Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/02/2017

 

Article

Maria Clotilde CARRA 1 / Stéphane KORNGOLD 2 / Francis MORA 3  

1- Postgraduate europeen en parodontologie et dentisterie implantaire, EFP, Université Paris-Diderot, France. A.H.U (Parodontologie) Université Paris 7-Denis Diderot, Hôpital Rothschild AP-HP, France2- Diplôme Universitaire de Parodontologie et Implantologie Orale Université Paris 7
Ancien Assistant Hospitalo-Universitaire
Attaché à l'Hôpital Rothschild AP-HP3- MCU-PH Université Paris 7-Denis Diderot, Hôpital Rothschild AP-HP, France. Co-responsable du Postgraduate européen en parodontologie et dentisterie implantaire, EFP, Université Paris-Diderot, France.Correspondance : Maria Clotilde CARRA
mclotildecarra@gmail.com

Résumé

RÉSUMÉ

La parodontite est une pathologie à étiologie multifactorielle dont les composants infectieux et inflammatoires sont les principaux responsables de la destruction des tissus de soutien de la dent. Le rôle de chaque élément ainsi que les nombreux et différents facteurs de risque sont très variables en fonction du type de parodontite, des caractéristiques de l'hôte, des conditions systémiques et de l'environnement. Cependant, le biofilm bactérien joue le rôle étiologique primaire, en tant que facteur nécessaire mais insuffisant au déclenchement de la maladie.

Une transmission horizontale de bactéries parodonto-pathogènes entre les membres d'une même famille a été décrite et pourrait être expliquée par des contacts directs entre individus (salive, aérosol), mais aussi par l'exposition à des facteurs de susceptibilité communs associés à la colonisation bactérienne de la cavité orale.

Le cas clinique présenté dans cet article décrit une patiente traitée pour une parodontite chronique sévère avec colonisation par la bactérie Aggregatibacter actinomycetemcomitans détectée à l'issu du traitement. L'hypothèse d'une transmission de ce germe (Aa) par le conjoint, atteint d'une parodontite sévère et avec un taux très élevé de Aa, doit être considérée comme plausible.

Malgré un diagnostic clinique difficilement objectivable, le risque de transmission horizontale des bactéries parodonto-pathogènes n'est pas négligeable et doit être considéré lors du parcours diagnostique et thérapeutique du patient.

Summary

ABSTRACT

Periodontitis is a multifactorial disease in which the infectious and inflammatory components are the main responsible for the destruction of the tooth-supporting tissues. The role of each component and of the many different risk factors involved in the etiology of periodontitis varies depending on the type of disease, the host response, the presence of comorbidities, and the environment. However, the bacterial biofilm plays the primary etiological role, as the necessary factor, even if not sufficient, for the periodontal breakdown.

A horizontal transmission of the periodontal pathogens between members of the same family has been described. It could be explained by the direct contact between individuals (saliva, aerosol), or by the exposure to common susceptibility factors associated with the bacterial colonization of the oral cavity.

The clinical case of this article describes a patient treated for severe chronic periodontitis who presented with Aggregatibacter actinomycetemcomitans colonization after treatment. This bacterium could be transmitted by the patient's husband, who was also affected by severe periodontitis and who presented a very high rate of this pathogen.

Despite the difficulties in establishing clinically the horizontal transmission of periodontal pathogens, the risk is not trivial and should be considered in the diagnosis and treatment course of the patient.

Key words

Periodontal pathogenes, horizontal transmission, chronic periodontitis, Aggregatibacter actinomycetemcomitans.

Introduction

La parodontite représente un modèle complexe de maladie à étiologie multifactorielle dont les composants infectieux et inflammatoire sont les principaux responsables de la destruction des tissus de soutien de la dent. Le rôle de chaque composant ainsi que celui des nombreux et différents facteurs de risque sont très variables en fonction du type de parodontite (par exemple, parodontite chronique ou agressive), des caractéristiques de l'hôte, des conditions systémiques, de l'environnement, etc. L'histoire naturelle de la maladie a été décrite dans des études princeps conduites dans certains pays en développement (Loe et al., 1986 ; Van der Velden et al., 2006). Concernant les pays développés, les connaissances sont faibles. En règle générale, la parodontite chronique montre une évolution lente avec des périodes d'activité alternées avec des périodes de latence. Sa progression peut être accélérée lorsque le patient est exposé à de nouveaux facteurs de risque (par exemple, la consommation de tabac ou un affaiblissement du système immunitaire). La parodontite agressive, au contraire, est caractérisée par une évolution rapide dans le temps, souvent en absence de facteurs de risque évidents pour la parodontite mais plutôt chez un patient prédisposé qui présente une réponse exagérée vis-à-vis de l'infection bactérienne parodonto-pathogène.

