Article
Philippe KHAYAT 1 / Jonathan ATIA 2
1. Docteur en chirurgie dentaire
MSD Université du Washington
Professeur associé Université du Washington2. Docteur en chirurgie dentaire
Exercice privé, Paris
Résumé
Apparues dans les années 2000 et remplaçant progressivement les surfaces usinées dites lisses, les surfaces modérément rugueuses ont permis d'améliorer sensiblement les taux d'ostéointégration. Mais, plus récemment, des discussions ont évoqué un rôle négatif à long terme et une augmentation des péri-implantites avec ce type de surface. Cette revue de littérature scientifique permet de mieux connaître le possible rôle de la surface implantaire dans le développement et la progression d'une péri-implantite.
Available in the years 2000 and gradualy replacing machined surfaces also called smooth surfaces, moderately rough surfaces have been associated with a slight increase of osseointegration rates. But, more recently, issues have been raised about a long term negative role and a higher prevalence of peri-implantitis with this type of surface. This scientific litterature review allows better understanding of the implant surface possible role in the development and progression of peri-implantitis.
Apparues dans les années 2000 et remplaçant progressivement les surfaces usinées dites lisses, les surfaces modérément rugueuses ont permis d'améliorer sensiblement les taux d'osté-ointégration, notamment dans l'os peu dense (Shalabi et al., 2006 ; Glauser, 2016) et dans les greffes sinusiennes (Del Fabro et al., 2004 ; Pjetursson et al., 2008 ; Wallace et al., 2012). Mais, plus récemment, des discussions ont évoqué un possible rôle négatif à long terme et une augmentation des péri-implantites avec ce type de surface (Simion et al., 2014 ; Tulasne et al., 2016).
Cet article propose une revue de la littérature scientifique et une analyse critique de quelques articles importants comparant surfaces usinées et surfaces modérément rugueuses.
La description des états de surface est régie par la norme ISO 4287. Le Sa (μm) est l'unité la plus couramment utilisée pour définir la rugosité d'un état de surface. Il s'agit de la moyenne arithmétique des hauteurs de pic. Les surfaces implantaires qualifiées de modérément rugueuses ont un Sa compris entre 1 et 2 μm (Wennerberg et al., 2010). C'est ce type de surface que l'on retrouve sur la plupart des implants commercialisés actuellement.
Plusieurs revues de littérature (Atieh et al., 2013 ; Mombelli et al., 2012 ; Derks et al., 2015) nous indiquent que, pour des périodes d'observation de 5 à 10 ans, le pourcentage de patients affectés par une péri-implantite varie entre 18 et 22 %. Une étude récente (Rockn et al., 2017) s'intéresse à un groupe de patients ayant reçu un traitement implantaire et non inclus dans un programme de maintenance régulière. Cette situation, bien que critiquable, évoque celle de beaucoup de nos cabinets. Dans ce contexte, c'est seulement au bout de 4,5 ans (en moyenne) qu'un patient sur cinq présente une péri-implantite (fig. 1 à 3). Ces chiffres ne sont pas bons et nous amènent soit à ne réserver le traitement implantaire qu'à des patients compliants, soit à remettre en cause sa fiabilité et sa pérennité.
Une revue de littérature a été réalisée par un groupe de cliniciens et d'universitaires indépendants (groupe expert de réflexion et de recommandations sur la péri-implantite, GERRP) et présentée récemment dans une première publication (Khayat et al., 2015). La formule de recherche suivante a été utilisée : (dental implants) AND (periimplantitis OR peri-implantitis OR peri implantitis OR periimplant OR peri-implant OR peri implant OR periimplant diseases) AND (surface characteristics OR surface properties OR surface roughness OR material characteristics OR titanium surface OR implant types OR implant surfaces OR surface topography OR surface analysis) AND english [Language]. Elle a permis d'obtenir 1021 références. Une analyse attentive des résumés, l'utilisation de critères d'inclusion/exclusion (tab. I) puis des discussions en sessions plénières ont permis de réduire la liste à 21 études cliniques (Arnhart et al., 2013 ; Astrand et al., 2004 et 2008 ; Charalampakis et al., 2012 ; de Araujo Nobre et al., 2014 ; Dierens et al., 2012 ; Jacobs et al., 2010 ; Jungner et al., 2014 ; Marrone et al., 2013 ; Matarasso et al., 2010 ; Mir-Mari et al., 2012 ; Nicu et al., 2012 ; Polizzi et al., 2013 ; Ravald et al., 2013 ; Renvert et al., 2012 ; Roos-Jansäker et al., 2006 ; Rosenberg et al., 2004 ; Vroom et al., 2009 ; Wennström et al., 2004 ; Zechner et al., 2004 ; Zetterqvist et al., 2010 ) et 10 études animales (Albouy et al., 2008, 2009 et 2012 ; Berglundh et al., 2007 ; Madi et al., 2013 ; Martins et al., 2005 ; Martines et al., 2008 ; Shibli et al., 2003 ; Tillmanns et al., 1997 et 1998). Une mise à jour de cette revue de littérature a conduit à ajouter une étude clinique (Jemt et al., 2015).
