Article
Maxime GHIGHI 1 / Éric MAUJEAN 2
1- Postgraduate européen en parodontologie et dentisterie implantaire – EFP, Université Paris Diderot
AHU, Université Paris Descartes, Hôpital Ivry AP-HP2- Postgraduate européen en parodontologie et dentisterie implantaire – EFP, Université Paris Diderot, France
Ancien AHU (Parodontologie), Université Paris 7-Denis Diderot, Hôpital Rothschild (AP-HP)
Attaché à Hôpital Rothschild AP-HPCorrespondance : Maxime GHIGHI
dr.ghighi@gmail.com
Résumé
Le traitement des cas complexes de parodontites fait intervenir un traitement long, difficile et nécessitant le plus souvent une équipe pluridisciplinaire. Le cas clinique présenté ici montre la diversité des soins entrepris tant au niveau parodontal qu'implantaire et les nombreux intervenants spécialisés participant au projet thérapeutique. Ce cas clinique illustre la prise en charge rigoureuse d'une parodontite chronique sévère. Elle fait intervenir des traitements parodontaux non chirurgicaux associés à des techniques chirurgicales de régénération osseuse, des thérapeutiques implantaires avancées ainsi qu'une prise en charge multiple tant endodontique et prothétique qu'orthodontique.
Advanced cases of periodontitis treatment is long, demanding, and involve most of the time a multidisciplinary team. The present clinical case show the diversity of treatment undertaken in the fields of periodontology and implant dentistry and the participation of numerous specialized colleagues in the treatment of the patient. This clinical case will illustrate the complex treatment of advanced cases of periodontitis. It will involved non surgical and surgical periodontal treatments, regenerative therapies, advanced implant surgeries, endodontic, prosthodontics and orthodontic treatments.
La prise en charge des cas complexes en parodontologie peut s'avérer difficile et de nombreux défis sont à relever :
– soutenir l'intérêt du patient tout au long du traitement ;
– posséder une vision globale jusqu'à la fin du traitement et cela dès le début du traitement ;
– mettre en place une chronologie dans les actes pour minimiser la durée du traitement ;
– référer au bon moment aux praticiens qualifiés ;
– s'intégrer à une équipe de soins ;
– maintenir l'intérêt du patient après le traitement.
Ces difficultés sont dues à la durée, au caractère pluridisciplinaire et à la complexité du traitement, aussi bien en nombre d'actes qu'en diversité des techniques mises en œuvre.
Le cas clinique décrit ici s'efforce d'illustrer la multidisciplinarité des étapes thérapeutiques associées à un cas de parodontite sévère généralisée.
Le patient est un homme âgé de 55 ans, d'origine martiniquaise, en bonne santé générale, qui consulte pour la première fois en parodontologie pour « une gencive qui saigne et une dent de devant qui s'est déplacée ». Les attentes du patient sont à la fois esthétiques et fonctionnelles. À ce stade du traitement, le patient est en instance de divorce, son emploi est stable et il a des horaires de travail réguliers.
De nombreux facteurs sont capables d'augmenter significativement le risque de développement et la sévérité de la maladie parodontale (Genco et Borgnakke, 2013). Le patient est un ancien fumeur (15 cigarettes par jour pendant 25 ans) qui a stoppé toute consommation il y a environ 5 ans. Il a été montré que les anciens fumeurs présentaient une perte d'attache plus importante que les patients n'ayant jamais fumé. De plus, la réponse à la thérapeutique initiale ou chirurgicale a été montrée comme comparable chez les anciens fumeurs et chez les patients n'ayant jamais fumé (Grossi et al., 1997 ; Preshaw et al., 2005).
Cet examen a pour but d'évaluer le profil du patient, les différents étages de la face et les éventuelles asymétries faciales. La position des lèvres au repos et la ligne du sourire sont deux autres éléments importants à déterminer pour la suite du plan de traitement. Ici le patient a un profil convexe, des étages équilibrés sans asymétrie majeure. On note une incompétence labiale au repos et une ligne du sourire de classe 3 (embrasures visibles) (Liébart et al., 2004) (fig. 1).
Au cours de l'examen clinique, les dents absentes, les prothèses, les restaurations et les lésions carieuses sont enregistrées. Le biotype est également évalué. Selon une récente classification, le biotype du patient est plat et épais (Zweers et al., 2014). La gencive présente, du fait de son état inflammatoire, un aspect lisse et œdématié. Un sondage parodontal permettra ensuite de poser un diagnostic et servira de repère pour le monitoring de la maladie. Les profondeurs de poches (fig. 3) et la mesure des récessions permettront de calculer la perte d'attache. D'autres paramètres cliniques tels que la mobilité, les atteintes de furcations, la suppuration, le saignement au sondage et la présence de plaque seront également systématiquement relevés.
