectuée a porté sur une population reconstituée de 945 patients traités à l'aide de 1010 implants supportant des prothèses scellées. La prévalence des péri-implantites rapportées dans ces publications varierait de 2 à 75 % des implants étudiés et, dans 33 à 100 % de ces situations, il a été signalé la présence d'excès de ciment de scellement.
Malgré ce constat, les auteurs ont conclu avec modération sur le fait que les excès de ciment pourraient être un possible indicateur de risque des pathologie tissulaires péri-implantaires et ceci spécialement dans des conditions où les tissus se trouvaient dans un processus initial de cicatrisation.
De l'ensemble de ces dernières publications qui représentent la quintessence de la connaissance scientifique actuelle sur le sujet, peu d'arguments solides se dégagent pour évoquer un lien fort entre excès de ciment et facteur de risque de péri-implantite. Au mieux, il peut être avancé la possibilité d'un indicateur de risque avec toutes les réserves faites au début de cet article sur la faiblesse du lien potentiel dans le déclenchement ou le développement d'une péri-implantite.
Inversement, malgré les limites de l'argumentation scientifique issue de la littérature évoquée précédemment, il apparaît difficile de réfuter la responsabilité des excès d'agent d'assemblage dans les pathologies tissulaires péri-implantaires constatées cliniquement (fig. 1 à 4).
L'explication de cette apparente contradiction réside dans plusieurs facteurs distincts.
Le premier est en rapport avec les difficultés méthodologiques spécifiques à la problématique étudiée. Pour de nombreux auteurs (Jepsen et al., 2015 ; Pesce et al., 2015 ; Staubli et al., 2016 ; Quaranta et al., 2017), malgré les conférences de consensus successives, il s'avère difficile de définir avec précision quelles sont les modalités cliniques permettant d'établir le diagnostic d'une péri-implantite et comment cliniquement établir la frontière séparant la mucosite de la péri-implantite. Ceci expliquerait les écarts très importants de prévalence des péri-implantites rapportées dans les nombreuses études étudiant les complications biologiques rencontrées avec les restaurations implanto-prothétiques. Cette hétérogénéité limiterait la compilation et l'analyse des résultats accessibles dans ces différentes études, ce qui contribuerait à diminuer l'évaluation du risque encouru.
De plus, en accord avec Linkevicius et al. (Linkevicius et al., 2013b), les cas diagnostiqués de péri-implantites en relation avec des excès de ciment doivent bien évidemment être considérés comme des pathologies iatrogènes. À ce titre, une étude prospective, randomisée et contrôlée, de forte puissance et donc avec un nombre de cas suffisant pour établir un lien fort de causalité sur le plan statistique s'avère bien évidemment impossible à réaliser sur le plan éthique. Le lien potentiel de causalité ne peut donc s'évaluer qu'à la lueur de multiples études cas contrôles ou rétrospectives qui doivent suggérer cette association positive, sous réserve d'être représentative de la population générale.
Enfin, certains auteurs (Wilson, 2009 ; Linkevicius et al., 2013a) évoquent l'hypothèse d'une susceptibilité individuelle qui pourrait expliquer pourquoi la présence d'excès de ciment ne provoque pas nécessairement d'inflammation tissulaire chez certains patients, ou dans tous les sites où ils sont présents, et ceci souvent avec des délais d'apparition variables.
Trois autres facteurs, qu'il est possible de qualifier de prédisposant dans une chaîne causale, pourraient contribuer à expliquer les complications biologiques constatées. Il s'agit respectivement du type de matériau d'assemblage utilisé, de l'architecture des infrastructures prothétiques et, enfin, du protocole d'assemblage.
De manière très synthétique, il faut rappeler qu'en matière de choix d'un matériau d'assemblage, le critère principal réside non pas dans un potentiel important d'adhésion aux surfaces assemblées, ce qui contrarierait le retrait des excès potentiels, mais dans ces caractéristiques en termes de biodégradabilité, de radio-opacité et de biocompatibilité.
La résistance à la biodégradabilité doit permettre le maintien de l'intégrité du joint entre l'infra et la suprastructure prothétique et ainsi garantir la pérennité de l'assemblage tout en évitant l'apparition d'un hiatus favorable à la rétention du biofilm bactérien (Weber et al., 2006). Inversement, certains évoquent l'intérêt de la biodégradabilité en favorisant l'élimination progressive des excès éventuels avec l'hygiène quotidienne (Linkevicius et al., 2013a). À ce titre, les colles ou les ciments résineux présenteraient la résistance à la dégradation hydrique la plus élevée face à des matériaux de scellement dits « provisoires » type oxyde de zinc, moins performants.
