Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 2 du 01/05/2017

 

Article

Nicolas BOUTIN 1 / Stéphanie HURET 2 / Bernard CANNAS 3  

1- Docteur en chirurgie dentaire
Exercice privé exclusif en implantologie orale, Paris2- Docteur en chirurgie dentaire
Exercice privé à Charenton-le-Pont (France)3- Docteur en chirurgie dentaire
Exercice privé exclusif en implantologie, Trilport (France)

Résumé

Résumé

Le concept de gradient thérapeutique a été proposé par Tirlet et Attal en 2009. Ces auteurs ont proposé de faire le choix du traitement le moins mutilant possible de l'organe dentaire grâce à la puissance du collage, le but étant de toujours privilégier les solutions les moins invasives. En suivant la même philosophie, cet article propose d'appliquer ce concept à l'implantologie. Le phénomène d'ostéo-intégration est comparé au collage et l'os à la dent. Dans le cadre de ce nouveau concept, on choisira le traitement le moins invasif, le plus rapide et le plus économique à taux de succès égal. Cette évolution des plans de traitement vers le « minimalement » invasif est possible grâce aux nouveaux outils diagnostiques : cone beam computer tomography (CBCT) et logiciel de planification chirurgicale et prothétique.

Summary

Abstract

Therapeutic gradient is a concept raised by Tirlet and Attal in 2009. They proposed to choose less mutilating treatment of teeth by using the power of bonding. The objective is always to favor less invasive solution. We proposed to apply the same philosophy for dental implants. Osseointegration is comparable to bonding, and bones to teeth. In the field of this new concept, we will choose less invasive, quicker, and less expensive treatment when compared at similar success rates. This treatment plan evolution is made possible due new diagnosis tools : CBCT and implant planning software.

Key words

Dental implants, implant surgery, invasive, therapeutic gradient, osseointegration.

Introduction

Tout comme la chirurgie générale, la chirurgie dentaire vit une période de mutation, à la recherche de traitements de moins en moins invasifs, avec comme préoccupation principale la conservation et le respect biologique des tissus.

Le concept de gradient thérapeutique a été proposé dans un article précurseur (Tirlet et Attal, 2009) où la réflexion dans l'élaboration des plans de traitement met en avant les reconstructions micro-invasives faisant appel à la puissance du collage (stratification au composite, collage de facette...) avant toute mutilation importante de l'organe dentaire (fig. 1).

L'implantologie doit aller dans ce sens. L'ostéo-intégration est acquise depuis les travaux du Pr Brånemark (Brånemark, 1977). L'évolution considérable des techniques chirurgicales, des états de surface et des designs implantaires ainsi que l'apport de l'imagerie sectionnelle et des logiciels de planification permettent d'étendre les plans de traitement.

On peut ainsi comparer la puissance de l'ostéo-intégration à la puissance du collage et, donc, avoir un raisonnement des plans de traitement implantaires selon un gradient thérapeutique allant des techniques chirurgicales les moins invasives aux plus invasives.

Cet article a pour objectif de proposer une réflexion visant à utiliser les moyens thérapeutiques les moins invasifs possibles lors de la construction des plans de traitement selon un gradient thérapeutique appliqué à l'implantologie.

L'adjectif invasif, en médecine, est défini par le Larousse comme suit : « Se dit d'une méthode d'exploitation médicale ou de soins nécessitant une lésion de l'organisme. »

Gradient thérapeutique

Tout comme le collage en dentisterie restauratrice va conserver le maximum de tissu dentaire résiduel pour traiter le patient, les techniques implantaires a minima vont exploiter le maximum d'os résiduel, dans son environnement anatomique et en relation avec un projet prothétique, pour traiter les patients en limitant la chirurgie reconstructrice.

En implantologie, les secteurs qui subissent le plus de chirurgies reconstructrices pré-implantaires sont les secteurs édentés postérieurs.

Au maxillaire, l'anatomie des sinus associée à la résorption osseuse causée par l'évolution de la maladie parodontale et par les traumatismes postextractionnels peut engendrer des volumes osseux sous-sinusiens de faible épaisseur. Les raisonnements conventionnels consistent à réaliser des élévations de sinus afin d'augmenter ces hauteurs de manière à y positionner des implants longs (supérieurs à 10 mm) et parallèles, selon les concepts décrits au début de l'implantologie.

À la mandibule, les secteurs postérieurs sont souvent atrophiés à cause du port d'une prothèse amovible au long cours ou à des extractions traumatisantes. Ici aussi, ces zones sont souvent reconstruites afin d'augmenter les volumes osseux disponibles, tant en épaisseur qu'en hauteur.

Mais ces techniques ne sont pas sans risque. Elles sont lourdes chirurgicalement, elles rallongent les temps de traitement et elles présentent des risques anatomiques ainsi que des complications postchirurgicales.