Autant pour la parodontite chronique que pour la parodontite agressive, le biofilm bactérien joue un rôle étiologique primaire en tant que facteur nécessaire mais insuffisant au déclenchement de la maladie (Offenbacher et al., 2008). Plusieurs bactéries parodonto-pathogènes ont été identifiées et représentées sous forme de complexes spécifiques (Haffajee et Socransky, 1994) : ce sont surtout des bactéries Gram-négatif anaérobies facultatives ou anaérobies strictes. En colonisant les poches parodontales, ces bactéries déclenchent une destruction des tissus et une résorption osseuse, à la fois directe, médiée par les enzymes bactériennes, et indirecte, causée par la réponse inflammatoire-immunitaire de l'hôte (Marsh et al., 2011). En particulier, la bactérie Porphyromonas gingivalis (Pg) est considérée comme le pathogène majeur (keystone pathogen en anglais) (Hajishengallis et al., 2012) capable, après avoir colonisé la poche parodontale, d'induire une modification importante de l'écosystème bactérien qui devient pathogène ou plus virulent (dysbioses). La détection de Pg dans le microbiome oral pourrait donc être considérée comme un marqueur de la parodontite, même si sa seule présence ne correspond pas systématiquement avec « une phase active » de la maladie.

Une autre bactérie très virulente et capable de provoquer la destruction des tissus parodontaux est Aggregatibacter actinomycetemcomitans (Aa). Aa est un bacille Gram-négatif, aéro-anaérobie facultatif, qui colonise les poches parodontales profondes et envahit l'épithélium en pénétrant dans les tissus. Cette bactérie peut persister après le traitement mécanique de débridement des surfaces radiculaires. La détection de Aa est très fréquente chez les patients atteints de parodontite agressive, même si ce facteur microbiologique n'est pas exclusif à cette forme de parodontite. Cependant, elle peut être considérée comme un marqueur du potentiel de progression de la maladie et influencer le choix thérapeutique du clinicien.

Cas clinique

Madame X, patiente d'origine caucasienne, âgée de 52 ans, en bonne santé, consulte pour l'évaluation et le traitement de ses problèmes parodontaux. Elle se plaint d'un saignement des gencives lors du brossage quotidien, d'une mauvaise haleine, surtout le matin, et d'une forte gêne fonctionnelle côté gauche due à la mobilité augmentée de la 1re et de la 2e molaire mandibulaire (36 et 37). Un examen complet met en évidence plusieurs poches parodontales profondes intéressant surtout les secteurs postérieurs maxillaire et mandibulaire, 47 % des sites avec une perte d'attache ≥ 5 mm, un indice de plaque de 45 % et un indice de saignement au sondage de 57 % (fig. 1). Une alvéolyse de 20 à 60 % de la hauteur radiculaire est observée au niveau du bilan radiographique long cône (fig. 2).

L'évaluation d'une radiographie datant de 2 ans permet de définir une évolution lente de la perte osseuse. L'examen microbiologique effectué avant tout traitement révèle la présence de Pg et des bactéries du complexe rouge et orange (fig. 3). Le diagnostic posé est une parodontite chronique généralisée sévère. Le plan de traitement prévu se compose d'une thérapeutique initiale non chirurgicale (motivation à l'hygiène bucco-dentaire, détartrage et surfaçage radiculaire) suivie par un traitement chirurgical des secteurs les plus atteints (lambeaux d'assainissement associés à des procédures de régénération parodontale). Les dents 36 et 37 présentent une profondeur de sondage de 9 mm, des lésions inter-radiculaires de classe II, une mobilité axiale et des lésions péri-apicales sur toutes les racines. Leur pronostic est donc jugé mauvais et, en accord avec la demande de la patiente, 36 et 37 sont extraites pendant la phase chirurgicale. Une réhabilitation implantaire du secteur 3 est envisagée secondairement au traitement de la parodontite.