La radio-opacité du matériau contribue à la détection des excès de matériau d'assemblage. Même incomplète car limitée aux parois proximales (Linkevicius et al., 2013a), l'évaluation radiographique contribue à l'efficacité du contrôle du protocole de scellement. Ainsi, les travaux de Wadwhani et al. (Wadwhani et al., 2010, 2012) ou Pette et al. (Pette et al., 2013) ont montré clairement que certains agents d'assemblage ne présentaient pas une radio-opacité suffisante et que les colles notamment étaient peu ou non visibles radiographiquement, même en épaisseur importante.
Mais c'est probablement la biocompatibilité du matériau d'assemblage qui constitue la propriété essentielle du choix pertinent d'un matériau d'assemblage. Des nombreux travaux de Korsch et al. (Korsch et al., 2014, 2015a,b,c) ou Raval et al. (Raval et al., 2015), on retiendra que les colles à base méthacrylique et, surtout, les matériaux appelés improprement « ciment résine » contenant une résine diacrylate d'uréthane et de l'HEMA (hydroxyéthylméthacrylate) sont rapportés comme ayant un comportement désastreux sur les tissus péri-implantaires en favorisant la colonisation et la croissance du biofilm bactérien (Korsch et al., 2014). De manière similaire, il apparaît que les ciments-verres ionomères de scellement renforcés par adjonction de résine type CVIMAR présenteraient également un potentiel favorable à la croissance bactérienne et donc favoriseraient l'inflammation tissulaire péri-implantaire.
Il est intéressant à ce titre de noter que, dans la publication emblématique de Wilson (Wilson, 2009) citée précédemment, près de 80 % des agents d'assemblage utilisés dans les cas de péri-implantites sélectionnées par l'auteur étaient des CVIMAR ou des « ciments résine ».
Inversement, les ciments minéraux oxyphosphate ou oxyde de zinc auraient le meilleur comportement en termes de résistance au développement du biofilm bactérien (Raval et al., 2015).
Concernant l'incidence de la conception des infra/supra-structures prothétiques sur la gestion du retrait des excès de ciment, il faut rappeler l'abondante littérature qui rapporte les difficultés d'élimination de ceux-ci dans des situations infra-gingivales profondes (Linkevicius et al., 2011, 2013a). Ainsi, en secteur esthétique, une limite sous-gingivale limitée à moins de 1 mm doit être la règle. Sur le reste de la périphérie de l'infrastructure, et bien évidemment dans les zones non concernées par la visibilité du joint, une limite juxta ou supra-gingivale s'impose pour faciliter le retrait des excès éventuels. Pour cela, l'adaptation de la limite prothétique par rapport au niveau gingival est grandement facilitée par la conception en CFAO d'un pilier secondairement usiné plutôt que par l'adaptation artisanale d'une infrastructure standard (Linkevicius et al., 2013b) (fig. 5).
De plus, dans le but de limiter ou contrôler l'évacuation des excès de matériaux en situation cervicale, de nombreux travaux ont été rapportés afin de modifier l'architecture de l'infra ou de la suprastructure prothétique. Ainsi, il a été proposé d'utiliser le puits d'accès à la vis de transfixation de l'infrastructure pour servir de réservoir au ciment en excès, de modifier la forme de la limite cervicale située sur l'infrastructure ou de créer un évent dans la suprastructure afin de favoriser l'évacuation du matériau en dehors de la zone critique (Patel et al., 2009 ; Vindasiute et al. 2015 ; Jimenez et Vargas-Koudriavtsev, 2016).
Enfin, il apparaît que la solidarisation des suprastructures adjacentes ou la réalisation de prothèses plurales, par la difficulté d'accès aux zones proximales, contrarierait l'efficacité des procédures d'élimination des excès de ciment d'assemblage et de nettoyage de la région cervicale prothétique (Staubli et al., 2016).
En matière de protocole d'assemblage, différents matériels ou techniques ont été décrits afin de contrôler l'apport de matériau d'assemblage et limiter ainsi les excès potentiels, notamment en appliquant le ciment uniquement sur des zones limitées de l'intrados prothétique ou, classiquement, en vaselinant localement l'extrados prothétique.
Au-delà de ces propositions parfois anecdotiques, il est essentiel de rappeler les nombreuses publications descriptives ou les études tant in vitro que cliniques qui rapportent l'intérêt des protocoles de pré-scellement, en utilisant des répliques de piliers, afin de ménager une épaisseur de ciment minimale avant d'insérer la prothèse in situ (Wadhwani et Piñeyro, 2009 ; Caudry et al., 2009 ; Chee et al., 2013 ; Canullo et al., 2016).
Qu'il s'agisse de répliques en élastomère de l'intrados prothétique ou d'analogues de piliers réalisés au laboratoire par CFAO (impression 3D ou microfusion laser), l'objectif est de réaliser des supports de pré-scellement présentant un espacement calibré d'environ 0,7 à 1,0 mm entre la réplique et l'intrados. Une insertion initiale rapide de la réplique dans l'intrados enduit d'agent d'assemblage permet l'évacuation du matériau en excès, garantissant ainsi la persistance d'une épaisseur minimale de ciment avant insertion sur le pilier prothétique dans la cavité buccale (fig. 6 à 9).