Notre patient présente une perte d'attache d'au moins 5 mm pour 53 % des sites, un indice de plaque de 87 % et un indice de saignement de 27 % (Ainamo et Bay, 1975 ; O'Leary et al., 1972).
L'occlusion est analysée en statique et en dynamique à l'aide de papier articulé pour déterminer la présence de prématurités et d'interférences et pour préciser les relations intermaxillaires. La déglutition et la position de langue sont analysées afin de diagnostiquer une éventuelle pulsion linguale qu'il sera important de prendre en compte dans la prise en charge globale. Le patient présente une classe d'Angle II molaire et canine à droite, une classe d'Angle I canine à gauche (fig. 4), une fonction de groupe en diduction droite et une protection canine en diduction gauche sans présence d'interférences ou de pulsion linguale.
Les examens radiographiques (panoramique et bilan long cône) permettent d'avoir une vision d'ensemble de la situation et de commencer à appréhender le pronostic dentaire en visualisant notamment le niveau osseux, la taille, la forme des racines et les proximités radiculaires. La recherche d'anciens examens radiographiques peut également aider à apprécier la rapidité d'évolution de la perte osseuse. Ici, un bilan long cône de 2011 et un autre de 2013 (début de la prise en charge) (fig. 5) ne mettent pas en évidence de différence de niveau osseux. Une évolution lente depuis 2011 est donc supposée. Un examen microbiologique par prélèvement de la plaque bactérienne au sein des poches parodontales a été réalisé. Il précise la flore présente et permet d'évaluer le bénéfice microbiologique du traitement. Ici, une analyse par PCR a montré la présence des bactéries du complexe jaune et rouge en grande quantité et l'absence de Aggregatibacter actinomycetemcomitans (Aa).
Le patient est un ancien fumeur sans antécédents familial de maladie parodontale. Il présente une évolution lente de la maladie, un indice de plaque très important à mettre en rapport avec des éléments de rétention de plaque et des dépôts de tartre très nombreux, visibles cliniquement et radiographiquement.
Selon la classification de Armitage et al., le patient présente une parodontite chronique généralisée sévère (Armitage et al., 1999).
On note également une lésion carieuse sur la 16, une restauration non étanche sur la 14, une racine résiduelle en site 34, des traitements endodontiques incomplets et des migrations secondaires dont la plus importante est l'égression de la 11.
Le détartrage et le surfaçage radiculaire ont été réalisés par quadrant, en 4 séances de 1 heure espacées de 1 semaine. Le choix du nombre de séances se fait en fonction de la compliance du patient, du contrôle de plaque et de la quantité des dépôts à retirer. Ici, la présence importante de tartre sous-gingival, le contrôle de plaque médiocre ainsi que la nécessité de re-motiver le patient et d'améliorer sa technique de brossage orientent le traitement vers une approche par quadrant. Peu de différences sont rapportées dans la littérature entre cette approche et l'approche globale, en bouche complète, en dehors d'un gain de temps (Kinane et Papageorgakopoulos, 2008 ; Koshy et al., 2004 ; Swierkot et al., 2009).
L'adjonction d'un traitement antibiotique améliore la réduction des profondeurs de poche de 0,18 à 0,6 mm (Keestra et al., 2015 ; Sgolastra et al., 2012), mais tous les patients n'en tirent pas bénéfice de la même façon (Feres et al., 2015). En effet, le bénéfice de réduction des profondeurs de poches de 0,18 à 0,6 mm (Keestra et al., 2015 ; Sgolastra et al., 2012) qu'apportent les antibiotiques ne permettra pas une réduction suffisante pour éviter des chirurgies, certaines poches mesurant 10 mm. Aucun traitement antibiotique n'est donc prescrit.
Le pronostic avec et sans traitement est posé en se fondant sur l'analyse des examens clinique et radiographique. Les critères pris en compte doivent être les plus complets possibles. Les travaux de McGuire et Nunn, Nieri et al. et Nunn et al. permettent d'avoir une vision des différents paramètres à prendre en compte pour évaluer le pronostic des dents (McGuire et Nunn, 1996 ; Nieri et al., 2002 ; Nunn et al., 2012). À ce stade de l'analyse les enjeux financiers ou la compliance (hygiène, tabac...) ne sont en aucun cas à prendre en compte. Le pronostic avec traitement est présenté avec une échelle à 4 indices (excellent : vert ; bon : jaune ; moyen : orange ; mauvais : rouge) (fig. 6).