La patiente montre une très bonne motivation et une compliance au traitement. Huit mois après la première consultation, on ne retrouve plus aucune poche parodontale profonde ; l'indice de plaque est proche de 15 % et l'indice de saignement au sondage est de 16,5 %. Le contrôle radiographique à 1 an objective des résultats satisfaisants au niveau des zones traitées. Un deuxième prélèvement bactérien est effectué pour analyser la flore microbienne avant la pose des implants au niveau des sites édentés 36 et 37. Le test microbiologique révèle alors la présence des bactéries du complexe rouge (en quantité moindre par rapport à la situation initiale) mais aussi celle de Aa, qui n'était pas détecté préalablement (fig. 4). Ces résultats peuvent apparaître surprenants ; une recherche afin d'identifier les sources possibles de transmission de Aa est donc effectuée dans la famille de la patiente. Une explication plausible est rapidement évoquée après la découverte de problèmes parodontaux chez le conjoint de la patiente, intégré à sa demande dans notre service. Le test microbiologique effectué sur les prélèvements bactériens de Monsieur X révèle une grande quantité de Aa et de Pg, ainsi que les autres parodonto-pathogènes du complexes rouge et orange (fig. 5). L'hypothèse d'une transmission horizontale des bactéries parodonto-pathogènes entre Mme X et son conjoint atteint d'une parodontite sévère non traitée est alors envisagée.

À ce stade, le plan de traitement de la patiente doit être révisé en tenant compte du risque inhérent au couple et en prévoyant idéalement le traitement simultané du mari et de l'épouse afin de réduire la charge salivaire des espèces bactériennes virulentes ainsi que le risque conséquent de contamination entre individus.

Transmission horizontale des bactéries parodonto-pathogènes

Selon l'analyse de la littérature, les facteurs génétiques et environnementaux jouent un rôle important dans la colonisation des sites dentaires et non dentaires par les bactéries parodonto-pathogènes. Spécifiquement pour Aa, une transmission horizontale entre époux a été décrite et représenterait de 14 à 60 % des infections par Aa (Slots et Slots, 2011 ; Van Winkelhoff et Boutaga, 2005). La transmission entre membres de la même famille peut être expliquée non seulement par des contacts directs entre individus mais aussi par l'exposition à des facteurs de susceptibilité communs associés à la colonisation bactérienne d'un site oral. Souvent, il s'agit de la même souche de bactéries dans la même famille. Toutefois, la détection de la même bactérie chez les membres d'une famille n'est pas une preuve directe de la transmission inter-individus ; le typage des bactéries isolées (grâce à la description de leur sérotype) est en effet nécessaire pour établir avec précision s'il s'agit de la même souche de bactérie (Brigido et al., 2014). En général, les patients sont infectés par un seul sérotype de bactérie et la colonisation est stable au fil du temps. Le sérotype b de Aa est le plus fréquemment observé dans la population caucasienne (Asikainen et Chen, 1999 ; Brigido et al., 2014 ; Petit et al., 1993). Aa semblerait être transmise pendant l'enfance (par transmission verticale mère-enfant) et ou par exposition directe au cours de la vie. Aa peut être cultivée à partir de la salive des patients atteints de parodontite et, donc, le fait de s'embrasser ou de partager une brosse à dents contaminée peut être un moyen possible d'inoculation directe de ce pathogène chez une autre personne (transmission horizontale) (Dogan et al., 2008). Ainsi, le risque d'infection croisée par le transfert de la salive (ou autre moyen) d'agents parodonto-pathogènes ne peut pas être considéré comme négligeable et, au contraire, doit être pris en compte lors du parcours diagnostique et thérapeutique du patient.

Implications cliniques de la détection de Aa

Les préoccupations du clinicien relatives à la détection de Aa chez un patient traité pour une parodontite chronique sévère et nécessitant des implants sont justifiées par les caractéristiques propres de la bactérie et par les études de la littérature qui montrent sa participation dans la destruction des tissus parodontaux et péri-implantaires.

Dans le cas de notre patiente, la détection de Aa juste avant le placement des implants dentaires, dans un contexte de parodontite chronique sévère traitée avec succès et avec un contrôle de plaque satisfaisant, a induit la réévaluation du risque individuel de la patiente.