Une première étude, relativement ancienne mais bien construite (prospective, randomisée, splitmouth), compare surfaces usinées (Bränemark System) et surfaces rugueuses de type TPS (projetat de titane, Straumann) (Astrand et al., 2004). Après seulement 3 ans, 10 % des implants à surface rugueuse présentent une péri-implantite alors qu'aucun des implants à surface usinée n'est affecté. Cette différence de comportement est confirmée quelques années plus tard par d'autres auteurs utilisant les mêmes surfaces (Marrone et al., 2013). Les implants Straumann ont présenté cette surface relativement rugueuse (Sa > 2 μm) jusqu'à la fin des années 1990. Celle-ci n'est plus utilisée aujourd'hui mais, pendant de trop nombreuses années, des patients ont été traités avec des implants qui favorisaient, comparés à d'autres, l'apparition de ces phénomènes infectieux péri-implantaires.
Lorsque l'on compare surfaces usinées et modérément rugueuses, les études cliniques présentent des résultats plus nuancés, souvent mêmes contradictoires. Quelques-unes ne montrent pas de différence entre les différents types de surface implantaire. Dans ce groupe, on peut noter que :
– trois études (Arnhart et al., 2013 ; Vroom et al., 2009 ; Zechner et al., 2004) concernent exclusivement le secteur antérieur mandibulaire, plus favorable ;
– trois études (Jacobs et al., 2010 ; Ravald et al., 2013 ; Vroom et al., 2009) présentent des échantillons assez faibles avec des taux de patients « perdus de vue » parfois très importants (jusqu'à 35 %) (Vroom et al., 2009) ;
– deux études présentent des définitions de la péri-implantite avec des seuils de perte osseuse inadaptés pour effectuer des comparaisons entre les surfaces (Renvert et al., 2012 ; Zetterqvist et al., 2010). Nous observons, d'un côté, une définition très stricte où toute perte osseuse > 1 mm à 12 ans associée à un saignement au sondage avec ou sans suppuration est qualifiée de péri-implantite (Renvert et al., 2012). Dans ce cas, le pourcentage de péri-implantites oscille entre 32 et 40 % et des implants ayant des pertes osseuses légères, sans suppuration et vraisemblablement non évolutives, sont comptabilisés comme atteints de péri-implantite. Et, de l'autre, une définition trop permissive où, pour établir le diagnostic de péri-implantite, la perte osseuse doit être > 5 mm à 5 ans (Zetterqvist et al., 2010). Dans ce cas, seules des péri-implantites sévères et à évolution rapide peuvent être repérées. Sur plus de 300 implants, un seul sera comptabilisé comme présentant une péri-implantite. Dans une étude (Renvert et al., 2012), les péri-implantites sont donc anormalement nombreuses et, dans l'autre (Zetterqvist et al., 2010), elles sont anormalement rares. Il est difficile de comparer avec finesse les surfaces quand le rapport seuil de perte osseuse pathologique/temps d'observation est très faible ou très élevé ;
– trois études (Jungner et al., 2014 ; Matarasso et al., 2010 ; Wennström et al., 2004) ont des protocoles de maintenance péri-implantaire tellement stricts que, chez ces patients présentant une hygiène irréprochable et revus 2 à 3 fois par an, la péri-implantite n'apparaît pas et que les différences entre les surfaces implantaires ne s'expriment pas. Une bonne nouvelle cependant : une maintenance très stricte prévient de façon efficace l'apparition d'une péri-implantite.