Le principe du raisonnement en gradient thérapeutique consiste à déterminer quels sont les différents traitements pouvant répondre à une même pathologie. Si plusieurs traitements peuvent être retenus pour la traiter, alors la réflexion du praticien devra s'orienter vers celle qui sera la moins mutilante et la moins invasive possible, mais avec des résultats sur à long terme tout aussi fiables que les autres traitements proposés.

Éléments de base de réflexion

La décision de choisir la solution thérapeutique la moins invasive parmi plusieurs possibilités de traitement doit être prise après une réflexion fondée sur une étude de faisabilité faisant intervenir des données indispensables : l'utilisation de l'imagerie 3D, des connaissances anatomiques, un raisonnement par rapport à un projet prothétique et l'utilisation de logiciels de planification implantaire afin de mettre en relation ces différents éléments.

Imagerie tridimensionnelle et connaissances anatomiques

En matière d'imagerie, l'arrivée du cone beam computered tomography (CBCT) dans les cabinets dentaires représente une véritable révolution. Cet examen, délivrant des doses de faible rayonnement par un faisceau conique large issu d'un générateur, permet d'enregistrer un volume. Ce volume, appelé « champ », peut être petit, moyen ou grand (Cavezian et Pasquet, 2012). Ainsi, avec un seul et même cliché, l'ensemble du maxillaire et de la mandibule d'un même patient peut être étudié en 3D, après un examen de 30 secondes d'acquisition et 1 minute de reconstruction.

Les avantages du cone beam par rapport au scanner conventionnel sont la diminution des artefacts générés par la présence d'éléments métalliques en bouche et la réduction sensible des doses délivrées au patient.

Mais le CBCT est un examen radiologique de haute technologie qui nécessite de savoir l'utiliser et le paramétrer ainsi que de connaître parfaitement l'anatomie maxillo-faciale afin d'interpréter médicalement les images obtenues.

Projet prothétique et planification implantaire

La mise en place d'implant ne s'effectue pas uniquement en fonction de l'os résiduel, la finalité d'un traitement consiste en la réalisation d'une reconstruction prothétique implanto-portée dans le respect des règles biomécaniques et esthétiques.

Le point de départ de tout traitement prothétique est la prothèse d'usage. Celle-ci doit être pensée selon tous les aspects – occlusion, rapports avec les dents adjacentes et impératifs esthétiques – puis, après validation, elle doit être visualisée sur les clichés 3D (Cannas et al., 2014) (fig. 2 et 3).

La visualisation du projet prothétique sur les clichés 3D va alors permettre un raisonnement mettant en relation la prothèse, les éléments anatomiques environnants et le volume osseux disponible sous-jacent (Ait-Ameur et al., 2009).

L'utilisation d'un logiciel de planification simule le positionnement d'un implant dans cet environnement et permet de choisir l'intervention le moins mutilante parmi toutes celles qui peuvent être envisagées.

Raisonnement en gradient thérapeutique

Gradient de l'invasivité des différentes solutions chirurgicales implantaires

Implants longs

Les implants longs sont, selon la littérature scientifique, d'une longueur égale ou supérieure à 10 mm. Ils sont positionnés dans des volumes osseux idéaux, permettant un rapport adéquat au projet prothétique.

Pour les positionner, l'anesthésie locale reste concentrée sur le site à implanter. L'incision et le décollement sont relativement peu importants. Le traumatisme osseux est essentiellement lié au passage des forets, sous irrigation. Les protocoles de mise en place sont simples. Le coût pour le patient reste maîtrisé et les suites postopératoires sont en général simples.

Implants courts

En ce qui concerne le positionnement des implants courts, les différents items concernant les degrés d'invasivité sont les même que pour les implants longs.

Les implants courts sont, selon la littérature scientifique, d'une longueur strictement inférieure à 10 mm, comprise dans une fourchette de 6 à 9 mm. Ils sont positionnés selon le même protocole que les implants longs (European Association of Dental Implantologists, 2011).

Dépassement maîtrisé

Le dépassement maîtrisé consiste à utiliser toute la hauteur osseuse disponible et à dépasser les obstacles anatomiques afin d'utiliser des implants de longueur plus importante que le volume osseux disponible entre l'obstacle anatomique et le sommet de la crête.

Au maxillaire, l'implant est positionné légèrement plus haut que le volume osseux sous-sinusien disponible (de 2 à 3 mm au-dessus). L'apex réalisera, lors de sa mise en place, une fracture du plancher sinusien et une ossification à terme de l'intégralité de la hauteur de l'implant (fig. 4).

Pour positionner des implants par cette technique, le traumatisme osseux est un peu plus important car, en plus du forage, une fracture du plancher du sinus est réalisée par l'apex de l'implant lors de sa mise en place (fig. 5).