Concernant les dents à mauvais pronostic, il est important de rappeler que leur conservation pendant la thérapeutique initiale, et même au-delà, ne représente pas un risque pour les dents adjacentes d'un point de vue clinique et radiographique. Une étude prospective montre en effet que, à 8 ans, le fait d'avoir conservé ces dents n'a pas eu d'impact sur les dents adjacentes, qu'il s'agisse de profondeur de sondage ou de niveau d'attache (Wojcik et al., 1992). Une autre étude plus récente montre également radiographiquement l'absence d'impact sur le niveau osseux des dents adjacentes après 4 années de suivi (Machtei et Hirsch, 2007). Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la notion de pronostic est une approche dynamique et non statique. Il doit être réévalué à chaque étape du traitement. Le pronostic ne pouvant être établi avec certitude, il est donc préférable d'avoir une approche progressive et de prendre le temps de suivre l'évolution de la cicatrisation, de conserver plus et d'extraire moins (Halperin-Sternfeld et Levin, 2013). Dans le cas présent, les dents à mauvais pronostic ont été conservées pendant toute la phase non chirurgicale et la décision d'extraction n'a été prise qu'après la réévaluation.
À la réévaluation, 8 semaines après les surfaçages (Segelnick et Weinberg, 2006) (fig. 7), on note une amélioration de l'indice de plaque (21 %) et de saignement (10 %) associée à une amélioration clinique de la gencive et des valeurs du sondage (fig. 8).
Un lambeau d'assainissement est réalisé au maxillaire et met en évidence un certain nombre de défauts intra-osseux (fig. 9). Face à cette situation et sachant qu'il est prévu de réaliser un traitement orthodontique, devons-nous réaliser un comblement des lésions ? Une étude prospective de Corrente et al. s'intéresse aux paramètres cliniques et radiographiques en présence d'une extrusion d'une incisive centrale maxillaire associée à un défaut intra-osseux et à un traitement orthodontique (Corrente et al., 2003). Après la chirurgie, le traitement orthodontique réduit la profondeur de sondage et apporte un gain d'attache et un comblement radiographique du défaut intra-osseux. Pour cette intervention, après dégranulation et élimination des dépôts de tartre sous-gingivaux résiduels, aucun matériau n'est donc ajouté.
À la mandibule, le lambeau d'assainissement est associé à l'extraction de la 46 (mauvais pronostic) qui met en évidence l'absence totale de corticale vestibulaire (fig. 10). La résorption osseuse verticale et horizontale après une extraction est inévitable et survient essentiellement dans les trois premiers mois après l'extraction (Schropp et al., 2003), la situation laisse donc présager un site non favorable à la pose d'un implant dentaire après cicatrisation à cause d'un déficit autant horizontal que vertical (proximité du nerf lingual).
En conséquence, il est décidé de réaliser une régénération osseuse guidée à l'aide d'un substitut osseux xénogénique et d'une membrane résorbable, technique ayant montré une capacité à préserver le volume osseux (Wang et Lang, 2012). Il est préférable de réaliser cette intervention à ce moment du traitement plutôt qu'après cicatrisation car le défaut osseux est plus favorable à la régénération (plus de parois et meilleur soutien). Une libération du lambeau vestibulaire suffisante est nécessaire pour obtenir une fermeture hermétique sans tension et éviter ainsi une exposition.
Après 6 mois de cicatrisation, l'examen radiographique permet d'objectiver le résultat de la régénération osseuse guidée. Le gain vertical et le gain horizontal sont importants et permettent une pose d'implant simple qui n'aurait pas été possible sans cette reconstruction du fait de la proximité avec le nerf mandibulaire (fig. 11).
Suite à la réalisation d'un examen radiographique tridimensionnel (CBCT) sur lequel nous avions demandé de voir les méats sinusiens, il est décidé d'éviter de réaliser un sinus lift à gauche mais de poser un implant en 26 en l'angulant le long de la paroi mésiale du sinus (intérêt financier et réduction des suites opératoires) (fig. 12). La technique d'angulation des implants a surtout été décrite dans les cas de réhabilitations implantaires complètes (Maló et al., 2011). De ces études, il ressort que le taux de survie à 5 ans est de 98 %, relativement proche de celui des implants posés conventionnellement. Ata-Ali et al. montrent dans une méta-analyse que la perte osseuse n'est pas différente entre les implants posés de façon axiale ou angulée (Ata-Ali et al., 2012). Enfin, au niveau prothétique, Salvi et Brägger ont publié une revue systématique sur les complications au niveau du pilier implantaire des implants posés droits ou angulés sans révéler de différences significatives (Salvi et Brägger, 2009). Cette technique apparaît donc comme fiable et permet d'éviter une chirurgie plus lourde et plus coûteuse pour le patient ; elle réduit aussi le risque de complications liées à la greffe osseuse ainsi que les suites opératoires et améliore le contact entre l'os natif et la surface implantaire.