Mais d'autres études (Charalampakis et al., 2012 ; Mir-Mari et al., 2012 ; Polizzi et al., 2013 ; Jemt et al., 2015) montrent un risque accru de péri-implantite associé aux surfaces modérément rugueuses. Voici les informations que l'on obtient à partir de 4 études rétrospectives de qualité :
– une étude réalisée au sein d'une pratique privée montre que les surfaces modérément rugueuses induisent une apparition de la péri-implantite nettement plus précoce que les surfaces usinées (Mir-Mari et al., 2012). En effet, les mêmes taux de péri-implantite (9 %) sont retrouvés dans les deux groupes mais pour des périodes d'observation très différentes : après plus de 11 ans pour les surfaces usinées et seulement 4 ans pour les surfaces modérément rugueuses ;
– une deuxième étude sur deux centres compare des implants de même géométrie dont la surface est usinée ou modérément rugueuse (Polizzi et al., 2013). Lorsqu'ils recensent les péri-implantites, les auteurs constatent une très forte représentation des implants à surface modérément rugueuse (9 pour 1) ;
– une troisième étude analyse les données de la clinique Bränemark et indique que, même si la différence n'est pas significative, une tendance faible mais constante existe en faveur d'une association péri-implantite/surface modérément rugueuse (Jemt et al., 2015). On note également que le nombre de chirurgies liées à une péri-implantite est jusqu'à 3 fois plus important avec les implants à surface modérément rugueuse ;
– une quatrième étude multicentrique s'intéressant exclusivement aux implants présentant une péri-implantite indique que celle-ci est plus précoce avec les implants à surface modérément rugueuse (Charalampakis et al., 2012).
Il s'agit exclusivement de péri-implantites expérimentales, le plus souvent chez le chien (Albouy et al., 2008, 2009 et 2012 ; Berglundh et al., 2007 ; Madi et al., 2013 ; Martins et al., 2005 ; Martines et al., 2008 ; Shibli et al., 2003 ; Tillmanns et al., 1997 et 1998). Des ligatures sont mises en place autour des implants et permettent au biofilm de se développer. Elles sont poussées progressivement en direction apicale jusqu'à obtenir un certain niveau de perte osseuse. Lorsque ce niveau est atteint et qu'une lésion osseuse suffisamment profonde a été créée, les ligatures sont retirées. La péri-implantite entre alors dans une phase dite de progression spontanée où les caractéristiques de la surface implantaire peuvent ou non jouer un rôle. Les études sélectionnées ne comportent pas toutes cette phase d'évolution spontanée.
Pour que la comparaison porte exclusivement sur la surface, il paraît également utile de ne retenir que des études comparant des implants de même géométrie.
Parmi les 10 études animales sélectionnées, seules 2 études (Albouy et al., 2012 ; Berglundh et al., 2007) incluent une phase de progression spontanée et des implants de même géométrie. L'une compare la surface SLA (Straumann) à une surface lisse (non usinée) (Berglundh et al., 2007), l'autre compare la surface TiUnite (Nobelbiocare) à une surface usinée (Albouy et al., 2012). Dans les deux cas, la progression de la péri-implantite est nettement plus rapide avec les surfaces modérément rugueuses. De plus, Berglundh montre que, contrairement à ce qui se passe avec ces surfaces, on assiste à une réparation osseuse spontanée avec la surface lisse (Berglundh et al., 2007).
Cette revue de la littérature scientifique cherche à mieux cerner le possible rôle de la surface implantaire dans le développement et la progression d'une péri-implantite. Elle ne permet pas d'établir un consensus. Plusieurs études prospectives montrent qu'il n'y a pas de différence entre les surfaces usinées et les surfaces modérément rugueuses. Dans ces études, les patients sont conscients d'être inscrits dans un protocole de recherche et font l'objet d'une maintenance et d'un suivi très stricts. Dans ce cadre, la péri-implantite ne s'exprime pas ou que peu. Au contraire, dans le cadre d'études rétrospectives où le suivi des patients est moins strict, situation plus proche de notre réalité clinique, la péri-implantite est présente et apparaît plus fréquemment et plus précocement avec les surfaces modérément rugueuses qu'avec les surfaces usinées. Les études animales les mieux conduites montrent également clairement que la progression d'une péri-implantite est plus rapide avec les surfaces modérément rugueuses qu'avec les surfaces usinées.