On rappellera que la pression hydrodynamique qui s'exerce lors de l'insertion de la prothèse supra-implantaire sur l'infrastructure peut s'avérer suffisante pour forcer les excès de matériau en direction apicale à la limite cervicale, dans la zone fragile représentée par le manchon gingival péri-implantaire. Ce dernier, du fait notamment de son architecture histologique différente, ne présente pas les qualités de résistance mécanique des tissus parodontaux. Une insertion lente et sous pression progressive contribue à limiter le niveau de pression d'évacuation des excès éventuels de matériau d'assemblage (Linkevicius et al., 2013b ; Patel et al., 2009).
Enfin, que quels que soient le protocole et/ou la technique retenus, le contrôle de la qualité de l'assemblage et notamment l'élimination complète des excès éventuels de matériau doivent être systématiques en utilisant tous les moyens radiologiques et cliniques (brossettes interproximales, fil de soie, sonde et curettes fines) classiquement décrits (fig. 10).
La conduite minutieuse d'un protocole de scellement comme décrit succinctement nécessite d'y consacrer un temps clinique significatif qui doit être prévu dans la séance d'assemblage final. Un re-scellement en urgence d'une prothèse descellée conduit souvent à des manœuvres assez éloignées de ce qui avait été initialement réalisé. Faute de retrouver rapidement les répliques nécessaires et souvent par manque de temps, ce re-scellement en urgence est fréquemment source d'excès de matériau d'assemblage, parfois refoulés dans des lésions péri-implantaires pré-existantes, souvent difficilement accessibles lors des tentatives de retrait.
Pour conclure sur l'intérêt de contrôler ces co-facteurs prédisposants, il est intéressant de s'arrêter sur l'étude transversale de Kotsakis et al., parue en 2016 dans le Journal of Periodontology (Kotsakis et al., 2016). Celle-ci rapporte que, avec un protocole de conception et d'assemblage cohérent avec ce qui vient d'être évoqué précédemment, il n'est pas possible de montrer de liaison entre mode d'assemblage par scellement ou vissage et pathologies péri-implantaires. Ainsi, 135 patients porteurs de 394 implants ont bénéficié de traitement par prothèses scellées ou transvissées et ont été suivis sur une durée moyenne de 5,5 années : 6 % des implants présentaient une péri-implantite et près de 57 % une mucosite. L'analyse statistique n'a pu montrer de différences entre les deux types d'assemblage par rapport à la prévalence des pathologies tissulaires péri-implantaires. Les auteurs concluent sur le fait que, sous réserve du choix pertinent d'un ciment et de la mise en œuvre d'un protocole d'assemblage minutieux, le scellement ne serait pas un indicateur de risque des pathologies tissulaires péri-implantaires.
De l'analyse de la littérature scientifique récente, il ressort que les excès de ciment n'apparaissent pas comme une cause principale ou même un facteur de risque de la péri-implantite. Au mieux, les notions d'indicateurs de risque ou de facteurs prédisposants dans le cadre d'une chaîne ou d'un réseau causal complexe peuvent être évoquées concernant l'étiologie des pathologies tissulaires péri-implantaires.
Ainsi, le lien causal entre excès de matériau d'assemblage et pathologies péri-implantaires entraînant une perte osseuse s'avère pour le moins très fragile.
De même, la thèse justifiant la supériorité d'un assemblage prothétique par vissage plutôt que par scellement justifiée par le facteur de risque représenté par le ciment de scellement s'avère également largement excessive.
Il faut néanmoins retenir que certains matériaux, mal utilisés ou mis en œuvre en association avec des infrastructures incorrectement conçues, entraîneront les conditions d'une situation « à risque » pour les tissus péri-implantaires. Le choix pertinent d'un agent d'assemblage et la maîtrise du protocole de scellement, ou du re-scellement en cas de ré-intervention, sont indispensables pour limiter les excès de ciment et contrôler leur élimination afin d'éviter la présence d'un élément de rétention du biofilm bactérien qui représente le facteur de risque principal des pathologies péri-implantaires.
Le clinicien expérimenté se souviendra que la maîtrise du vissage (ou du dévissage) a nécessité quelques années d'évolution passant par une meilleure compréhension des bases théoriques de ce type d'assemblage, l'évolution des états de surface des différents composants utilisés et, enfin, la mise au point de protocoles d'assemblage utilisant des instruments de contrôle du couple de serrage.
De manière similaire, face à la problématique clinique du protocole de scellement en prothèse supra-implantaire, l'évolution des connaissances en termes de biocompatibilité des matériaux d'assemblage et de maîtrise de la conception des pièces à assembler en complément d'un protocole rationnel de scellement permettront d'optimiser les procédures et d'éviter ainsi les complications biologiques parfois rencontrées avec ce type d'assemblage implanto-prothétique.