Aa est connu pour être un agent pathogène très virulent pour le parodonte ainsi que pour les infections non orales. Aa a la capacité de coloniser la cavité buccale, de persister dans la poche parodontale, de résister et d'échapper aux défenses de l'hôte, de provoquer la destruction des tissus de soutien de la dent (mous et durs), d'interférer avec la réparation des tissus après l'infection (Herbert et al., 2016). La non-détection de Aa lors de la première consultation de la patiente ne signifie pas que la bactérie était absente dans la cavité buccale mais pourrait être liée aux limites du prélèvement bactérien ou de l'analyse microbiologique. Aussi, le comportement d'un micro-organisme pathogène dépend-il de l'interaction entre l'hôte, les autres pathogènes et l'environnement. Le changement de l'un de ces facteurs peut avoir une incidence sur la virulence bactérienne et sur la probabilité de la transmettre. Bien que le mode exact de transmission de parodonto-pathogènes (par exemple, par contact direct ou par aérosol) reste inconnu, on pourrait avancer l'hypothèse que certains changements liés aux bactéries, aux défenses de l'hôte ou à l'environnement peuvent avoir favorisé la transmission de Aa entre la patiente et son mari. En effet, il a été prouvé que la parodontite est une maladie caractérisée par une agrégation familiale (Van der Velden et al., 1996). Ceci suggère que les facteurs de prédisposition pour l'apparition et la progression de la maladie sont liés non seulement aux facteurs génétiques mais aussi à l'environnement et aux habitudes comportementales, qui peuvent être transférées d'une personne à l'autre ou partagées au sein de la famille.

Le fait d'avoir détecté Aa chez une patiente qui ne présentait plus de poche parodontale profonde pourrait être expliqué par la capacité de Aa, mais aussi de Pg, de se répandre intra-oralement par la salive contaminée et de coloniser le biofilm bactérien supra-gingival avant de coloniser la zone sous-gingivale (Socransky et al., 1999). Il a été également démontré que les deux bactéries Aa et Pg sont capables de coloniser non seulement les sites atteints mais aussi les sites ne présentant pas encore de perte d'attache parodontale (Van Winkelhoff et Boutaga, 2005). La dose d'infection minimale et le nombre requis d'expositions pour la transmission horizontale de Aa ou Pg d'une personne à une autre ne sont pas connus mais il semble probable que les deux paramètres influencent les chances de transmission.

Les conséquences de la transmission de Aa sont également inconnues. Cette bactérie peut persister en équilibre avec l'hôte et le biofilm, résidant longtemps chez un individu en bonne santé. Sa seule présence ne traduit pas nécessairement une destruction immédiate du parodonte (compte tenu de l'étiologie multifactorielle de la parodontite). Cependant, il faut noter que la présence de Aa peut être considérée comme un facteur de risque pour une infection parodontale récurrente et pour les maladies péri-implantaires. En effet, le microbiome de la cavité buccale, avant la pose d'implant, influence la composition de la flore bactérienne péri-implantaire et, dans ces cas, Aa est plus probablement associée à des conditions pathologiques, type parodontite et péri-implantite (Zhuang et al., 2016). Comme pour la parodontite, un sulcus péri-implantaire hébergeant des bactéries parodonto-pathogènes n'évoluera pas forcement vers une péri-implantite, mais il reste évident que la présence de Aa est un facteur de risque pour l'évolution de la maladie (Van Winkelhoff et Boutaga, 2005 ; Zhuang et al., 2016).

Conclusion

Une transmission horizontale des bactéries parodonto-pathogènes est difficile à établir avec certitude (car elle requiert des analyses de sérotypage spécifiques) mais elle doit être considérée, en particulier dans les familles où un ou plusieurs membres sont atteints de parodontite. Notre patiente a été traitée avec succès simultanément avec son conjoint qui présentait également des problèmes parodontaux. Ces deux patients ont reçu des thérapeutiques parodontales non chirurgicales, associées à une antibiothérapie systémique (Cionca et al., 2009 ; Sgolastra et al., 2012a ; Sgolastra et al., 2012b), et chirurgicales ainsi qu'une réhabilitation implantaire des secteurs édentés (fig. 6 et 7). La forte motivation des patients, le traitement simultané et l'observance du suivi parodontal permettent d'optimiser le succès à long terme et de minimiser le risque de recolonisation bactérienne et de récidive de la maladie parodontale (fig. 8 et 9).

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