À la mandibule, l'analyse tridimensionnelle peut révéler la présence d'os laissant de la place pour un implant en dedans ou en dehors du pédicule mandibulaire et, parfois également, en dedans du foramen mentonnier (fig. 6 à 8).

Élévation du plancher sinusien par voie alvéolaire

Au maxillaire, l'élévation du plancher sinusien par voie alvéolaire (EPSVA, ou closed lift) peut remplacer la technique de Summers. Elle permet, sans forage donc sans soustraction osseuse primaire, de réaliser, après trépanation d'un cal osseux, une ostéotomie permettant de remonter ce dernier en poussant la membrane de Schneider. Ainsi, un implant de 7 à 8,5 mm pourra être positionné dans ce faible volume osseux (fig. 9 et 10).

Implants inclinés

Au maxillaire, après l'étude tridimensionnelle des volumes osseux périsinusiens, certaines des quatre parois latérales du sinus (antérieure, postérieure, médiale et latérale) peuvent, si leur épaisseur le permet, recevoir un implant.

Seule une étude sur logiciel de planification, par rapport à un projet prothétique visualisable, permettra de retenir ou non cette technique thérapeutique, permettant des reconstructions prothétiques plurales même dans des situations anatomiques de volumes osseux sous-sinusiens très résorbés (European Association of Dental Implantologists, 2011) (fig. 11 et 12).

À la mandibule, les implants latéraux sont généralement inclinés au-dessus des foramina mentonniers, dans les cas de restauration complète, afin d'exploiter le volume osseux situé juste au-dessus. Ainsi, la sortie de vis se situera plus en distal et permettra une reconstruction prothétique définitive plus étendue.

La mise en place des implants inclinés peut devenir plus invasive du point de vue de l'importance de l'incision et du décollement, de la lourdeur opératoire et du coût dans le cas où des guides de forage sont utilisés pour les positionner (fig. 13).

Remodelage osseux

Le remodelage osseux consiste à modifier les volumes osseux du site à implanter par addition d'os autogène ou de matériau de comblement.

Il implique une anesthésie locale, étendue et durable, du site de prélèvement et du site receveur. L'incision est large car à distance des zones à opérer. Le traumatisme osseux est important et le protocole opératoire est plus lourd et plus long que celui des autres solutions chirurgicales. Le coût est également plus élevé pour le patient et les suites postopératoires sont souvent plus difficiles (œdème, hématome, hypoesthésie...) (Tulasne et al., 2012).

Indications des traitements moins invasifs

Lors de la réflexion du plan de traitement, avec les données radiologiques tridimensionnelles et le projet prothétique, si plusieurs solutions peuvent être proposées à un patient pour un même site à implanter, le praticien devra raisonner selon le gradient thérapeutique pour s'orienter vers le traitement le moins invasif pour le patient (tableau 1, fig. 14).

Conclusion

L'application du gradient thérapeutique en implantologie est fondée sur la recherche de la micro-invasivité des traitements (tableau 1). Ce changement d'approche est fonction d'une étude précise des données radiologiques tridimensionnelles couplées à des connaissances anatomiques et d'un projet prothétique.

La tendance actuelle, grâce aux progrès de la médecine, est de proposer des traitements plus sûrs et plus rapides qu'avant et les moins invasifs possible.

L'application des différentes indications est évidemment praticien dépendante et demande une parfaite maîtrise des techniques chirurgicales et des outils diagnostiques.

Tout comme le fait la dentisterie conservatrice avec le collage, le respect biologique, l'intégrité des tissus et l'implantologie a minima doivent prendre une place prépondérante dans les propositions de traitement implantaire selon le gradient thérapeutique en implantologie.

BIBLIOGRAPHIE

  • Ait-Ameur A, Decat V, Campan P, Teillet M, Le Gac O, Hauret L. Nouveautés en implantologie : de l'aide au diagnostic à l'aide à la chirurgie. J Radiol 2009;90:624-633.
  • Brånemark PI. Osseointegrated implants in the treatment of the edentulous jaw. Experience from a 10-years period. Stockholm: Almqvist & Wiksell International, 1977.
  • Cannas B, Tran M, Boutin N. Transposition du projet prothétique vers l'imagerie en implantologie. De l'empreinte optique au guide chirurgical. Implant 2014;20:327-333.
  • Cavezian R, Pasquet G. Imagerie cone beam et implants. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2012;113:245-258.
  • European Association of Dental Implantologists. Guideline: short and angulated implants. Munich : BDIZ EDI, 2011.
  • Tirlet G, Attal JP. Le gradient thérapeutique : un concept médical pour les traitements esthétiques. Inf Dent 2009;41/42:2561-2568.
  • Tulasne JF, Guiol J, Jeblaoui Y. Reconstruction pré-implantaire du secteur mandibulaire postérieur. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2012;113:307-321.