La technique d'élévation sinusienne par approche crestale (Summers, 1994 ; Tatum, 1986) est généralement réservée aux crêtes peu résorbées (5 mm ou plus). Cette limitation d'indication est issue de publications montrant une réduction de la survie implantaire lorsque la hauteur osseuse initiale est inférieure à 5 mm, passant de 100 à 90 % de taux de survie à 3 ans (Pjetursson et al., 2009) ou, dans une autre étude, de 96 à 86 % avec 5 ans de suivi (Rosen et al., 1999). Comparativement, la réalisation d'une approche latérale avec implantation simultanée présente 90 % de taux de survie à 3 ans (Pjetursson et al., 2008). Dans les cas de crêtes fortement résorbées, la réalisation d'une approche crestale n'est donc pas une contre-indication mais présente un risque lié à la faible hauteur d'os natif. On peut considérer que ce risque sera présent quelle que soit la technique utilisée, l'approche latérale présentant également de meilleurs résultats avec une hauteur osseuse résiduelle plus importante.
En position de 17, nous avons un peu moins de 4 mm de hauteur osseuse (fig. 13) ; l'une ou l'autre des techniques semble finalement envisageable mais, dans le cas présent, le gain étant nécessaire seulement pour un implant et étant donné le nombre important de chirurgies subies par le patient, nous nous tournons vers la technique de Summers présentant moins de suites opératoires.
La communication entre confrères est primordiale pour et ces derniers doivent prendre connaissance du plan de traitement global afin de s'inscrire dans une même dynamique. Aussi faut-il être en mesure de transmettre suffisamment d'informations pour bien communiquer (photos, modèles, wax-up...). Pendant la phase de thérapeutique non chirurgicale, le traitement des lésions carieuses a été adressé au dentiste habituel de notre patient tandis que les traitements endodontiques ont été adressés à l'équipe du Post-Graduate d'endodontie de la Pitié-Salpêtrière (Caroline Trocme, Stéphane Simon) (fig. 14). Un avis orthodontique a été également demandé en vue d'un traitement a minima visant à corriger les diastèmes interdentaires (afin de faciliter le brossage) et à améliorer l'esthétique et l'occlusion de la dent 11 égressée..
Le travail de prothèse débute après la fin de la période de cicatrisation implantaire (Diplôme universitaire de prothèses sur implant de l'hôpital Rothschild, F. Blanchet, B. Tavernier). Une demande concernant l'accès au brossage par l'ouverture des embrasures et un profil d'émergence adapté est faite aux confrères qui s'occupent de la prothèse. Ici, la proximité avec l'équipe de soin représente un atout non négligeable en matière de communication et garantit une adéquation du résultat final. Le choix s'est orienté vers des restaurations unitaires scellées sur piliers en titane (fig. 15).
En parallèle, le traitement orthodontique a débuté. Ce dernier est limité au maxillaire supérieur et a pour but, par un système multi-attaches, de corriger les migrations secondaires dont l'égression de la 11. Une séance de maintenance complète a été réalisée avant la pose de l'appareil et de nouvelles séances sont programmées avant chaque rendez-vous d'activation orthodontique. La pose d'une contention en fin de traitement est prévue.
Plusieurs difficultés sont rencontrées dans le traitement des cas de parodontite sévère. La durée de traitement est longue et, dans le cas présent, atteint les 24 mois alors même que la prise en charge orthodontique n'est pas terminée. Il faut donc veiller tout au long à ce que le patient ne perde pas son intérêt pour le traitement. L'intervention de plusieurs acteurs représente une difficulté pour le patient (relation de confiance à établir, déplacements, sentiment de complexité du traitement) mais aussi pour le praticien (communication décisive avec les différents acteurs du traitement et nécessitant les outils de communication adaptés : photos, modèles, wax-up...).
Le projet thérapeutique doit être clair dès le début du traitement afin de diminuer sa complexité, de permettre au patient de suivre son évolution et de se l'approprier.
Au final, c'est la qualité de l'équipe de soin, la communication et la planification du projet thérapeutique qui garantissent le succès final du traitement.